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Michel Nadot

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Michel Nadot

Descriptif auteur

L'auteur est de nationalité franco-suisse, infirmier Ph. D., professeur d'histoire et d'épistémologie en science infirmière. Après-avoir été directeur-adjoint et doyen de la recherche en école d'infirmière, responsable d'un réseau de compétences HES-SO en matière de recherche (RECSS) et enseigné trente ans à la Haute école de santé du Canton de Fribourg (Suisse), il s'est spécialisé en post-doctorat dans les politiques de l'enseignement supérieur et de la recherche (EPFL). Ancien Président de l'Association suisse des infirmières (section fribourgeoise), professeur et chercheur dans plusieurs universités (Lausanne, Québec, Sfax, Louvain, Versailles St Quentin, Beyrouth), ancien intervenant dans la formation des cadres infirmiers français, il est le fondateur du premier modèle conceptuel en science infirmière de l'Europe francophone. Ce modèle confirme que la science infirmière est bien dans les sciences humaines et non dans les sciences naturelles, comme on peut parfois l'entendre. Sa prochaine publication sur l'intégralité du premier modèle conceptuel en science infirmière de l'Europe francophone sortira de presse le 14 octobre 2013. Aujourd'hui, l'auteur est le seul chercheur francophone de la discipline infirmière à figurer sur les sites Internet des facultés en sciences infirmières (Montréal, Québec) aux côtés des théoriciennes majeures anglophones de la discipline.
Après une formation technique à l’école d’apprentissage des Automobiles Peugeot et plusieurs mois de pratique dans cette entreprise nationale, je quitte ma région d’origine pour changer complètement d’air et d’orientation. J’étouffe ! Un asservissement aux machines et aux chefs d’atelier n’était pas vraiment fait pour plaire. C’est alors le recommencement d’un cycle de formation. Après une formation d’infirmier en psychiatrie en Suisse romande et plusieurs années de pratique des soins en tant qu’infirmier dans différentes institutions hospitalières, puis deux-trois ans de pratique de la gestion en tant que cadre infirmier, suivi de plus de trente ans de pratique de l’enseignement et dix ans de pratique de recherche scientifique à la haute école de santé de Fribourg, l’expérience semble bien diversifiée pour pouvoir en parler.

Structure professionnelle : Ancien professeur chercheur à la Haute école de santé, site de la Haute Ecole Spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO) route des Cliniques 15, 1700 Fribourg (Suisse).

Titre(s), Diplôme(s) : Docteur en sciences de l'éducation et en sciences infirmières

Fonction(s) actuelle(s) : Retraité, Ecrivain, Historien, philosophe des sciences

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AUTRES PARUTIONS

- Nadot, M. (2020). La discipline infirmière, les trois temps du savoir. Londres: ISTE Editions Ltd.
- Nadot, M.; Busset, F.; Gross, J. (2013). L'activité infirmière, le modèle d'intermédiaire culturel, une réalité incontournable. Paris: De Boeck/Estem.

- Nadot, M., (1990).En quoi les soins infirmiers sont-ils infirmiers ? Soins infirmiers, 10, (15-19).

- Nadot, M. (1992a). Une médiologie de la santé comme science. Recherche en soins infirmiers, 30. Publication. ARSI, (27-36).

- Nadot, M. (1992b). La formation des infirmières, une histoire à ne pas confondre avec celle de la médecine (pp. 153-170). In Walter F. Peu lire, beaucoup voir, beaucoup faire, pour une histoire des soins infirmiers au 19e siècle, Genève, Ed. Zoé.

- Nadot, M. (1994). Une histoire oubliée, Valérie de Gasparin, Grande pédagogue suisse protestante du XIXe siècle, fondatrice de la première école de soignantes laïques au monde (pp. 72-99). In Valérie de Gasparin, une conservatrice révolutionnaire, Co-édition, Lausanne Ecole de La Source et éd. Ouverture, Le Mont-sur-Lausanne (Suisse).

- Nadot, M. (1996). La formation des religieuses hospitalières pour les hôpitaux laïcs de Fribourg en 1759 ...à Lausanne en 1859 (pp. 239-247). In Pédagogie chrétienne, pédagogues chrétiens, Actes du colloque d'Angers des 28,29 et 30 septembre 1995, Collection Sciences de l'éducation dirigée par Guy Avanzini, Paris : éd. Don Bosco.

- Nadot, M. (2001). Dictionnaire historique de l'Education Chrétienne d'expression française, en collaboration avec le laboratoire de Recherche en Education et Formation de l'Institut de l’Université catholique de l’Ouest, Angers/F, sous la direction de Guy Avanzini, René Cailleau, Anne-Marie Audic et Pierre Pénisson. Notices sur:
- V. de Gasparin, fondatrice de la première école au monde d'infirmières;
- L. Germond, fondateur des Diaconesses de St. Loup;
- G. Python, fondateur de la première école d'infirmières d'Etat de Suisse;
- A. Necker de Saussure, pédagogue genevoise du 19e siècle;
- Trois congrégations appelées à prendre en charge une école d'infirmières:
- Sœurs de St. Joseph de Lyon (Fribourg);
- Sœurs de Ste Marthe de Beaune (Sion);
- Sœurs Trinitaires de Valence (Lausanne).
pp. 330-331 ; 332-333 ; 461 ; 549-550 ; 588 ; 659-660. Paris : éd. Don Bosco.

- Nadot, M., Rousseau, N. (2001). La discipline infirmière, mythe ou réalité? La revue de référence Infirmière, Soins hors série, (16-17).

- Nadot, M. (2002a). Médiologie de la santé, de la tradition soignante à l’identité de la discipline (pp. 29-86). In Perspective soignante, 13. Paris : Seli Arslan.

- Nadot, M. (2002b). La professionnalisation du métier et des soins infirmiers, d’une activité soignante profane à une formation scientifique en Haute école spécialisée (pp. 55-65). In Traverse Zeitschrift für Geschichte, Revue d’histoire, 3, Zürich : Chronos Verlag.

- Nadot, M. (2003a). Les soins infirmiers, ça n’existe pas ! Savoirs et pratiques, La revue de l’encadrement et de la formation, Soins Cadres, 46, Paris : éd. Masson.

- Nadot, M., (2003b, Juin).Variation, Mesure des prestations soignantes dans le système de santé, Recherche en soins, 73, Publication ARSI, 116-122.

- Nadot, M. (2003d). Ces « pauvres vulgaires dévouements » qui nous permettent de renouer avec les traditions soignantes (pp. 94-110). In Perspective soignante, 18. Paris : Seli Arslan.

- Nadot, M., Gagnon, J., Dallaire, C., Auderset, P.-B., Nadot-Ghanem, N., Bulliard-Verville, D., Busset, F., Gross, J., Mantel, D., Riesenmey, V. (2004). De la passion du soin à celle de l’activité soignante : une révélation de la complexité professionnelle (pp. 105-126). In Perspective soignante, 19. Paris : Seli Arslan.

- Nadot M. (2005). Au commencement était le « prendre soin ». La revue de référence infirmière, Soins, 700, (37-40). Paris : Masson.

- Nadot M. (2007). Leviers et obstacles à l’activité du chercheur en sciences infirmières. La revue de référence infirmière, Soins, 717, (37-40). Issy-les-Moulinaux : Elsevier Masson.

- Nadot M. (2008). Prendre soin : aux sources de l’activité professionnelle, chapitre 2, (27-51). In Clémence Dallaire (Dir. par). Le savoir infirmier : au cœur de la discipline et de la profession. Montréal : Gaëtan Morin éd.

- Nadot M. (2008). La fin d’une mythologie et le modèle d’intermédiaire culturel, chapitre 14, (359-382). In Clémence Dallaire, (Dir. par). Le savoir infirmier : au cœur de la discipline et de la profession. Montréal : Gaëtan Morin éd.

- Nadot M. (2009). Les constantes des pratiques professionnelles d’hier…au service de la discipline infirmière demain (pp. 107-131). In C. Sliwka et Ph. Delmas (Eds), Profession infirmière : quelle place et quelle pratique à ’avenir ? Perspectives professionnelles, pratiques innovantes, formation universitaire, recherche en soins. Paris : éd. Lamarre et Wolters Kluwer France.

- Nadot, M. (2009, Septembre). L’articulation historiquement ancrée d’éléments sur lesquels repose notre discipline. Recherche en soins infirmiers, 98, (12-18).

- Nadot, M. (2010, Mars). La recherche en sciences infirmières en Suisse. Recherche en soins infirmiers, 100, (94-100).

- Nadot M. (2010, Juin). Construction disciplinaire et épistémologique des sciences dites « infirmières» EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Savoirs et soins infirmiers, 60-010-M-80.

- Nadot M. (2010, Juin). The world's first secular autonomous nursing school against the power of the churches, Nursing Inquiry, 17(2): 118-127. Edinburgh: Blackwell Publishing Ltd.

- Nadot, M. & Nadot-Ghanem, N. Savoir d’où l’on vient. Pratiques, 54, 12-15, Les cahiers de la médecine utopique. www.pratiques.fr.

- Nadot, M. (2011, Décembre). Recherches : Santé et formation, prendre soin au féminin. Cahiers du Musée gruérien, 8, (129-136).

- Nadot, M. (2011, Décembre). Histoire de la profession, une identité fondée sur des mythes. Interview de Michel Nadot, L’infirmière Magazine, 290, 26-27.

- Nadot, M. (2011, Décembre). Le mythe infirmier Ou le pavé dans la mare». Revue Libanaise de l'Infirmière, Issue 2, 81-83.

- Nadot, M. (2012, juin). Recherche fondamentale en science infirmière, la recherche historique sur les fondements d’une discipline. Recherche en soins infirmiers, 109, 57-68.

- Nadot, M. (2013). L’institutionnalisation du prendre soin en Suisse romande : une évolution du savoir à partir d’une économie domestique de type rural (pp. 175-183). In V. Chagnon, C. Dallaire, C. Espinasse, E. Heurgon. Prendre soin : savoirs, pratiques, nouvelles perspectives. (Colloque de Cerisy). Québec : Presses de l’université Laval. Publication identique chez éditions Hermann à Paris.

Nadot, M.; Busset, F.; Gross, J. (2013). L'activité infirmière. Le modèle d'intermédiaire culturel, une réalité incontournable. Paris: De Boeck/Estem.

- Nadot, M. (2014, Décembre). L’enseignement des sciences infirmières : une discipline inaudible à géométrie variable. Recherche en soins infirmiers, 119. (75-84).


LES CONTRIBUTIONS DE L’AUTEUR

Vidéo

Interview de Michel Nadot par Arnaud Peiret

Articles et contributions

Plusieurs conférences soutenues par l'Agence Universitaire de la Francophonie

Comptes-rendus d'ouvrage

À lire - Ni nurse, ni nonne: le mythe infirmier

Comptes-rendus d'ouvrage

Zoom: Une histoire ressuscitée

Vidéo

Histoire de la profession, une identité fondée sur des mythes

Articles de presse

Le savoir infirmier. Avant de le partager, il faut qu'il soit écrit.

Articles de presse

4e Congrès mondial des infirmières francophones à Marrakech

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Entretiens

Articles de presse

L'école du personnel soignant se profile en centre de compétence

Articles de presse

Pour Michel Nadot, les infirmières méritent mieux que le paramédical

LES ARTICLES DE L'AUTEUR

Valérie de Gasparin-Boissier, dans l'ombre de Florence Nightingale.

Citation :
Pourquoi Florence Nightingale occupe-t-elle exclusivement l'historiographie professionnelle? S'il est indéniable que ces écrits ont marqué son époque, on constate aussi que l'on ne parle jamais au sein de la discipline infirmière des écrits de sa rivale.

Conférence de la "journée Source" tenue à la Haute école de santé "La Source" à Lausanne le 11 octobre 2016

Introduction

Dans l'histoire des écoles de soins infirmiers de Suisse romande, Valérie de Gasparin-Boissier apparait en 1933 comme "une femme remarquable dont les idées devançaient le siècle sous bien des rapports (…) Parmi toutes les tentatives d'amélioration du Nursing au XIXe siècle, la plus intéressante et la plus originale se trouve être l'école de La Source, qui précède d'un an celle de Florence Nightingale" (Seymer, 1933, p. 85). Comment une école aussi originale, mentionnée dans des ouvrages sérieux et anciens d'histoire, peut être aujourd'hui quasiment oubliée au plan national suisse ? Comment peut-on exclusivement encore mentionner aujourd'hui Florence Nightingale comme fondatrice d'un nursing se voulant "moderne", sans mentionner celle qui se trouve être à la fois son précurseur et sa rivale ?

Voilà pour exemple ce qui tourne en boucle sur le sujet aujourd'hui. Dans un ouvrage de 2010 sur la pensée infirmière, on présente Nightingale comme "pionnière du nursing moderne dont on reconnaît encore de nos jours les mérites…" (Pépin J, Kérouac S, Ducharme F, 2010, p. 6). Il est encore précisé qu'"accompagnée de quarante infirmières, laïques et religieuses, Florence Nightingale réforme le nursing à l'aide de critères rigoureux" (Ibid. p. 31). Une brochure récente sur la discipline infirmière mentionne aussi que l'on attribue à Florence Nightingale "la définition du nursing moderne…" (Pépin et al., SIDIIEF 2015, p. 18). Même un docteur québécois en sciences infirmières nous indique encore en 2010 que "l'enseignement structuré des infirmières a débuté en Angleterre vers 1860 avec le fondement de la première école de soins infirmiers par Florence Nightingale" (Krol, P., 2010, p. 60).

