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Marcel Nouago Njeukam

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Marcel Nouago Njeukam

Descriptif auteur

Enseignant de formation et grand cinéphile, je suis aussi un mordu de l'écriture. J'espère que mes textes trouveront toujours un écho favorable auprès des éditeurs.
Marcel Nouago Njeukam a vu le jour à Douala au Cameroun. Après des études supérieures à l'Université de Douala et de Yaoundé I, il embrasse l'enseignement. Professeur des lycées d'enseignement secondaire général, il est actuellement en service au lycée de Maképè, à Douala. Il partage son temps entre les cours, la recherche et la création littéraire.

Structure professionnelle : BP 8044 Lycée de Maképè, Douala.

Titre(s), Diplôme(s) : Dipes2(Diplome de professeur) Maîtrise et DEAès lettres

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AUTRES PARUTIONS

"L’ÉCRITURE DU REFUS DANS L'HISTOIRE DU FOU DE MONGO BETI" et"L'ILLUSION, LA DÉSILLUSION ET LA DÉLIQUESCENCE:ESSAI D'ANALYSE DE MAIMOUNA D'ABDOULAYE SADJI"articles publiés in Interculturel Francophonies, numéros13(juin-juillet 2008)et 15(juin 2009)
"DE L'ASSERVISSEMENT A LA RÉVOLTE OU LE RENOUVEAU EXISTENTIEL DANS UN ÉTÉ ALGÉRIEN DE JEAN-PAUL NOZIERE" in Interculturel francophonies, n° 17, Voix algériennes, juin-juillet 2010.
LA MISE EN FORME DU DRAME DE L’IMMIGRÉ CLANDESTIN DANS LE ROMAN FRANCOPHONE DE LA MIGRITUDE: LE CAS DE ''BLEU BLANC ROUGE'' D'ALAIN MABANCKOU. INTERCULTUREL FRANCOPHONIES, n°25, Juin-Juillet 2014.

LES ARTICLES DE L'AUTEUR

LA TRAGEDIE DE LA FEMME DANS LE ROMAN MAGHREBIN FRANCOPHONE: UNE LECTURE DE L'ENFANT DE SABLE DE TAHAR BEN JELLOUN

Les révolutions qui ont secoué certains pays du Maghreb étaient symptomatiques d'un profond mal-être auquel était en proie la population. Bien plus, elles étaient l'occasion idoine pour relire ou questionner à nouveau ces sociétés régies par le patriarcat. Même si le royaume chérifien a échappé à ces remous politiques, il a connu en deux mil trois une révolution juridique sans précédent: la reforme de la Moudawana. Ce nouveau Code de la famille revalorise le statut de la femme, car il fait de celle-ci l'égale de la femme. Le présent article qui se propose d'étudier la tragédie de la femme dans " L'enfant de sable" de Tahar Ben Jelloun permettra au lecteur de mesurer le long chemin parcouru par le Maroc en matière de condition féminine.

LA TRAGEDIE DE LA FEMME DANS LE ROMAN MAGHREBIN FRANCOPHONE : UNE LECTURE DE L'ENFANT DE SABLE DE TAHAR BEN JELLOUN


Marcel Nouago Njeukam


Les révolutions politiques dont une bonne partie du Maghreb a été le théâtre ont profondément secoué les pays concernés dans leurs fondements. Elles sont apparues comme une tentative de remise en cause d'un système et même d'un ordre ancien. Ceux-ci étaient fondés sur des dérives qui se déclinaient en confiscation des richesses de l'Etat par les potentats, marginalisation de la masse et embastillement de la parole En effet, au cours de ces remous qualifiés sans ambages de "Printemps arabe" par des observateurs occidentaux, le peuple a pu exorciser ses frustrations quotidiennes mal surmontées en s'insurgeant contre un bloc monolithique. Ce dernier, réfractaire aux idées progressistes - elles sonneraient la fin du statu quo dans lequel les dirigeants en place ont toujours trouvé leur compte et impliqueraient un changement de la donne sociale - a fait de l'arbitraire un système de gouvernement. De la Lybie en Tunisie, en passant par l'Egypte, ces bouleversements de grande envergure ont servi, dans une certaine mesure, de prétexte à un questionnement ou à une relecture des sociétés maghrébines.
Même si le Maroc a été épargné par ces mouvements de contestation, il a connu auparavant une profonde révolution juridique. Ainsi, en deux mil deux, le Parlement a adopté le nouveau Code de la famille. Ce texte a remplacé l'ancienne Moudawana (statut de la femme), promulguée en mil neuf cent cinquante huit par le roi Mohammed V. Cette reforme historique s'inscrit dans le processus de modernisation de la société marocaine. Elle ébranle les assises du patriarcat en instaurant l'égalité entre l'homme et la femme. En effet, la famille a toujours été fondée sur un rapport de forces légitimé par une organisation sociologique où la prépondérance de l'homme est incontestable. Dès lors, les femmes sont soumises à l'autorité du mâle, bafouées dans leurs droits, alors qu'elles constituent la moitié de la population. A côté du cinéma avec des films comme Un amour à Casablanca d'Abdelkader Lagtaa et A la recherche du mari de ma femme de Mohamed Abderrahmane Tazi, la littérature marocaine a sans cesse actualisé ce sujet de société brûlant qu'est la condition de la femme. Le sixième roman de Tahar Ben Jelloun qui alimente notre réflexion laisse voir l'omniprésence de cette thématique. En effet, L'Enfant de sable1 est l'histoire troublante d'une fille confisquée dans son sexe et son être. Contrainte de jouer le rôle d'un garçon et plus tard celui d'un homme, elle est un véritable instrument entre les mains de son père privé d'héritier. Cette économie du roman justifie l'intitulé du présent article. Soucieux du "primat absolu de l'œuvre", nous construirons notre réflexion en deux mouvements. D'une part, nous analyserons la marginalisation de la femme dans le roman, à la lumière de la notion richardienne de motif. D'autre part, nous verrons comment les procédés d'écriture convoqués par le romancier permettent d'appréhender cette marginalisation. Au final, ce travail servira à évaluer le long chemin parcouru par le Maroc au lendemain de son indépendance jusqu'au tournant des années deux mil.

I- La marginalisation de la femme

Toute femme s'appelle blessure. Cette formule métaphorique de Morena Petrich résonne comme une maxime, eu égard aux constituants de sa syntaxe. Elle recèle tour à tour un quantificateur universel et un verbe dont le temps a valeur de vérité générale. Elle procède surtout d'un raisonnement par induction et s'adapte tout particulièrement à la Marocaine car, les personnages féminins dans L'Enfant de sable en sont le prototype. En effet, ces derniers sont enfermés dans d'étroites limites et partant demeurent confinés dans des rôles actantiels et actoriels quasi identiques. Les pesanteurs sociales sous lesquelles ploie la femme dans cette œuvre font d'elle une victime presque résignée du patriarcat.

I.1. L'indifférence diabolique de l'homme

Dans le roman ici analysé, la femme souffre de sa relation à l'homme. Elle est victime d'un énorme déficit affectif, lequel prend sa source dans l'indifférence cruelle que l'homme éprouve à son endroit. Les sept filles de Hadj Ahmed en savent quelque chose. L'amour paternel est un sentiment qu'elles n'ont pas l'heur d'expérimenter. Elles en sont littéralement privées :

Comme il ne pouvait pas s'en débarrasser, il cultivait à leur égard non pas de la haine, mais de l'indifférence. Il vivait à la maison comme s'il n'avait pas de progéniture. Il faisait tout pour les chasser de sa vue (p.17).

Ce père de famille est très à cheval sur les valeurs patriarcales. Aussi, ne fait-il pas grand cas de ses enfants, des filles uniquement, à qui est réservée une place subalterne. Elles sont refoulées, reniées par leur géniteur. Il en a fait de véritables estropiées affectives, des orphelines virtuelles. Cette froideur se nourrit principalement des désillusions du personnage, de son orgueil blessé. En effet, cet honorable père de famille se désespère de ne pas avoir de garçon, d'autant plus que ses frères attendent fébrilement qu'il ferme les yeux pour toujours afin de s'emparer de ses biens. Un enfant mâle est donc synonyme d'héritier, puisqu'il perpétuera le nom de la famille. Dans le même ordre d'idées, il confère à son père une place importante au sein de la communauté. Or, la fille est généralement perçue comme une personne en transit sous le toit paternel, et par conséquent elle demeure exclue de la succession. Dès lors, les préjugés issus de l'environnement socioculturel de Hadj Ahmed inhibent sa fibre paternelle, si bien que son insensibilité pèse de tout son poids sur ses filles. Il ne s'en cache point :

Bien sûr tu peux me reprocher de ne pas être tendre avec tes filles. Elles sont à toi. Je leur ai donné mon nom. Je ne peux pas leur donner mon affection parce que je ne les ai jamais désirées. (…) Tu comprends pourquoi j'ai fini par ne plus les voir ni m'inquiéter de leur sort (p.22).

Le discours direct révèle l'ampleur du drame existentiel que connaît la gent féminine dans les pays musulmans. Le lecteur sera notamment sensible à la présence du possessif tes et du pronom personnel tonique toi. L'un et l'autre s'inscrivent dans une logique de distanciation. Celle-ci témoigne des rapports père / fille à la lumière du concept de jonction analysé par Assaraf2. Il s'agit, pour le cas d'espèce, de disjonction qui annule tout lien, toute affinité entre les personnages. Elle illustre le désintérêt viscéral de cet homme pour ses filles. Ce dernier en parle comme des inconnues, des étrangères.
Tout chez lui dénote à suffisance son degré relationnel avec sa progéniture. Aucune effusion ou envolée lyrique n'est de mise. Des actes à forte charge émotive, susceptibles de raviver et d'entretenir l'amour tant paternel que filial, n'ont pas droit de cité. La preuve nous est fournie par ce témoignage du narrateur : "Il ne se souvenait pas d'avoir posé sa main un jour sur le visage de l'une de ses filles. Entre lui et elles il avait élevé une muraille épaisse" (p.18). Pas de communication verbale et à plus forte raison non-verbale. En d'autres termes, aucun contact n'est envisageable. La muraille est le symbole de cette absence totale de communication. Elle se dote d'une résonnance dramatique dans la mesure où elle matérialise la déchéance affective de ces filles et annihile complètement leur présence. La froideur caractérisée de cet homme donne donc d'emblée le ton. Elle est expressive de la manière dont on se représente la femme dans une société assujettie aux traditions ancestrales et où règne la loi du mâle. Bien plus, elle laisse la porte ouverte à l'exercice de la violence qui transforme l'homme en un vrai bourreau.

I.2. Une violence masculine protéiforme

Un constat indéniable et intangible se dégage de la lecture de L'Enfant de sable. Le personnage masculin est un agent de dégradation. La femme est sous son emprise et souffre le martyre. La violence se décline sous ses deux formes classiques. Elle est d'abord physique, dès l'instant que l'épouse est meurtrie dans sa chair. Cette souffrance s'origine dans la pénitence qu'on lui impose. Voici les révélations du narrateur à ce sujet : "Il avait même amené sa femme séjourner dans un marabout durant sept jours et sept nuits, se nourrissant de pain sec et d'eau. Elle s'était aspergée d'urine de chamelle" (p.18)
La pénitence à laquelle elle est astreinte met sur le devant de la scène la perception du corps féminin par l'ensemble du corps social. Pour parler sans déguisement, ce corps n'appartient pas à la femme. Bien au contraire, il est la propriété de la collectivité. Celle-ci le tient sous sa tutelle et y exerce des droits quasi imprescriptibles. Les sévices infligés à cette "véritable usine à fabriquer des filles"3 obéissent à la logique bien masculine d'un père en colère contre l'arbitraire divin, et déterminé par-dessus tout à en découdre avec la fatalité. Ainsi, il ne fera point l'économie des moyens susceptibles de favoriser ses desseins. Dans cette perspective, sa femme boira le calice jusqu'à la lie :

Elle avait bu un liquide saumâtre et très amer préparé par une vieille sorcière. Elle eut de la fièvre, des nausées insupportables, des maux de tête. Son corps s'usait. Son visage se ridait. Elle maigrissait et perdait souvent conscience (p. 18).

Il n'est point question d'ascèse dans ces pratiques mortifiantes. Le personnage ressemble à un cobaye, un bol d'expérimentation au regard des affres endurées par ce corps biologique. L'acharnement qu'il subit rappelle des pratiques anthropologiques bien africaines à l'instar de l'infibulation, de l'excision ou encore du repassage des seins. Aussi est-on en droit de dire que, comme la plupart des personnages féminins créés par la romancière Calixthe Beyala, "la femme, dans cette œuvre, habite un corps brûlé et noirci par toutes les formes d'oppression imposées par la société patriarcale et l'idéologie phallocentrique."4 Pour étouffer la féminité d'Ahmed et entretenir la mise en scène savamment orchestrée par son mari, la femme va torturer le corps de sa fille :

(…) elle s'inquiétait pour ma poitrine qu'elle pansait avec du lin blanc ; elle serrait très fort les bandes de tissu fin au risque de ne plus pouvoir respirer. Il fallait absolument empêcher l'apparition des seins. La bande de tissu autour de la poitrine me serrait toujours (p. 36-37).

De l'aveu même d'un personnage du roman, les rapports dans cette société sont régis par une "telle violence (…) qu'une histoire comme celle de cet homme dans un corps de femme est une façon de pousser cette violence très loin, à son extrême limite" (p.160). La déliquescence physique qui en découle accentue cette " atmosphère oppressive de dégradation, de malaise, de déchirement qui figure le destin"5 de la femme dans le roman ben jellounien. Sujette à un vieillissement précoce alors qu'elle a vingt ans de moins que son conjoint, elle n'est point exempte de tyrannie psychologique.
Ainsi se décline l'autre visage de la violence dans L'Enfant de sable. Elle est plus subtile, plus insidieuse car elle vise à modeler à la femme un psychisme en conformité avec l'idéologie dominante. Aussi, essuie-t-elle au quotidien des propos qui développent chez elle le sentiment de culpabilité : "(…) son époux, toujours mécontent, à la fierté froissée, à l'honneur perdu, (…) la rendait responsable du malheur qui s'était abattu sur eux" (p.19). Le parallèle est vite tracé entre cette mère et le bouc chargé de toutes les iniquités puis expulsé dans le désert par les Juifs, ou encore entre elle et Eve, figure biblique rendue responsable du péché originel et de la déchéance de l'humanité.
Elle a succombé au piège du discours dépréciatif et déprimant de l'homme. Le personnage l'a si bien intériorisé que la posture par lui adoptée amplifie son drame : "Elle se mettait aussi à se désintéresser de ses filles. Elle leur en voulait d'être là, se détestait et se frappait le ventre pour se punir" (p.19).
Cette stratégie pernicieuse est un supplice pour cette épouse devenue la proie des remords que son conjoint lui inflige sans état d'âme. Pour justifier son inaptitude à accoucher d'un garçon, il va jusqu'à s'arroger le titre de médecin. Il s'appuie sur un pseudo argument scientifique qu'il s'attèle à faire avaler à la femme. Etant donné que son point de vue a force de loi, que son discours ne souffre d'aucune contestation et est une Parole d'évangile, ils raffermissent chez la femme le sentiment de culpabilité. On peut alors l'entendre lui bourrer le crâne en ces termes :

(…) au bout de ta septième fille, j'ai compris tu portes en toi une infirmité : ton ventre ne peut concevoir d'enfant mâle ; il est fait de telle sorte qu'il ne donnera - à perpétuité - que des femelles. (…) Ça doit être une malformation, un manque d'hospitalité qui se manifeste naturellement et à ton insu à chaque fois que la graine que tu portes risque de donner un garçon (p. 21-22).

Elle a dû se soumettre à de rudes épreuves dans l'espoir de concevoir un garçon et de satisfaire son mari. Laminée par les mœurs et la domination despotique de l'homme, elle ressortit au groupe social marginalisé des femmes condamnées par ailleurs à la réclusion.


I.3. La réclusion de la femme

La réclusion du personnage féminin dans le roman ici étudié est le reflet des archaïsmes d'un pays où la femme reste "une éternelle mineure, subordonnée à l'homme et lui devant obéissance !"6 La plume de l'écrivain marocain offre au lecteur le tableau saisissant d'une société où l'homme et la religion sont perchés sur le sommet du pouvoir qu'ils ont confisqué. Mise à l'écart dans ces conditions, la femme n'a aucune alternative. Alors, elle se plie automatiquement au bon vouloir de l'un et de l'autre. Sa soumission porte l'estampille de la réclusion, physique d'une part, puisqu'elle touche à son corps -une fois encore- et impacte sur ses mouvements : "Et, pour toutes ces femmes, la vie était plutôt réduite. (…) J'étais secrètement content de ne pas faire partie de cet univers si limité" (p.34). Les synonymes réduite et limité développent fort à propos le réseau lexical de cette claustration qui frappe ces êtres. Elle constitue une grave atteinte aux libertés fondamentales énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948.
Pour dire les choses sans apprêt, la femme a un statut de prisonnière. Son déploiement dans l'espace romanesque est soumis à l'autorité du mâle. Ce dernier règle l'emploi du temps de son épouse ; il a un droit de regard quasi absolu sur ses déplacements. Ainsi, celle-ci vit dans un monde clos. Elle est un personnage exilé intramuros étant donné que son investissement des lieux est réduit à sa portion congrue. Les restrictions imposées par Ahmed à sa future épouse et en présence de la famille de cette dernière le certifient : "Ahmed dit ses conditions (…) Elle ne sortirait de la maison que pour aller au bain et à l'hôpital" (p.69). Soumises à une stricte réglementation, ces sorties sont évidemment "condamnées comme des infractions dès qu'elles ne respectent plus les conditions fixées par le code qui régit la conduite féminine." Le maître de céans établit les règles de la vie en couple de manière unilatérale, lesquelles tendent à immobiliser la femme à longueur de journée dans la maison aux allures d'une réelle geôle. La claustration est la marque déposée de son existence. Elle s'y étiole, s'y consume "avant qu'une main sereine et bonne ne vienne la délivrer de cette prison où lentement on l'a enfermée" (p.131).
D'autre part, la prise de parole en situation d'interlocution rend bien compte de la réclusion verbale à laquelle sont sujettes les femmes. En effet, l'évaluation de la répartition de la parole dans cette œuvre débouche sur un constat des plus amers. Le verbe est l'apanage de l'homme. Ce dernier a le monopole de la parole. La femme en revanche parle très peu. Ses interventions se ramènent à des énoncés laconiques. A tout prendre, elle ne s'exprime autrement que par le silence. Ce déséquilibre notoire et voulu dans la prise de parole est manifestement le signe d'un rapport de force inégal. Aussi, devons-nous garder à l'esprit que

Donner la parole à un interlocuteur signifie lui donner le pouvoir de se faire entendre, c'est-à-dire réduire les autres au silence. Prendre la parole signifie prendre le pouvoir et l'exercer sur les autres.7

Dans le roman de Tahar Ben Jelloun, Ahmed ne passe pas par quatre chemins pour verbaliser l'embastillement de la parole féminine. Le dialogue ci-après révèle crûment cette réalité :
- Moi, je n'ai rien décidé.
- C'est vrai ! Dans cette famille, les femmes s'enroulent dans un linceul de silence…, elles obéissent ; toi, tu te tais et moi j'ordonne ! (p.53).

L'homme a développé une stratégie de communication où la femme n'a pas voix au chapitre. Tout semble énoncé en fonction de sa personne, à partir de lui et pour lui. Ainsi, seul son discours fait autorité ; il est la norme. L'allégeance de la femme à ce discours se lit dans ces propos de Hadj Ahmed :

L'enfant que tu mettras au monde sera un mâle, ce sera un homme, il s'appellera Ahmed même si c'est une fille ! J'ai tout arrangé, j'ai tout prévu. (…) Toi, bien entendu, tu seras le puits et la tombe de ce secret. Ton bonheur et même ton nom en dépendront (p.23).

L'ordre patriarcal a institutionnalisé la culture du mutisme effrayant. La paralysie du verbe est totale chez la femme. Comme le dit Dominique le Boucher, c'est "une parole tue le plus souvent, interdite, une parole qui noue entre elles des vies ignorées."8 Elle génère un profond sentiment vertigineux de soi. L'épouse croupit dans un silence béant. Elle en subit la dure loi. De surcroît, celle-ci lui soustrait toute possibilité de choix personnel. Elle en fait alors la complice involontaire et muette d'une imposture. La prise en otage du verbe consacre l'impuissance de la femme dont l'opinion traverse rarement et péniblement l'espace textuel :

- Et toi, Fatouma, tu ne dis rien… Quel est ton point de vue ?...
- Oui, je ne dis rien, parce qu'une femme, dans ce pays, a pris l'habitude de se taire (p.160).