Pourquoi Florence Nightingale occupe-t-elle exclusivement l'historiographie professionnelle? S'il est indéniable que ces écrits ont marqué son époque, on constate aussi que l'on ne parle jamais au sein de la discipline infirmière des écrits de sa rivale.

L'environnement des soins en 1850

Regardons brièvement de quoi était fait l'environnement des soins à l'époque de Valérie de Gasparin et de Florence Nightingale. L'hôpital au début du XIXe siècle est au service des pauvres, c'est-à-dire des personnes "qui n'ont que leur travail pour vivre" (Nadot, 2012, p. 33). C'est la définition "du pauvre" à l'époque.

D'un côté, on a des institutions privées liées à la Charité pratique de l'Église (l'Hôtel Dieu). Dans ces dernières, on se retire alors du monde pour pratiquer des soins bénévolement selon les doctrines initiales de l'Église catholique. Le bénéfice de l'action est spirituel et céleste.

De l'autre, on trouve des institutions publiques relevant des municipalités (l'épetau, l'hospitaul, l'hospital, La Maison). Dans l'hôpital laïc, on prête serment de bien suivre sa description de fonction et on est payé en espèce et en nature pour les prestations délivrées. Le bénéfice de l'action est économique et terrestre.

Attention au vocabulaire utilisé! Garde-malade qualifie un acteur laïc. Infirmière qualifie un acteur religieux, catholique d'abord, protestant ensuite. Évitons de tout mélanger !

On ne trouve pas d'infirmières dans les hôpitaux laïcs du XIXe siècle. Ce sont des garde-malades accompagnés de serviteurs, domestiques et aides qui sont payés pour y travailler. Le terme garde-malade vient de "gardienne de l'hôpital" utilisé au XVIIIe siècle (Nadot, 2012). Selon le dictionnaire de l'Académie française en 1762, "garder un malade, c'est se tenir assidument auprès de lui pour l'assister dans ses besoins" (DAF, 4e édition 1762, p. 805).

Dans les hôpitaux religieux, ce sont des ENFERmières et leurs aides qui travaillent bénévolement (plus tard infirmières). Le terme "infirmière" est construit sur Enfer, (Mauvais, Malsain, lieux de séjour des démons). Ce terme est issu de la mythologie théologique du IIIe millénaire et repris par la théologie médiévale. Était enfermier celui qui s'occupait des malades dont la maladie était représentée par les démons déposés dans leur corps, lequel se trouvait exposé sans défense à un pareil danger par son dieu, qu'il avait offensé et qui le livrait de la sorte aux exécuteurs de sa vengeance. "Le rôle des démons dans la maladie, la mort, et de ceux qui les approchent, a été mis en rapport étroit avec l'enfer et les démons, à partir du moment où on les a imaginés jouant essentiellement le rôle d'exécuteurs des hautes œuvres des dieux irrités contre les hommes" (Bottéro cité par Nadot, 2012, p. 134). Parfois des traces de cette croyance populaire demeurent dans les représentations et clichés sur la maladie mentale (l'homme habité par le diable, possédé par les démons).

Quelques coïncidences

Lorsqu'on étudie en parallèle le profil des deux dames, on est frappé par quelques coïncidences. En fait, au plan de la personnalité et de leur engagement les deux femmes se ressemblent…mais sur le plan des valeurs, … tout les oppose.

Elles sont polyglottes toutes les deux, au minimum quatre langues…

Valérie de Gasparin est pianiste virtuose. A pris 22 leçons avec Franz Liszt. Florence Nightingale est aussi pianiste.

Au plan religieux, les deux dames appartiennent à la mouvance protestante. L'Église libre du Réveil pour Valérie de Gasparin dès 1836, à la mort de sa mère. Les Unitariens et puséystes pour Florence Nightingale. Elles se réfèrent toutes les deux souvent à Dieu dans leurs écrits.

Valérie de Gasparin rencontre Jean-Charles de Sismondi (historien et économiste) en 1835 (à 22 ans). Il lui fait la préface (3 lignes) de son livre "Voyage d'une ignorante dans le midi de la France et l'Italie". Florence Nightingale rencontre aussi Jean-Charles de Sismondi en 1837 (à 17 ans). Elle reviendra encore le voir en 1839.

Florence Nightingale est aussi impressionnée par Augustin de Candolle (botaniste) qu'elle rencontre à Genève en 1837 (Sinoué, 2008, p. 45). Or, il se trouve qu'Augustin de Candolle est un très cher ami du frère de Valérie (Edmond, grand botaniste) et voisin de la famille Boissier "au Rivage" à Genève (Mützenberg, 1994, p. 45).

Les deux femmes se trouvent toutes les deux à Paris en 1838.
Rue de Courcelles pour Valérie de Gasparin. Place Vendôme pour Florence Nightingale.

Lorsque Valérie de Gasparin est à Genève en 1839 (26 ans), Florence Nightingale (19 ans) va écouter le dimanche matin les conférences publiques d'Agénor de Gasparin (jusqu'à 3000 auditeurs). En 1848, Valérie de Gasparin voyage en Égypte, en Palestine, au Liban. En 1849, Florence Nightingale voyage en Égypte et en Grèce. Les deux femmes rencontrent les mêmes personnalités.

Relevons aussi que voyager en Orient en cette première moitié du XIXe siècle, est très tendance pour l'aristocratie. Il s'agit de découvrir des lieux emblématiques et s'offrir ainsi le luxe du dépaysement" (Tanner & Lambercy, 2015, p. 33). Mais ces voyages ont aussi un coût. Par exemple, pour le voyage de Trieste à Alexandrie via Athènes, Valérie de Gasparin, son mari et deux domestiques vont dépenser, uniquement pour le bateau (Lloyd), 560 francs français, soit environ l'équivalent d'un salaire annuel moyen que touche à l'époque un domestique ou une femme de ménage (Ibid. p. 30).

Valérie de Gasparin a une éducation stoïciste donnée par un précepteur. Elle possède une solide instruction morale, littéraire, musicale et scientifique et apprend la comptabilité en "partie double" pour gérer ses biens (Francillon, 2009, p. 11).

Florence Nightingale a également une solide instruction (langues, histoire, philosophie, mathématiques et musique) donnée principalement par son père. Elle suivra notamment quelques cours supérieurs de mathématiques et de statistiques.

Enfin, les deux femmes font preuve d'un humour tranchant.

Henry Dunant rencontre Valérie de Gasparin et suit ses conseils. Cela débouche sur la mise en œuvre de la première mission internationale de secours le 30 juin 1859, précurseur du C.I.C.R (Il la cite du reste dans ses écrits, Cf. p. 62 de Souvenir de Solferino, 1862). Il semble même qu'il n'était pas indifférent au charme de Valérie de Gasparin et réciproquement paraît-il (Michèle Bokobza, Israël). Henry Dunant semble aussi inspiré par les communiqués de presse sur l'action de Florence Nightingale en Crimée. Tout comme le grand-père de Florence Nightingale, le mari de Valérie (le comte Agénor de Gasparin, député corse de Bastia) est un ardent défenseur de l'abolition de l'esclavage.

À 17 ans (1830), Valérie de Gasparin a une grosse déception amoureuse pour incompatibilité sociale. Suite à cette déception amoureuse avec un jeune violoniste (je l'épouserai ou je mourrai, aurait-elle dit) "un mur d'incompréhension s'élève entre Valérie et sa mère" (Mützenberg, 1994, p. 16). Cela va durer environ 2 ans… Pour faire diversion, la famille part en voyage en 1831 accompagnée de 4 domestiques.

À 17 ans également (1837), Florence Nightingale sombre dans une dépression nerveuse et a des hallucinations auditives, "Dieu l'appelle à Son service". N'acceptant pas que sa mère s'oppose à sa vocation religieuse, elle sera en perpétuel conflit avec elle. Son père jouera le médiateur entre les deux. Pour faire diversion, la famille part en voyage en 1837.

Florence Nightingale est un écrivain prolifique (200 documents, livres, rapports, notices). Valérie de Gasparin également. 81 publications, plusieurs rééditions sans compter sa correspondance privée, ses dessins et notes diverses. Elle fait partie des auteurs célèbres de Suisse romande.

Elle s'insurge contre l'exploitation des pauvres. Florence Nightingale également.

En 1859, elle développe les premiers cours pour infirmières visiteuses. Florence Nightingale le fait également ultérieurement, mais à partir d'un collège technique (Sinoué, 2008, p. 109).
Valérie de Gasparin lit les œuvres de George Sand (baronne Dudevant) et les trouve fatales à l'union, car elles réveillent l'égoïsme féminin (Le Mariage, 1844, pp. 31-33). Ayant aussi pour professeur Franz Liszt, elle connaît indirectement George Sand puisque Liszt et Sand sont amis. De plus, et pour se démarquer de cette femme qui fume la pipe sur la voie publique (Sinoué, 2008, p. 48), Valérie de Gasparin signe parfois ses écrits par …"une femme qui ne fume point".

Par contre, Florence Nightingale semble fortement impressionnée par les œuvres de George Sand, notamment en 1854 par le roman "Gabriel" (Sinoué, 2008, p. 48).

Valérie de Gasparin utilise ses biens propres pour réaliser ses œuvres y compris les frais d'internat et de cours de ses élèves (première école au monde). En vue de pérenniser son œuvre, elle crée une fondation en 1890 et laisse un capital "devant garantir la formation (leçons, pensions, logement, éclairage, chauffage) de 16 élèves internes par an" (Francillon, 1994, p. 114 et 2009, p. 31).

Tout comme Valérie de Gasparin, Florence Nightingale utilise aussi ses fonds propres pour acheter du matériel pour les hôpitaux. Par exemple, la pièce avoisinante de sa chambre "avait l'allure d'un véritable souk où s'empilaient les objets les plus hétéroclites: serviettes, éponges, chemises, flanelles, thé, sucre ou pain". Dans ses demandes de matériel pour assurer la logistique hospitalière en Crimée en 1855, on trouve ainsi: "1000 paires de chaussettes, 10000 flanelles, 10000 chemises, 2000 caleçons, 2000 paires de chaussures, du savon à volonté, des commodes pour ranger les objets, des couteaux, des fourchettes et des cuillères, des noix de coco, 100 coussins, des peignes et des brosses à cheveux, des rasoirs, de l'eau de Cologne, du gin" (Sinoué, 2008, p. 229). Le "nursing moderne" mentionné fréquemment par les livres d'histoire consiste en fait, à fournir un matériel utile à prendre soin de la maison selon les usages d'hygiène et de rangement de l'aristocratie. Avec son argent, elle finance aussi la réfection des sols de l'hôpital. N'a jamais exigé de salaire puisque soigner est une vocation. Arrive aussi avec l'aide d'appuis politiques importants, à lever un Fonds Nightingale pour subvenir aux besoins.

Valérie de Gasparin reçoit deux distinctions de l'Académie française (Prix Monthyon) pour ses écrits. 1843, le mariage au point de vue chrétien, médaille d'or, prix Monthyon et 1846, il y a des pauvres à Paris et ailleurs.

Florence Nightingale reçoit la Croix de l'ordre du mérite par le Roi Édouard VII en 1907. Ce qui nous montre aussi que nous avons à faire ici à deux femmes distinguées.

Désaccords/différences

Valérie de Gasparin a quelques griefs contre les Anglais. Elle écrit le 26.09.1847 (34 ans): "Pour ma part, je me sens le prochain de tout le monde, sauf des Anglais; c'est qu'à vrai dire, ceux-là ne sont le prochain de personne. Il n'y a qu'un Anglais qui laisse son grand corps étendu sur le sofa quand une femme entre dans un salon; il n'y qu'un Anglais qui garde son chapeau sur la tête en la coudoyant; il n'y a qu'un Anglais qui croie se déshonorer en saluant quelqu'un qu'il ne connaît pas; il n'y a qu'un Anglais qui, d'emblée, à la barbe de l'univers, s'empare toujours et partout de ce qu'il y a de meilleur. Je leur en veux bien moins de se montrer impolis, que de forcer à l'être des gens qui n'en ont nulle envie" (V.d.G, 1878, p 9). Or, Florence Nightingale est anglaise.

Les deux femmes sont opposées sur l'utilité des congrégations religieuses. Valérie de Gasparin est contre "l'introduction dans notre Église d'une organisation qui modifie les grandes lois sociales, dont je ne trouve pas trace dans la Bible, et dont je vois l'effrayant modèle dans le catholicisme romain" (Nadot, 1994, p. 85; 2012, p. 174). "Dieu n'a pas réservé l'exercice de la charité pratique à une classe de croyants, pour en soulager l'autre" (V.d.G, 1855, p. 40; Nadot, 2012, p. 178).

Et Florence Nightingale elle, regrette de ne pouvoir rentrer dans l'Église catholique "la meilleure forme de foi que je n'aie jamais rencontrée" dit-elle (Baly, 1993, p. 32). Elle va même s'initier aux soins de charité chez les religieuses protestantes à Kaiserswerth-sur-le-Rhin trois mois en 1851, et chez les sœurs catholiques de Saint-Vincent-de Paul, maison de la Providence, rue Oudinot à Paris, trois semaines en 1853 (Nadot, 1993, p. 370).

L'une favorise le mariage, l'autre est contre. Pour Florence Nightingale "La vie de célibat est celle du Christ". "Souvent les gens me disent: vous ne pouvez pas ressentir ce que c'est que d'être mère ou épouse. Non! Je réponds, je ne le peux pas et j'en suis très heureuse!" (Sinoué, 2008, p. 62). Elle préfère aimer l'humanité à l'amour pour un seul être (Ibid. p. 61). Pour Florence Nightingale, "une nurse n'était plus une nurse dès l'instant où elle se mariait" (Ibid. p. 231).

Pour Valérie de Gasparin, dans le mariage, il y a égalité d'essence homme/femme avec des distinctions de fonction: aux femmes, la sphère privée, aux hommes la sphère publique. Elle a trente ans et est mariée depuis six ans lorsqu'elle écrit en 1843 dans son ouvrage en trois tomes intitulé "Le mariage au point de vue chrétien", "au sein du couple, le pouvoir est accordé aux hommes et l'influence à la femme".

Enfin, soigner est un métier libéral rétribué pour Valérie de Gasparin. Par contre, c'est une vocation pour Florence Nightingale. On comprend mieux l'origine des controverses qui verront le jour ultérieurement sur le sujet.

Valérie de Gasparin semble avoir moins d'appuis politiques prestigieux que Florence Nightingale et ne bénéficie pas de la même caisse de résonance ou médiatique pour ses réalisations ou prises de position. En effet, Florence Nightingale a bénéficié d'une extraordinaire publicité dans les médias durant 22 mois lors de la guerre de Crimée grâce à l'un des premiers correspondants de guerre (Times) de l'histoire de la presse (William Howard Russel).

Alors que les Butini, Boissier, de Gasparin figurent parmi les philanthropes, Florence Nightingale "affirme avec force que la philanthropie est une fumisterie. On soigne les symptômes sans s'attaquer à la source du mal" dit-elle (Sinoué, 2008, p. 107). De plus, si pour Sinoué (2008, p. 108), "Florence Nightingale préfigure la pensée socialiste", on sait que Valérie de Gasparin "voit rouge dès qu'on lui parle de socialisme" (Annette Smith, 1992, p. 48).

Remarquons aussi que Valérie de Gasparin avait tendance à faire un prosélytisme missionnaire actif en lien avec le Réveil protestant. Or, Florence Nightingale "était profondément opposée à toutes les formes de prosélytisme, sans distinction". Par exemple en Crimée "La vue d'une religieuse en train de prêcher la bonne parole au chevet d'un homme en train d'agoniser plongeait Florence Nightingale dans un état proche de l'hystérie" (Sinoué, 2008, p. 232).

Enfin, l'une adore sa mère ; l'autre est en conflit permanent avec sa mère.

Aucun doute ! Valérie de Gasparin a été découverte dans un premier temps par Florence Nightingale. A-t-elle été intriguée par cette femme ? Lit-elle ses écrits ? A-t-elle entendu parler d'elle lors de ses séjours à Genève ? L'a-t-elle croisée lors de réceptions mondaines ? Toujours est-il que dans un deuxième temps, Florence Nightingale va se projeter alors dans un domaine identique de celui de Valérie de Gasparin en se démarquant avec indifférence de cette rivale au plan des valeurs. Il n'est non plus pas d'usage dans l'aristocratie et femmes de la classe cultivée de critiquer ouvertement et publiquement des personnes de même rang.

Des rivalités sur fond religieux

Valérie de Gasparin se distance avec vigueur des ordres soignants religieux et veut donner une formation aux "pauvres vulgaires dévouements" déjà en place dans les hôpitaux (C'est comme cela qu'elle nomme les servantes de la classe populaire déjà en place bien avant l'époque Florence Nightingale).

Par contre, Florence Nightingale qui appartient à la classe cultivée anglicane proche des unitariens, s'inspire des valeurs des ordres religieux catholiques, appuyée en cela par les sympathisants du puseyisme. Elle impose aux laïcs soignants et femmes de bonne famille les attributs et valeurs des congrégations religieuses.

Ainsi, l'uniforme imposé par Florence Nightingale aux laïques à bord du Vectis en route pour la Crimée le 21 octobre 1854, analogue à celui des sœurs grises, est combattu par Valérie de Gasparin. Elle dénonce Florence Nightingale, "cette femme dévote" qui affuble de cet uniforme les infirmières laïques et qui s'associe aux sœurs de la Miséricorde protégée par l'évêque d'Exeter, sud-ouest de l'Angleterre. Elle ajoute que "Miss Nightingale, appelée par les représentants du puséisme dans le gouvernement, choisi au mépris des chrétiens et des chrétiennes évangéliques, compose à sa guise la phalange de garde-malade qui l'accompagnent, elle y fait entrer des femmes mariées, des femmes qui reçoivent un honorable salaire et a revêtu ces simples gardes-malade d'un costume qui proclame la charité" (VdG, 1855, p. 162).

Par contre, pour Florence Nightingale, "les infirmières ne doivent pas être portées à la toilette, que ce soit en uniforme ou autrement" (Baly, 1993, p. 103). Devant ces controverses, Florence Nightingale répliquera: "J'entends dire qu'il existe une guerre religieuse à propos de ma pauvre personne dans le Times et que Mr Herbert a pris ma défense généreusement. Je ne sais pas ce que j'ai fait pour être ainsi traînée devant le public" (Sinoué, 2008, p. 234).

Valérie de Gasparin et son mari, ne comprennent pas pourquoi il faut faire appel aux sœurs pour les hôpitaux plutôt que de former le personnel laïc déjà en place. "Il me suffit de constater que les sœurs sont bien réellement chargées dorénavant de faire ce que d'autres faisaient avant elles et aussi bien qu'elles" (AdG, 1860 in Nadot, 1993, p. 322 ; 2012, p.176).
L'envahissement de la société civile par les congrégations protestantes fait réagir. "Les sœurs mettent la main sur l'ensemble des œuvres de charité; et quand elles se seront emparées de tout, on viendra nous dire sans les congrégations, la chrétienté périssait" (VdG, 1855, in Nadot, 1993, 311). "Laissez faire, et, dans quelques temps, nous n'aurons plus une seule œuvre sans une ou plusieurs sœurs à sa tête. Ce qu'on accomplissait parfaitement avant qu'elles fussent inventées, on ne pourra plus le faire à moins de les appeler" (AdG, 1886, in Nadot, 1993, 322; Nursing Inquiry 2010, 123; Nadot, 2012, p. 181).

Pourquoi remplacer les soignants en place par des congrégations religieuses dont chaque ordre en échange de ses prestations de service touche de la part des autorités civiles, de l'argent qui enrichit la congrégation et surtout, qui n'est pas forcement redistribué aux sœurs. Pour Valérie de Gasparin, "les prestations fournies se payent, et l'argent fait un détour, et passe par la caisse du directeur" (1855, p. 249 in Nadot, 2012, p. 180).

C'est encore le cas pour les prestations de service délivrées par les Hautes écoles aujourd'hui… mais ce n'est plus la "caisse du directeur" qui est concernée, mais celle des Hautes écoles et des finances cantonales…

"Pour Valérie de Gasparin, l'institution des diaconesses de Kaiserswerth qui avait les faveurs de Florence Nightingale, "introduit ses congrégations en Amérique, les inocule à l'Orient", est tout simplement absurde" (Nadot, 2012, p. 173). "L'institution appelle dans son sein des jeunes filles de dix-huit ans, qui les veut célibataires et ne les emploie que telles; qui les soumet où qu'elles aillent, quoi qu'elles fassent a une autorité centrale et souveraine; qui leur impose le renoncement au salaire; qui les enlèvent à leurs familles, qui les soustrait à leurs devoirs naturels, qui les dérobe à la sainte direction d'un père ou d'une mère, qui les revêt d'un costume uniforme, qui les dote d'une appellation monastique: sœur". (VdG, 1854, p. 37), cette institution est "antibiblique, elle maintient l'individu dans une éternelle enfance" (V.d.G., 1855, p. 18 in Nadot, Nursing Inquiry, 2010, 122; 2012, p. 173). Rappelons-nous aussi qu'il n'y a pas si longtemps encore que le terme "schwester" servait à qualifier les infirmières laïques dans la partie alémanique du pays.

Pour Valérie de Gasparin, rentrer dans un noviciat religieux c'est suivre une école absurde ("anormale"), être protégé par rapport aux contraintes de la vie et être en retrait du monde. L'école "anormale" est religieuse et met la femme à l'écart du monde. Elle se positionne sur le sujet de manière probante. "Vous gardez l'individu sous tutelle, tant qu'il fait partie de votre corporation il renonce au gouvernement de soi-même (…) L'institution monastique est définitive, les frères et les sœurs y rentrent enfants, ils y restent enfants ; l'institution monastique nous retient dans les langes, elle nous veut éternellement débiles, éternellement mineurs ; elle établit une sainte et perpétuelle tutelle des âmes, des intelligences et des volontés" (1854, 282). Vous plumez vos oiseaux pour les retenir sous vos ailes ; l'école normale jette les siens hors du nid, elle leur apprend à voler en les lançant dans le vide. L'employé reçoit son salaire, se marie ou ne se marie point mais est maître de lui ; il possède un chez-soi où il va se retremper à son gré dans ses loisirs, il est homme, il est comme tout le monde, et c'est pour cela qu'on ne l'appelle pas frère, mais tout simplement instituteur, infirmier, gardien : il n'y a rien de nouveau, rien de particulier dans son fait, il marche dans le chemin commun. Voilà ce qui fait qu'une école normale est une école normale, et que vous êtes une corporation monastique" (1855, 20; Nadot, Nursing Inquiry 2010, 123; Nadot, 2012, pp. 176-177).

Face aux écoles "anormales", il faut créer une école normale

On comprend mieux dès lors pourquoi il faut créer "La Source" en tant qu'école modèle. L'origine du terme "Ecole normale" mérite d'ailleurs attention. Il suit l'évolution des mots de la famille de norme et commence avec le latin norma, qui a le sens de "équerre" (qui mesure la droiture d'une construction), puis acquiert le sens figuré de "ligne de conduite, règle". Dans l'expression école normale, l'adj. Normale a le sens de "qui sert de modèle" d'après le sens du latin norma (v. norme) "ligne de conduite, prescription, école qui doit servir de modèle".

Pour comprendre le vocabulaire utilisé, regardons quel est le réseau d'influence de Valérie de Gasparin. Dans la période qui précède, le projet de créer une école pour soignantes laïques (entre 1837 et 1848) (24-35 ans) Valérie de Gasparin vit beaucoup à Paris où elle aura l'occasion de fréquenter la Bourgeoisie protestante et la Cour du Roi Louis-Philippe. Elle échange et discute avec les meilleures familles sur le statut de la femme dans la société, et participe à différents débats, notamment sur les écoles normales et les méthodes d'enseignement mutuel discutées au sein de la famille de François Pierre Guizot, Ministre de l'instruction publique sous Louis-Philippe et chez lequel Valérie était invitée avec son mari. (Valérie de Gasparin était impressionnée par Madame Guizot (mère) "objet de vénération et d'attrait" Nadot, 1993, p. 564). Proche des milieux protestants de l'éducation en France, Valérie de Gasparin était donc imprégnée des discussions sur l'école, l'école normale et la pédagogie du mode mutuel (Bell, Lancaster, Carnot, Guizot). Du reste, "école normale" apparaît à l'article 11 de la loi Guizot du 28 juin 1833 sur l'instruction primaire. Mais Valérie de Gasparin n'avait aucun intérêt à imiter les écoles d'instituteurs ou former des enseignants. C'est une école modèle qu'elle voulait proposer à la société civile pour former aux soins.

Pour Valérie de Gasparin, les écoles normales "préparent l'individu pour le gouvernement de soi-même ; invariablement elles le rendent à la liberté ; elles l'émancipent jusqu'à l'âge où il doit se mesurer avec la vie. L'école est une école, c'est-à-dire un établissement essentiellement transitoire ; les élèves y entrent très jeunes, y achèvent une éducation qui, une fois terminée, les laissent en face de tous les devoirs et de tous les droits d'hommes faits" (1854, p. 282 ; Nadot, 1993, p. 333 ; 1994, p. 88 ; 2012, p. 183-184).

Valérie de Gasparin est convaincue qu'il n'est pas besoin de devenir "Sœur" et de se retirer du monde pour se former aux pratiques de soins. Il faut donc créer une école normale pouvant servir de modèle à la société civile pour assurer les soins dans la cité. Un nouvel espace de parole distinct de celui de l'hôpital va voir le jour. Dans son école, on peut former les femmes qui ne désirent pas devenir sœurs pour donner des soins à domicile dans une pratique libérale. Il faut apporter de l'aide au sein des familles et ne pas envoyer tout le monde à l'hôpital.