Quand bien même elle l'énoncerait, cette opinion sera balayée du revers de la main, n'entrera pas en ligne de compte : " J'ai droit à la parole parce que ça n'a pas d'importance" (p.161). Le silence, nous nous en apercevons, est consubstantiel à l'identité féminine. Sa voix est désaliénée sur toute la ligne, à cause d'une culture fondée sur le sacro-saint respect des "bienséances dictées par des préceptes moraux et religieux profondément liberticides pour la femme."9
Il en va même jusqu'à la censure à laquelle est soumis son vocabulaire dans le roman. La société y exerce un contrôle permanent. Ainsi, certains mots ne peuvent franchir le seuil de sa bouche :

Il y avait des mots rares et qui me fascinaient parce que prononcés à voix basse, comme par exemple''mani'',''qlaoui'',''taboun''… J'ai su plus tard que c'étaient des mots autour du sexe et que les femmes n'avaient pas le droit de les utiliser :''sperme''…,''couilles''…,''vagin''…"

Ce verrouillage linguistique se rapproche dans une moindre mesure de la théorie du refoulement conceptualisée par Sigmund Freud. Tout compte fait, cet embrigadement de la parole remplit une fonction idéologique dans l'œuvre. Il assure à la société décrite par Ben Jelloun sa force de cohésion. L'accoutumance à l'apathie qui s'observe chez la femme annihile toute velléité de révolte pour l'auto-affirmation. Et même si révolte il y a, celle-ci est tellement stérile qu'elle ne produit aucun effet, … plutôt du silence, ontologiquement lié au personnage féminin. Dès lors, le statu quo dont cette société est une adepte déclarée se trouve garantie et pérennisée. Le silence est de ce fait une mise à mort symbolique de la femme. Le contexte sociologique consacre l'omnipotence de l'homme, elle-même fondatrice du pouvoir politico-social. La tragédie existentielle au cœur de laquelle se trouvent les personnages féminins du roman fait l'objet d'une poétique dont nous nous proposons à présent d'étudier quelques aspects.

II. L'esthétisation de la tragédie de la femme

Au même titre que le roman épistolaire Une si longue lettre de Mariama Bâ, celui de Tahar Ben Jelloun projette l'image d'une femme africaine prise dans l'étau d'un conservatisme traditionnel. Les personnages féminins dont le Marocain et la Sénégalaise dressent le portrait sont jetés en pâture à une société fortement "masculin pluriel", pour reprendre à notre compte la formule de Kateb Yacine. Dans le roman qui fait l'objet du présent article, l'homme et la religion ont conjugué leurs efforts afin de réduire le champ de la personnalité de la femme et d'en faire une créature assujettie. La mise en forme de ce drame emprunte à divers procédés linguistiques.

II.1. Les références au passé historique

Le discours du personnage mâle, l'occurrence Hadj Ahmed, est émaillé de références historiques. Celles-ci ont une visée persuasive, c'est-à-dire qu'elles confèrent une certaine légitimité à son rapport aux femmes et justifient par la même occasion le traitement qu'il leur inflige dans le roman :

Le père pensait qu'une fille aurait pu suffire. Sept, c'était trop, c'était même tragique. Que de fois il se remémora l'histoire des Arabes d'avant l'Islam qui enterraient leurs filles vivantes ! Comme il ne pouvait s'en débarrasser, il cultivait à leur égard de l'indifférence (p.17).

D'après Hafida Mokhtar10, les Arabes observaient la loi tribale avant l'Islam. Les guerres étaient fréquentes entre des tribus et les femmes en étaient les premières victimes évidemment. Enlèvements, viols et massacres étaient leur lot. Bien plus, les hommes tantôt enterraient leurs filles à la naissance, tantôt les mariaient précocement pour se préserver d'un quelconque déshonneur. Même si cette loi a été abolie avec l'avènement de l'Islam, il est indiscutable que cette plongée dans le passé dessine le portrait d'un homme dont la mentalité n'a pas été reformatée. Ahmed est un personnage nostalgique des traditions millénaires qui ont toujours bâillonné la femme.

II.2. Le procédé sémiotique de la qualification différentielle

Le procédé sémiotique de la qualification différentielle11 est l'une des différentes stratégies de dénégation identitaire déployées dans l'œuvre afin de décrire le drame des personnages féminins, dépouillés de leur ipséité. Cette qualification différentielle est perceptible dans le gommage du genre ou tout simplement l'effacement du féminin. L'enfant de sable, peut-être faut-il le rappeler, est l'histoire d'un garçon fabriqué. En effet, alors que Hadj Ahmed désire ardemment un garçon, la perspective d'une huitième naissance, certainement féminine, le conduit à user d'un subterfuge insoupçonnable. Il confisquera le sexe de sa fille et celle-ci sera promue fils du mensonge. Cette dénégation identitaire et sexuelle est grammaticalement marquée par l'emploi du masculin en lieu et place du féminin :

Il demanda à Lalla Radhia d'ôter les langes du nouveau-né. C'était évidemment une fille. Sa femme s'était voilé le visage pour pleurer. Il tira violement sur le voile et dit à sa femme : "Regarde, regarde bien, c'est un garçon ! Tu viens après quinze ans de mariage de me donner un enfant, c'est un garçon, c'est mon premier enfant, regarde comme il est beau (p.26-27)

Dès la naissance de son enfant, le père privé encore de descendance masculine a tôt fait de la déposséder de son identité et de la mettre sous le boisseau. Il est aisé d'apparenter cet homme à un metteur en scène, à la lumière de cette imposture biologique. De cette manière, il fait de sa fille une comédienne à qui il a taillé un rôle social. Elle se voit donc contrainte de porter un masque qui la dépersonnalise. La substitution du féminin par le masculin sature le texte et montre à quel point l'être de la fille est bâillonnée, que l'altérité est déniée : "Il a vingt ans. C'est un jeune homme cultivé." (p.49). Aussi, est-il "difficile d'être insensible en lisant le récit émouvant d'une vie brisée par un si lourd secret (…) d'une femme étouffée derrière l'image d'un homme."12 La distribution masculin/féminin à laquelle nous assistons dans l'œuvre dénie dans une certaine mesure toute existence individuelle à la femme. Cette identité truquée et tronquée par l'homme démontre qu'il se positionne comme l'unique dépositaire du sens. Elle donne à lire et à voir le mal-être des femmes écrasées et qui ne "s'appartiennent pas mais sont définies par rapport à un homme"13
La nomination identitaire suffit aussi pour se convaincre de l'écriture de la dépossession dans le roman que nous analysons. En littérature, le nom est le premier moyen de qualifier un personnage, de le faire exister aux yeux des autres personnages et des lecteurs. Sa désignation et l'interprétation que l'on peut en faire ne sauraient par conséquent pas être anodines, du moment où ces derniers sont au centre du dispositif fictionnel, constituent le "moteur de l'intrigue" Dans L'enfant de sable, les femmes font face à la problématique de leur nom, à la question d'une "étiquette identifiante"14. La manière elles sont désignées est assez parlante : la plupart ne bénéficient point d'une quelconque nomination identitaire. L'épouse d'Ahmed n'est pas singularisée par son nom de famille. Et que dire de ses filles ? Elles ne sont même pas individualisées par leurs prénoms. Toutes sont réduites soit à une personne pronominale, soit à un terme générique. Morceaux choisis : "sa femme" (p.18) ; "elle avait porté des amulettes" (p.18) ; "la pauvre femme" (p.19) ; "tu peux me reprocher de ne pas être tendre avec tes filles" (p.22) ; "Elles sont à toi" (p.22) ; "Le père leur dit qu'à partir de maintenant le respect qu'elles lui devaient était identique à celui qu'elles devraient à leur frère Ahmed" (p.30). Les femmes de cette famille sont diluées dans l'anonymat. Elles sont tout bonnement dépouillées de leur particularité, figées dans des appellations stéréotypées et impersonnelles qui amplifient le tragique de leur condition et existence. Il ressort de ces exemples que cette forme de "désignation d'autrui a pour particularité de requérir de la part de celui qui nomme une prise de position à l'égard de ce qui est nommé."15
En tant que "description qui a pour objet la figure, le corps, les traits, les qualités physiques, ou seulement l'extérieur, le maintien, le mouvement d'un être animé, réel ou fictif"16, la prosopographie s'inscrit dans cette entreprise de hold-up identitaire des femmes. Son analyse prendra appui sur les traits physiques et le travestissement vestimentaire desdits personnages. Ainsi, une guerre sans merci est livrée à la féminité de la dernière-née de Hadj Ahmed. Elle doit complètement s'effacer devant la virilité que son père veut lui forger afin de sauver les apparences :

- Que penses-tu de mes muscles ? As-tu remarqué que c'est dur ici, au niveau des seins ?... Père, je vais me laisser pousser la moustache (p.50).
"J'ai une voix d'homme. Ma voix est grave" (p.152-153).

Cette masculinisation de l'adolescente, cette mue dont le père est l'artisan se veut fidèle aux "conventions saugrenues de la société mâle"17, lesquelles font de l'homme un être naturellement supérieur à la femme. Elles expliquent de ce fait le travestissement vestimentaire du personnage central du roman : "Dorénavant je m'habillerai en costume, cravate…" (p.50). Ce déguisement est une autre illustration des nombreuses injustices auxquelles est confrontée la femme. La tenue du personnage est lourde de sens. Elle est la matérialisation de l'adage selon lequel l'habit fait le moine, et partant le symbole même de cette masculinité fabriquée de toutes pièces à l'adolescente. Ce travestissement est la figuration d'un monde qui s'arc-boute sur des positions exclusives et fixe la norme à laquelle il faut se référer. Fondamentalement motivé par des référents socioculturels préétablis, le déguisement s'inscrit dans une perspective idéologique visant à sauvegarder une structure sociale millénaire. Le refus catégorique de l'altérité se lit dans le recours aux figures de style.

II.3. La rhétorique de la dénégation des personnages féminins

Les figures de rhétorique sont des procédés qui consistent à illustrer, à dévoiler voire voiler une intention. Elles produisent donc un effet de sens particulier et sont étroitement liées à notre préoccupation. En effet, celles que nous examinerons montrent, au travers de certaines pratiques culturelles décrites dans le texte, que l'environnement des personnages est viscéralement réfractaire à la différence. En d'autres termes, ces figures mettent en exergue l'aliénation sociale de la femme. Deux catégories de ces moyens d'expression seront examinées ici.
Tout d'abord, les figures fondées sur l'analogie. Notre attention se focalisera sur la métaphore. Celle-ci établit une correspondance entre deux termes sans outil grammatical de comparaison. De manière générale, elle ne projette pas une image reluisante de la femme dans le roman. Premièrement, la métaphore est utilisée pour traduire la politique des sexes qui a cours dans le pays. Cette politique discriminatoire accentue la condition dramatique de la femme : " Naître garçon est un moindre mal… Naître fille est une calamité, un malheur qu'on dépose négligemment sur le chemin par lequel la mort passe en fin de journée…" (p.168). Deuxièmement, elle souligne avec acuité la tragédie existentielle du personnage féminin. En effet, la valeur hyperbolique de la métaphore "Sa vie était devenue un enfer" (p.18-19) décrit un personnage marqué par la souffrance et écrasé par la tyrannie mâle. Celui-ci fait penser à un condamné qui va au supplice.
A cette figure de style se greffent celles fondées sur l'opposition, dont l'antithèse. Elle consiste à rapprocher dans le discours deux idées ou expressions fortement opposées, afin de mettre la pensée davantage en relief par cet effet de contraste. Le roman de Ben Jelloun abonde en antithèses tant implicites qu'explicites, eu égard à l'échantillon ci-dessous :

Chacune des naissances fut accueillie par des cris de colère, des larmes d'impuissance. Au lieu d'égorger un bœuf ou au moins un veau, l'homme achetait une chèvre maigre (p.19).
Les sept baptêmes furent tous plus ou moins bâclés. Mais pour le huitième il avait passé des mois à le préparer dans les moindres détails (p.20).
L'enfant à naître sera un mâle mêmes si c'est une fille. Ce sera un homme, il s'appellera Ahmed, même si c'est une fille (p.21-23).
Je ne les ai jamais désirées. Elles sont toutes arrivées par erreur, à la lace de ce garçon tant attendu (p.22).

Les marqueurs lexicaux de l'antithèse pullulent dans cet extrait. On y relève des couples de substantifs et de verbes antinomiques tels que naissances vs cris de colère et larmes d'impuissance ; un mâle vs une fille ; un homme vs une fille ; furent bâclés vs préparer dans les moindres détails. Les naissances sont des moments de joie et de bonheur intenses. Elles sont généralement accueillies par des you-you stridents. Or, c'est tout le contraire que nous observons dans le texte. Elles sont plutôt synonymes de deuil. Le regard discriminant porté sur la femme est accentué non seulement par la prééminence du masculin qui efface peu à peu les contours du féminin, mais aussi et surtout par une antithèse animalière qui intrigue : un bœuf vs une chèvre. Avons-nous affaire à une représentation culturelle ? La tentation de répondre par l'affirmative est grande. Toujours est-il que le sexe et la taille de ces deux animaux soulignent avec force cet effet de contraste crée par l'auteur. La connotation associée au bœuf est la virilité. D'ailleurs, au sens figuré, ce terme ne désigne-t-il pas une personne vigoureuse, très forte ? La chèvre par contre symbolise la féminité. Comme marqueurs grammaticaux de l'antithèse, nous avons la locution prépositive au lieu de d'une part et le coordonnant mais d'autre part, tous deux à valeur adversative. Ils rendent compte du principe du deux poids et deux mesures révélateur de la place résiduelle que la société accorde à la femme. Dans le même sens, la logique du discours d'Ahmed repose sur un raisonnement par opposition articulé par le connecteur même si. L'oxymore quant lui est "une sorte d'antithèse dans laquelle on rapproche deux mots contradictoires, l'un paraissant exclure logiquement l'autre"18. Ce procédé est présent dans deux des titres des chapitres du roman qui commandent que le lecteur s'y appesantisse :''L'homme aux seins de femme'' (chapitre 11) et''La femme à la barbe mal rasée'' (chapitre 12). Cet alliage des contraires atteste que le lecteur est en présence d'une forme d'androgynie qui engendrerait une confusion sur l'identité du personnage. Néanmoins, la persistance des indices de la virilité se lit comme un désir de dissolution, de déféminisation complète du personnage.






En définitive, L'Enfant de sable ne s'écarte pas de la tradition du roman sociologique appliqué à décrire les dysfonctionnements d'une société. Aussi, les développements qui précèdent justifient-ils l'importance que revêt aux yeux de Tahar Ben Jelloun la condition féminine dans les pays arabes en général, et au Maroc en particulier. A travers l'histoire personnelle de l'épouse et des filles de Hadj Ahmed, le romancier analyse le destin de toutes les femmes maghrébines, un destin d'une intensité et d'une résonance extraordinaires. Ces dernières sont effectivement victimes de nombreux archaïsmes et soumises au pouvoir assujettissant de l'homme qui exerce un contrôle exclusif sur elles. Tahar Ben Jelloun a su restituer avec beaucoup de justesse leur souffrance, en "la rendant partageable, visible, lisible. Avec l'art, la littérature est sans doute le meilleur moyen pour traduire cette expérience en langage et la mettre en forme."19










Références bibliographiques

1. Tahar Ben Jelloun, L'Enfant de sable, Paris, Editions du Seuil, 1985.
2. Assaraf, A. "Quand dire, c'est lier"" in Les Nouveaux actes de sémiotique, Limoges : Pulim, 1993, p. 7-29.
3. L'Enfant de sable, Tahar Ben Jelloun in http : // culture-et-debats.over-blog.com/article-1267247.html.
4. Béatrice, Rangina Gallimore, L'œuvre romanesque de Calixthe Beyala, Paris, L'Harmattan, 1997, p.36
5. Andréa, Cali, "Du drame individuel à la tragédie collective : une lecture de Perpétue ou l'habitude du malheur" in Mongo Beti : la pertinence réaliste et militante, Interculturel Francophonies no13, Juin-Juillet 2008, Alliance française de Lecce, p. 89-99.
6. Alia, Tabaï, "Femmes. La réforme de la Moudawana se fait désespérément attendre. Au bout de la crise des nerfs" in Jeune Afrique l'Intelligent, n° 2137-2138, du 25 Décembre 2001 au 7 Janvier 2002, p.92.
7. Bernard, Mbassi, "Structure et apories de l'argumentation féministe dans C'est le soleil qui m'a brûlée de Calixthe Beyala" in Revue Langues et Littératures, Université Gaston Berger de Saint-Louis, Sénégal, n° 9, Janvier 2005, p.114.
8. Dominique, le Boucher, "Maïssa Bey, Cette fille-là. Lecture/Dialogue" in Algérie Littérature/Action, 55-56, Novembre-Décembre 2001, p.140.
9. Paolo, Martini "Entre le désir de dire et la tentation du silence : la narrativité de Maïssa Bey" in Loxias 32, "Qu'il parle maintenant ou se taise à jamais…" : Les effets du silence dans le processus de la création. Le sceau rompu du silence.
10. Hafida Mokhtar, "Le personnage féminin : glorification ou anonymat dans La Nuit sacrée de Tahar Ben Jelloun" in Synergies Algérie, n° 10-2010, p195-201.
11. Philippe, Hamon, "Pour un statut sémiologique du personnage" in Poétique du récit, Paris, Editions du Seuil, 1977, p.154.
12. http : // www.partagelecture.com/t5930-ben-jelloun-tahar-l-enfant-de-sable.
13. Bernard, Mbassi, op. cit., p.107.
14. Ikram Masmoudi, "Aventure et itinéraire d'un nom propre arabe dans L'enfant de sable de Tahar Ben Jelloun" in http://www.jstar.org/discover/10.2307/44057773?uid=373779.
15. Siblot, Paul, " De l'un à l'autre : Dialectique et dialogisme de la nomination identitaire" in
L'Autre en discours, Montpellier, Presses universitaires de Montpellier III, 1998, p27-43.
16. Pierre, Fontanier, Les Figures du discours, Paris, Flammarion, 1977, p.425.
17. Cécile, Dolissane-Ebosse, "Le personnage androgyne chez Mongo Beti : jeu littéraire ou mystique révolutionnaire ?" in Mongo Beti : la pertinence réaliste et militante, op.cit., p.81.
18. Henri, Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, P.U.F., 1989, p.834.
19. Extrait d'un texte lu au Congrès mondial du Conseil International d'Etudes Francophones à Sinai en Roumanie, le 28 juin 2006, sur le thème de "Cris et chuchotements dans la littérature contemporaine", file://E:/souffrances et littérature.xhtm.htm.

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L'INTERACTION DES REGARDS OU LA NEGATION DE L'ALTERITE DANS LE ROMAN FRANCOPHONE DE LA MIGRITUDE: UNE LECTURE DE L'IMPASSE DE DANIEL BIYAOULA

A la faveur du boom des moyens de communication dont le principal corollaire est le contact entre les hommes de cultures différentes, la thématique de l'Altérité s'inscrit au cœur des préoccupations de la littérature africaine postcoloniale. Celle-ci a enfanté des œuvres aussi remarquables les unes que les autres, dont L'Impasse, roman "métropolitain" qui a valu à son auteur, le Congolais Daniel Biyaoula, le Grand Prix Littéraire de l'Afrique Noire en 1997. Une lecture statistique de ce récit permet d'y recenser, en trois cent vingt huit pages, une centaine d'occurrences du motif du regard qui, d'entrée de texte, met l'accent sur sa portée imagologique. En effet, le premier roman de ce docteur en microbiologie joue sur la notion de regard. Celui-ci conditionne les rapports entre deux groupes identitaires : les Noirs et les Blancs. Le regard porté sur les uns et les autres est dépréciatif et profanateur car il se nourrit de stéréotypes qui font dire à Boniface Mongo-Boussa que "condensé de la relation interculturelle avec ce qu'elle charrie de stéréotypes et de clichés, L'Impasse est, au même titre que Bleu Blanc Rouge, un roman post-identitaire au sens où l'entend Nicolas Martin-Granel" (1999). Et parce qu'ils induisent de façon implicite une représentation culturelle préexistante, ces stéréotypes sont tout à fait révélateurs de l'altérisation/exclusion des autres. Ils sont l'expression du refus de l'altérité, du mépris de la diversité culturelle. L'altérité se pose alors en contrepoint et le rapport qui s'établit entre "les mêmes" et "les autres" est dialectique, conflictuel. Aussi, montrerons-nous, dans la suite de cette analyse, comment la négation de l'altérité dans L'Impasse s'inscrit dans les lignes fondamentales d'une certaine esthétique verbale. Réfléchir sur la perception de l'Autre à partir des mots, qui ne sont pas toujours neutres, des reflexes discursifs des personnages blancs et noirs est une démarche heuristique qui considère les réalités sociales comme un champ dynamique.

1- NOUS ET LES AUTRES : LE GROUPE D'IDENTITE ET LE GROUPE D'ALTERITE
Dans le roman qui sert de ferment à nos analyses, l'action se déploie tour à tour dans l'Afrique et la France contemporaines. Ces lieux sont tout à fait symboliques car ils participent du principe de l'hétérotopie. D'après celui-ci, un espace se définit en général par rapport et par opposition à un autre auquel il fait référence, que se soit de manière explicite ou implicite. Ainsi, ledit principe nous conduit-il à dégager dans L'Impasse la socialité du texte : les Africains et les Occidentaux. Cette socialité va constituer automatiquement le socle des discours élaborés "à partir d'une position donnée dans une conjecture donnée" (Pêcheux, 1975 : 10), puisque dans cette œuvre "le sujet (…) s'inscrit dans sa parole selon la dialectique du même et de l'autre (…) dessine constamment un espace variable des mêmes où il s'engage et simultanément un espace des autres dont il se dégage" (Siblot, 1998 : 5). Nous en voulons pour illustration le passage ci-après dans lequel le grand frère du narrateur homodiégétique esquisse le portrait moral des Européens :
C'est la vérité que je te dis. Ça a une autre manière de penser, les Blancs. Ils ne réfléchissent pas comme nous. Et eux, qu'est-ce que tu crois qu'ils disent sur nous. Tu crois peut-être qu'ils ont de la considération pour nous (L'Impasse, p.58).