Cette idée fait déjà partie des réflexions de son beau-père Adrien (Préfet de Lyon, Pair de France, Ministre Secrétaire d'État de l'intérieur) dans un rapport fait au Roi Louis-Philippe le 5 avril 1837. "Il est certain que le système des hôpitaux à l'inconvénient de détruire les liens de famille (…) On peut se demander s'il ne faudrait pas les remplacer par un système de secours à domicile mieux entendu" écrivait Adrien de Gasparin à la page 16 de son rapport. Dans cette logique, on garderait les hôpitaux pour les malades et on développerait les soins à domicile pour les infirmes et les vieillards.

Pour Florence Nightingale et ses pensées mystiques, "la vie de célibat est celle du Christ" (Sinoué, 2008, p. 62), et "le sexe est synonyme de perdition" (…) "une nurse n'était plus une nurse dès l'instant où elle se mariait" (Ibid. p. 231). Elle portera alors, un an après Valérie de Gasparin, sa réflexion sur la vocation à avoir pour pratiquer des soins hospitaliers en plaçant cette action comme "un bien pour Dieu seul".

L'école anglaise placée au sein de l'hôpital St Thomas est avant tout un lieu d'apprentissage en milieu hospitalier où on exploitait les stagiaires placées sous l'autorité d'un "véritable cerbère et femme sans âme (Miss Sarah Wardroper) dépourvue de tout sens pédagogique" (Sinoué, 2008, p. 124), "qui ne sait rien et qui ne comprend rien" (Baly, 1993, p. 87). Cette école fournit un "courant incessant de stagiaires dévouées de bonne famille, corvéables à merci, et qui fournissait une main-d'œuvre bon marché à l'hôpital" (Baly, 1993, p. 86) sous l'autorité d'une matrone incompétente (Wardroper) et d'un médecin alcoolique (Whitfield).

L'écriture sur les soins et ses différents rapports permettent cependant à Florence Nightingale de se faire une place auprès des hommes, notamment en utilisant les statistiques.

Réalisations, innovations

À 46 ans, Valérie de Gasparin crée "l'école normale évangélique de garde-malades indépendantes" de Lausanne (nom d'origine de l'école). Un nouvel espace de parole distinct des institutions existantes se met en place. C'est le deuxième champ pratique de la profession, celui de la formation, qui voit le jour. Le discours à l'école n'est alors pas forcement le même que le discours se tenant à l'hôpital. À l'école on s'intéresse aux finalités de l'institution, à la représentation des formés, à l'évaluation de leurs compétences et à la logique d'exposition des savoirs. L'école va devenir un modèle de référence et les élèves trouveront facilement du travail dans plusieurs villes. En 1867 par exemple, elles sont demandées en France: Pau, Bordeaux, Nantes, Paris, Nîmes, Lyon. En Suisse: Genève, Lausanne, Neuchâtel, St Imier, Le Locle, Tavannes. En 1899 elles travaillent à Belfort, Mulhouse, Sèvres, Avenches, Montreux. En 1900, les candidates à l'école affluent d'Italie, de France, d'Angleterre, de Hollande, d'Allemagne, de Russie, de Bulgarie, de Suisse allemande autant que Suisse française (Krafft, 1901). Des écoles analogues à "La Source" voient le jour à Bordeaux, Paris, Berne, Zurich (Krafft, 1900).

Avec la pratique de formation, de nouveaux acteurs pédagogiques sont institués (les monitrices). Nous quittons alors la période profane des savoirs caractérisée par un apprentissage sur le tas en milieu hospitalier, pour passer à la période protodisciplinaire du savoir exposé à partir d'une école. Pour ce faire, on rédige alors des manuels "à l'usage de" comme on disait à l'époque. À l'usage de la garde-malade ou de l'infirmière.
Pour les besoins de la formation et sur conseil de médecins de son entourage, Valérie de Gasparin va rattacher à son école une clinique (pour y faire notamment de l'enseignement clinique). Elle loue à un médecin-chirurgien (Charles Krafft, pionnier de l'appendicectomie), alors nouveau directeur de l'école, un ancien appartement qui sera transformé en clinique (Clinique de Beaulieu) d'environ 8 lits. L'école va donc posséder une clinique dans laquelle les soignantes pourront se familiariser avec les soins aux malades et en retour le Dr Krafft bénéficiera de personnel bon marché pour faire fonctionner sa clinique. Dans cette école-hôpital, l'hôpital est donc au service de la formation. En Suisse romande, au début du XXe siècle, trois écoles se situaient hors de toute enceinte hospitalière lors de leur création (La Source à Lausanne, 1859 ; Le Bon Secours à Genève, 1905 ; L'école de Fribourg, première école d'État 1907-1913).

Mais l'innovation ne s'arrête pas là. En 1894 les répétitions de cours sont alors confiées à une très bonne élève, diplômée depuis quatre mois, Sophie Maeder. Cette innovation pédagogique qu'est "la monitrice" est quasiment passée inaperçue au sein de la profession.
Actrices nouvelles dans le champ pédagogique lié au mode mutuel, les monitrices n'ont pas pour mission de produire de nouvelles connaissances comme c'est le cas pour les professeurs des hautes écoles ou des facultés de sciences infirmières d'aujourd'hui. Elles ne publient pas. Elles assurent pour l'essentiel une fonction de répétition des savoirs conformes aux valeurs dominantes en vue d'en permettre l'assimilation par les élèves. Cette forme d'enseignement va se perpétuer alors jusque vers les années 1980 en Suisse et en France encore aujourd'hui, cette situation perdure avec notamment avec le statut de formateur.

Florence Nightingale, elle, utilise un espace existant, celui des hôpitaux militaires de Crimée pour dénoncer et mettre en ordre, notamment à partir de statistiques et de diagrammes circulaires ce qui relevait d'un "chaos sanitaire". À 40 ans, elle utilisera encore l'espace hospitalier pour ouvrir une école le 9 juillet 1860, à l'hôpital St Thomas de Londres (GB). L'apprentissage est alors dépendant des "superintendents" et autres surveillantes générales. Nous avons ainsi le modèle de l'hôpital-école dans lequel l'apprentissage est au service de l'hôpital comme nous l'avons vu précédemment. Dans ses écrits, Florence Nightingale distingue ce que sont ou ne sont pas les soins infirmiers (nursing) et rappelle que "moins l'infirmière possède des connaissances médicales, mieux cela vaut, car cela risquerait d'entraver ses pratiques sanitaires" (Baly, 1993, p. 75). Entendez par là, l'hygiène, la propreté, les nettoyages.

La fin et l'héritage

À l'âge de 58 ans (mort de son mari, 14 mai 1871), Valérie de Gasparin se cloître durant 2 ans dans sa propriété genevoise "Le Rivage" à Chambésy. Repliée sur elle-même par la suite, elle continue cependant d'écrire et d'entretenir des relations ponctuelles avec ses élèves. Décrite comme "sectaire, ou psycho-rigide" par certains, elle est aussi femme d'écriture, femme de parole, femme de polémique, femme d'engagement, femme d'action pour d'autres (Wallach-Barbey, 2009). Augustin Filon critique littéraire français, en 1889 voyait quant à lui, Valérie de Gasparin comme "une brave dame un peu folle" (Mützenberg, 1994, p. 217).

À l'âge de 37 ans, Florence Nightingale adopte une attitude "catatonique" et se replie sur elle-même durant 54 ans tout en continuant d'écrire et de donner son avis sur les questions qui lui tenaient à cœur. À défaut de pouvoir entrer dans les ordres, Florence Nightingale en 1857 fait de sa résidence le couvent où elle a toujours voulu entrer" (Sinoué, 2008, p. 289). Elle est décrite par ses proches comme instable, tourmentée, nerveuse, dévote, fantasque, hystérique ou dépressive. Marquée par la figure de son père qui lui a permis d'accéder au savoir des hommes, apparemment refoulée sexuellement dans une société puritaine, elle consacrera sa vie avec exubérance et sous forme de pulsions. En 2005, le Dr Katherine Wisner, psychiatre, épidémiologiste, responsable de la clinique psychiatrique de l'université de médecine à Pittsburgh (USA) mentionne que Florence Nightingale est atteinte d'un "trouble de la personnalité, une bipolarité à dominante maniacodépressive, à la limite de la schizophrénie" (Sinoué, 2008, p. 287).

Les traces laissées à la postérité semblent beaucoup plus nombreuses chez Florence Nightingale que chez Valérie de Gasparin. Elles n'ont effectivement pas eu la même audience médiatique et Florence Nightingale était entourée de beaucoup plus de membres influents que ne l'était Valérie de Gasparin. Malgré leurs divergences, ces deux femmes laissent derrière elles aujourd'hui deux institutions aux finalités quasiment identiques.

La "Florence Nightingale School" qui fait aujourd'hui partie du Collège Royal de Londres et la Haute école de santé "La Source" qui est aujourd'hui l'un des sites de la Haute école spécialisée de Suisse Occidentale (HES-SO).

On n'a pas la preuve que les deux femmes se soient parlé à Paris ou à Genève lors de séjours simultanés. Mais l'une a forcément entendu parler de l'autre. Valérie de Gasparin fait explicitement référence à Florence Nightingale dans ses écrits. Florence Nightingale apprendra elle, comme elle le dit, à "louvoyer entre les huées protestantes et la tempête catholique romaine" (Baly, 1993, p. 35).

Les deux femmes vont donc utiliser leur fortune pour améliorer la qualité des soins et l'enseignement. L'une issue de l'aristocratie anglaise en complétant l'équipement de base des hôpitaux militaires anglais, en développant l'hygiène, la prévention et la prise en compte du quotidien de vie des personnes soignées. L'autre, appartenant par mariage à la noblesse française, en créant la première école modèle (normale) au monde pour soignantes laïques en vue de préparer les élèves pour l'exercice des soins à domicile selon une pratique libérale.

Avec un profil et des intérêts relativement analogues, mais cependant pollués de quelques rivalités larvées et d'une concurrence entre mondaines, les valeurs qui opposaient les deux femmes les rendent plutôt complémentaires. Il est difficile de classer Valérie de Gasparin dans des grands courants de pensée. Valérie de Gasparin "échappe aux définitions de son sexe" (Smith, 1992, p. 53). Elle demande seulement "à faire craquer le moule du type dans lequel elle se sent enfermée" (Ibid.) Elle a l'habitude de changer de ton et de genre sans complexes dans ses écrits. Selon ses critiques littéraires, elle "a la vertu gaie, voire franchement drôle, passe sans embarras de la révérence au vaudeville et vise juste. Elle est à l'aise dans son corps et totalement présente dans le moment (…) dans son œuvre comme dans sa vie, elle fut une femme engagée" (Smith, 1992, p 51).

L'une a une connaissance du terrain et laisse des écrits professionnels, l'autre connait le terrain par évènements interposés et laisse des écrits littéraires porteurs de valeurs. Victor Hugo disait à Valérie de Gasparin en 1867… "…Vous racontez, vous enseignez, vous méditez, vous charmez. Je n'ai pas toutes vos idées, vous le savez, Madame, mais j'ai presque la vanité que j'ai tous vos goûts (…). Les sots et les mauvais abondent, hélas! Et continuent d'écrire. Vous avez une fonction. Il y a ici-bas beaucoup d'hommes dont une femme comme vous nous console. Je me mets à vos pieds, Madame" (Nadot M., 1994, p. 82; 2010, 126; 2012, p. 190).

Conclusion

C'est donc sur fond de polémique religieuse autour des symboles de la charité, entre les églises catholiques, protestantes et anglicanes, entre femmes consacrées et pieuses laïques, entre institutions religieuses et institutions civiles, entre femmes soumises et femmes émancipées, entre femmes de la classe cultivée et femmes de la classe populaire, que Valérie de Gasparin va affronter le monde pour ouvrir son école (Nadot, 2012, p. 189). Ces polémiques reflètent probablement les changements de société et la modernité hospitalière en train de naître.

La profession infirmière est donc redevable aux deux femmes et non à une seule. N'en présenter qu'une prise isolément ne fait que de reconduire l'incomplétude de l'histoire professionnelle déjà malmenée par une série de mythes fondateurs. Nos deux héroïnes permettent à la classe cultivée d'entrevoir des perspectives professionnelles humanistes dans le domaine des soins. En effet, jusque-là, les soins étaient donnés dans le domaine public soit par des servantes (le commun du peuple) ou des gens ordinaires (la classe populaire). La formation se doit alors "d'être sans danger pour les filles de bonnes familles" (Sinoué, 2008, p. 125).

Avec Florence Nightingale on a les premiers écrits sur ce que sont les soins. On améliore à l'aide de statistiques et de rapports sérieux l'organisation des hôpitaux, l'hygiène et le nursing au plan de l'image et des représentations. Elle a su en effet s'entourer d'alliés influents pour défendre sa cause.

Avec Valérie de Gasparin on passe de l'apprentissage sur le tas à une formation spéciale donnée dans une école. "Selon elle, c'est d'une excellente formation et d'un salaire décent que les gardes-malades ont surtout besoin" (Moreillon, 2014). On est donc loin de toute idée de vocation ! Avec la mise en place de cette école modèle qu'est "La Source", on quitte la période profane du savoir pour rentrer dans la période protodisciplinaire de ce dernier. Un nouvel acteur pédagogique est institué (la monitrice). Il va perdurer jusqu'à la fin du XXe siècle. On fonde surtout une lignée d'écoles laïques, dont certaines aujourd'hui sont des facultés universitaires ou des hautes écoles en sciences infirmières.
Plus besoin d'invoquer la vocation, le fait de devenir sœur, le don de soi et se retirer du monde pour se former au sein de la discipline infirmière. La Haute école de santé "La Source" à Lausanne en tant que l'un des sites aujourd'hui important de la Haute école spécialisée de Suisse Occidentale (HES-SO) est heureusement encore là pour nous le rappeler.