Le Blanc à son tour convoque les stratégies linguistiques identiques. Leur objectif saute aux yeux : montrer qu'en situation d'interdiscours et donc d'interaction, les personnages "s'emploient constamment à se positionner à travers ce qu'ils disent, à s'affirmer en affirmant (…) à se valoriser et à surmonter des menaces de dévalorisation" (Maingueneau, 1990 : 18). Aussi, pouvons-nous entendre Michel Dugal s'adresser en ces termes à Dieudonné sur qui il a pointé son fusil de chasse, car il vient de le surprendre en flagrant délit avec sa femme :
Alors, comme ça on vient de sa forêt vierge pour emm… les gens civilisés (…) On vient bouffer notre pain !... On nous prend notre argent ! … Mais c'est pas assez ???... maintenant on vient nous prendre nos femmes !... (p.217).

Cet échantillon est assez expressif de l'activité de verbalisation de soi et de l'autre et il impose quelques remarques. Tout d'abord, les indices personnels "nous" et "notre" ont une valeur englobante, étant donné qu'ils sont les signes manifestes d'un locuteur collectif. Autrement dit, Samuel Gakatuka et Michel Dugal sont les caisses de résonance du groupe identitaire auquel ils appartiennent et s'identifient. Par ailleurs, la référence à la société d'origine que cela implique débouche inéluctablement sur l'exclusion de l'autre, expression de "l'altérité du dehors". Celle-ci, pour reprendre Denise Jodelet,
Concerne les pays, peuples et groupes situés dans un espace et/ou un temps distants et dont le caractère "lointain" voire "exotique", est établi en regard des critères propres à une culture donnée correspondant à une particularité nationale… (p.26).

Les oppositions grammaticales (nous, notre / eux, ils, sa, on) que nous avons pris soin de marquer à l'aide de la typographie sont symptomatiques de l'opacité de la relation du groupe d'identité au groupe d'altérité. Elles s'inscrivent dans une stratégie de mise à distance de l'autre. A partir de ce moment, les groupes différenciés construits ont tendance à se refermer sur eux-mêmes, et à établir "un rempart entre nous et eux" (Aicha Belarbi, p.294). Ainsi, les représentations de l'autre, la construction de sa figure au travers des pans d'images véhiculées sur lui s'opèrent-elles au moyen de choix langagiers spécifiques.


2 - LES MODALITES DU DISCOURS DANS LA REPRESENTATION DE L'AUTRE.
Des analyses menées dans la précédente articulation, nous avons mis en exergue deux catégories d'interactants. Ces derniers constituent des "espèces discursives" (Pêcheux, op.cit : 12) dont le discours sur l'autre est foncièrement influencé par leur éthos. Dans la suite de notre investigation, nous insisterons sur quelques aspects langagiers qui, serrés de près, sont des opérateurs de lisibilité de la négation de l'altérité.

2-1- LE REPERTOIRE LEXICAL ET LA NOMINATION IDENTITAIRE
Tout acte de communication présente des caractéristiques particulières qui tiennent à la mise en situation des interactants, dans un contexte déterminé. En effet, dans l'œuvre de Daniel Biyaoula, nous notons que l'élaboration du discours sur l'autre demeure "le lieu de réglages conflictuels de sens" (Siblot, op.cit. : 40). Le répertoire lexical mobilisé pour désigner l'autre éclaire la lanterne du lecteur sur les relations qu'entretiennent les constellations de personnages dans le roman. Ce répertoire démontre que l'autre est toujours pris en charge par une étiquette dont les caractéristiques générales sont fortement empreintes de subjectivité. Morceaux choisis :
Viens sale noir ! Tu vas voir comment je vais t'arranger le portrait ! (p.165).
Lui, il espère, il attend que les Ricains ou les autres ils envoient dans les pays des Nègres un truc qui les finirait presque tous (p.215).
Toi, le négro, tu ne bouges pas ! (p.217).
Bon ! La comédie a assez duré ! Toi le moricaud, dehors ! (ibidem)

Le terme noir et ses divers relais sont le baromètre de la négrophobie de ce Français, et nous convenons avec Siblot de ce qu'ils sont "bien porteurs du ou des sens dont les charge la relation du locuteur à l'autre" (op.cit. : 39). A la lumière des appellatifs utilisés, il appert que ce personnage ne peut pas nommer "l'autre sans l'essentialiser", justifiant de la sorte le primat de l'essence sur l'existence. La nomination identitaire subsume toute la charge du regard et s'avère exclusivement péjorative. Elle débouche sur la forme la plus radicale de l'altérité, c'est-à-dire le racisme. C'est au nom de cette idéologie que Michel Dugal rejoint son pendant Wilfried Hotterman dans La Croix du sud du dramaturge et universitaire camerounais Joseph Ngoué. Pour le personnage de Ngoué, autant que pour celui de Biyaoula : "Ce qu'on attend du mot (nègre), c'est qu'il conserve intacte toute la distance qui sépare les nègres des autres hommes" (La Croix du sud, p.8).
Dans cette confrontation, cette dialectique où le regard regardant est regardé, pour reprendre la formule de Jean-Paul Sartre, le Noir développe aussi tout un répertoire lexical afin de compenser dans une certaine mesure la dépréciation dont il fait l'objet de la part du Blanc. Faisant table rase de ce que Sabine représente dans la vie de Joseph Gakatuka, sa famille lui fait savoir par bribes, au détour de conversations, que le mariage mixte est contre nature, et par conséquent il devrait se méfier de la femme blanche. A Joseph qui s'évertue à battre en brèche la structure de sa famille, son frère aîné lui réplique sans ambages: "Mais enfin, réfléchis un peu, Joseph ! Tu ne vas pas nous ramener une étrangère quand même !" (p.58).Le référent humain dont il est question se trouve rejeté dans l'espace des autres, car est étranger celui qui appartient à une autre nation, à une autre culture. Etranger dérive de surcroît de l'adjectif étrange, désignant ce qui sort de l'ordinaire. Le regard ostracisant de Samuel est une volonté affichée de nier la capacité de Sabine à s'intégrer dans l'univers culturel de Joseph, et il demeure de ce fait un frein au dialogue et à l'ouverture à l'autre. La même logique de dénégation de l'altérité s'observe après le retour du narrateur-personnage en France. La scène se déroule dans un restaurant où il doit dîner avec sa copine. Au cours d'une altercation qui s'origine dans les regards de travers et assortis de rires que des Françaises ne cessent de poser sur lui, Joseph, pris aussi dans le carcan des fixations identitaires, traite un monsieur de la bande de "cochon gratté" (p.190).
De toute évidence, le vocabulaire péjoratif utilisé pour dire l'autre s'assimile selon Agamben à un dispositif, en d'autres termes "tout ce qui a, d'une manière ou d'une autre, la capacité (…) d'orienter, de déterminer (…) de modeler (…) et d'assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants" (Agamben, 2007 : 31). Le procédé de la réification s'inscrit en droite ligne de cette entreprise.

2-2- LE PROCEDE DE LA REIFICATION
"Quand deux races se rencontrent, il y a toujours des étincelles", déclare le Lauréat du Grand Prix Littéraire de l'Afrique noire en 1997. Dans son œuvre, nous assistons à un croisement de regards noirs et blancs, lesquels portent l'estampille du mépris. Ainsi, dans un discours d'une réification outrageuse, l'oncle et l'aîné de Joseph conjuguent-ils leurs efforts pour l'empêcher d'épouser une Blanche :
Ça a une manière de penser, les Blancs. Mais si tu ramènes
Une telle femme, qui viendra encore te rendre visite ? Ça ne veut
voir personne, une femme comme ça ! (pp.58-59).

Le pronom démonstratif "ça" est d'ordinaire réservé aux objets. Or, dans le fragment ci-dessus, il est appliqué à un être animé, une personne en l'occurrence. Cette particule grammaticale revêt dans ce cas une connotation fortement négative et même injurieuse. Ce démonstratif monosyllabique thématise le mépris quasi viscéral que ces deux vouent aux Blancs qu'ils présentent comme étant l'incarnation de l'égoïsme. La disposition mentale de ce duo d'Africains est, on le constate, la source d'opinions préconçues, de préjugés parfois dangereux voire de l'intolérance.
Cet état d'esprit sous-tend l'image que Maria se fait de Joseph, le soir où ce dernier est invité par son collègue blanc dans sa famille. Le regard de l'employée de maison est affecté d'un fort coefficient de dévalorisation. Qu'on en juge :
Puis elle me regarda des pieds à la tête. Ça me fit quelque chose
Qu'elle me détaillât de cette manière. On aurait dit qu'elle examinait
une plaie suppurante. (p.150).

Alors qu'elle n'est qu'une domestique, cette femme se rengorge à la vue du personnage et de par ses "regards mortifiants qui le (Joseph) confinent à ras de terre" (Kom, 1998 : 20), elle apporte sa précieuse pierre au processus de fabrication du stéréotype nègre tel que l'a décrit le psychiatre martiniquais Frantz Fanon dans son ouvrage de référence Peau noire Masques blancs, quand il énonce :
Si à un moment donné de son histoire(le nègre, le malgache) a été amené à se poser la question de savoir s'il était un homme ou pas, c'est parce qu'on lui contestait cette réalité d'homme (Fanon, 1975 :79).

Gakatuka fait face à une réalité poignante qui réside dans l'image que cette femme lui offre de lui-même. Elle travaille à l'emmurer psychologiquement dans le complexe d'infériorité. Elle le dépouille de sa dignité, le réifie comme le feront ses compatriotes en voyant en cet Africain "un gros tas de crottes puantes" (p.189). Comme nous le constatons, Blancs et Noirs ne lésinent pas sur les moyens dans la construction des stéréotypes qui donnent une image parfois caricaturale de l'autre. Et parmi ces moyens mis à contribution figure l'implicite.

2-3- L'IMPLICITE ET L'IMAGE DE L'AUTRE
L'acte d'énonciation fournit parfois des indications à divers niveaux qui résultent du non-dit. Aussi, l'implicite demeure-t-il une stratégie langagière assez subtile pour exprimer sa pensée, en faisant par exemple naître dans l'esprit du destinataire une idée, ou alors en appliquant à son énoncé une signification sans en prendre la responsabilité. Dans L'Impasse qui alimente notre réflexion, le groupe d'altérité fait l'objet de jugements implicites. Monsieur Rosta est l'un de ceux pour qui l'art du non-dit n'a pas de secret: "Ça doit être tout de même agréable pour vous de vivre dans un pays civilisé même si vous êtes dans un HLM !" (p.155). Ses paroles recèlent un sous-entendu irréfutable que seule la mauvaise foi peut nier, refuser d'admettre. Plus ou moins consciemment, cet homme insinue que le pays d'origine de Joseph n'a pas encore accédé à l'échiquier de l'humanité et vivrait toujours à l'âge des cavernes. Au-delà de cette entité géographique qui fonctionne dans le texte comme la métonymie de l'Afrique, c'est l'image d'un continent primitif que ce personnage tend à mettre en exergue.
Le recours à l'implicite s'avère particulièrement délicat dans l'allusion qui, comme le souligne Pierre Fontanier, consiste "à faire sentir le rapport d'une chose qu'on dit avec une autre qu'on ne dit pas et dont ce rapport même réveille l'idée". L'adultère dont s'est rendue coupable sa femme pousse Michel Dugal à savoir ce qui l'a attirée chez Dieudonné. La réponse nous est donnée par le narrateur : "Dugal l'a examiné (…) et a conclu à la légende" (p.217). D'après le contexte, on ne peut ignorer l'intention du personnage et la percer à jour qu'en lisant le mot entre les lignes. En effet, par ce terme, Dugal exhume le stéréotype sur la sexualité du Noir, accrédité depuis des siècles par un large imaginaire occidental et qui fait de lui un partenaire sexuel hors du commun, du fait de son sexe surdimensionné. Reposant sur des à priori et entretenant une image biaisée et dégradante du Noir, ce cliché le hisse au rang de curiosité et bête sexuelles.
Le sous-entendu est un mode d'expression très prisé aussi par les parents du narrateur. Il est au service des préjugés tenaces dans lesquels ils naviguent. Ces stéréotypes se sont invétérés dans leurs esprits au point de les prendre en otage. Ainsi, quand Joseph ose tenir tête à son frère, leur père devient-il chèvre :
Mais Joseph! Qu'est-ce que c'est cette manière de parler ? qu'il dit Père. Comment peux-tu te permettre de contredire
ton aîné, de te dresser devant lui ? Comment !!! Es-tu devenu Blanc ? (p.59).

La question qui clôt l'intervention du personnage fait toucher du doigt au lecteur les idées reçues qu'il colporte au sujet de l'Autre. Le père du narrateur laisse sous-entendre que le Blanc n'a point la notion du respect d'aînesse. C'est pourquoi il s'inscrit toujours dans une logique de rupture, remet tout en cause et à tout bout de champ. C'est un éternel contestataire qui croit détenir la vérité. La même question, Samuel la profère avec violence lorsqu'il s'estime bafoué par son puîné :
M'appeler Samuel moi ! Tu sais ce que c'est le respect, toi ?Tu crois que c'est parce que tu as passé quelques années à l'étranger que tu peux te permettre de marcher sur les
traditions ? Tu es blanc, toi ? Tu es devenu blanc, toi ? (p.137).

Samuel incrimine cet esprit frondeur qui, d'après lui, est le propre des Occidentaux, demeure inscrit dans leurs gènes et les amène à fouler aux pieds certains principes sacrés. Ce jeu de regard sur l'Autre fait enfin appel aux figures de rhétorique.

2- 4- LES FIGURES DE STYLE ET LA VERBALISATION DE L'AUTRE
Dans L'Impasse, le regard est un dispositif de réification qui entraîne la rupture avec l'altérité. C'est ainsi que certaines figures de style entrent en jeu dans la définition de l'image de l'Autre, dans sa représentation. Notre attention se portera sur quelques-unes, dont la métaphore tout d'abord.
Fondée sur l'analogie, elle est, pour paraphraser Mazaleyrat, un trope selon lequel le transfert sémantique entre le signifié du terme occurrent et le signifiant du terme tropique joue sur un rapport de comparaison. Convoqué au commissariat de Poury où est retenu son ami Dieudonné, le narrateur n'échappe pas au regard annihilant du Blanc : "Et l'agent qui me reçoit fait tout pour me faire sentir que je ne suis rien moins qu'un pet de lapin" (p.213). Renforcée par une tournure négative à valeur restrictive et qui se veut dans une certaine mesure sui generis, cette métaphore est nourrie par le registre de la scatologie et de la bestialité. Joseph n'est pas seulement perçu comme dernier niveau de l'échelle des humanités, il est immergé dans le non-humain. Ce regard s'inscrit en droite ligne de la thèse du philosophe allemand Friedrich Hegel qui clame qu'il "faut faire abstraction de qu'on nomme humanité quand on a affaire aux Noirs". Mohamed renverra l'ascenseur aux Blancs et n'usera d'aucune circonlocution pour dire leur méchanceté. Pour cela, La métaphore zoomorphisante lui semble idoine : "Je n'aurais jamais demandé une cigarette à un Français. C'est tous des vaches !" (p.207)
L'hyperbole dont l'effet de sens est d'exagérer l'expression d'une idée met sérieusement à mal l'altérité. Elle rend service aux stéréotypes en les poussant parfois au paroxysme :
Mon frère, c'est pas une chance, vraiment ! C'est toutes des s … ! Oui, oui ! Je suis resté marié dix ans avec l'une d'elles. Et je te dis,c'est toutes des s… ! (p.207).

Le personnage s'appuie sur un cas particulier pour tirer une conclusion générale. En effet, de son expérience personnelle, Mohamed s'autorise à énoncer une supposée vérité péremptoire et universelle sur la moralité des femmes occidentales. Or, elle est inappropriée pour une démonstration à prétention objective. Le stéréotype naît par conséquent de ce raisonnement par induction qui pose que les Européennes sont des dévergondées, des femmes aux mœurs légères. Aussi, ce lieu commun est-il la
représentation d'une réalité culturelle au travers de laquelle l'individu ou le groupe qui l'ont élaborée(ou qui la propagent) révèlent et traduisent l'espace idéologique dans lequel ils se situent (Brunel, 1989 : 135).

Le même procédé d'exagération fige l'Afrique dans des stéréotypes déroutants : "Mais vous, ça doit quand même vous changez de chez vous ! Il paraît que c'est encore pis" (p.154). Il amplifie le chaos dans lequel baigne l'Afrique, selon ce personnage. L'hyperbole fait donc émerger l'image d'un "hopeless continent" (Nauman, 2001 :8), c'est-à-dire un espace vu comme horizon de malheurs, voué à l'autodestruction et à la misère.




A tout prendre, L'Impasse du microbiologiste Daniel Biyaoula est un récit structuré autour d'un élément central étroitement associé à la couleur de la peau : le regard. En effet, ce roman est le théâtre d'un affrontement de regards de personnages noirs et blancs. Cette guerre, tout en s'inscrivant dans la catégorie des logiques profanatoires, s'incarne notamment dans les actes langagiers des protagonistes mis en scène. Ainsi, l'analyse de cette activité discursive a-t-elle débouché sur une rhétorique de l'altérité distante, laquelle révèle le problème de la connaissance, de la méconnaissance de l'Autre et partant de l'incommunicabilité entre les deux races en présence dans le texte. Dans cette œuvre dense, l'Autre demeure le support d'une série de traits descriptifs stigmatisants et dépréciatifs. Ce regard néantisant est la preuve que la manière dont l'Autre est inscrit en discours vise à le renier et à l'expulser du monde des êtres humains. Dès lors, peut-on dire que les relations sincères d'amitié et de fraternité entre Blancs et Noirs sont impossibles et partant condamnés à rester dans l'impasse ? Permettez-nous d'en douter, même si la liaison entre Joseph Gakatuka et Sabine Rosta finit par voler en éclats. Pour légitimer notre optimisme, nous prenons à notre compte ces propos de Denise Jodelet selon lesquels
La réflexion sur l'altérité débouche sur un tout autre champ à défricher (…) et permettra de pénétrer véritablement cette connaissance de l'autre par le partage, certes symbolique mais fondé sur l'empathie, de sa condition, fondant une autre forme de sa représentation (p. 47).

Ma passion africaine de Claude Njiket-Bergeret en est déjà la matérialisation.



Références bibliographiques
Agamben, G. (2007), Qu'est-ce qu'un dispositif ?, Paris, Payot & Rivages Poche.
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Jodelet, Denise, "Formes et figures de l'altérité"
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Siblot, Paul (1998), "De l'un à l'autre : dialectique et dialogisme de la nomination identitaire" in L'Autre en discours, Montpellier, Presses universitaires de Montpellier3, p.p.27-43.

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Jacques Prévert, un iconoclaste dérangeant: une lecture stylistique de paroles

JACQUES PRÉVERT, UN ICONOCLASTE DÉRANGEANT : UNE
LECTURE STYLISTIQUE DE PAROLES.


Evoque-t-on Jacques Prévert que de nombreux adjectifs qualificatifs se bousculent dans des bouches. Anticonformiste, iconoclaste, rebelle…, sont quelques caractérisants qui, dessinant le paradigme de la contestation, définissent l'auteur de Paroles (1) et en font, dans une certaine mesure, sa marque de fabrique. A la lecture de ce florilège qu'a commis en 1949 le fils de Suzanne et d'André Prévert, il appert que la contestation constitue la toile de fond de la création littéraire chez cet écrivain. Aussi, y a-t-il en lui "comme un mélange (…) de Voltaire par l'effronterie à l'égard des pouvoirs institués, de Sartre par le militantisme impertinent." (2) En effet, sa poésie a pour cibles les institutions de la société moderne à l'instar de la religion, de la famille, de l'école et de la politique. C'est un poète révolté contre une humanité malade qui s'approprie la parole comme une arme révolutionnaire pour dénoncer. Dès lors, nous verrons dans la suite de nos analyses comment les procédés stylistiques mis à contribution dans Paroles donnent une assise aux prises de position idéologique de Prévert.