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Références bibliographiques

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Signature :
Michel Nadot

Avec Valérie de Gasparin on passe de l'apprentissage sur le tas à une formation spéciale donnée dans une école. "Selon elle, c'est d'une excellente formation et d'un salaire décent que les gardes-malades ont surtout besoin" (Moreillon, 2014). On est donc loin de toute idée de vocation ! Avec la mise en place de cette école modèle qu'est "La Source", on quitte la période profane du savoir pour rentrer dans la période protodisciplinaire de ce dernier. Un nouvel acteur pédagogique est institué (la monitrice). Il va perdurer jusqu'à la fin du XXe siècle. On fonde surtout une lignée d'écoles laïques, dont certaines aujourd'hui sont des facultés universitaires ou des hautes écoles en sciences infirmières.
Plus besoin d'invoquer la vocation, le fait de devenir sœur, le don de soi et se retirer du monde pour se former au sein de la discipline infirmière. La Haute école de santé "La Source" à Lausanne en tant que l'un des sites aujourd'hui important de la Haute école spécialisée de Suisse Occidentale (HES-SO) est heureusement encore là pour nous le rappeler.

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La construction d'une discipline

Citation :
C'est au travers d'un long processus toujours historique que le savoir, sort du sens commun, se spécialise, s'applique, se partage, se transmet, se distingue, se construit, se segmente, se développe, et en fin de compte se fait reconnaître comme discipline intellectuelle par la société, notamment lorsque cette dernière cherche à bénéficier de connaissances pour apporter quelques solutions aux problèmes de la vie courante.

La discipline infirmière aux frontières des autres discipline.
Colloque doctoral scientifique international de Crêt Bérard Puidoux (Suisse) du 10 au 14 juin 2014

Signature :
Michel Nadot

Dans l'espace-temps déterminé par le milieu du soin, c'est le mouvement qui fait le lien par interactions coopératives entre les personnes et les objets. Les médiations techno-culturelles qui existent réunissent entre eux les différends domaines de la discipline, et permettent de proposer un troisième énoncé métaphorique. C'est la métaphore de la navette du tisserand. Dans l'espace-temps du soin, c'est le mouvement qui fait le lien, les infirmières courent partout. Entre la trame bobinée (notre discipline) sur une navette et la chaine du tissage, il y a la navette qui transporte la trame. C'est la partie la plus mobile et la plus indépendante du métier à tisser. Une navette statique ne sert à rien. L'étoffe est le résultat de la rencontre de la chaine, de la trame et du mouvement de la navette. Donc, l'étoffe, qui peut être de qualité variable, est le résultat de l'activité de la navette, tout comme l'amélioration de l'état de santé d'une société est le résultat qui apparaît entre l'activité et le langage de l'infirmière médiologue de santé et son lien avec l'institutionnalisation du soin et les interactions coopératives qui s'y déroulent. Une infirmière médiologue de santé se repère aussi à la faculté de se mouvoir dans le système (Nadot, 2013, 141-142).

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La profession infirmière, au cœur du système de santé 18 novembre 2016 Conférence de Dr Michel Nadot, inf. Ph D

2e congrès international de la faculté des sciences infirmières Université Saint-Joseph, Beyrouth (Liban)

Mesdames, Messieurs, chers collègues, chères étudiantes…

introduction
Je suis très honoré d'intervenir dans ce 2e congrès de la Faculté des sciences infirmières de l'université St Joseph de Beyrouth et c'est bien sûr avec plaisir, que je vais aborder le sujet du jour, intitulé judicieusement "la profession infirmière, au cœur du système de santé". Par une perspective cognitiviste et pragmatique, je vais rappeler ce qui caractérise les trois grandes époques historiques de la discipline infirmière. Ces époques comprennent tout d'abord l'époque du savoir profane (de la naissance des hôpitaux jusqu'au milieu du XIXe siècle), suivie par celle du savoir protodisciplinaire (de 1859 à la moitié du XXe siècle selon les pays) et enfin, l'époque du savoir scientifique, qui voit le jour dès le moment où l'état et l'université demandent officiellement aux professeurs de l'enseignement supérieur, de faire de la recherche scientifique et d'en publier ses résultats.

À une époque où le système de santé n'existait pas encore, il y avait déjà des hôpitaux et des soins à donner. L'activité soignante dès le début, est alors analogue à celle représentée par les remous qui figurent sur l'affiche du congrès. Ces remous symbolisent, aujourd'hui encore, l'environnement qui tourne autour de l'infirmière qui en occupe le centre. Dans l'hôpital médiéval public, il y avait déjà des soignants qui exerçaient leur métier au cœur du dispositif institutionnel. À l'époque profane du savoir, il fallait comme le disent les textes en Europe, "protéger la société civile contre les défauts qui pouvaient menacer sa tranquillité". À l'hôpital de Fribourg (Suisse) en 1759, les défauts étaient par exemple, "le manque de biens, le manque de forces et le manque de santé".

Les termes "la Maison" (Domus) ou "le Ménage" présents dans les écritures, servent souvent à qualifier un hôpital et son organisation. Michel Foucault nous rappelle aussi, que "l'hôpital général n'est pas un établissement médical aussi bien dans son fonctionnement que dans son propos" (Foucault, 1972, p. 61). Pour exemple, vous voyez à l'écran quelques premiers hôpitaux. 3 sont laïcs et non médicalisés. Fribourg en 1606, Toronto en 1819, Yverdon (Suisse) en 1861, et, … près d'un siècle plus tard, un est religieux et médicalisé, L'hôtel-Dieu de France à Beyrouth en 1923.

On comprend ainsi pourquoi, apparaissent les termes "sciences domestiques" à la fin du XIXe siècle aux USA ou "sciences ménagères" en Europe au début du XXe siècle pour qualifier les orientations du "prendre soin". C'est effectivement autour de l'activité domestique et des qualités requises pour tenir un ménage y compris prendre soin des siens, que l'aventure institutionnelle du soin commence. Mais ce n'est de loin pas, comme on va le voir, une activité domestique ordinaire.

Prendre soin de l'homme et de son espace de vie, ainsi que des proches liés à son cercle d'appartenance, fait déjà l'objet de descriptions de fonctions et d'une rémunération au sein de l'hôpital laïc médiéval. Les fondements profanes pour "prendre soin" sont déjà au cœur de l'hôpital, bien avant que la médecine ne s'invite en ces lieux ou que l'Église n'y trouve un moyen de rechristianiser une société en voie de déchristianisation. Dans cette gravure qui date de 1582, on peut déjà voir des soignantes à l'œuvre dans une pratique d'hygiène et de réfection des lits. Pasteur n'est pas encore né, mais l'on sait que si on expose la literie au soleil, cela peut ralentir l'incrustation de la vermine. On y voit aussi quelques menuisiers qui confectionnent des cercueils. Ces cercueils s'empilent devant l'hôpital sans choquer les habitants du quartier. La mort à cette époque n'est pas escamotée et fait partie de la vie. Cette vie justement, est aussi symbolisée par la pinte (on dirait la cafet' aujourd'hui) dans laquelle quelques habitants de l'hôpital en profitent pour rencontrer leurs connaissances et maintenir le lien social. C'est dans cet espace-temps institutionnel singulier, représenté par l'hôpital, que le langage soignant profane a vu le jour. Historiquement, la première typologie profane du savoir disciplinaire est représentée par le triptyque "domus, familia, hominem".

Avec "Domus", il faut prendre soin de la vie du domaine.
Ce premier système de pratiques va guider de manière prescriptive l'action soignante. Il se rapporte aux finalités institutionnelles, à l'économie domestique et à la relève professionnelle. Il faut veiller à l'ordre, à la discipline, à la gestion du personnel, au quadrillage du temps, de l'espace et des mouvements et transmettre ses connaissances par oral. Cette fonction du rôle professionnel est une fonction d'institutionnalisation déléguée aux "gouvernantes" du passé par les autorités de l'hôpital. Aujourd'hui, les étudiantes sont confrontées aux exigences de cette fonction lors de leurs stages en milieu institutionnel. Dans le passé déjà, cette fonction d'institutionnalisation réclamait des compétences notamment pour communiquer, transmettre des informations écrites et orales, accueillir, rassurer, informer, rendre des comptes sur ce qui était consommé, gérer le matériel, contrôler les mouvements des "habitants" de l'hôpital (entrées, sorties, transferts) et assurer la transmission des connaissances.

Avec "Familia", il faut prendre soin de la vie du groupe.
Ce deuxième ensemble de pratiques se réfère à la vie et aux exigences du travail en collectivité. Prendre soin de la vie du groupe détermine des pratiques d'expérience dont les bénéficiaires sont aussi bien les collaborateurs de l'hôpital que les pensionnaires qui y vivent ou qui transitent par l'hôpital. Les étudiantes aujourd'hui, développent aussi ce type de compétences lors de leurs stages dans les institutions de santé. Prendre soin de la vie du groupe suppose une rencontre avec divers interlocuteurs, une gestion et une coordination des informations dans l'espace et le temps, une coordination des mouvements, une promotion de l'ordre, une prévention du chaos, contrôler, encadrer et si possible, résoudre quelques conflits relationnels. Prendre soin du groupe n'est pas un "accident". C'est déjà une activité régulière qui demande de l'expérience et des compétences.

Enfin, avec "Hominem", il faut prendre soin de la vie de l'homme.
C'est une activité relationnelle de proximité, éducative et sanitaire. Il est impératif de prendre soin de la vie de l'homme lorsque les conditions adverses à la vie le menace. Assurer la survie, prévenir les maladies ou aider à les surmonter, accompagner la mort, aider à retrouver des forces et de la dignité, aider à retrouver l'espoir et la confiance en soi sont déjà des compétences réclamées aux soignants de l'époque profane du savoir. Elles demeurent encore aujourd'hui…mais combien valent-elles au plan économique ? Offrir aux personnes soignées un réconfort et avoir les compétences d'entretenir avec eux aussi bien la vie que la raison de vivre a toujours été au cœur du métier. Cette pratique de type "hominem" est une pratique que l'infirmière exerce de son propre chef et qu'elle peut déléguer à ses auxiliaires. L'on parle habituellement pour nommer ce groupe de pratiques, de la fonction indépendante du rôle professionnel. Cette prestation de service est offerte vingt-quatre heures sur vingt-quatre quel que soit l'âge, la culture ou le sexe de la personne soignée et quelle que soit l'organisation de santé de laquelle elle dépend.

Prendre soin de la vie avec le triptyque de l'époque du savoir profane est toujours présent en arrière-plan dans l'activité quotidienne de l'infirmière aujourd'hui. Mais l'hôpital a bien changé. Ce triptyque de l'activité soignante comme on le croit parfois, ne dépend en aucun cas d'un mandat ou de prescriptions médicales. Mais on dirait qu'il est complètement absent des coûts de la santé alors qu'il a fait l'objet d'une transmission intergénérationnelle de savoirs depuis que l'hôpital existe. Ce sont en effet toujours les plus anciens qui ont transmis leurs expériences aux plus jeunes. Aujourd'hui, l'environnement des soins reste fait de structures, de relations humaines et sociales liées à la vie institutionnelle quotidienne. Selon la philosophie pragmatique, on peut même dire que l'environnement est le moyen qui donne au prendre soin ses caractéristiques propres sur le plan institutionnel. Le savoir profane s'exprime donc déjà "à travers un langage qui véhicule des catégories culturelles, des représentations sociales, des notions morales, et se structure en fonction de l'histoire et de la culture propre au groupe dont il est issu" (Dallaire, 2008, p. 56).

Avec le développement des systèmes de santé, l'évolution sociale et technologique de nos sociétés, l'augmentation des coûts et la marchandisation de la santé, le prendre soin institutionnel aujourd'hui est tout autre. Une grande partie de l'activité soignante du secteur tertiaire, celui des services dans lequel nous sommes, est financée économiquement sur l'air du "ça va sans dire", raison par ailleurs qui pourrait expliquer la non-prise en compte des pratiques relationnelles de soins dans la productivité analytique institutionnelle et ses coûts.