1-La parodie
La parodie est une forme d'expression de l'humour. Elle est une technique de réécriture d'un texte célèbre, qu'elle déforme dans une perspective satirique. C'est donc à une dérision de la religion que nous convie notre auteur dans le poème "Pater Noster". Morceau choisi :
Notre père qui êtes aux cieux/Restez-y/Et nous nous resterons
sur la terre/Qui est quelquefois si jolie/Avec ses mystères de New-York/
Et puis ses mystères de Paris/ Qui valent celui de la trinité (p. 58)

Cette prière à la Prévert dénote son anticléricalisme : elle a pour héros l'homme. Elle chante les réalités mondaines, célèbre les charmes de la vie sur terre. Dans ce texte au ton incisif, le poète cloue Dieu au pilori. Aussi marque-t-il la distanciation de l'homme par rapport au Créateur, rompt-il tout lien affectif, toute affinité entre les deux en recourant au vouvoiement. Ce système énonciatif tranche radicalement avec le tutoiement patent dans la prière universelle du chrétien dont le poème est une imitation comique. Le poète semble donner la réplique au philosophe Nietzsche pour qui "Dieu est mort, vive le surhomme".
De manière humoristique, l'écrivain renverse l'ordre établi en désacralisant la religion et en banalisant l'Etre suprême qu'il juge inutile. L'auteur de Paroles apparaît comme le pendant de Dan Brown dont l'œuvre, intitulée Da Vinci Code, a fait l'objet d'une adaptation cinématographique et est dirigée contre l'Eglise catholique notamment. A une époque où celle-ci est secouée dans ses fondements par une série de crises, il est intéressant de noter la verve antireligieuse du natif de Neuilly qui ne craint pas de se voir taxer d'hérésie. Platon ne trouvait-il pas les poètes dangereux pour la cité, car susceptibles d'entraîner les hommes par la force "irrationnelle" de leurs écrits ?
La subversion sémantique que le poète opère grâce à la parodie illustre l'idéologie selon laquelle le Dieu de l'homme c'est l'homme en personne et son paradis la terre. A ce procédé se greffent certaines figures de rhétorique qui épousent cette entreprise de stigmatisation.

2-Les figures d'opposition
Il est incontestable que les figures de rhétorique ne constituent pas un simple ornement du discours ou de la pensée. Elles ont un réel pouvoir de persuasion et renforcent une intention en jouant par exemple sur les contrastes. Et parmi les figures d'opposition, nous avons l'antithèse, le chiasme et l'ironie.
L'antithèse rapproche des termes désignant des réalités opposées ; elle émaille le poème "Le Cancre" :
Il dit non avec la tête/mais il dit oui avec le cœur/ Il dit oui à ce
qu'il aime/Il dit non au professeur/et malgré les menaces du
professeur/sous les huées des enfants prodiges/Sur le tableau noir
du malheur/Il dessine le visage du bonheur (p. 63)
Construit sur de nombreuses oppositions lexicales, ce texte est la matérialisation de l'hostilité de Prévert à l'endroit du système éducatif, puisque celui-ci porte en lui les germes de la discrimination et de l'exclusion. Tout seul face aux "enfants prodiges", le cancre, maillon faible, est marginalisé. A travers sa révolte, il se présente comme le porte-parole du poète, lequel rejette cette institution. Elle ne constitue pas le creuset de l'intégration, faisant ainsi fi des valeurs et des principes républicains. Dans la même lancée, cette école conventionnelle a perdu son âme et les antithèses tête/cœur ainsi que malheur/bonheur dévoilent en quelque sorte sa déshumanisation. L'institution scolaire que flétrit l'écrivain ne prend pas en compte la sensibilité de l'apprenant, mais brille par une rigidité incarnée dans le texte par le professeur. L'antithèse se déploie par ailleurs dans le poème au titre évocateur "La Lessive" :
Que tout ceci reste entre nous/Elle est enceinte la jeune fille de
la maison/On ne connaît pas le père/La famille pieds nus/
Piétine piétine et piétine/La jeune fille de la maison crève/
L'horloge sonne une heure et demie/Et le chef de famille
et de bureau/met son couvre-chef sur son chef/et s'en va/
traverse la place de chef-lieu de canton/et rend le salut à son
sous-chef/ qui le salue…/ les pieds du chef de famille sont rouges/
mais les chaussures sont bien cirées/il vaut mieux faire envie
que pitié (pp.107-108)

L'auteur de notre corpus manie l'antithèse pour porter un regard des plus amers sur la famille. En effet, Il s'attaque à ses normes hypocrites car pour préserver sa façade d'honorabilité, la famille n'hésite pas à sacrifier sur une fille-mère sur l'autel des apparences dont elle prend soin comme de la prunelle de ses yeux. L'opinion de Prévert sur la famille rejoint celle d'André Gide dont l'anathème sur cette institution résonne encore dans nos oreilles : " Familles je vous hais ! foyers clos ; portes refermées ; possessions jalouses du bonheur."
Le chiasme, quant à lui, réunit quatre termes en inversant leur disposition. Le poème liminaire du recueil offre un bel exemple de ce procédé de style :
Ceux qui donnent des canons aux enfants
Ceux qui donnent des enfants aux canons (p.5)

Cette tournure stylistique fait sourdre la contestation du poète. Ce dernier décrie ici l'innocence et l'enfance sacrifiées en toute impunité par les tenants du pouvoir. Il remue l'épineuse question des enfants enrôlés de force dans des conflits armés et transformés en machines à tuer. Le poète rejoint Ahmadou Kourouma qui, dans Allah n'est pas obligé, tire la sonnette d'alarme sur le sort des enfants-soldats, victimes des intérêts égoïstes des hommes politiques.
L'ironie enfin demeure une ressource langagière que convoque Prévert pour pourfendre des situations aberrantes, jugées déraisonnables. Globalement, elle est un procédé qui consiste, pour se moquer, à dire le contraire de ce que l'on veut réellement exprimer :
C'est la meute des honnêtes gens/Qui fait la chasse à l'enfant/
Il avait dit j'en ai assez de la maison de redressement/Et les gardiens
à coups de clefs lui avaient brisé les dents (p.86)

Le rapprochement des termes "meute" (une troupe de chiens courant dressés pour la chasse) et "honnêtes gens" est révélateur de l'humour prévertien. Il est en réalité sous-tendu par "un sentiment de colère, mêlée de mépris et du désir de blesser." On le voit, le poète tourne en dérision les hommes sensés assurer la réinsertion sociale des enfants à eux confiés. Il s'insurge, au moyen de l'ironie, contre les dérapages observés dans les maisons de redressement devenues le théâtre de sévices corporels et d'une violence aveugle aux répercussions inquiétantes. Porteur de connotations et de dénotations péjoratives, le lexique s'inscrit dans la logique de la satire.

3- La caractérisation dépréciative
Dans un texte littéraire, le choix du lexique a partie liée avec les intentions de l'auteur. Autrement dit, le vocabulaire n'est pas anodin et trahit le plus souvent un fort degré d'implication subjective de celui qui l'utilise. Il a, pour ainsi dire, la "particularité de requérir de la part de celui qui nomme une prise de position à l'égard de ce qui est nommé."(3) Pagès et Rincé se veulent plus explicites lorsque, emboîtant le pas à Paul Siblot, ils énoncent :
Les personnages (…) sont généralement caractérisés en
fonction des valeurs qu'ils représentent ; chacun est
déterminé par un nombre limité de traits spécifiques.
Aux personnages incarnant les institutions ou les valeurs
rejetées par l'auteur, sont le plus souvent associés des
traits dévalorisants, ou même caricaturaux. A l'inverse, le
texte littéraire valorise des personnages incarnant des valeurs
chères à l'auteur. (4)

Ces vers de "La Crosse en l'air" en sont une illustration :
C'est un évêque qui est saoul/et qui met sa crosse en l'air/
comme ça… en titubant…/il est saoul/Il roule dans le ruisseau/
Voilà l'évêque qui vomit (p.109)

A l'observation, les termes utilisés pour dépeindre ce dignitaire ecclésiastique se veulent ouvertement péjoratifs et sont beaucoup plus portés vers la disqualification. Ils témoignent à suffisance de la répugnance du poète à l'égard de cette figure de l'Eglise et reflètent par conséquent le style combatif qui singularise les écrits de Prévert. Cette dépréciation contribue à jeter du discrédit sur cette institution "socialement créditée de "sérieuse" eu égard à sa fonction normalisante." Au regard du vocabulaire qui sert à verbaliser l'évêque, nous convenons de ce qu'
Une œuvre littéraire (…) peut s'apparenter à une entreprise
argumentative dans la mesure où son objectif est convaincre
le lecteur du bien-fondé de certaines valeurs. Dans ce cas,
l'œuvre tout entière est orientée en fonction de ce projet
argumentatif. (5)

Cet évêque que le poète se plaît à ridiculiser n'est pas le symbole de la droiture. Il s'est enlisé dans l'indignité et le lexique mobilisé est symptomatique de la bassesse de ce ministre de Dieu, avec qui Prévert n'est pas tendre. Dès lors, cette antidescription le voue aux gémonies.


Au demeurant, l'échantillon de poèmes interrogés dans l'interstice qu'autorise toute analyse des textes littéraires nous a permis de serrer de près la pensée de Jacques Prévert. De notre lecture, il ressort que ce poète est habité dans "une proportion importante du recueil (…) par un besoin violent de protestation universelle." (6) Paroles fait de lui un homme forcément dérangeant, à l'exemple du musicien sud-africain Fela Kuti ou encore de l'écrivain camerounais Mongo Beti. Prévert dénonce, s'insurge, fustige. La contestation à laquelle il accorde la part belle dans son recueil ne peut être considérée comme simple contenu, mais plutôt comme forme-sens, puisqu'elle est incarnée par des dispositifs stylistiques. Tout un travail d'écriture assez expressif de l'humanisme de ce "soldat de la plume." (7)


Notes biographiques
1- Jacques Prévert, Paroles, Paris, Gallimard, 1949.
2- André Djiffack, Mongo Beti, Le Rebelle, tome 1, Paris, Gallimard, 2007, pp 17-18.
3- Paul Siblot, "De l'un à l'autre : dialectique et dialogisme de la nomination identitaire" in L'Autre en discours, Montpellier, Presses Universitaires de Montpellier 3, 1998, p.15.
4- Alain Pagès et Daniel Rincé, Histoire littéraire, Textes et méthodes, Paris, Nathan, 1996, p.188.
5- Ibidem, p.187.
6- http: // membres.lycos.fr / be / vtt / paroles. htm.
7- Angelot Marc, La Parole pamphlétaire, Paris, Payot, 1982, p.24.

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La Croix du Sud et la Bible

La Croix du Sud est la seule pièce de théâtre publiée par le philosophe et universitaire camerounais Joseph Ngoué. Cette pièce, inscrite au programme de littérature des classes de terminale de l'enseignement général, intrigue notamment de par les allusions bibliques sous-jacentes qui la parsèment. L'auteur de cet article s'intéresse au fondement de l'exploitation littéraire de la Bible par le dramaturge.

LA CROIX DU SUD ET LA BIBLE

A l'instar de nombreux philosophes et universitaires (Jean-Paul Sartre en particulier), Joseph Ngoué, de regretté mémoire, s'est intéressé au théâtre et La Croix du Sud1 en est la matérialité. Publiée en 1984 aux Editions Saint-Paul (référence au catholicisme), cette tragédie classique en cinq actes s'articule autour de la thématique du racisme doublé de trahison. Bien plus, elle fourmille de nombreuses allusions bibliques notamment, lesquelles n'ont pas manqué de piquer notre curiosité. En effet, ces allusions, qui d'après Pierre Fontanier consistent "à faire sentir le rapport d'une chose qu'on dit avec une autre qu'on ne dit pas et dont ce rapport même réveille l'idée"2, établissent une connexion plus ou moins manifeste entre ladite œuvre et les Saintes-Ecritures. La religion apparaît alors comme la toile de fond de ce texte dramatique, qui sert de ferment à nos analyses. Le motif religieux participe de la création littéraire et de l'esthétique chez cet écrivain.
Dès lors, notre problématique est de savoir pourquoi la Bible fonctionne comme modèle littéraire dans cette pièce. Nous nous placerons sous l'égide de l'approche intertextuelle, laquelle démarche situe Joseph Ngoué dans le contexte du dialogisme, pour reprendre la terminologie de Bakhtine. Elle inscrit cet auteur dans un certain cosmopolitisme contemporain, cette écriture de la modernité qui stipule qu'un texte littéraire n'est pas fermé sur lui-même, mais s'ouvre sur d'autres. Afin de mettre en relief cette parenté qui existe entre La Croix du Sud et la Bible, nous examinerons les données paratextuelles et textuelles qui font allusion aux Saintes-Ecritures, tout en les analysant selon les deux dimensions du signifiant et du signifié. Elles constituent autant d'indices significatifs qui orientent le lecteur et contribuent à l'actualisation du contenu de l'œuvre du dramaturge camerounais. A en croire le poète et universitaire Fernando d'Almeida : "lire, c'est s'éprouver, séjourner durablement dans l'épaisseur des mots, c'est dé-liter le sens de chaque chose en re-créant toute chose selon un angle qui offre l'accès à l'effraction de la parole écrite, à la duplicité des mots"3.

1- Le titre de l'œuvre : La Croix du Sud
Le titre d'une œuvre ressortit à ce qu'on nomme en littérature le paratexte. Celui-ci désigne tout un appareil périphérique qui fournit au lecteur autant d'occasions stratégiques pour entrer dans une œuvre. Il est, énonce Gérard Genette "ce par quoi un texte se fait livre et se propose comme tel à ses lecteurs, et plus généralement au public. Plus que d'une limite ou d'une frontière étanche, il s'agit ici d'un seuil, ou d'un''vestibule'' qui offre à tout un chacun la possibilité d'entrer, ou de rebrousser chemin"4. Henri Mitterrand le saisit comme "un filet sémantique"5 tendu au lecteur. En d'autres termes, le paratexte offre une approche de lecture, en orientant des interprétations qui ne s'inféodent pas forcément à la lecture que l'auteur ferait de son œuvre. Cette pluralité d'interprétations auxquelles le titre peut laisser la porte ouverte témoigne des enjeux de la lecture. Par conséquent, le titre, révèle Jean-Pierre Goldenstein, "mérite d'être considéré avec attention"6.
Celui choisi par Joseph Ngoué contient un groupe nominal, La Croix, auquel se greffe une expansion qui est le complément déterminatif, du Sud. Au-delà de la définition que le dictionnaire Larousse illustré donne du mot croix, c'est-à-dire un "instrument de supplice formé de deux pièces de bois assemblées transversalement, où l'on attachait autrefois les condamnés à mort", la croix est un insigne du christianisme. Bien plus, elle constitue un symbole très fort puisqu'elle connote la souffrance, d'où l'expression "chemin de croix" qui renvoie à la passion endurée par Jésus, laquelle culmine avec sa crucifixion. Des considérations sus-développées, il appert que le titre de la pièce que nous nous employons à comprendre nous invite à entrer dans un univers au référent biblique. Aussi, La Croix du Sud peut-elle se lire comme la représentation de la passion d'un Jésus situé dans le Sud. Le Sud désignant cet espace géographique peuplé en majorité par des Noirs et baptisé Tiers-Monde par le démographe et économiste français Alfred Sauvy.
Dans la même lancée, cette souffrance, qui débouche inéluctablement sur la mort de ce Jésus noir qui prend le visage de Wilfried Hotterman dans l'œuvre, est salutaire et salvatrice. En effet, à l'image du personnage de la Bible, celui de La Croix du Sud accepte le sacrifice suprême : "s'il fallait que je meure pour qu'il [l'espoir] se réalise, je mourais sans regret." (P.71). Cette mort augure des jours nouveaux pour les Noirs. Elle demeure pour ainsi dire la voie du salut pour ces hommes assujettis par les Blancs dans une ville raciste qui sert d'espace dramatique dans l'œuvre.
Ces analyses sémantiques du titre autorisent à inscrire la pièce dans un intertexte biblique, que viennent étayer des données textuelles.

2- Les origines de Wilfried Hotterman
La Croix du Sud se plie à l'esthétique de la tragédie classique, de par le choix de son héros. Ce dernier est un personnage de haute naissance. De ce fait, il s'écarte d'une humanité ordinaire :
"Assis sur une fortune colossale, votre père voulait à tout prix un fils propre, une descendance immaculée. Il a supprimé les indices de vos lointaines origines. Restait un document : l'acte par lequel la reine Méralda laisse en héritage à sa fille Alzaro les terres de Zihngara aux chutes fabuleuses. Il voulait que, si un jour la nation s'intéressait à la houille blanche, elle indemnisât les Hotterman. Ayant longtemps balancé entre l'honneur et l'argent, il m'a demandé dé fabriquer à votre insu un autre document qui attribue ces terres à votre grand-mère, mais ne mentionne pas le nom de la reine." (P. 19).
Au-delà ce des révélations du Notaire, lequel confirme à son interlocuteur que du sang noir coule dans ses veines, et apparaît ainsi comme le gardien de la mémoire collective, il reste que la filiation de Wilfried avec la reine Méralda, dont il est l'arrière-petit-fils, en fait un prince, un personnage de rang exceptionnel. Ses origines nobles le rapprochent davantage de Jésus-Christ, descendant du roi David. Les critiques et autres analystes qui se sont penchés sur cette unique pièce de Joseph Ngoué ont mis surtout l'accent sur la négritude de Wilfried (la force perturbatrice dans l'œuvre), au point de faire abstraction de son ascendance royale. La prise en compte de cet aspect passé sous silence contribue à traquer les non-dits et à faire émerger les "virtualités plurielles du texte".
Wilfried Hotterman est un personnage particulier. Le destin tragique, orchestré par la fatalité face à laquelle il éprouve un sentiment d'impuissance et dont il est l'instrument, est à la hauteur de son statut. Cet homme traversera une série d'épreuves comparables à la Passion du Fils de l'Homme.

3 La Passion de Wilfried Hotterman.
A la suite de la découverte de l'ascendance nègre de ce personnage, le courroux va s'emparer des Blancs. Tels des pharisiens accusant Jésus d'usurpation d'identité (ils lui reprochent de s'être fait fils de Dieu), devant le Sanhédrin, ces Blancs en veulent à Wilfried traité d'"usurpateur" (P.60) car il a joui pendant de nombreuses années (il a quarante-six ans) des privilèges dévolus à la race blanche. Et tout comme ces pharisiens pour qui Jésus est l'homme à abattre puisqu'il aurait commis un sacrilège, le Cercle d'Emeraude, l'une des positions idéologiques en présence dans la pièce, va se livrer à une parodie de Justice : "Hotterman sera jugé, c'est-à-dire condamné, selon les lois du Sud […] Hotterman doit comparaître devant le Cercle d'Emeraude" (PP 49.50).
Un passage de la sentence, rendue publique par le Messager, mérite qu'on s'y attarde : "Ceux qui vous ont aimé, admiré, adulé, redouté, ragent d'avoir eu affaire à un imposteur," (P.60). Quelle étrange similitude entre le parcours existentiel du descendant du roi David et celui de la reine Méralda ! Serré de près, ce passage illustre la déchéance affective, la disgrâce dans laquelle est tombé le héros tragique. Wilfried est l'analogon de Jésus contre qui se sont retournés ceux-là même qui l'acclamaient à son entrée triomphale à Jérusalem, le dernier dimanche avant Pâques, en étendant leurs vêtements sur la route et en agitant des palmes. A la ressemblance de Jésus encensé, élevé au pinacle et même déifié, Wilfried Hotterman a été "couvert d'honneurs" (P. 50), comme le reconnaît le Messager. Ces honneurs découlaient de la prééminence socio-politique du personnage d'une part ; il n'était ni plus ni moins qu'une sorte d'icône. D'autre part, ils résultaient de sa prééminence scientifique : Hotterman constituait une référence académique érigée au rang de génie qui a illuminé sa société.
Tombé de son piédestal et voué aux gémonies pareil à Jésus, le héros de La Croix du Sud est un ver qu'on doit extraire du fruit. Il doit "disparaître pour que chacun, bien au chaud dans ce cocon informe qu'est la race, retrouve sa sécurité et le calme plat de la vie quotidienne" (P. 69). Aussi, se voit-il frappé d'excommunion : " vous signerez vous-même votre condamnation. Sellez votre cheval le plus rapide. Choisissez votre route. […]. Dehors, les paris sont ouverts sur la route que vous prendrez et sur l'arme éventuelle de votre punition. Bonne chance et que Dieu vous garde !" (P.60).
C'est un véritable chemin de Croix qu'endure le personnage de Ngoué. Rejeté par la communauté dont il avait partagé et défendu les idées, Wilfried Hotterman est désormais persona non grata, semblable à "un dieu tombé qui se souvient souvent des cieux", pour reprendre la formule d'Alphonse de Lamartine. Ce bannissement est l'occasion idoine pour les Blancs pur-sang de pérenniser une pratique héritée de génération en génération : la chasse à courre. Dès lors, les jours de Wilfried sont comptés, le spectre de la mort plane sur son existence. Une mort qu'a su dramatiser Joseph Ngoué, car elle n'a rien d'ordinaire.