Avec la création des deux premières écoles de soins, nous rentrons dans la période protodisciplinaire du savoir, qui va de la création des premières écoles, au développement de la formation universitaire. Dès 1859, deux modèles vont se trouver en concurrence. L'un, où l'hôpital est au service de la formation laquelle se donne alors dans une école. L'autre, dans lequel l'apprentissage se fait à l'hôpital et se trouve ainsi au service de ce dernier. Pour Valérie de Gasparin-Boissier, soigner est un métier libéral. Pour Florence Nightingale, soigner est une vocation. Des tensions, des controverses, des mélanges de valeurs, des polémiques s'opèrent alors entre différentes classes sociales et les pratiques de l'infirmière finissent de se structurer progressivement autour de trois systèmes culturels ayant chacun leur dynamique propre. L'infirmière va alors avoir son activité au centre de ce dispositif. L'époque protodisciplinaire est marquée notamment par la prolifération d'ouvrages et de manuels d'enseignement dans lesquels on indique exclusivement à qui s'adresse le savoir délégué par ceux qui le produise. "À l'usage de l'infirmière" disait-on à l'époque… Citons pour exemple le précis "d'anatomie et de Physiologie à l'usage des infirmières" (Dr Lacombe), manuel de "pathologie médicale à l'usage des infirmières" (Dr Molinier), "manuel de l'infirmier en psychiatrie" (Dr Bernard), manuels qui sont autant de véhicules produits par les médecins pour déléguer leurs connaissances. L'expression "à l'usage de"…montre explicitement que le savoir est délégué à un groupe subalterne qui n'a pas le pouvoir de publier ses propres savoirs. Ceux qui publient font le bonheur des maisons d'éditions médicales. Pour exemple, les connaissances en anatomie et en physiologie déléguées aux infirmières par le Dr Lacombe, publié chez Lamare, en est aujourd'hui à sa 31e édition (!!!). Durant la période protodisciplinaire de la discipline, on ne parle pas encore, ni de discipline ni de science infirmière. Au plan du langage, ce sont les techniques de soins, les plans de soins et les soins aux malades qui dominent. C'est aussi durant cette période protodisciplinaire que l'infirmière essaye sociologiquement de passer du métier … à la profession. Au début de cette période, elle occupe encore le centre du système de santé et fait presque tout à l'hôpital aidée par les aides-infirmières. Elle a des activités de laborantine, de diététicienne, de manipulatrice en radiologie, elle est narcotiseuse, masseuse, ergothérapeute, infirmière-visiteuse, assistante sociale, travaille comme instrumentiste à la salle d'opération, assure les urgences et doit souvent comme en 1933 en Suisse, "habiter l'hôpital même, afin de s'initier aux services de jour et de nuit, et rester constamment à la disposition des infirmières-chefs" (Direction CRS, BGM, 1933, p. 150).

La période protodisciplinaire du savoir infirmier rentre dans sa phase terminale aux environs des 4/5e du XXe siècle (variable selon les pays). Les pratiques de soins apparaissent alors comme des prestations de service. Il faut dès lors se rappeler que dans une prestation de service, ce sont toujours les bénéficiaires de la prestation qui livrent l'information verbale ou non verbale utile à la conception et à la production du service. Qui sont alors les bénéficiaires ou les clients de l'activité professionnelle ? De plus, l'élément majeur du management de service est l'existence du client dans le système. Le client a deux statuts non exclusifs l'un de l'autre ; il peut être cible ou ressource. Conséquence directe de ce qui précède, si l'on veut chiffrer, mesurer, quantifier le volume ou la charge de travail des infirmières, il faut remonter à l'information verbale ou non verbale qui déclenche la prestation de service offerte, et non essayer de saisir a posteriori seulement ce qui est fait en vue d'en définir des coûts standards par forfaits. L'information qui circule dans un milieu de soins "a de la peine à se plier à des protocoles, des standardisations et des routines présentées comme sécurisantes, dans la mesure où l'on ne connaît jamais à l'avance ni la nature du message, ni son intensité, ni le moment auquel il sera délivré" (Nadot, 2013, p. 81).

Dans ce schéma qui date de 1992 (Nadot, 1992, p. 30) et qui a été validé scientifiquement en 2002, on voit que l'infirmière, dans sa posture d'intermédiaire culturelle, capte des informations verbales et non verbales en provenance de l'ensemble des signaux émis par l'environnement de travail et les bénéficiaires de la prestation de service. Nommées "SC" pour système culturel, ces informations apparaissent par écrit au plan institutionnel dans un ordre chronologique particulier 1, 2, 3, 4. SC4 apparaît alors, comme une construction socioconstructiviste de compétences à partir de trois sources principales de connaissances.

Comme le démontraient fort bien il y a 17 ans déjà Grosjean & Lacoste (1999, p. 55), placées de fait, au cœur des contradictions issues d'attentes pas toujours réconciliables, les infirmières "[…] doivent faire face aux lacunes de l'organisation, recevoir plaintes, doléances et questions" des bénéficiaires, "ce sont elles qui perçoivent les incohérences ou les lacunes des actions, qui en mesure le degré d'acceptabilité auprès des patients et des familles, et pallient les manques au quotidien".

Selon la culture implicitement déléguée par l'institution (SC1), celle "qui va sans dire", le soignant permet à l'institution de fonctionner, mais n'est pas au service exclusif de cette dernière. Du reste, la direction de l'hôpital n'a généralement qu'une idée relative de ce qui se joue dans l'espace spécifique de travail. Dans la culture déléguée par le corps médical (SC2), les soignants rendent service à ce dernier dans une fonction d'agent double : agent informateur des médecins et agent applicateur des prescriptions sans pour autant être mandatés pour décharger ces derniers de leurs responsabilités, fût-ce au travers de nouveaux savoirs délégués, de pratiques avancées ou d'évaluation clinique. Quant à la culture propre sur laquelle repose les fondements de la discipline du prendre soin institutionnel (SC3), celle qui commence à l'époque profane, elle a la particularité d'être la deuxième à déterminer des pratiques (puisque déjà présente au XVe siècle), mais la dernière (vers 1950) à transformer l'expérience en savoir par le jeu de la recherche scientifique et de l'écriture. Ce n'est en effet que tardivement que la profession pourra produire ses connaissances scientifiques en milieu universitaire selon sa propre perspective disciplinaire et avec des professeurs payés pour cette tâche. La discipline commence alors à structurer son langage par écrit au plan académique. Dans son activité spécifique (SC4 sur l'image) l'infirmière et au cœur du système de santé. Elle peut alors tirer profit de son expérience du champ des misères contenues soit dans les institutions de santé, soit lors des soins à domicile.

L'infirmière a donc 3 employeurs, mais il n'y en a qu'un seul qui la paye. Plus exactement, les institutions de santé en tant qu'espace institutionnel font office de médiation spatio-temporelle entre les trois bénéficiaires principaux de la prestation de service. L'infirmière en occupe le centre. C'est dans cet espace que se rencontrent un ensemble d'interlocuteurs, notamment les représentants de l'institution, les représentants du corps médical, les infirmières, les personnes soignées et leur entourage. L'infirmière au cœur du système met en relation chacun d'eux. Tel un mobile, le mouvement du prendre soin relève du mouvement perpétuel !

Mais attention à la confusion ! Ce n'est pas parce que la profession infirmière est au centre du système de santé qu'elle est exclusivement au service de ce dernier ! Pour éviter à la profession d'être atteinte par le syndrome du larbin exposé par le journaliste Julien Arlandis dans le journal nommé "le grand soir" du 20 juin 2010, on ne doit pas oublier que l'infirmière, dans la productivité analytique d'un hôpital, n'est pas "au service de" …mais "rend service à"…ce qui n'est pas du tout pareil ! Combien valent alors le service rendu au corps médical, le service rendu à l'institution et le service rendu aux personnes soignées et à leur entourage ? Nul ne le sait ! Et comme on a pu le lire encore récemment, en Suisse par exemple, "personne, …ni l'Office fédéral de la santé publique, ni les assureurs, ni les responsables cantonaux, ni la Fédération des médecins suisses ne savent ce que gagnent un médecin" (Muhieddine et Vormus, 2016, p. 3). On est en droit de se demander comment vont être géré dans le futur les frais de santé qui ne font qu'augmenter et qui sont un enjeu majeur du management de la santé des prochaines années (?!). Si on ne fait pas attention aux valeurs qui accompagnent les outils managériaux et autres logiciels qui se développent dans le système de santé, l'infirmière risque de devenir rapidement une "opératrice de rentabilité dont les visites aux malades sont chronométrées" (Rambal, 2016).

La période scientifique du savoir débute. C'est par la production de théories et l'accession de la profession aux études universitaires que la connaissance obtient une reconnaissance par l'Etat et par le monde académique. Cette reconnaissance se fait notamment par un financement du savoir scientifique produit par la recherche. Nous voici en effet à même de produire notre propre savoir, de le publier et de valoriser le résultat de nos recherches tout en continuant de nous référer aux savoirs délégués et aux savoirs empruntés. La période scientifique outre le développement des études doctorales va aussi préciser le domaine de la discipline. La pensée infirmière se concrétise et les concepts centraux de la discipline sont mis en évidence par les méta-théoriciennes d'Amérique du Nord. Ils portent sur "l'environnement", "les soins", "la personne" et "la santé". Mais à la lumière de nos traditions de langage qui sont bien antérieures à l'époque de Florence Nightingale, ils demandent d'être reprécisés. L'environnement n'est pas n'importe lequel, c'est exclusivement un environnement institutionnel. Dans l'environnement, on peut parler sur…le but à atteindre. Le soin lui, permet de prendre soin en vue d'aider à vivre. On parle alors pour prendre soin…de l'homme. Ce même homme, plutôt que d'être un homme philosophique dont on chercherait à en définir les contours est plutôt un homme sociologique. En effet, les interlocuteurs de l'infirmière sont nombreux et sont surtout habités de statuts, de rôles et de fonctions (bref de pouvoirs) (pensons aux cadres de santé, aux médecins, aux représentants des services administratifs, etc.) qui vont influencer la dynamique de l'activité professionnelle. L'homme est donc la cible de l'attention, mais cette dernière ne peut exister que parce que l'on occupe le cœur du système comme intermédiaire culturel. Quant à la santé, dernier concept central du métaparadigme américain, force est de constater …que tout le monde en parle, …mais personne ne peut la toucher ! Pour ma part, je la défini comme l'aptitude pour une personne, à mener sa vie en dépit des conditions adverses qui l'affecte.

Aujourd'hui, nous poursuivons le développement du savoir au sein de notre discipline. Avec l'existence d'écoles doctorales en science infirmière, il nous faut encore trouver nos chemins et nous situer au sein de la Cité scientifique avec les mêmes contraintes, idéologiques ou scientifiques, voire politiques pour la production du savoir, que celles en vigueur pour les autres disciplines du monde académique. Depuis plus de trente ans, un ensemble de professeurs, de chercheurs, de scientifiques renommés de diverses universités, notamment professeurs et chercheurs dans diverses facultés en sciences infirmières, ainsi qu'un ensemble de scientifiques de divers horizons mettent en évidence que la pratique infirmière est une pratique complexe de gestion de l'information, une pratique à haut risque, une prestation de service indispensable au fonctionnement du système de santé et dénoncent les risques d'erreurs, de surcharges, de dysfonctionnements, de démotivation des infirmières à travailler dans ces conditions. Malgré cela, pourquoi les représentations, les structures de travail et les moyens à disposition ne sont-ils pas forcément revus et adaptés aux exigences du service rendu ?

Quant à l'identité de la discipline et sa place dans les mondes savants, on remarque aujourd'hui encore, que pour les uns, aussi bien au sein de la profession qu'à l'extérieur, l'infirmière seconde le médecin……Pour d'autres, c'est une professionnelle autonome à qui l'on délègue certaines fonctions. C'était déjà ce que disait Evelyn Adam en 1979, soit il y a plus de 35 ans. (Être infirmière. Montréal: Éd. HRW Ltée). Rien n'a vraiment bougé ! La discipline est toujours orpheline au plan identitaire.

Aujourd'hui, on peut cependant affirmer que la discipline se trouve bien dans les sciences humaines. Comme le relève l'étude réalisée pour le SIDIIEF en 2015, fondés sur des valeurs humanistes, les savoirs qui sont produits par la discipline infirmière "sont cohérents avec ceux des disciplines des sciences humaines, sociales et de la santé" (Pépin et al., 2015, p. 22). La discipline infirmière ne se trouve donc pas dans l'ordre de la nature. Du reste, comme le relève l'Académie suisse des sciences médicales, "la manière de voir des infirmiers est davantage centrée sur la condition liée à la maladie que sur la maladie proprement dite, et s'oriente sur l'assistance qui permettra la maîtrise au quotidien des déficiences, résultant des perturbations de la santé" (ASSM, 2007, pp. 1948-1949). Autrement dit, et pour faire simple…la médecine traite les maladies de l'homme et la science infirmière permet de soigner l'homme dans ses maladies.

Dans une Haute école universitaire en effet, le bachelor en science infirmière n'est pas un diplôme dépendant du bachelor en médecine ! L'un est dans les sciences de la nature (médecine), l'autre dans les sciences humaines et sociales (la science infirmière). D'où complémentarité (et non interchangeabilité !) du rôle du médecin et du rôle infirmier. Les infirmières ne sont pas là pour pallier à la pénurie médicale. Elles doivent déjà faire face à leur propre pénurie. Bien se positionner scientifiquement aide aussi les chercheurs à clarifier le type de recherche qu'ils dirigent et à dire ce que leurs travaux apportent à l'humain, aux institutions et à la société civile.

Dans une recherche internationale d'envergure "Suisse-Québec" financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (Nadot, 2003), nous avons pu confirmer en 2002 que parmi les quatorze groupes de pratiques composant aujourd'hui le rôle professionnel, la pratique la plus complexe qui occupe les infirmières n'est pas le soin, mais la pratique de gestion de l'information qui, associée à la pratique de récolte d'information, à la pratique de gestion et de coordination, à la pratique de régulation et à la pratique professionnelle de la relation, forme un groupe de "pratiques informationnelles" qui peuvent représenter jusqu'à 72 % de la journée de travail d'une infirmière. On est loin des douze minutes par jour calculées "scientifiquement" par les logiciels comptables de certaines maisons de personnes âgées en Suisse romande pour le remboursement par les assurances maladies du temps de parole des soignants (Goumaz, 2011). Si l'on en vient à mesurer toutes les informations qui déclenchent les prestations de service des infirmières, on se rend vite compte que les effectifs en place ne suffisent plus à assurer le traitement des informations en provenance de l'environnement humain, technologique ou administratif. Comme les malades ne sont de loin pas les seuls à délivrer des informations déclenchant la prestation de service, la dotation en personnel infirmier d'une institution de santé ne peut donc plus se faire en fonction du seul nombre de malades à soigner. Deux opérations de l'appendicite peuvent bien être comparables économiquement au plan médical, les patients qui les subissent ne le sont pas, humainement parlant, pour l'infirmière.

Alors que l'idéologie dominante semble placer aujourd'hui le patient au centre des préoccupations des institutions de soins (c'est ce que l'on dit !) l'observation fine d'une journée de travail d'une infirmière nous fait quand même douter de l'affirmation. Et si ce beau discours servait tout simplement à faire accepter une mesure de productivité hospitalière basée sur des modèles industriels au travers de systèmes qualité ? Force est de constater que le mot "qualité" ne veut pas dire la même chose pour tout le monde. Selon le Fond National Suisse de la Recherche Scientifique, (je cite) "La qualité s'inscrit dans une stratégie rhétorique, dont on se sert pour légitimer ses propres intérêts et positions. Quand les assureurs parlent de qualité, c'est la maîtrise des coûts qu'ils ont en tête, alors que les médecins famille et les infirmières prennent également en compte le cadre de vie de leurs patients" (Fin de citation) (FNS, Abraham, 2012, p. 25). Pour les infirmières, la qualité est celle qui permet de respecter l'intégrité des personnes soignées, la qualité du service rendu au corps médical et la prévention du chaos organisationnel au sein de l'institution. À combien sont facturées ces pratiques aux différents bénéficiaires de la prestation de service ? Nul ne le sait !

Pour symboliser la place occupée par les infirmières au cœur du système de santé, je vais m'appuyer sur la métaphore du métier à tisser que j'ai publié dans mon dernier ouvrage sur l'activité infirmière en 2013. Dans l'espace-temps du soin, c'est le mouvement qui fait le lien, …les infirmières courent partout ! Entre la trame bobinée … (savoirs et compétences) sur une navette … (infirmière) et la chaine du tissage …(les nombreux interlocuteurs de l'infirmières), il y a la navette et son mouvement qui transporte la trame. C'est la partie la plus mobile et la plus indépendante du métier à tisser. Une navette statique ne sert à rien ! L'étoffe elle, est le résultat de la rencontre de la chaine, de la trame et du mouvement de la navette. Donc, l'étoffe, qui peut être de qualité variable, est le résultat de l'activité de la "navette infirmière". Quant à l'amélioration de l'état de santé d'une société, elle est aussi le résultat de l'activité de l'infirmière en lien avec l'institutionnalisation du soin. Une infirmière se repère à la faculté de se mouvoir dans le système.

Conclusion
En conclusion, la profession ne peut plus ne penser qu'aux soins et aux malades, mais elle doit aussi penser aux conditions environnementales, structurales, politiques, économiques et scientifiques de la production du savoir et de son utilisation au sein du système de santé. "La position-clé occupée par les infirmières au sein de l'organisation, entre médecins et malades, à la croisée des lignes technique et relationnelle, les désigne socialement et pratiquement comme interfaces entre les exigences de l'organisation, celles de la thérapeutique et celles qui viennent des patients" (Grosjean & Lacoste, 1999, p. 54). Ce n'est pas une révélation ! Contrainte, mais consentante, de vivre avec et pour des humains, l'infirmière est souvent confrontée à l'incertitude de leurs réactions, de leurs comportements, de leurs motivations à vivre ou à mourir, ou de leurs désirs. Le rôle traditionnel d'intermédiaire culturelle serait peut-être judicieux à prendre en compte économiquement au plan politique si l'on veut éviter par exemple, des temps d'attente démesurés dans les services d'urgences et de graves dysfonctionnements au sein des institutions de santé. On le voit, les tourbillons présents sur l'affiche du congrès ont toutes leur raison d'être et symbolisent l'environnement des soins dans lequel la profession apprend à nager depuis des siècles, aussi bien par temps de paix que par temps de guerre. L'infirmière se doit alors d'agir sur les conditions environnementales qui font que les activités de soins sont ce qu'elles sont avec tous leurs aléas. Aujourd'hui comme par le passé, l'infirmière a de nombreux interlocuteurs. Elle n'a jamais eu que les malades comme clients. Plusieurs professions et plusieurs groupes humains dépendent des prestations délivrées par les infirmières. Au cœur du système de santé depuis longtemps, l'infirmière soutient l'homme objet de soins et d'attention dans un environnement qui l'oppresse ou le dépasse. La profession est bien sûr affectée par les turbulences et les changements d'orientation du système. Malgré cela, par un surcroît d'habiletés et de compétences adaptatives, elle n'en poursuit pas moins correctement sa mission. Mais à quel prix et pour combien de temps encore ?


Références bibliographiques de la conférence de Beyrouth, 18 novembre 2016

Abraham, A. (2012, Juin). Rhétorique de la qualité en médecine. (FNS, Éd.) Horizons, le magazine suisse de la recherche scientifique (93), p. 25.

Académie suisse des sciences médicales (2007). Bulletin des médecins suisses, 46, p.1949.

Adam, E. (1979). Être infirmière. Montréal: Éditions HRW Ltée.

Bulletin des gardes-malades, Blätter für Krankenpflege, 1933, 8. Direction de la Croix-Rouge suisse, études des infirmières, p. 150.

Dallaire, C. (2008), "Le savoir profane dans le savoir infirmier", in C. DALLAIRE (dir.), Le savoir infirmier: au cœur de la discipline et de la profession, Montréal, Gaëtan Morin, pp. 53-70.

Ehrenreich, B. & English, D. (2014). Sorcières, sages-femmes & infirmières, une histoirE des femmes soignantes. Paris : éd. Cambourakis.

Goumaz, M. (2011). "Polémique. La bataille des assureurs bat son plein. Des factures d'EMS sont impayées depuis des mois", Le Matin-Dimanche, 27 mars, p. 3.

Grosjean, M., Lacoste M. (1999), Communication et intelligence collective, le travail à l'hôpital. Paris : PUF.

Muhieddine, F ; Vormus, F. (11 septembre 2016). Le Matin Dimanche, pp. 1-3.

Nadot, M. (1992), "Une "médiologie de la santé" comme sciences", Recherche en soins infirmiers, 30, pp. 27-36.

Nadot, M. (2003 juin). Mesure des prestations soignantes dans le système de santé. Recherche en soins infirmiers, 73, pp. 116-122.

Nadot, M., (coordinateur) Busset, F., Gross, J. (2013). L'activité infirmière, le modèle d'intermédiaire culturel, une réalité incontournable. Paris : De Boeck/Estem.

Pépin, J., Larue, C., Allard, E., Ha, L. (2015). La discipline infirmière, une contribution décisive aux enjeux de santé. Montréal : Université CIFI & SIDIIEF.

Rambal, J. (26 septembre 2016). Le temps, publié en ligne https://www.letemps.ch/societe, Brown out : quand les salariés cherchent un sens à leur travail.

Aujourd'hui comme par le passé, l'infirmière a de nombreux interlocuteurs. Elle n'a jamais eu que les malades comme clients. Plusieurs professions et plusieurs groupes humains dépendent des prestations délivrées par les infirmières. Au cœur du système de santé depuis longtemps, l'infirmière soutient l'homme objet de soins et d'attention dans un environnement qui l'oppresse ou le dépasse. La profession est bien sûr affectée par les turbulences et les changements d'orientation du système. Malgré cela, par un surcroît d'habiletés et de compétences adaptatives, elle n'en poursuit pas moins correctement sa mission. Mais à quel prix et pour combien de temps encore ?

Lire plus

Soin: un mot réducteur de la tradition de langage et des pratiques propres à la discipline infirmière

Citation :
Le soin ne peut pas être l'objet de la discipline. Les compétences réclamées par cette dernière sont supérieures à celles réclamées par le soin. L'objet de la discipline soignante n'est pas le soin, mais l'homme, objet d'attention et de soins particuliers.

Le vocabulaire utilisé pour alimenter les représentations joue une grande importance pour assurer la reconnaissance de la profession et de la discipline dite "infirmière".

Conférence ARSI Paris "Espace du Centenaire, Maison de la RATP".
Jeudi 24 janvier 2013, (14h50-15h15), 25mn.
Thématique : Soins : un concept central dans la pratique et la recherche en soins infirmiers


Soin : un mot réducteur de la tradition de langage et des pratiques propres à la discipline infirmière

Michel NADOT, infirmier Ph. D.
Ancien professeur d'histoire et d'épistémologie en sciences infirmières de la Haute école de santé de Fribourg (Suisse), professeur d'université associé à la Faculté des sciences infirmières de l'Université Laval à Québec (Canada), professeur chargé de mission à la Faculté des sciences infirmières de l'Université Saint-Joseph de Beyrouth (Liban) et à l'Institut supérieur en sciences infirmières de l'Université de Sfax (Tunisie), ancien chargé de cours en épistémologie des sciences à la Faculté de biologie et de médecine de l'Université de Lausanne (IUFRS/Suisse).

Cette conférence a été présentée lors des journées d'Étude de l'ARSI en janvier 2013.

Résumé

Parler du "soin", du "concept de soin" ou du "prendre soin" et mettre au premier plan "la pratique" comme l'annonce la thématique de ces 2 journées d'étude, est peut-être une condition nécessaire pour planter "un décor symbolique", cela n'est pas une condition suffisante pour assurer la visibilité scientifique de la discipline dite "infirmière" et de son objet. Parler du "soin" comme élément central de la discipline, avoir des "Instituts" et des "formateurs" (au lieu d'écoles et de professeurs) pour enseigner et faire de la "recherche infirmière" ou "paramédicale" sans jamais définir cette dernière a un effet réducteur sur la reconnaissance du statut des savoirs disciplinaires.

Mots clés : Soins, Formation, Recherche, Histoire de la discipline, Modèles conceptuels.

Introduction

Parler du "soin", du "concept de soin" ou du "prendre soin" et mettre au premier plan "la pratique" comme l'annonce la thématique de ces deux journées d'étude, est peut-être une condition nécessaire pour planter "un décor symbolique", cela n'est pas une condition suffisante à mon avis, pour assurer la visibilité scientifique de la discipline dite "infirmière" et de son objet.

Cet exposé est une synthèse d'une série de recherches fondamentales et appliquées financées notamment par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) dans la période 2001-2007. Comme on va le voir par la suite, le mot soin masque une grande partie des compétences mobilisées dans l'activité quotidienne d'une infirmière et le mot "pratique" fait toujours référence à une culture donnée au sein d'un champ d'activité.

Pourquoi parler de "La pratique !" comme s'il y en avait qu'une, sachant que la profession à cinq champs de pratiques ? De quelle pratique parle-t-on ? La pratique du soin ? La pratique de formation ? La pratique de gestion ? La pratique de la recherche ou la pratique de la politique ? Le mot "soin" est à resituer dans les traditions de langage de notre discipline sur le long terme tout comme on doit aussi resituer son contexte historique institutionnel d'émergence pour pouvoir en parler. Le terme "infirmier" étant exclusivement un terme ecclésiastique, on se demande pourquoi les laïcs l'utilisent car les soins n'ont jamais été infirmiers chez les laïcs ! Pourquoi par exemple, parler d'une pensée infirmière comme on l'a entendu ce matin lorsque l'on veut exposer les courants théoriques de notre discipline ? Je pose cette question en référence à un ouvrage canadien relativement récent. S'il y a bien une pensée disciplinaire, cette dernière ne peut pas se qualifier "d'infirmière". De quoi parle-t-on ?

C'est pour sortir la profession de ce mythe "infirmier", que vient de paraître un ouvrage sur l'histoire des traditions de langage institutionnalisées (Nadot, 2012). Comme le fait remarquer la librairie Mollat à Bordeaux sur son site Internet, cet ouvrage est "une remise en question du fait infirmier, des sciences et des pratiques infirmières. À la lumière de l'histoire de cette profession, de ses attributions et ses disciplines, l'auteur interroge d'abord le sens donné au terme infirmier dans le monde francophone. Il plaide en faveur d'une profonde refonte du métier, du statut et des fondamentaux infirmiers". On a aussi entendu parler ce matin de Florence Nightingale. Pourquoi parler de Florence Nightingale et jamais de sa rivale Valérie de Gasparin ? Quel était le parti politique qui avait la préférence de Florence Nightingale ?

C'est en effet, pour rechercher de quoi était faite la complexité de nos traditions de langage et des compétences réclamées par nos énoncés pour délivrer des prestations de service institutionnalisées, que je me suis inspiré de l'interrogation posée par Michel Foucault dans son archéologie du savoir. D'où partent nos énoncés, qu'elle est leur étendue, "jusqu'à quand se répètent-ils, par quels canaux sont-ils diffusés, dans quels groupes circulent-ils, quel horizon général dessinent-ils pour la pensée des hommes, quelles bornes lui imposent-ils, et comment, en caractérisant une époque, ils permettent de la distinguer des autres ?" (Foucault, 1969, p. 192).