4- La fin du héros ou un remake de la mort du Christ.
Dans son ouvrage Lector in Fabula7, Umberto Eco considère une œuvre comme "une machine paresseuse qui exige du lecteur un travail coopératif acharné pour remplir les espaces de non-dit ou déjà dit resté en blanc." Et la mort de Wilfried Hotterman, rapportée par le Notaire entre autres afin que la règle de bienséance qu'impose la dramaturgie soit respectée, établit une corrélation entre La Croix du Sud et les Saintes-Ecritures. En effet, la fin du héros de notre pièce est atypique. Elle s'écarte des sentiers battus et revêt une signification profonde :
"C'était Wilfried. Lui, réduisant l'allure de son cheval, s'arrête au cœur du carrefour. […] Au loin, l'horloge du beffroi sonne. Des coups de feu éclatent. Wilfried perd ses étriers. Mais voici qu'à l'instant qu'il s'écroule, tout le ciel s'obscurcit […] pas un soupçon d'aurore, une panique générale. […] Par bonheur, bientôt, le ciel se ranime. […]. Mais le mystère demeure : une étrange clarté ruisselle sur les montagnes…" (PP. 87-88).
Le lecteur a l'impression de revivre la mort du Christ. Wilfried s'est offert en holocauste ; il s'est livré tel Jésus donnant sa vie pour l'humanité. Hotterman expire dans les conditions identiques à celles du Fils de l'homme. Et comment ne pas être troublé, comment ne pas s'interroger face au phénomène d'éclipse qui se produit au moment où le héros s'écroule et qui relève en littérature du merveilleux épique. Il faut avouer que ce phénomène confirme la portée religieuse de l'œuvre du dramaturge camerounais. Ces mystérieuses ténèbres qui enveloppent le carrefour et par ricochet toute la ville constituent une preuve de plus que la mort de Wilfried est un cataclysme général, comme l'a été celle du Christ. En sus, elles donnent à réfléchir sur l'identité du personnage et à comprendre que c'est un homme hors du commun, d'un tout autre ordre. Il faut être un personnage de la trame de Jésus afin que sa mort ait tous les ingrédients d'un prodige.

Au terme de cet exercice dont l'objectif avoué était d'examiner la parenté biblique de La Croix du Sud du philosophe et dramaturge Joseph Ngoué, nous pouvons dire que la Bible en général et le Nouveau Testament en particulier, autour desquels se structure l'imaginaire de cet écrivain camerounais, confèrent à son texte une grande dimension spirituelle. Pour y parvenir, nous avons mis en lumière des allusions bibliques fortes et même insistantes qui émaillent l'œuvre. Au regard de ce qui précède, et par rapport à notre problématique posée au départ, à savoir le fondement de l'exploitation littéraire des Saintes-Ecritures, il appert que Joseph Ngoué a voulu interpeller les hommes sur les régressions morales auxquelles sont en proie nos sociétés. A travers le parcours existentiel de son personnage, le philosophe invite les uns et les uns autres à accéder aux hautes valeurs humaines dont Jésus s'est fait l'apôtre. L'une de ces valeurs est l'amour du prochain qui, a n'en point douter, battra en brèche les débats tendancieux sur l'altérité et l'identité qui ont du vent en poupe un peu partout et désagrège le tissu social.

NOTES

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L'ILLUSION, LA DESILLUSION ET LA DELIQUESCENCE: ESSAI D'ANALYSE DE MAIMOUNA D'ABDOULAYE SADJI(publié dans la revue Intercultrel Francophonies juin-juillet 2009)

L'ILLUSION, LA DESILLUSION ET LA DELIQUESCENCE : ESSAI D'ANALYSE DE MAÏMOUNA D'ABDOULAYE SADJI


L'homme a parfois tendance à projeter sous forme de rêves un état ultérieur où il sera dans un rapport conjonctif avec l'objet désiré. Appliqués au personnage de roman, ces rêves, fait remarquer le sémioticien Philippe Hamon, constituent des programmes qui "posent […] un horizon d'attente pour le destin du personnage."1 Bien plus, ces rêves, depuis les travaux de Sigmund Freud et les découvertes de la psychanalyse, révèlent l'état de manque du personnage ; manque que veut combler le sujet puisque, au regard du schéma formalisé par le sémanticien du récit Julien Greimas, il se trouve sur l'axe du désir. Dès lors, s'amorce un processus de quête, autour duquel se construit généralement une œuvre littéraire et au moyen duquel le personnage cherche à se réaliser, à s'accomplir car il est mû par un besoin naturel d'exister. Obnubilé par l'objet de sa quête, le personnage développe parfois une conviction délirante qui thématise alors ses illusions. Ainsi en est-il de l'héroïne sadjienne qui, autour de l'objet (Dakar) avec lequel elle entretient une relation dite appétitive, cultive des mythes et des fantasmes qui se heurteront à la réalité et laisseront la porte ouverte à la désillusion. Cet état d'esprit matérialise le dysfonctionnement entre les constructions imaginaires du personnage et le réel, dont ce dernier, accablé par l'agressivité du donné, a une perception malheureuse. D'où l'intitulé du travail ici entrepris : " L'illusion, la désillusion et la déliquescence : essai d'analyse de Maïmouna d'Abdoulaye Sadji." Le décryptage du tryptique illusion-désillusion-déliquescence vise à mettre en exergue la désintégration de l'existence du personnage, victime de ses illusions. En effet, partie de la plénitude, l'héroïne sadjienne verra sa vie se défaire dans le néant et le malheur

I- LA POETISATION DE LA VILLE

A l'instar de ces milliers d'Africains fascinés par l'Europe qu'ils ne sont pas loin de considérer comme un Eldorado ou encore comme une Terre promise, Maïmouna n'échappe pas au pouvoir envoûtant de la ville. La jeune campagnarde est l'otage de cet ailleurs auquel tout son discours est à présent subordonné. Le personnage sadjien ne jure que par la ville, laquelle charrie son cortège d'images séduisantes.

1- La garantie de la sécurité matérielle

Dans l'œuvre qui sert de ferment à nos analyses, l'héroïne a l'esprit toujours tourné vers Dakar dont "le mirage emplit ses yeux" (p 59) à longueur de journée. Mue par un vouloir-vivre, Maïmouna tombe alors dans le piège des stéréotypes. Dakar est le seul endroit du Sénégal qui trouve grâce à ses yeux car il est synonyme de confort matériel :

son imagination lui représentait ce pays comme un séjour incom parable. Elle songeait déjà que le jour où elle aurait un mari socialement aussi haut placé que l'époux de sa sœur Rihanna, ce manque d'éducation la mettrait bien au-dessous de sa condition nouvelle (p.p.45-46).

Maïmouna considère Dakar comme le cadre propice à son épanouissement. Elle est persuadée d'y connaître l'ascension sociale. La fille de Yaye Daro tend par conséquent à orienter son existence en fonction de cet espace dont elle a une vision étriquée, qui paraît sortie d'un moule. En effet, la native de Louga qui s'est réfugiée dans ses fantasmes est un sujet instauré par un vouloir. De manière inconsciente, elle fait montre d'un esprit conformiste. La campagnarde reproduit dans une large mesure les lieux communs auxquels s'inféodent les esprits immatures. La ville représente tout un symbole fort. Cet espace aux multiples attraits est, aux yeux de Maïmouna qu'elle mettra à l'abri du besoin, le lieu de la consécration sociale. Aussi, cette conception de la ville contribue-t-elle à

apprécier les fonctions de l'espace dans ses rapports avec les personnages […] et à dégager les valeurs symboliques et idéologies rattachées à sa représentation2.

Maïmouna a la ferme conviction que Dakar est un endroit où coulent le lait et le miel et où on connaît un bonheur sans fin. Ses rêves ne sont pas le signe de sa capacité à se projeter dans le futur mais ils constituent la preuve de son inadaptation à la réalité. Cette vue de l'esprit est exacerbée par les lettres de Rihanna das lesquelles celle-ci drogue pour ainsi dire sa cadette d'illusions :

Elle craignait que la brousse n'en fit une petite sauvage, à peine présentable, ignorant tout des manières de la femme moderne, quand viendrait pour elle l'âge de se marier dans les milieux selects où sa jeunesse, sa beauté et les relations mondaines de sa sœur lui donneraient forcément accès. Rihanna rêvait pour maïmouna d'un époux cossu, aisé, un homme des cadres (p.p. 38-39)

Victime de ce discouirs dithyrambique de sa sœur sur la ville, Maïmouna ne peut qu'idéaliser cet ailleurs et prendre en horreur la campagne. Implicitement, le personnage oppose la campagne à la ville. Cette dichotomie est matérialisée par le principe de l'hétérotopie d'après lequel un espace se définit généralement par rapport et par opposition à un autre auquel il fait référence. L'hétéropie est ainsi bâtie sur l'opposition ici(le village)/ ailleurs (la ville). Dotée en plus d'un tempérament sentimental et rêvant du grand amour telle Emma Bovary, Maïmouna va céder une fois de plus aux mirages de la ville en cristallisant ses fantasmes sur Doudou Diouf en qui elle voit l'homme de son cœur.

2- La rencontre de l'âme sœur

Le village, ainsi le conçoit l'héroïne d'Abdoulaye Sadji, n'offre auncune perspective à cause de l'existence prosaïque et terne qui en est la marque de posée. Il est le contre-pied de la ville où la vie se résume à un enchaînement de plaisirs et d'émotions qui modifieront l'existence terne à laquelle la campagne la prédestinait. Elle, dont le "cœur réclamait un bonheur intense servi par une passion neuve, ardente" (p. 45), est tout de suite séduite par Doudou Diouf, un soir, au sortir d'une séance de projection cinématographique :

L'attention de Maïmouna fut tout à coup attirée par une sihouette mince et noire, celle d'un jeune homme en complet du soir. […] ce fut, dans le cœur de la jeune fille, un choc léger qui passa comme un éclair. […] Maimouna, malgré elle, regarda de son côté et leurs yeux se rencontrèrent (p 104).

Leur premier contact est placé sous le signe du regard. Cette scène de rencontre est ce que Stendhal qualifie de "scène de première vue"3. Les jeunes gens s'aperçoivent et connaissent un coup de foudre qui leur ôte la parole. Le motif du regard, consubstantiel au thème de l'amour qui est une des constantes de la littérature, trahit ici les éblouissements illusoires de la fille qui a transféré ses fantasmes sur ce beau garçon. Elle croit voir en Doudou Diouf l'homme de sa vie, né pour elle et pour l'aimer, l'homme que la providence a placé sur sa route. Aussi, s'abandonne-t-elle à la magie du rêve :

Le souvenir du jeune homme l'obsédait. Elle avait, sans savoir pourquoi, des envies folles de voler vers lui, de se confondre avec lui […] Maïmouna rêvait d'intimité et d'épousailles avec le jeune homme (p.p 104-124).

La rhétorique du discours amoureux est chargée de clichés empruntés à la littérature romantique. Le passage ci-dessus permet au lecteur de saisir les traits majeurs de la personnalité psychologique de Maïmouna. En effet, ce fragment se signale par un réseau de lexèmes qui renvoient aux rêveries romantiques et à la conception romantique de la vie. Assaillie par une joie folle, Maïmouna est persuadée que cet inconnu est l'élu de son cœur, que cet homme qui "ne peut plus dormir parce qu'elle [assiège] toute sa pensée" (p. 134) lui témoignera un amour indéfectible. Cette propension au rêve trahit une entité fragile et mal armée pour affronter la réalité. Bien plus, elle préfigure les désillusions du personnage qui se construit un univers virtuel et est le jouet des mirages de la ville.

II- LE DEUIL DES REVES DE MAÏMOUNA OU LES FONDEMENTS DE LA DESILLUSION

Dans l'œuvre éponyme d'Abdoulaye Sadji, nous relevons, à travers la mésaventure urbaine de Maïmouna, l'incapacité au bonheur durable. La satisfaction éphémère à laquelle elle a goûté paraît confirmer que "le bonheur est un état permanent qui ne semble pas fait ici bas pour l'homme."4 En effet, dès l'incipit du roman, Maïmouna est, sur le printemps de la vie, animée de rêves dont la ville constitue le ferment. Mais cette même ville qui s'est amusée à la séduire finira aussi par la meurtrir. Deux facteurs en l'occurrence contribueront aux deboires du personnage.

1- La jalousie et la duplicité féminines

De l'avis d'Andrea Calì, Maïmouna est l'un des romans africians qui offrent une "étude approfondie de la psychologie féminine ou mieux, de la femme africaine envisagée en un milieu particulier."5 Le personnage de yacine qui est un concentré de jalousie et de duplicité représente un échantillon de cette psychologie. Attirée par la ville, séduite puis abandonnée par un homme avec lequel elle a eu un enfant qui mourra très tôt, cette femme ne digère pas le bonheur de Maïmouna. Il a une saveur amère, d'autant plus que "son propre avenir était compromis et que personne ne lui attirait des prétendants illustres" (p 132). Les propos suivants de la domestique sont assez expressifs de son état d'esprit : "Et si je ne dois pas manger de ce cous-cous, je le couvre de sable" (p.132). Après plusieurs tentatives infructueuses, elle réussira à fourvoyer Maïmouna et à hypothéquer le mariage de convenances pour lequel Rihanna a œuvré :

Je ne comptais pas le(Doudou Diouf) connaître davantage mais c'est Yacine la "M'binedane" qui me poussait nuit et jour (p. 188).

La tonalité pathétique de cet aveu extériorise avec acuité le désenchantement de la fille. Elle révèle une intériorité meurtrie par la perfidie d'une "sœur" en qui elle avait entièrement confiance. Toutes les stratégies mises en œuvre par cette domestique sont la preuve que les femmes en viennent toujours à leurs fins. En effet, Yacine n'a pas lésiné sur les moyens et elle a notamment su user de sa mauvaise foi. Ses paroles d'une douceur hypocrite ont masqué son jeu et lui ont servi d'adjuvant dans sa basse besogne. Comédienne, yacine l'est assurément :

Tu ne sors pas, mais il y a moyen de sortir en ma compagnie. Rihanna ne s'est à aucun moment méfiée de Yacine. Du reste, ne crois pas que je cherche à te faire prendre un mauvais chemin. Non, si je te voyais sur une mauvaise pente, je serais la première à te crier casse-cou (p.135).

Habilement, l'intendante de Rihanna consacre ses efforts à dérouter la cadette de celle-ci. Le simulacre de sincérité qu'elle affiche maquille les mauvaises intentions dont son cœur est saturé et qu' exprime du reste l'antiphrase qu'elle manie. Celle-ci est un langage stratégique dont Maïmouna ignore les mécanismes de fonctionnement. Par ce procédé, Yacine marque sa présence par le mal devant l'autre. Sa volonté de "satisfaire un profond désir de vengeance que ne put chasser l'image d'une Maïmouna confiante" (p 133) la conduit donc à recourir à la duplicité de la parole. Son discours est loin de ce qu'elle pense. Et lorsque Maïmouna, retournant au bercail, s'en rend finalement compte, elle soupire : "Ah ! Cette yacine, je lui dois tous mes malheurs… […] Elle se remit à pleurer" (p. 192).

La domestique ne peut que se réjouir des déboires de Maïmouna, qui réalise que la ville est un véritable miroir aux alouettes, "une lumière brillante mais dangereuse sur laquelle les insectes (les jeunes) viennent se brûler."6 Le coup de grâce viendra de son amant Doudou Diouf qui, face à la pression familiale, renoncera au serment fait à Maïmouna.

2- Le parjure de l'amant

Après sa mésaventure, Maïmouna revient sur sa terre natale pour panser ses blessures. Sur le chemin du retour, elle retrouve Doudou Diouf dont Yancine s'est servie à son insu pour assouvir ses desseins. L'homme dont est amoureuse Maïmouna fait alors le serment de l'épouser, serment qu'il réitère dans une lettre adressée à sa future belle-mère : " J'aime beaucoup Maïmouna […] soyez tranquille, je réparerai ma faute. Je ferai en sorte qu'elle puisse lever la tête, hautement" (p.p 215-216). Malheureusement, cet engagement solennel manquera de fermeté face à la pression dont l'amant fait l'objet au sein de sa famille :

Oui, mes parents s'opposent catégoriquement à notre mariage. […] force m'est donc, ma chère Maïmouna, de renoncer à ce mariage. "Adieu, ma chère Maïmouna", disait la lettre pour terminer (p.247).

Cette lettre n'apporte qu'amertume et désillusion à la fille, abandonnée à son infortune. Le renoncement de Doudou Diouf est une trahison aux yeux de celle qui porte leur enfant. Comble de malheur. La désillusion est à la hauteur des espérances de Maïmouna. Cette dernière n'attend plus rien de la vie dont elle est la grande vaincue :

Le monde concret cessa momentanément d'exister pour la pauvre Maïmouna […] Maïmouna était réellement absente. Partie nulle part, mais absente quand même, absente de corps et de pensée, s'il faut que le corps, s'il faut que la pensée demeurent les seuls manifestations de la vie. […] La mère Daro
trouva sa fille avachie, prostrée, noyée dans ses larmes (p.p. 248-245).

L'extrait ci-dessus met à nu les résonances tristes d'une conscience affligée par l'épreuve de l'amour brisé. Maïmouna souffre de blessures psychologiques infligées par un homme auquel elle a tout donné : sa jeunesse, son honneur. La réalité ne trouve plus de justification dès lors que sa vie, pâle et décevante, ressemble à un gouffre, lequel métaphorise dans une certaine mesure le néant. La jeune fille qui s'est représenté l'existence à travers le prisme de la ville et de ses rêves a maintenant conscience qu'elle "n'a pas su dominer la vie, lui faire donner ce qu'elle avait promis" (p. 248).

Toutes ses illusuons s'envolent en éclats au contact du réel. Le motif de la déchirure est tel que, par moment, l'univers du roman d'Abdoulaye Sadji apparaît comme un monde de l'impossible plénitude vitale. Le sujet percevant saisit en effet la vie par ce qu'elle a de déprimant. D'ailleurs, Maupassant, dont le personnage de Jeanne est une créature et un double littéraire de Maïmouna, définit l'existence comme

Empoignate, sinistre, empestée d'infamies, tramée d'égoïsme […], sans joies durables, et aboutissant à cette condamnation de tous nos espoirs que nous nous efforçons […] de ne pas croire sans appel 7

Oscillation entre l'aspiration à vivre et l'inaptitude à donner corps à ses rêves, à les ancrer dans la réalité, la désillusion atteste que Maïmouna a vécu dans des croyances et des sentiments faux. Elle reflète la situation de l'homme déçu par les réalités de l'existence, conscient que l'idéal n'est pas de ce monde. Désenchanté, cet "être de papier" vit un drame intérieur qui en fait une introvertie s'apitoyant sur son sort. Fragilisé par le donné traumatisant, son être physique et psychique va sombrer dans la déliquescence.

II- LA DELIQUESCENCE DU PERSONNAGE

Elle désigne l'affaiblissement, la déchéance que subit un être humain. Elle l'inscrit dans un processus de décrépitude et suppose par conséquent une métamorphose, complète ou partielle. Sous l'effet de la déliquescence assimilable au glas qui sonne pour le personnage, celui-ci perd de son éclat et de sa vitalité. Parti de la plénitude de ses facultés physiques et mentales, il se défait au point parfois de n'être plus que l'ombre de lui-même.


1- La déliquescence physique

Elle ressortit à l'aspect général du corps, lequel se dépouille de sa forme première. Ainsi, ses facultés physiques diminuées, le personnage se présente sous d'autres traits qui matérialisent sa flétrissure. L'épidémie de variole a réduit Maïmouna à l'état de loque humaine. Cette maladie a eu les frustrations du personnage pour allié, au point d'entamer la destruction de son être :

Quelle misère que son visage criblé, traversé d'un côté par une longue cicatrice noire qui partait d'une des commissures des lèvres, l'un des yeux clos, le front couvert de dartres à la naissance des cheveux ! Son cou décharné était cerclé de chaires noires. Tout cela rehaussé par une maigreur générale extrême. La beauté de son corps était partie dans les feux de la fièvre (p.242).

La prosopographie du personnage, exprimée au moyen des caractérisants dépréciatifs, traduit l'ampleur du poids de la dégénérescence sous lequel l'héroïne sadjienne ploie et qui lui communique un sentiment de ruine. Jadis pleine de vie, elle ne pétille plus de vie. Telle que décrite, c'est-à-dire décharnée, la fille donne l'image d'un véritable spectre. Son aspect morphologique semble exhaler les effluves de la mort.

Sa beauté d'antan qui ferait pâlir Vénus de jalousie a été complètement altérée. L'ancienne Etoile de Dakar, titre que lui avait valu son physique de déesse, a perdu de sa grâce :

Maïmouna se regarda dans la grande glace apportée de Dakar, puis elle considéra une de ses photos agrandies, fixées en haut du mur de roseaux.[…] Rien de plus improbable que la ressemblance de cette image idéalisée avec la Maïmouna d'autrefois (p. 242).

Belle et célébrée autrefois par tout Dakar, Maïmouna est, pour paraphraser La Martine, semblable à une déesse dechue qui se souviendra longtemps des cieux. A la décripitude physique dont Maïmouna est la proie, vient se greffer la déliquescence mentale.

2- La déliquescence mentale

Cette déliquescence, caractérisque du déséquilibre de l'être de Maimouna, entraîne automatiquement une modification de sa relation avec le réel. L'effrondrement de son psychisme se matérialise dans l'œuvre par le délire. La personnalité de Maïmouna se trouve dénaturée dans sa manière d'être et dans sa relation au monde. Ainsi présentée, cette pertubatonn psychique dont est victime le personnage peut être appréhendée comme un égarement de l'esprit.

Elle nageait dans un bain chaud et froid quelque part entre ciel et terre. Elle éprouvait comme une dissolution progressive de son être. Une sensation de légèreté et de néant transformait parfois son extrême souffrance en une sorte de béatitude à laquelle son corps ne participait pas : vertige, doux vertige où naissaient des mondes nouveaux, de grands espaces sans horizons…
Elle retrouvait Doudou, son Doudou chéri au milieu de ces jardins, au mileu de ces délices, au milieu de ces personnages qui tombaient en chutes lentes et suaves (p. 236).

Cette organisation pathologique de Maïmouna, sous-tendue par la production d' idées délirantes, révèle que le personnage est sorti du réel sans toutefois savoir qu'il en est sorti. Ce qu'il ressent, il l'éprouve comme vécu. La délirante offre donc une personnalité inaccessible. Elle fait penser ici à Jeanne qui, désespérée par les réalités conjugales contraires à ce qu'elle avait rêvé, traverse une crise de délire après une tentative de suicide. Cet accès de délire est une pathologie relationnelle et une telle métamorphose montre un personnage dont le système de valeurs s'est gauchi. Elle le rend surtout humainement étranger, tout comme l'amnésie dont elle est frappée. Cette espèce de léthargie, de sommeil de ses facultés mentales est symptomatique du rétrécissement de la vie phychique de Maïmouna. Elle est le miroir d'un profond traumatisme :

Leur séjour au lazaret dura soixante-cinq jours […] Maïmouna garda le lit encore un mois. Elle n'avait aucun souvenir précis du lazaret (p.p. 240-241).




En dernière analyse, le triptyque illusion-désillusion-déliquescence apparaît comme une sorte de double métaphorique de l'itinéraire en trois temps suivi par le personnage éponyme du roman qui fonde ici nos analyses. Ce parcours narratif a permis de mettre en parallèle la ville et le village. D'un autre côté, il révèle que, dans l'œuvre du Sénégalais Abdoulaye Sadji, les rêves du personnage, miroir de son inconscient, sont parfois effleurés mais jamais ils ne sont accomplis et savourés pleinement. L'univers relationnel parfois conflictuel des personnages explique entre autres cet état de fait. Maïmouna apparaît alors comme un rendez-vous de rêves et d'espoirs déçus. C'est l'univers de la déchirure et de l'impossible plénitude. L'illusion, la désilusion et la déliquescence soulignent pour ainsi dire la vanité des désirs de l'homme qui aimerait éterniser des moments de bonheur. Elles sont la traduction d'un insatiable appétit d'idéal qui demeure une quête permanente vers laquelle il tend. Tout bien considéré, le roman d'Abdoulaye Sadji offre une image saississante de la condition humaine précaire et en l'occurrence de ce monde "paraît-il désespéré et désespérant, parce qu'il n'offre plus qu'une alternative illusoire, d'une misère à l'autre."8



Notes :

1- Philippe Hamon, Le Personnel du roman. Le système des personnages dans les Rougon-Macquart d'Emile Zola, Genève, Librairie Droz, 1983, p. 240.
2- Henri Mitterand, Le Discours du roman, Paris, P. U. F., 1980, p. 94.
3- Eléonore Roy-Reverzy, Le Roman au XIXe siècle, Paris SEDES, 1988, p.12.
4- Jean-Jacques Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire, Paris, Librairie Générale Française, 1972, p.137.
5- Andrea Cali, "Du Drame individuel à la tragédie collective : une lecture de perpétue ou l'habitude du malheur" in Interculturels Francophonie, n° 13, Juin-Juillet 2008, p.94.
6- "Triste retour d'exode" in Wife, le Magazine de la femme Camerounaise, n° 45, Août 1984,p.52.
7- Marie-Claire Bancquart, Maupassant conteur fantastique, Paris, Minard, Archives des Lettres Modernes, 1976, p.17.
8- Florence Paravy, "Ville et village : un thème majeur du roman africain" in Sépia, Revue culturelle et pédagogique francophone, n° 24, 1997, p.26.

BIBLIOGRAPHIE

1- Bancquart, Marie-Claire, Maupassant conteur fantastique, Paris, Minard, Archives des Lettres Modernes, 1976.
2- Cali, Andrea, (sous la direction de), Interculturels Francophonie, n° 13, Juin-Juillet 2008.
3- Hamon, Philippe, Le Personnel du roman. Le système des personnages dans les Rougon-Macquart d'Emile Zola, Genève, Librairie Droz, 1983.
4- Mitterand, Henri, Le Discours du roman, Paris, P. U. F., 1980.
5- Paravy, Florence, "Ville et village : un thème majeur du roman africain" in Sépia, Revue culturelle et pédagogique francophone, n° 24, 1997.
6- Rousseau, Jean-Jacques, Les Rêveries du promeneur solitaire, Paris, Librairie Générale Française, 1972.
7- Roy-Revery, Eléonore, Le Roman au XIXe siècle, Paris SEDES, 1988.
8- Sadji, Abdoulaye, Maïmouna, Paris, Présence Africaine, 1958.
9- Wife, le Magazine de la femme Camerounaise, n° 45, Août 1984.

Signature :
Marcel Nouago Njeukam

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L'ESPACE ET LE TEMPS ROMANESQUES : DEUX PARAMETRES POETIQUES DE LISIBILITE DE L'ECHEC DE LA QUETE DE LA MODERNITE DANS L'AVENENTURE AMBIGUË DE CHEIKH HAMIDOU KANE

L'espace et le temps constituent des invariants de l'écriture romanesque, auxquels la critique littéraire accorde cependant une infime attention. Le présent article se propose de questionner ces deux structures narratives qui, loin de répondre aux besoins de la mimésis ou de remplir une fonction purement décorative, représentent un "opérateur de lisibilité" des textes littéraires. Ces deux réalités signifiantes éclairent l'échec de la quête de la modernité dans le roman kanien ici analysé. Elles en sont la figuration, la structure profonde.

L'ESPACE ET LE TEMPS ROMANESQUES : DEUX PARAMETRES POETIQUES DE LISIBILITE DE L'ECHEC DE LA QUETE DE LA MODERNITE DANS L'AVENENTURE AMBIGUË DE CHEIKH HAMIDOU KANE

Résumé
L'espace et le temps constituent des invariants de l'écriture romanesque, auxquels la critique littéraire accorde cependant une infime attention. Le présent article se propose de questionner ces deux structures narratives qui, loin de répondre aux besoins de la mimésis ou de remplir une fonction purement décorative, représentent un "opérateur de lisibilité" des textes littéraires. Ces deux réalités signifiantes éclairent l'échec de la quête de la modernité dans le roman kanien ici analysé. Elles en sont la figuration, la structure profonde.

Mots-clé

Analepse - consubstantialité - catégorie thymique - espace - heuristique - jeu des référents spatiaux - poétique - prolepse - signifié - temps.

Introduction

Explorer l'espace et le temps dans une œuvre romanesque, c'est essayer de comprendre celle-ci dans l'interstice qu'autorise une analyse textuelle. Bien plus, c'est lui construire un sens à partir de ces deux structures qui relèvent de la poétique. En effet, un texte littéraire est une combinatoire de signes, c'est-à-dire un ensemble de relations des éléments d'un tout, et une analyse structurale "croit que la partie ne peut se comprendre qu'une fois mise en relation avec le tout dont elle fait partie". Aussi avons-nous, eu égard à ces postulats, intitulé notre propos "L'espace et le temps romanesques : deux paramètres poétiques de lisibilité de l'échec de la quête de la modernité dans L'Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane". L'objectif ici recherché est de mettre en exergue la fonctionnalité de ces deux structures heuristiques, de montrer qu'elles sont un "opérateur de lisibilité fondamentale" (Philippe Hamon, 1993 : 108), des supports narratifs de l'échec de la quête à laquelle aspire le peuple Diallobé. L'espace et le temps sont par conséquent porteurs de sens. Il s'agit, dans une certaine mesure, de renforcer le lien entre poétique littéraire et préoccupation thématique. Nous entendons étudier l'armature du récit, scruter les signes qui font référence à la présentation de l'espace et du temps. Plus exactement, nous procéderons à une étude des langages spatiaux et temporels selon les deux dimensions du signifiant et du signifié, afin de faire ressortir la contrepartie poétique de la thématique autour de laquelle s'articule l'œuvre du romancier sénégalais. Celle-ci met en scène la crise à laquelle font face les Diallobé et dont le nœud est le problème scolaire. Ledit problème va engendrer la délocalisation de Samba Diallo puisque, pour être conjoint de l'objet (modernité).avec lequel les Diallobé entretiennent une relation appétitive, le disciple de maître Thierno est contraint à migrer en Europe. Mais, cette quête de la modernité va se solder par un échec dont l'espace et le temps, serrés de près, apparaissent comme une figuration ou, mieux encore, la structure profonde.
1 La configuration spatiale et l'échec de la quête de la modernité
L'espace narratif se conçoit comme un volume plus ou moins vaste et plus ou moins délimité où se situent les objets de l'univers du récit. C'est, d'après Gustave-Nicolas Fischer, "un lieu, un repère […] où peut se produire un événement et où peut se dérouler une activité" (1981:125). Il est un constituant essentiel d'une œuvre littéraire et Michel Butor a beau jeu de dire que "l'espace est un thème fondamental de toute littérature romanesque" (1964 : 44).
1-1 l'espace référentiel français
L'espace référentiel, désigné encore sous la terminologie d'espace englobant, fait référence à l'espace géographique. Dans l'œuvre de Cheikh Hamidou Kane, l'investissement de l'espace français par Samba Diallo dénote une rupture patente. Celle-ci est manifeste à travers le principe de l'hétérotopie qui stipule qu'un espace se définit par rapport et par opposition à un autre auquel il fait allusion : "ici, on dirait que je vis moins pleinement qu'au pays des Diallobé" (p. 161). De ces propos de Samba Diallo, il ressort que l'espace géographique français appartient à ce que Algirdas-Julien Greimas et Joseph Courtès appellent la catégorie thymique. Celle-ci, soulignent-ils,
permet d'articuler l'investissement sémantique lié directement à la perception qu'a l'homme de son propre corps dans un environnement donné (1979 : 390).
Sorti de sa sphère existentielle, le personnage kanien ne réussit pas à apprivoiser l'univers français. A une époque où la notion d'intégration alimente de nombreux débats, nous constatons que le fils du Chevalier ne parvient pas à se fondre de manière harmonieuse dans ce nouveau cadre. Son intégration dans l'espace occidental n'est pas un exemple de réussite ; en témoigne cet aveu poignant qu'il fait à Marc :
Je ne sais pas si vous avez ressenti parfois cette impression poignante de vacuité que donnent les rues de cette ville par ailleurs si bruyantes cependant (p. 161).
Ces propos fonctionnent sur une opposition : vacuité/bruit. Cette antithèse trahit l'inadéquation du jeune homme avec les réalités de l'ailleurs. Bien plus, elle thématise l'échec de l'insertion de l'immigré et en fait un personnage marginal. Ce dernier apparaît, pourrions-nous dire, comme un homme enraciné dans l'absence. Il est l'analogon de ces hommes de couleur qui, relève son interlocuteur, "attendaient de trouver à Paris ce qu'ils ont quitté pour y venir" (p.161). Samba Diallo ne fait pas corps avec l'environnement français. Cet indice textuel ne traduit aucun accord, aucune relation fusionnelle entre personnage et son nouvel espace. Le Diallobé est un homme d'exil qui, à travers l'évocation nostalgique et incessante de son pays natal, n'a pas de repère et ne se retrouve pas non plus dans son monde qui est un vaste tissu de différences. Par moment, cet univers lui donne l'impression d'être un labyrinthe qui "traduit de toute évidence l'angoisse des hommes devant le monde où ils ne retrouvent pas leur place" (Bourneuf et Ouellet, 1989:128). En outre, le rejet dont est victime l'immigré empêche de rendre probante son union avec l'hexagone. C'est dans cette optique que Pierre-Louis, à l'endroit du Diallobé, déclare:"l'occident se passe de vous, l'on vous ignore" (p.163).
A tout prendre, l'espace phénoménologique est essentiellement dysphorique pour Samba Diallo. Toute absence d'attraction entre ce monde et lui instaure dès lors des rapports de distanciation. Dans une moindre mesure, cet espace fonctionne comme une prolepse, pour reprendre la terminologie de Gérard Genette. En d'autres termes, il préfigure le drame qui sera celui de l'ancien disciple du foyer Ardent, au bout de son itinéraire, de son périple occidental. L'espace référentiel dans le récit de Cheikh Hamidou Kane "s'inscrit dans un mouvement dialectique" (Jean Getrey, 1982:18). Parti de son pays où il "brûlait au cœur des êtres et des choses" (p. 173), Samba Diallo se retrouve dans un monde qui est le contre-pied du sien. Le micro-espace dans lequel se débat ce personnage est aussi révélateur de l'échec de sa quête.
1.2. Le micro-espace
La composition romanesque accorde une importance non des moindres aux constituants spatiaux. Le micro-espace fait partie de l'espace référentiel. Il relève de l'espace topographique. Dans L'Aventure ambiguë, le micro-espace est bien souvent subordonné à l'analyse psychologique:
ayant déposé Adèle à sa porte, il rebroussa chemin, à pied vers le métro. Ce fut-là que, lorsque la rame eut démarré, son souvenir, soudain, lui présenta un visage. Il le vit avec une intensité presque hallucinante. Là en face de lui, dans la lumière jaune et parmi la foule entassée, le visage du maître des Diallobé avait surgi. Samba ferma les yeux, mais le visage ne bougea pas […] le visage avait disparu (p. 174)
Au-delà de l'analyse psychologique qu'il donne à lire, le métro s'avère sociofuge. Bien plus, il rend compte de l'intérêt dramatique de l'œuvre. Le désarroi du personnage vient s'y inscrire. Le métro se caractérise par sa clôture et s'assimile ainsi à une prison où se joue un drame. Il est le symbole de la perte de contact de Samba Diallo avec le monde. A travers lui, l'espace trouve son expression la plus pessimiste dans l'œuvre et il permet
d'apprécier les fonctions de l'espace dans ses rapports avec les personnages […] et à dégager les valeurs symboliques et idéologiques rattachées à sa représentation (Henri Mitterrand, 1980:124).
Le métro est la métaphore de l'angoisse existentielle du personnage, victime d'une hallucination. Celle-ci est un des points névralgiques des troubles psychotiques. Elle ressortit à la psychiatrie et entraîne une perception sans objet de la part du sujet. Samba croit voir le visage de maître Thierno, or il n'en est rien. L'hallucination reflète la déliquescence mentale qui gagne le personnage. Ce dernier perd progressivement ses caractéristiques et acquiert des propriétés défavorables à sa vitalité. Le jeune étudiant, qui a des raisons de craindre d'avoir perdu la raison, croit être en relation avec le maître alors qu'il est en rapport d'altérité avec lui-même.
Cette vision hallucinatoire à laquelle Samba est sujet fait de lui un handicapé du réel. Elle établit une sorte de disjonction entre l'étudiant et la France. Cette disjonction accrédite la thèse de l'échec de l'intégration et de la quête de ce dernier. Cette pathologie montre que son rapport au monde est perturbé. Elle traduit l'acuité du drame du personnage dans une société qu'il ne parvient pas à enlacer, où il a du mal à s'adapter. Le métro est l'espace du mal-être, du malaise, car Samba Diallo y subit une certaine altération de ses dispositions psychiques. Aussi, peut-on convenir avec Ludovic Janvier que "ce n'est pas […] un hasard si la tragédie moderne, depuis Kafka, s'exprime surtout en termes d'espace" (1964:27), tragédie qui se profile également travers le jeu des référents spatiaux.
1.3. Le jeu des référents spatiaux
Dans l'espace effectivement représenté dans le roman qui fonde nos analyses, "d'autres espaces évoqués [s'y] emboîtent" (Bourneuf et Ouellet, 1989:106), instaurant de la sorte un jeu entre le référent spatial textuel et situationnel. Dans l'œuvre de Kane, ce jeu sert à opposer l'Afrique et l'Occident, dans l'optique de souligner notamment le vide spirituel de celui-ci : "les hommes d'occident connaissent de moins en moins le miracle et la grâce" (p.108). Ces mots du Chevalier sont chargés de non-dits, de virtualités plurielles dont le décryptage donne à voir un espace idéologique opposé à celui dans lequel Samba Diallo a jusqu'ici été moulé. L'Occident apparaît comme un lieu de perdition, spirituelle en l'occurrence. Indissociable de l'espace, le temps est une réalité signifiante dans L'Aventure ambiguë
2. La temporalité narrative et l'échec de la quête de la modernité
Le temps est une donnée complexe et à l'instar de l'espace dont il est par ailleurs solidaire, il a une implication dans la construction d'un sens au texte. De manière générale, il désigne une grandeur qui indique l'intervalle entre deux périodes ou encore entre le début et la fin d'une œuvre. Il recouvre plusieurs facettes et c'est le lieu ici de convoquer Michel Butor pour qui,
dès que nous abordons la région du roman, il faut superposer au moins trois temps : celui de l'aventure, celui de l'écriture, celui de la lecture (cité par Bourneuf et Ouellet,1989 : 106).
La nuance que relève cet écrivain et théoricien du roman est d'autant plus fondamentale que l'étude du temps romanesque ne saurait se limiter à cette typologie. Celle-ci est indicative. Aussi, examinerons-nous tour à tour le temps social, les distorsions temporelles et le temps cosmique dans notre œuvre.
2.1. Le temps social
Il s'agit d'un temps intérieur, d'avantage psychique, vécu par une conscience. Ce temps gouverne les motivations et les actions des personnages. Dans le récit de Cheikh Hamidou Kane, le temps social prend le visage du traditionalisme et du modernisme. Celui-ci est le goût, la recherche de ce qui est moderne. Celui-là désigne l'attachement aux traditions. Les deux substantifs s'opposent donc sur le plan sémantique.
Ces deux tendances antithétiques qui se font jour et s'affrontent chez les Diallobé sont caractéristiques de la crise qui secoue ce peuple. Maître Thierno, dont le foyer Ardent symbolise le conservatisme, est l'incarnation même du passé dans L'Aventure ambiguë. Il est une figure allégorique de sa société et en pérennise les valeurs, à la limite caduques, avec une fidélité au-dessus de toute épreuve : "enveloppez-vous d'ombre, retirez-vous dans votre foyer et nul, je l'affirme, ne pourra donner le bonheur aux Diallobé" (p. 45). Cette réplique de la Grande Royale est très expressive de l'attitude du Maître dont le choix s'oppose à celui du pays dans sa masse, à savoir l'ouverture aux valeurs modernes, au progrès à travers l'envoi des enfants à l'école nouvelle. Au sujet de l'attitude du maître de l'école coranique, Thomas Meloné déclare qu'il
recherche systématiquement la sainteté, professe et pratique la mortification dans un pays où en fait tout le monde s'intéresse d'abord à la satisfaction du corps et de la matière (1973:141)
Le sentiment religieux et l'attachement excessif à la tradition poussent cet homme à oublier son corps et à mener une vie austère. C'est ainsi que, fait remarquer Christine Essono:
Pire que [les] actes de privation, surgissent dans le récit d'autres signes d'austérité qui marquent la négation de la vie par le maître. On relève principalement des éléments de l'écriture qui valorisent la mort au détriment de la vie (1995 : 36).
En face du Maître du Foyer Ardent, lequel se détourne du progrès et s'insurge contre le projet de la Grande Royale, se dresse cette dernière. Selon elle, l'orientation de Thierno n'est plus en adéquation avec les impératifs d'un monde en profonde mutation et que les nouvelles générations devront affronter tôt ou tard. La sexagénaire est une adepte déclarée du progrès, de l'ouverte. Morceau choisi :
Je vénère mon père et le souvenir que vous en avez. Mais je crois que le temps est venu d'apprendre à nos fils à vivre. Je pressens qu'ils auront affaire à un monde où les valeurs des morts seront bafouées et faillies (p. 38).
Les Diallobé ont longtemps vécu en ermite, en autarcie. Aussi, la Grande Royale veut-elle rompre avec les mœurs surannées. Son objectif est de composer avec le nouvel ordre dont Samba Diallo entre autres doit être le précurseur. Le nouvel ordre engage le devenir de la communauté Diallobé. Le moment est venu d'opérer des changements qui, aux yeux de la sœur du chef, sont indispensables. Pour cela, celle-ci n'hésite pas à bousculer la tradition :
J'ai fait une chose […] qui n'est pas dans nos coutumes. J'ai demandé aux femmes de venir aujourd'hui à cette rencontre. Nous autres Diallobé, nous détestons cela […] Mais de plus en plus, nous aurons à faire des choses […] qui ne sont pas dans nos coutumes. C'est pour nous exhorter à faire une de ces choses que j'ai demandé à vous rencontrer aujourd'hui (p. 56).
Une nouvelle ère a sonné et illustre une étape décisive dans l'existence de ce peuple. Elle rime avec bouleversement et changement. Elle tient à cœur la Grande Royale parce qu'elle s'insère dans ses luttes que son détracteur, Maître Thierno, ne voit pas d'un bon œil. Le temps social met à jour deux visions du monde qui divergent et s'affrontent. Cet affrontement idéologique laissera des séquelles à Samba Diallo, étant donné qu'il en constitue dans une mesure le lieu géométrique.
Ce temps est particulièrement significatif car en plus d'être le miroir de la crise dans laquelle semblent s'empêtrer les Diallobé, lesquels se trouvent désormais à la charnière de deux mondes, il résume les contradictions de l'Afrique contemporaine.
2.2 Les distorsions temporelles : la prolepse et l'analepse
Les distorsions temporelles reflètent la complexité du temps romanesque. En effet, l'écriture ne progresse pas de manière chronologique dans le même sens que le temps de l'histoire. Ces détorsions sont de l'ordre des anachronies narratives que Gérard Génette conçoit comme "les formes de discordance entre l'ordre de l'histoire et celui du récit" (1972 : 79). Elles se manifestent par des télescopages, des chevauchements d'actions, des prolepses et des analepses.
Dans L'Aventure ambiguë, la prolepse, qui est une technique d'anticipation, fonctionne sous le mode de la prémonition :
l'école où je pousse nos enfants tuera en eux ce qu' aujourd'hui nous aimons et conservons avec soin, à juste titre. Peut-être notre souvenir lui-même mourra-t-il en eux. Quand ils nous retiendront de l'école, il en est qui ne nous reconnaîtront pas (p.57).
Ici, la prolepse s'avère dysphorique. Par le biais du regard prospectif de la Grande Royale, le futur qui se dessine laisse voir une issue quelque peu redoutable de l'aventure. Le spectre de l'échec plane déjà sur la quête de la modernité. Celle-ci semble même déjà compromise. Cette technique narrative permet de mettre en parallèle une époque à venir avec le temps présent. Elle témoigne d'une tragédie qui se profile à l'horizon et des expériences traumatisantes qui guettent la communauté. La prolepse thématise pour ainsi dire une issue pessimiste de l'aventure, de la quête.
L'analepse quant à elle renvoie aux retours en arrière, pour parler de manière prosaïque.
Il [Samba] revivait par la pensée les circonstances de son départ du foyer. Le chef l'avait fait venir ensuite et lui avait annoncé qu'il allait retourner à L.[…] En effet il allait quitter le maître […] près du maître, Samba Diallo avait connu autre chose (p.p. 75-76).
Cette anachronie narrative fait revivre le contexte dans lequel s'est effectué le transfert de Samba Diallo de l'école coranique, où s'est déroulée son éducation sous la férule religieuse de Thierno, à l'école nouvelle. Par ailleurs, elle matérialise le premier contact, pour le moins douloureux, entre le cousin de la Grande Royale et la pensée occidentale à laquelle seront dorénavant formés les fils Diallobé.
2.3 Le temps cosmique
Conçu comme le cours naturel des astres et des saisons, le temps cosmique s'inscrit dans la marche et dans le fonctionnement de l'univers au sein duquel se meuvent les personnages. L'alternance des saisons peut être euphorique ou dysphorique. Dans l'œuvre de Cheikh Hamidou Kane, le temps cosmique génère un certain mal-être chez Samba, comme l'atteste le passage ci-dessous :
Juin tirait à sa fin et déjà il faisait sur Paris une chaleur accablante. Samba Diallo […] marchait dans un état de demi-somnolence engourdi par la chaleur. Un filet tenu de pensée clair filtrait avec difficulté de la lourde nappe de ses sensations, comme un courant d'eau fraîche à travers la masse inerte d'une mer tiède (p 140).
Il est évident que le temps cosmique dénote un malaise psychosomatique. Il est hostile et agressif. Son influence est telle qu'il affecte considérablement les dispositions psychiques du personnage, lequel bascule dans une espèce de déréliction. Ainsi, le temps cosmique connote cet "être de papier" dont il matérialise la fragilité mentale. Il se charge d'une signification forte dans la mesure où il se combine avec la trame du récit et se pose comme un signe avant-coureur de la tragédie du héros kanien, transplanté à Paris.

CONCLUSION
En dernière analyse, L'Aventure ambiguë s'apparente dans une moindre mesure à L'impasse de Daniel Biyaoula. A l'instar de ce roman, l'œuvre de Cheikh Hamidou Kane est "une espèce de cocktail où aucun ingrédient ne semble avoir été omis: destin des immigrés [...] ; tradition versus modernité ; [...] aliénation." Tous ces ingrédients participent du drame au cœur duquel se trouvent les Diallobé et dont les composantes spatiales et temporelles sont une figuration. Telles des pièces d'un puzzle, l'espace et le temps forment tout un système de signes parsemés dans ce récit, lesquels concourent à la poétique de l'échec de la quête dans laquelle s'est engagé le peuple Diallobé. La fonctionnalité de ces deux structures et leur incidence dans le processus de construction d'un sens à cette œuvre attestent le rapport de consubstantialité qui lie le contenu d'un texte littéraire à l'arsenal esthétique qui le véhicule. Dès lors, l'intérêt d'une œuvre n'est pas uniquement tributaire de l'enracinement de celle-ci dans son contexte d'émergence. Cet intérêt se mesure aussi à l'aulne de sa dimension artistique. La poétique de l'espace et du temps dans L'Aventure ambiguë en est une illustration. Supports narratifs de l'échec de la quête de la modernité, ils constituent deux réalités signifiantes et s'offrent au critique comme une voie possible de lecture d'une œuvre.

BIBLIOGRAPHIE

1. Bourneuf, Roland et Ouellet, Real (1989), L'Univers du roman, Paris, PUF.
2. Butor, Michel (1964), Répertoire II, Paris, Minuit.
3. Fischer, Gustave-Nicolas (1981), La Psychologie de l'espace, Paris, PUF.
4. Genette,Gérard (1972), Figures III, Paris, Le Seuil.
5. Getrey, Jean (1982) Comprendre l'aventure ambiguë, Paris, Les Classiques Africains.
6. Greimas, Algirdas et Courtès, Joseph (1979), Sémiotique : Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Tome 1, Paris, Hachette.
7. Hamon, Philippe (1993), Du Descriptif, Paris, Hachette.
8. Kane Hamidou, Cheikh (1961), L Aventure ambiguë, Paris, Julliard.
9. Janvier, Ludovic (1964), La Parole exigeante, Paris, Edition de Minuit.
10. Kom, Ambroise et Mouralis, Bernard (Sept-Décembre 1998), "Regards croisés sur l'impasse de Daniel Biyaoula" in Notre Librairie, Revue des littératures du Sud, N°135.
11. Meloné, Thomas (1973), "Analyse et pluralité. Cheikh Hamidou Kane et la folie" in Mélanges africains, Yaoundé, ERLAC.
12. Mitterand, Henri (1980), Le Discours du roman, Paris, PUF.
13. Onguene, Christine (1995), "L'Enfance de Samba Diallo, une éducation controversée: approche lexicale" in Lectures, Yaoundé, n°2.
14. Richard, Jean-Pierre (1961), Introduction à l'univers imaginaire de Mallarmé, Paris, Les Classiques Africains.

NOTICE BIOBIBLIOGRAPHIQUE

Marcel Nouago Njeukam est professeur des Lycées d'Enseignement Général et Doctorant à l'Université de Yaoundé I. Ses recherches portent notamment sur la littérature comparée. Il a collaboré au treizième numéro (juin- juillet 2008) de la revue semestrielle Inter culturels Francophone, numéro consacré à Mongo Beti. Il est par ailleurs l'auteur d'un roman, Poto-Poto Phénix, paru chez l'Harmattan.

Signature :
NOUAGO NJEUKAM MARCEL

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L'ECRITURE DU REFUS DANS L'HISTOIRE DU FOU DE MONGO BETI

L'ECRITURE DU REFUS DANS L'HISTOIRE DU FOU DE MONGO BETI
NOUAGO NJEUKAM MARCEL, PROFESSEUR DES LYCEES D'ENSEIGNEMENT GENERAL


INTRODUCTON

L'œuvre qu'a commise MONGO BETI en 1994 après quelque trente ans passés loin de son pays, dans l'acception purement physique du vocable, marque un tournant majeur dans l'écriture bétienne. En effet, dans ses productions antérieures, cet écrivain est resté attaché à une tradition romanesque dont la linéarité du récit est l'une des manifestations. L'Histoire du fou qui sert de ferment à nos analyses vient rompre avec ce classicisme jusqu'ici observé, dans la mesure où "non seulement la dynamique narrative linéaire semble s'y abolir, mais surtout, l'écriture y est fortement récurrente ou répétitive."1 En plus de l'abolition de cette linéarité, le titre même de l'œuvre jette le flou dans l'esprit du lecteur au point de l'embrigader. En effet, "le titre d'une œuvre littéraire constitue une partie restreinte, mais non négligeable du texte. Chargé de prédire le récit à venir, promesse à combler, cet énoncé initial mérite d'être considéré avec attention."2 Pourtant, le titre choisi par MONGO BETI s'écarte de cette fonction traditionnelle énoncée par Jean-Pierre GOLDENSTEIN. En lieu et place de l'histoire de ce fou qui serait connu de tous, le natif d'Akometan sert au lecteur une composition littéraire peignant une époque tumultueuse du continent et où les personnages pricipaux semblent être les dictateurs. La maladie de Zoaétoa est donc un simple prétexte qu'exploite habilement MONGO BETI pour analyser les dérives de la folie institutionnelle dont l'Afrique est le théâtre. Ce titre s'inscrirait dans la logique des titres énigmatiques et imposerait alors une lecture au second degré.

Malgré ce renouveau de l'écriture, il faut préciser que le contexte socio-politique ambiant a toujours constitué la toile de fond de la création littéraire chez l'auteur de Main basse sur le Cameroun. C'est à juste titre que de nombreux exégètes, parmi lesquels Thomas MELONE et Ambroise KOM, font remarquer que les productions de cette plume prolifique sont éminemment politiques.depuis Ville cruelle qui lui a valu le prix sainte Beuve en 1958 et qui témoigne des exactions multiformes endurées par les colonisés, jusqu à L'Histoire du fou qui "par endroit, donne l'impression d'être une fidèle chronique journalistique rapportant les soulèvements populaires et les tumultes socio-politiques des années 1990"3, Alexandre BIYIDI AWALA de son vrai nom n'a pas changé son fusil d'épaule. Il est pour ainsi dire resté fidèle à ses préoccupations.

Parceque L'Histoire du Fou s'offre au lecteur comme un objet heuristique, ses voies d'accès sont nombreuses et elles permettent de lui construire un sens. Ceci revient à dire qu'en littérature, il n'ya pas une dictature du sens. Celui-ci n'existe pas en soi. L'œuvre littéraire est polysémique par essence et Umberto Eco a beau jeu de dire que "toute œuvre d'art peut être interprétée de différentes façons sans que son irréductible singularité en soit altérée."4 Pour paraphraser Michel TOURNIER, l'écrivain et le lecteur se partagent la paternité d'une oeuvre, puisque le critique lui assure aussi une existence.

Aussi avons-nous, eu égard à ces diverses considérations, intitulé notre propros "L'Ecriture du refus dans L'Histoire du Fou de MONGO BETI". L'objectif ici poursuivi est de décrypter les mécanismes de fonctionnement du refus, que nous définissons comme le rejet, la contestation systématique de l'ordre social, des institutions et de l'idéologie dominante. De maniere explicite, nous analyserons l'écriture du refus à travers les faits sociaux décriés dans le texte et les choix esthétiques opérés par l'auteur. Elle se décline aussi bien à travers sa structure de surface que sa structure profonde, car nous ne devons pas perdre de vue que l'écriture "est le langage littéraire transformé par sa destination sociale, elle est la forme saisie dans l'intention humaine et est liée aux grandes crises de l'histoire."5

I- L'ECRITURE DU REFUS A TRAVERS LES FAITS SOCIAUX

Cette première articulation de notre réflexion se propose d'étudier le refus dans sa structure de surface. Elle fera ressortir, au moyen des personnages de la scène politique, les conduites qui sortent des normes admises dans un contexte moderne. Ces déviances ont pour noms les coups d'état à répétition, la violation des droits des citoyens et la main basse sur les deniers publics.

1- LES COUPS D'ETAT A REPETITON

L'Histoire du fou a pour cadre une énignatique République du Continent. L'un des signes distinctifs de cet Etat francophone est la prolifération des putschs. En effet, cette République brille par la permanence des révolutions de palais. On y enrégistre trois pronunciamientos pendant le temps de la diegese qui n'est pas si considérable, étant donné qu'il s'étend sur trois ans seulement :

"L'officier, faisant allusion à une récente révolution de palais, symptôme d'une instabilité qui allait devenir chronique, exposa alors au patriarche que de graves événements, passés complètement inaperçus du village et de toute la contrée, avaient eu lieu dans la capitale et avaient entraîné des bouleversements à la tête de la République." (P. 33)

Ces révolutions de palais sont l'œuvre de régimes dictatoriaux qui ont entraîné la République dans le cycle infernal de la violence. Elles ne constituent pas cette solution miracle que brandissent les politiciens et qui augureraient "un avenir de paix, de concorde et de sécurité pour les populations qui en avaient été frustrées si longtemps." (P. 33)

Bien au contraire, ces coups d'état ont transformé le pays du patriarche zoaételeu en un univers agressif et dysphorique. Cette société de l'impossible épanouissement " fait peur à cause de sa cruauté, de sa décomposition, de sa pourriture, de l'insécurité qui y règne."6 Les différents juntes militaires qui se succèdent au pouvoir de manière inquiétante mettent en effet en relief les contracdictions dont ce pays est le siège. A une plus grande échelle, ils illustrent les errements et le dysfonctionnement de tout un continent. Cette république apparaît alors comme une métaphore de l'Afrique et fait aisément penser à des pays et des régions tels que le Soudan, le Tchad et le Darfour,en proie à une instabilite. De fait de cette précarité politique, ce pays là vit une véritable tragédie dont les premières victimes sont les civils.

La population paie le lourd tribut, comme à l'accoutumée. Elle compte généralement ses morts par centaines ou alors est contrainte de se jeter sur les routes de l'exil pour fuir les convulsions politiques, ne pouvant faire contre mauvaise fortune bon cœur.

"Places et trottoirs étaient jonchés de cadavres désarticulés. Un enfant cloué au sol ouvrait une bouche grimaçante sans doute pour hurler de douleur et de désespoir, une main crispée sur sa jambe où béait une plaie bouillonnante d'un sang noir, l'autre tendue vers l'improbable chevalier qu'on dit protecteur de la veuve et de l'orphelin" (P. 62)

L'environnement aussi pâtit car il se dégrade considérablement : "Un incendie ravageait rageusement les étages d'un imposant édifice […] Des hélicoptères [lâchaient] de temps en temps des objets qui en tombant sur les bâtiments ou les maisons, produisaient d'effroyables explosions" (P. 62) les putschs laissent la désolation derrière eux. Et si l'on convient avec Sartre pour qui "l'opération d'écrire implique celle de lire comme son corrélatif dialectique" 7, nous pouvons dire que la dégradation de l'environnement constitue un double danger. D'une part, elle fragilise l'équilibre écologique, rend le cadre naturel rébutant et laisse la porte ouverte à une catastrophe humanitaire. D'autre part, elle menace l'économie de la République. L'économie et l'environnement sont interdépendants. En effet, un cadre naturel sain et stable est propice à l'essor d'une économie, tout comme une économie prospère déteint sur l'environnement en le tranformant.

A tout prendre, ces convulsions de la République apparaissent ni plus ni moins que comme les "simples manifestations […] de l'incapacité des Africains à se gouverner comme une nation moderne" (P. 135) et cela expliquerait probablement la violation des droits des citoyens dont se rendent coupables les détenteurs du pouvoir dans L'Histoire du fou.

2- LA VIOLATION DES DROITS ET DES LIBERTES DES CITOYENS

Malgré le travail acharné qu'abat l'avocat féru de droit dans L Histoire du fou, lequel force l'admiration de tout lecteur épris de justice et d'équité, la République a encore du chemin à faire en matière de démocratie. Celle-ci est un luxe pour ce pays imaginaire qui sert de cadre au déploiement des évènements dans l'œuvre de Mongo Beti mais ressemble étrangement à de nombreux états africains. En effet, la démocratie est un régime politique dans lequel les droits et les libertés individuelles sont préservés. Or, dans l'Histoire du fou, ils sont niés tout simplement par le régime en place.

"Il - Zoaétéleu- fut précipité dans une cellule obscure qui empestait la pisse et les matières fécales. Ses vingt occupants, serrés les uns contre les autres, toujours assis jambes repliées, n'avaient en effet pour se soulager qu'une tinette submergée depuis longtemps" (PP 74-75)

L'épisode de l'arrestation et de la séquestration de cet homme respectable ravive la problématique des droits de l'homme et plus précisement ceux des prisonniers. Tout le vocabulaire que déploie le romancier traduit à souhait les misères de la vie en détention. Il s'inscrit dans la stratégie de mise à nu des abus du judiciaire qui passe pour être l'âme damnée de l'exécutif. Celui-ci viole ainsi l'article 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, qui stipule : "Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou degradants." Ce traitement réservé aux détenus est symptomatique des réalités délictueuses de la République. Il fait le constat sans fard des terribles conditions des prisonniers, atteste que l'Etat n'assume pas ses missions regaliennes et partant, il participe de la critique dirigée contre ce pouvoir.

Le règne de l'arbitraire est le propre du régime militaire que conteste Mongo Beti.

"Des hommes en uniforme envahirent par surprise le village, se ruèrent sur Zoaételeu qu'ils rouèrent de coups de plus en plus cruels à mesure qu'il criait de plus en plus haut qu'il n'avait rien fait, qu'il était innocent, qu'avant de châtier un être humain, on lui disait au moins son crime" (P. 14)

Dans ce pays, la présomption d'innocence ne fait pas partie du jargon juridique et tout accusé est condamné avant d'avoir même été jugé.

La liberté d'expression est foulée au pied. Le pouvoir politique est foncièrement liberticide et ne lésine pas sur les moyens afin de réduire au silence la presse, qui fait entendre un son de cloche différent du sien. Ce média, parcequ'il a le malheur d'agiter les questions cruciales en évoquant par exemple "la fortune amassée à l'étranger par les dirigeants politiques et ceux de l'administration, et particulièrement par le chef de l'Etat" (P. 96), et qu'il remet en question les versions officielles édulcorées et aux antipodes des réalités politiques, il est un oiseau de mauvais augure. Il apparaît par conséquent comme un ennemi à abattre :

"Le chef de l'Etat […] ne s'était pas résigné définitivement au triomphe de la liberté d'expression […] les sbires saisissaient les journaux, détruisaient les imprimeries, bastonnaient les journalistes avérés ou les jetaient en prison. une demi-douzaine de membres de cette noble autant que malheureuse corporation, entrés debout dans divers locaux de la force publique, n'en ressortirent jamais ou n'en ressortirent que les pieds devant" (P. 97).

La force publique est cette "épée de Damoclés" suspendue sur la tête des journalistes qui mettent un coup de pied dans la fourmilière du politiquement correct. Mongo Beti analyse ici les rapports de force qui ont toujours lié le pouvoir politique aux médias, notamment privés que celui la veut tenir en laisse. Aussi, dans ce roman, les journalistes apprennent-ils à leur dépens qu'il existe de toute évidence des sujets réservés et que les toucher n'est pas très bien vu. Les publications "dont chacune […] tient à être la première dans la diffusion d'une information inédite, dans la dénonciation d'un crime oublié ou récent […] ne connurent qu'une existence éphémère" (PP. 96-97). La liberté d'expression est mise à mal par un régime qui a horreur de la contradiction. Il veut jouir d'un droit de regard absolu et si possible imposer et uniformiser une pensée unique de voir, la sienne. De la sorte, ce pouvoir est assuré d'avoir les mains libres afin de piller en toute impunité les caisses de l'Etat.

3. LA MAIN BASSE SUR LES DENIERS PUBLICS

A la lecture de L'Histoire du fou, le lecteur a l'impression que la République connaît l'âge d'or du détournement des deniers publics. Ses dirigeants politiques ont comme fait des caisses du pays une''mangeoire''. Cette réalité bien tropicale est perceptible à traves le passage suivant :

"Dans les faits, tout comme leurs prédécesseurs, les nouveaux dirigeants pillaient les banques et les caisses publiques et exportaient à l'etranger cet argent qui eût été bien utile au pays, ils soustrayaient des millards de dollars fournis par le pétrole à la comptabilité de la République, s'en réservant la jouissance à l'abri de toute curiosité, au moment où ils engageaient l'Etat dans la spirale de l'endettement extérieur ; ils érigeaient des demeures somptueuses à leurs usages ou à celui de leurs familles" (PP. 58-59)

La truculence du style adoptée par le roman ne se dément pas dans ce fragment qui abonde en indices référentiels. Elle rend compte de la vision sociologique d'une Afrique malade de ses fossoyeurs. Le pouvoir militaire sans foi ni loi opère une razzia sur le patrimoine et orchestre de la sorte toute une gabégie. Ce pillage ne tardera pas à enfoncer la jeune République indépendante et paupérisée dans le précipice, au bord duquel elle danse déjà. A l'image de ceux qui semblent avoir trouvé en le continent un terrain fertile et y pullulent, ce pouvoir ne défend pas des valeurs et des idéologies chères à l'auteur.

Ces délinquants économiques ne songent qu'à leur ventre et à leur confort personnel. Dès la prise du pouvoir par les armes, ils n'ont qu'une idée en tête : assurer leurs arrières. Aussi, ne s'embarrassent-ils pas de scrupules et confondent les caisses de l'Etat avec leur porte-monnaie. On assite à l'enrichissement rapide et illicite de ces hommes qui sont sensés préserver l'harmonie sociale. Ces "êtres de papier" sont la copie de ces chefs d'Etat africains dont la fortune, contrairement à Rome, s'est faite en un jour et s'est bâtie sur l'or noir. Ces "hommes forts" s'autorisent tout, prélevant "des commissions sur les contrats conclus avec les sociétés étrangères, sans excepter les organismes de charité" (P. 58) Et parlant de la seconde équipe au pouvoir, l'auteur souligne : "Frénésie de jouissance, népotisme et arbritraire [composaient] de fait sa dévise, comme pour la précédente" (P. 59).

En dénonçant tour à tour les révolutions de palais, la violation des droits et des libertés et le pillage des caisses publiques, Mongo Beti dresse ainsi un diagnostic général de la République. Cette contestation se cristallise aussi dans des faits linguistiques et des choix esthétiques.

II. L'écriture du refus à travers les modalités scripturaires

L'analyse des modalités scripturaires nous permettra de montrer que le refus se lit aussi à travers sa structure profonde. En d'autres termes, nous démontrerons comment fonctionne la dénonciation sur la base des indices formels et des procédés esthétiques dans L'Histoire du Fou. Elle est aussi une véritable forme du contenu en plus d'être un contenu de la forme.

1- Les formes du comique

Les formes du comique autour desquelles s'articulera notre propos sont la caricature et le grotesque. Le Larousse illustré définit la caricature comme une déformation outrée de certains traits ou carastéristiques. Elle sert génralement de support au discours satirique et participe du comique. De ce fait, elle constitue une arme dirigée contre les tenants du pouvoir politique dans L'Histoire du Fou. Morceau choisi :

"Le grand chef n'était pas vraiment l'incarnation du guerrier tel que les villageois pouvaient se le représenter ; peu corpulent, médiocrement élancé, avec un regard comme alangui" (P. 29)

"L'Homme fort" ici caricaturé n'est pas en odeur de sainteté auprès de l'auteur de Ville Cruelle. Ce dernier tire à boulets rouges sur ce personnage au moyen du portrait caricatural qu'il en fait. Par le truchement de cette technique, le romancier définit sans ambiguité sa position. Il la signifie en ces termes : "Pour moi, je préfère le style combattif"8 avant d'ajouter avec la même franchise du ton : "c'est un devoir quasi quotidien de [ ] stigmatiser les dirigeants qui ont accepté de se faire l'instrument du désespoir de notre continent"9. La caricature épouse allégrement cette entreprise de stigmatisation, la laideur et la répugnance étant les caractéristiques physiques de ces prétendus garants de la justice sociale et du bien être. Cette forme de prosopographie atteste que les personnages sont caractérisés en fonction des valeurs chères à un écrivain. Ainsi, aux "êtres de papier" qui n'incarnent pas une idéologie à laquelle est attaché l'auteur, sont attribués des trats dévalorisants.

La caricature est au service du procès de ces politiciens qui n'ont cure de l'intérêt collectif. Le pillage économique auquel ils se livrent et que nous avons relevé plus haut condamne le peuple à une existence où la précarité rivalise avec le désespoir. Cette antidescription a pour ultime finalité de rendre antipathiques ces hommes aux yeux des lecteurs.

Le grotesque se caractérise par le goût du bizarre, de l'extravagance qui suscite le rire. En témoigne le morceau ci-dessous qui dévoile l'arsenal sécuritaire que mobilise le président. Tout est poussé à l'extrême.

""Sa garde rapprochée était formée désormais de gorilles israéliens ; un régiment d'élite, commandé par son fils ainé et considéré comme la garde présidentielle, occupait la capitaine en permancence, un troisième glacis était constitué de parachutistes, unité d'intervention rapide, basée non loin du village natal du chef de l'Etat, qui s'atait en outre doté d'un embryon d'aviateurs fourni, équipages et maintenance compris, par l'ancienne métropole utilisant Israël comme paravent. Le pouvoir du chef de l'état était apparemment devenu une citadelle imprenable, en tout cas hors d'atteinte d'une insurrection populaire." (P 201)

Tout ce bataclan qui traduit la ruse employée par le Président pour se maintenir au pouvoir fait de lui un personnage bouffon. Le grostesque ressortit à la critique acerbe des juntes militaires que le romancier tourne en dérision et voue aux gémonies, afin qu'ils soient démantélés. Les moyens de défense ahurissants et démésurés confinent à la folie et c'est ici que le titre du roman prend tout son sens.

Le véritable fou est l'homme politique, semble nous faire comprendre le romancier, et pas forcément celui-là qui déambule en tenue d'Adam et Eve dans le roman.A la caricature et au grotesque comme véhicules de la dénonciation,se greffe l ironie.

2- L'apport de l'ironie

En dépit de leurs particularités, la caricature et l'ironie se rejoignent sur un point fondamental. L'une et l'autre participent de l'expression de la moquerie. L'ironie est, stricto sensu, une figure par laquelle on veut faire entendre le contraire de ce qu'on dit. Dans un sens plus large, elle poursuit un objectif précis : faire prendre conscience du caractère absurde d'un propos voire d'une situation. Le recours à ce procédé permet à l'énonciateur de marquer sa distanciation par raport à la situation dénoncée ou par rapport à ses adversaires.

"Des soldats mettaient des mitrailleuses ou des mortiers en batterie, commençaient aussitôt à tirer, leurs mains trépidant sur l'acier luisant. Des avions [ ] parcouraient tour à tour le ciel, lâchant des objets qui, en tombant, produisaient d'effroyables explosions couvertes par les accents d'une musique militaire." (P. 62)

La contradiction entre certains constituants du discours est un indice de la lisibilité de l'ironie. En effet, le début du passage ci-dessus dessine l'isotopie de la guerre ou de la violence, avec des vocables dépréciatifs tels que "mitrailleuses", "tirer" et "effroyables explosions", évoquant la mort. Or, à la fin de ce fragment, on relève l'intrusion du substantif "musique". L'allusion à la musique détonne avec la mention des termes "mitrailleuses" et "explosions", puisque les sons qu'ils évoquent ont un caractère lugubre et écorchent les oreilles. La musique en revanche suggère une harmonie sonore procurant du plaisir et dont se délectent les oreilles. Ce plaisir renvoie par conséquent à une appréciation esthétique, qui surprend si on l'applique à la guerre, synonyme d'hécatombe.

Au regard de l'environnement textuel, le terme "musique" est effectivement en emploi ironique et il est évident que "le ton de l'ironie est faussement enjoué [ ] l'ironie est commandée par un sentiment de colère, mêlée de mépris et du désir de blesser" 10 L'ironie thématise pour ainsi dire la révolte du romancier contre une situation inadmissible et un pouvoir totalitaire

Elle apparaît donc comme un langage stratégique qui sous-tend la satire d'une violence aveugle, la remise en question d'une situation orchestrée par les pronunciamentos à répétition dont la République est le théatre dans L'Histoire du Fou.

Bien plus, les putschs qui demeurent de toute évidence la chose la mieux partagée dans cette société grisent les dirigeants.Ce discours du chef de l'Etat l'illustre :

"Alors, j'ai déclenché les foudres du chatiment sur ces personnages sans foi.. J'ai déversé sur eux un déluge de feu. je les ai vaincus. nous sommes les plus forts désormais."P.163

Ce nouveau président paraît perdre de vue que dans ce pays, les gouvernements nés d'un coup d'Etat obéissent à une logique implacable. L'ivresse du pouvoir fait en sorte que cet "homme fort" oublie les réalités amères de son pays, qu'il ne mesure guère le déphasage entre son discours et le contexte politique ambiant. Dès lors, il entretient un sentiment de puissance fallacieux, nourrit l'illusion tragique d'une puissance inébranlable et c'est là que naît justement l'ironie. Elle est d'autant plus cruelle que ce personnage n'a pas conscience de l'effet boomerang des révolutions de palais et sera concomittamment bourreau et victime. Il n'échappe pas à l'esprit caustique de l'auteur. Celui-ci a pris soin de mettre dans la bouche du premier magistrat un discours empreint d'autodérision. Le chef de l'Etat prend ses désirs pour de la réalité mais la suite des évènements lui rabattra le caquet. De manière subtile, l'ironie fait sourdre l'indignation du romancier rendue aussi perceptible par la violence verbale.

3- La valeur de la violence verbale

L'auteur de L'Histoire du Fou s'inscrit dans le sillage de l'écrivain contestataire Jacques Prévert ou encore du musicien feu Fela Kuti. A l'exemple de ces deux artistes, Mongo Beti est en conflit avec les représentants classiques de l'ordre. Dans chacune de ses productions littéraires, le lauréat du Prix Saint Beuve 1958 n'hésite pas à s'attaquer aux dérives de la société en vilipendant les politiciens. Cet engagement passe par l'emploi d'un langage parfois violent, insultant. Cette violence du discours se décline à travers plusieurs aspects lingustiques.

D'une part, l'utilisation d'un vocabulaire porteur de connotations dépréciatives.

"Monsieur le président, articulait l'avocat à l'adresse du vieux général qui présidait le tribunal, comment pouvez-vous ainsi laisser ajouter l'infamie à l'atrocité ?" (P. 90).

Les caractérisants "vieux" et "illettré" rendent explicitement compte de la folie institutionnelle criarde dans cette société. Celle-ci prend les allures d'une véritable gérontocratie. Le président du tribunal est non seulement frappé de déliquescence physique et psychique car il est fort probable qu'il ne jouisse plus de toutes ses facultés mentales, mais pire encore il ne sait ni lire ni écrire. Au demeurant, il n'est pas habilité à diriger la séance. Le lecteur assiste à une mascarade de procès qui lui rappelle l'univers décrit par Frantz Kafka dans Le Procès. L'usage de ce lexique insultant, dépréciatif est mis au serivce d'un combat, d'une forme d'engagement : Jeter du discrédit sur cette institution qu'est la Justice. Dans L'Histoire du Fou, le droit et les lois semblent être faits pour les puissants.

L'agresivité du ton d'autre part fait corps avec la contestation que nous nous évertuons à déchiffrer dans le roman qui sert de ferment à nos commentaires :

"Monsieur le Président [ ] comment pouvez-vous ainsi laisser ajouter l'infamie à l'atrocité ? [ ] C'est que votre pouvoir, en l'occurrence votre police, ne respecte rien, pas même la plus vénérable figure de notre société [ ] avez-vous, oui ou non, exercé des violences inqualifiables sur ce vieil homme ? qu'est-ce que la sorcellerie à côté de cela ? Pourquoi donc vous obstiner à brandir ce prétexte ? Monsieur le Procureur, la sorcellerie est le paravent des ignorants et des saboteurs. La cour veut-elle se ranger à force d'entêtement dans l'une ou l'autre de ces deux catégories ?" (PP 90-91)

Ce jeune avocat féru de droit peut être considéré comme l'analogon de Mongo Beti. Cette violence verbale reflète le style combatif qui caractérise les écrits de l'auteur. Choqué par les errements de la justice, l'avocat adopte un langage virulent qui se manifeste ici par un ton incisif, cassant. Il ne caresse pas son interlocuteur dans le sens du poil. Cette agression verbale à une visée dénonciatrice puisqu'elle permet de remuer le fer dans la plaie. Conscient du pouvoir des mots, l'avocat s'élève contre tout un système arbitaire et interpelle la justice sur ses failles.

Cette interpellation se traduit dans la modalité de phrase interrogative. En effet, on récense dans l'intervention de l'avocat cinq interrogations à l'adresse du Président de séance et ces phrases interrogatives relèvent d'une systaxe expressive. Ces interpellations insistantes mettent en exergue la colère du personnage qui indexe son recepteur.

Il veut se faire entendre de lui vaille que vaille et agir sur lui. cette agression verbale est une arme de guerre grâce à laquelle cet homme de loi donne un coup de pied au statu quo afin d'empécher la République de tourner en rond.

L'emploi des figures de rhétorique est enfin symptomatique de la violence verbale qui se déploie dans les pages de L'Histoire de Fou. Elles confèrent au discours un pouvoir de suggestion et une force de persuasion. Sans prétendre à l'exhaustivité, nous nous limiterons à la comparaison et à l'antithèse. La comparaison consiste.

"à rapprocher un objet d'un objet étranger, ou de lui-même, pour en éclaircir,en renforcer ou en relever l'idée par les rapports de convenance ou de disconvenance ; ou, si l'on veut, de ressemblance et de différence."11

L'échantillon des comparaisons relevées dans le roman qui fait l'objet de notre réflexion sont à valeur péjorative dans l'ensemble : "Sans lui (Zoaételeu) adresser la parole, Il (le grand chef) pénétra dans la demeure sacrée, comme un char qui enfonce un bunker" (P. 67) Image de la guerre, le char subsume l'idée de violence et de massacre. Ainsi le parallèle que l'écrivain établit entre cet engin de guerre et le haut gradé n'est-il pas anodin. Il explicite une réalité aussi décevante que celle de l'apologie de la violence dans laquelle se complait l'armee Celle-ci sème la terreur partout. Au lieu de garantir la sécurité, l'armée féconde la peur et pour finir le désespoir. Une autre comparaison "gronda le chef de l'Etat, ramassé tout à coup sur lui-même comme un boudelogue" dans laquelle le president est zoomorphisé traduit toute la verve antipolitique du romancier.

L'antithèse quant à elle consiste à rapprocher dans le discours deux idées ou deux expressions fortement opposées, afin de mettre la pensée davantage en relief par cet effet de contraste :

"Dans cette sphère enviée de la société, on idolâtrait les improvisateurs de tous poils [ ] qui savent tout sans avoir rien appris, exercent fièrement les charges les plus élevées sans y avoir été préparées" (PP. 110-111)

Derrière ces antithèses explicite et implicite qui se déploient dans ce passage, on lit le besoin de conspuer les instances dirigeantes. Ici, l'auteur passe au crible de la critique le non sens qui semble triompher dans cette République. Celle-ci est une société perdue de paradoxes. On y assiste au décentrement, à la débauche des valeurs et des normes, en ce sens qu'on tord le cou à la méritocratie. Ces figures d'opposition mettent à nu une idéologie qui sécrète l'arbitraire car ce sont les incultes et les incompétents qui président aux destinées de cette République. Cette contradiction patente est une nouvelle fois la critique de "l'incapacité des Africains à se gouverner comme une nation modrene" (P. 135), critique à laquelle l'anonymat sert de support.

2- La sémantique de l'anonymat

De manière métaphorique, certains théoriciens de la littérature considèrent les personnages comme étant les "moteurs de l'intrigue". Ces créatures s'inscrivent en effet au cœur de l'action et de tous les éléments constitutifs d'une œuvre, ils sont ceux qui retiennent généralement l'attention du lecteur. Bien que le sémioticien philippe Hamon les désigne sous la terminologie "d'êtres de papier", les personnages possèdent une carte d'identité, une étiquette sémantique. Celle-ci provient des diverses données qui les caractérisent, les singularisent par rapport aux autres gravitant autour d'eux et qui permettent de les étudier.

Parmi les "modalités d'analyse" susceptibles de cerner un personnage, nous avons la désignation différentielle" dont parle Philippe Hamon et qui a consacré toute une étude sémiotique fort pertinente sur le personnage. Celui-ci existe par son nom qui peut conditionner le jugement que les autres portent sur lui. Dans L'Histoire du Fou, les personnages ne sont désignés de la même manière. Certains ont une véritable étiquette sémantique parce qu'ils possèdent un nom ou un prénom. C'est le cas de Zoaételeu, Zoaétoa, Narcisse et Jeanne. D'autres par contre ne jouissent pas de cette "désignation différentielle" et sont fondus dans l'anonymat total. Mongo Beti ne désigne pas nommément les tenants du pouvoir. Dans l'œuvre, leur identité se circonscrit à un titre, à une fonction : "le grand chef", "l'officer", "le colonel", " le chef de l'Etat", "le ministre d'Etat".

L'esthétique de l'anonymat que convoque le romancier ici ne ressortit pas à une pure fantaisise. Elle est significative parce qu'elle permet de mettre en exergue le regard que l'auteur porte sur cette catégorie de personnages. En diluant ces actants dans l'impersonnalité, on peut supposer que le romancier veuille leur nier toute réelle existence. L'anonymat peut être perçu comme l'expression d'une forme de mépris, de banalisation de ces hommes. Cette technique est une néantisation de ces derniers. Ils ne portent pas avec eux les valeurs humaines, n'incarnent pas les idées morales et sociales que défend l'écrivain, lequel prête aux personnages des valeurs qui sont les siennes souvent.



CONCLUSION

Au demeurant, L'Histoire du Fou est avant tout une fresque car ce roman décrit les troubles socio-politiques auxquels est sujette l'Afrique dans les années quatre vingt dix. Aussi, la contestation est-elle fort naturellement au centre de cette œuvre de MONGO BETI publiée en 1994. En effet, le romancier rejette, ne cautionne pas l'ordre social, les institutions et l'idéologie dominante dans un continent qui sécrète le pessimisme et peine à s'arimer à la modernité. L'objectif que nous poursuivions était de démontrer que ce refus se traduit aussi bien dans sa structure de surface que dans sa structure profonde. Autrement dit, nous avons décrypté ce refus à travers certains faits sociaux et les choix esthétiques ou les modalités scripturaires optés par l'auteur. En plus d'être un contenu de la forme, le refus est également une forme du contenu.

De nos analyses, il appert que le romancier tire à boulets rouges sur la classe dirigeante. cell-ci constitue le "public cible" dans L'Histoire du Fou dont la visée pragmatique est établie. Cette critique sans complaisance à laquelle se livre l'écrivain est sous-tendue par une idéologie progressiste, reformatrice qui confirme que MONGO BETI est un empêcheur de tourner en rond. Par ailleurs, ce refus de l'ordre social se cristallise dans une écriture virulente et agressive. Refusant donc d'être à la remorque du silence,de pratiquer la politique de la bouche cousue, MONGO BETI se pose en "porte-parole des opprimés et défenseur de la justice sociale [qui ] revendique seulement le droit de parler et d'être entendu"12

NOTES

1- André DJIFFACk, 2000, MONGO BETI, la quête de la liberté, Paris, l'Harmattan, P. 239

2- Jean-Pierre GOLDENSTEIN, 1990, Entrées en Littérature, Paris, hachette, P. 68

3- André DJIFFACk, ibidem, P. 228.

4- Umberto Eco, cité par Gérard Gengembre, 1996, Les Grands Courants de la Critique Littérairre, Paris, le Seuil, P. 43

5- Roland BARTHES, 1971, Essais Critiques, Paris, le Seuil, P. 14

6- Thomas Méloné, 1971, Mongo BETI, L'homme et le destin, Paris, Présence Africaine, P.P 15-16.

7- Jean Paul SARTRE, 1948, Qu'est-ce que la Littérature ?, Paris, Gallimard, P. 50.

8- Mongo BETI, cité par Ambroise KOM, 1993 Présence francophone :MONGO BETI, 40 ans d'écriture, 60 ans de dissidence, N°42, Universté de Sherbrooke, Quebec, P. 19.

9- Ibidem, P. 19.

10- Henri MORIER, 1961, Dictionnaire de la poétique et de la rhétorique, paris, P.U.F, P. 27.

11- Pierre FONTANIER, 1977, Les Figures du discours, Paris, Flammarion, P. 37.

12- Alain ROUCH et Gérard CLAVREUIL, 1987, Littératures nationales.d'expression française, Paris, Bordas, P. 61


BIBLIOGRAPHIE


1- MONGO BETI, 1994, L'Histoire du Fou, Paris, Julliard.

2- DJIFFACK André, 2000, MONGO BETI, la quête de la liberté, Paris, l'Harmattan

3- FONTANIER, Pierre, 1977, Les figures du discours, Paris, Flammarion.

4- GENGEMBRE, Gérard, 1996, Les Grands Courants de la Critique Littérairre, Paris, le Seuil

5- Goldenstein, Jean Pierre, 1990, Entrées en littérature, Paris, Hachette

6- KOM Ambroise et alii, 1993 Présence francophone :MONGO BETI, 40 ans d'écriture, 60 ans de dissidence, N°42, Universté de Sherbrooke, Quebec.

7- MELONE, Thomas 1971, Mongo BETI, L'homme et le destin, Paris, Présence Africaine.

8- MORIER, Henri 1961, Dictionnaire de la poétique et de la rhétorique, paris, P.U.F

9- ROUCH Alain et Clavreuil Gérard 1987, Littératures nationales.d'expression française, Paris, Bordas

10- SARTRE, Jean-Paul, 1948, Qu'est-ce que la Littérature ?, Paris, Gallimard.

Signature :
NOUAGO NJEUKAM MARCEL

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