Les fondements profanes de la discipline

Dans l'exercice profane des métiers de soins par le passé, c'était le triptyque domus, familia, hominem qui dominait. Dans le temps, le soin de l'homme était une activité parmi d'autres, permettant à ce soin d'exister au plan institutionnel. Ce soin avant tout institutionnel, n'est pas un soin ordinaire. Il a un espace-temps spécifique permettant au langage du prendre soin d'exister. L'institution, tout au long de l'histoire du soin, formate les pratiques sur plusieurs siècles.

Le soin

Le mot soin fait souvent référence aux malades dont nous avons la charge et ne mentionne que rarement la totalité des compétences attendues. Depuis le Moyen-âge, nous ne sommes pas au service exclusif des malades et de leur entourage, même si ce service demande déjà beaucoup et peut se révéler complexe. On entend parfois les infirmières se plaindre qu'elles n'ont plus le temps de s'occuper des malades. Mais à quelle époque ont-elles eu du temps ? Déjà au moyen-âge elles n'avaient pas de temps et de plus, elles n'ont jamais été au service exclusif des malades ! Le soin n'est pas suspendu dans le vide hors toute référence à l'environnement dans lequel il se donne. Quant au statut des gens de métier, il est souvent indicatif du statut du savoir acquis et du savoir mobilisé. En général le mot "soin" associé au qualificatif "infirmier" sert surtout à renforcer la stabilité des représentations symboliques établies. Cela n'aide pas vraiment à expliciter la nature de la discipline au sein des mondes savants, pas plus que cela ne sert à indiquer à nos politiciens les exigences de la fonction. Avec le développement des systèmes de santé et la simultanéité de langages à gérer, la complexité du prendre soin institutionnel aujourd'hui est tout autre. Mais le triptyque d'origine demeure.

En quoi consiste l'activité soignante ?

Dans sa posture traditionnelle d'intermédiaire culturelle, l'infirmière, aidée de ses auxiliaires, offre des prestations de service à un ensemble de personnes. "Avec l'institution, le corps médical, les personnes soignées et leur entourage, ce sont en effet, trois ensembles culturels bénéficiaires des prestations soignantes qu'il faut impérativement coordonner et qui vont façonner les exigences de la fonction" (Nadot, 2010, p. 4). Malheureusement, très souvent, seuls les malades apparaissent comme seuls bénéficiaires de l'activité professionnelle. Prenez des textes professionnels par exemple, prenez des projets de recherche, on n'y parle le plus souvent que des malades et de leurs relations avec les soignantes. Pourquoi ne citer qu'une catégorie de personnes et pas la totalité des bénéficiaires de l'activité soignante ? Serait-ce à ce point déshonorant de rendre service à deux cultures dominantes qui ont le pouvoir depuis des générations de nous indiquer nos devoirs et de nous déléguer leurs savoirs ? Pourquoi les occulter ?

Dès le moment où un espace-temps est historiquement déterminé pour soigner, les autorités institutionnelles attendent des soignants qu'ils prennent soin de la vie de cet espace pour le mettre en état de fonctionner. Dans un deuxième temps, les soignants engagés participent à l'accueil des personnes soignées et font marcher l'institution en échange d'un salaire. Puis, dans un troisième temps, la culture médico-chirurgicale qui va occuper l'hôpital depuis la fin du XVIIIe siècle, attend à son tour un service. Dès qu'elle s'impose dans l'hôpital, cette culture se surajoute aux deux premières cultures en place et détermine à son tour des compétences particulières déléguées aux soignantes par la formation ou au travers de manuels, "à l'usage des infirmières" comme on disait à l'époque. Ces compétences viennent alors se rajouter aux deux cultures précédentes. Rappelons-nous que dans toute délégation culturelle, l'action réalisée est un service rendu à celui qui a le pouvoir de la déléguer. On sait comment ça marche avec les connaissances biomédicales et la fonction médico-déléguée du rôle professionnel. Il en est de même dans les savoirs délégués aux aides-soignantes par les infirmières.

Si l'on revient au "temps 1" de la fondation d'un hôpital, la culture prescriptive implicitement déléguée par l'institution (SC1), permet au soignant de rendre service à cette dernière en la faisant fonctionner. Mais le soignant n'est pas au service exclusif de l'institution. Du reste, la direction des institutions n'a généralement qu'une idée relative et différée de ce qui se joue discrètement vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans cet espace spécifique de travail.

Dans la culture prescriptive qui leur est déléguée par le corps médical (SC2), les soignants rendent service à ce dernier, car, qui a le pouvoir légitime de déléguer des connaissances attend en retour une application pratique correcte et sécuritaire de ces dernières. Mais dans cette fonction d'agent double : agent informateur des médecins et agent applicateur des prescriptions, les soignants ne sont pas pour autant mandatés pour décharger le corps médical de ses responsabilités, fussent au travers de nouveaux savoirs délégués, de pratiques avancées ou d'évaluation clinique.

Dans la culture réflexive qui constitue le socle de la discipline aujourd'hui, la soignante selon sa dynamique propre, - celle du SC3 soit l'ensemble des théories de soins existantes dans mon modèle, ou fonction indépendante du rôle professionnel -, trie, distingue, rassemble, associe la pluralité de langages décodés dans sa posture d'intermédiaire culturelle au sein d'un environnement particulier. Nous nommons cette dynamique propre combinée à partir d'une approche constructiviste "système culturel 4" ou SC4. Cette posture permet de se constituer une expérience du champ des misères au sein de la dynamique hospitalière. Cette combinaison, fait du langage une construction propre de la soignante placée au cœur institutionnel du fonctionnement des soins. Tout en ayant la personne soignée et son entourage au centre de ses préoccupations, la soignante n'oublie pas sa place d'intermédiaire culturelle entre deux autres systèmes de valeurs qui ne sont pas en synergie.

"L'élément majeur du management des services est l'existence du client dans le système" (Bancel-Charensol, Delaunay, & Jougleux, 1999, p. 37). On sait que dans une prestation de service ce sont toujours les bénéficiaires de la prestation qui livrent l'information verbale ou non verbale utile à la conception et à la production du service. Tel est le postulat de base de mon modèle conceptuel en science infirmière. Aujourd'hui, spécialiste de la coordination et de la synthèse des langages multiples qui l'entourent au sein des institutions dans lesquelles elle travaille, la soignante passe une grande partie de son temps à développer à son tour, la capacité de transformer ces langages en actes et en paroles (Nadot, 2008, p. 378). C'est à partir du sens donné aux langages d'action et de l'écriture qui leur donne leur existence que se constitue la discipline soignante.

Quels sont les mots qui positionnent les infirmières dans le monde de la science ?

Le vocabulaire utilisé pour alimenter les représentations joue une grande importance pour assurer la reconnaissance de la profession et de la discipline. Comment peut-on affirmer que "la mise en place du référentiel de formation en 2009 a modifié la place des instituts de formation. De lieux de savoirs (lesquels ?), ils sont devenus lieux de ressources…" (ARSI, résumé des interventions 2013, p. 19) ? Pourquoi des Instituts et pas des écoles ? Ce n'est pas la même chose ! Le statut d'une école détermine le statut du savoir enseigné et celui des professeurs. Quelle est la place des écoles de soins en France en regard des nomenclatures internationales (CITE) ? Devons-nous avoir des formateurs pour succéder aux moniteurs ? Un formateur met en forme, donne forme en vue de rendre conforme (et parfois difforme) par rapport à des attentes, mais il ne produit pas de connaissances et ne participe pas de manière légitime au développement de sa discipline. Il est facilitateur, (répétiteur), incitateur…Mais "…pourquoi pas un professeur ?" disait déjà Catherine Mordacq en 1977, soit il y a plus de 35 ans (!!!) (Mordacq, 1977). Ce n'est pas avec des formateurs qui pensent enseigner au sein d'un domaine "paramédical" et se vantent de faire de la "recherche infirmière" que la discipline pourra évoluer en France.
Le domaine de travail n'est pas paramédical. Comme dénoncée depuis plus de dix ans, "l'infirmière d'aujourd'hui n'a pas plus une tradition parareligieuse, paramilitaire (Croix-Rouge) ou paramédicale que le petit Africain n'avait des ancêtres gaulois aux yeux bleus et aux cheveux blonds, à en croire les manuels scolaires distribués par les puissances coloniales. Il ne faut pas davantage chercher l'identité et le patrimoine de notre discipline du côté de l'Église, de la Médecine ou de l'Armée que les fondements de la culture locale africaine ne seraient à chercher dans l'entourage du Roi Clovis" (Nadot, 2003, pp. 95-96). Du reste, la discipline "est même principalement para-rien-du-tout selon l'affirmation malicieuse défendue par le directeur d'une Haute école de santé vaudoise" lors du Congrès mondial du SIDIIEF en 2009" (Nadot, 2012, p. 233). Pourquoi la profession a-t-elle acceptée d'avoir des textes législatifs qui instituent une fonction "para-quelque chose" ?
Comme les moniteurs de la pédagogie du mode mutuel de Grégoire Girard, l'élaboration conceptuelle échappe aux formateurs et ne permet pas la reconnaissance légitime de la discipline (Nadot, 2008, p. 188). Elle est tout simplement absente des catégories scientifiques du CNRS. Quant à la "recherche infirmière", qu'est-ce qui la distingue du slogan utilisé par une DRH qui recherche une infirmière en période de pénurie ? Cette recherche infirmière, c'est une recherche fondamentale ou de la recherche appliquée ? Et si c'est de la recherche appliquée, on a appliqué quoi pour mériter le qualificatif ? Pourquoi "recherche infirmière" et non recherche en science infirmière ? C'est-à-dire cette "investigation systématique conçue pour améliorer les connaissances sur des questions importantes pour la discipline infirmière" (Loiselle & Profetto-McGrath, 2007, p. 4). Que cachent les termes "recherche infirmière". Avec un programme hospitalier dit de "recherche infirmière" (PHRI), on ne s'étonne pas de voir que le type de recherche proposée n'a souvent rien "d'infirmière" au plan scientifique et ressemble plutôt à de la recherche "biomédicale", a fortiori lorsque les médecins (ou l'institution qui les emploie) touchent les subventions de recherche et pilotent dans l'ombre le projet induit par les directions hospitalières (employeur) en tant que cochercheurs, en poussant les infirmières devant eux. Quelle est la discipline universitaire qui profite de ce type de recherche ?

Le premier modèle conceptuel en science infirmière de l'Europe francophone

Mais quelle valeur économique a l'activité infirmière ? De quelle comptabilité analytique relève-t-elle ? L'activité infirmière est impossible à coder et à tarifer selon une logique de soins "a priori" déterminée par le médecin comme on peut le voir par exemple en Suisse dans le système de financement "SwissDRG" ou en France dans le référentiel comptable "Groupe Homogène de Malades".
C'est cette posture d'intermédiaire culturelle qui détermine la complexité et les compétences des infirmières et non exclusivement l'état de santé des malades. On peut le démontrer depuis des années, l'activité soignante dépasse en complexité et en densité un mandat médical, la simple exécution de prescriptions médicales ou le soin donné aux personnes, dont l'infirmière a la charge.

Le financement des soins dans la productivité hospitalière est loin de prendre en compte la totalité des sources dynamogènes qui déclenchent les prestations de service fournies par les infirmières comme le démontre le premier modèle conceptuel en sciences infirmières de l'Europe francophone. Ce modèle est connu en Amérique du Nord et enseigné en Suisse et au Moyen-Orient sous le nom de "modèle d'intermédiaire culturel de Michel Nadot". Lorsque vous allez sur le site Internet www.bibl.ulaval.ca, vous voyez, dans la rubrique "modèles conceptuels en sciences infirmières", ce modèle "masculin" au milieu de plusieurs théories "féminines" de soins infirmiers connues. On découvre aussi un ensemble de textes en français qui se réfèrent à des théories de soins. Les prémisses de ce modèle étaient déjà présentées lors des journées d'études de l'ARSI en janvier 1992, c'est-à-dire il y a plus de 20 ans (Nadot, 1992). C'est la preuve qu'il faut du temps avant qu'un modèle conceptuel produit par la recherche fondamentale en science infirmière soit perçu comme opérationnel. Ce modèle conceptuel évoqué est un modèle inductif. "L'important pour un modèle conceptuel, comme le rappelle Gérard Fourez, c'est de se rapprocher le plus possible de la réalité (Fourez, 1996, p. 49). La réussite de nos modèles nous amène à nous en satisfaire ; leurs échecs dynamisent nos recherches" (Ibid., p. 52). Sans références à des modèles disciplinaires basés sur nos traditions de langage, les soins sont condamnés à se décliner en actes biomédicaux ou en forfaits financiers en vue de répondre ainsi de manière stéréotypée à des demandes multiples et contraignantes issues de la productivité hospitalière de type industriel et néo-libéraliste.

Le soin ne peut pas être l'objet de la discipline. Les compétences réclamées par cette dernière sont supérieures à celles réclamées par le soin. On découvre alors au-delà du mythe et avec quelques nuances que l'objet de la discipline soignante n'est pas le soin, mais l'homme, objet d'attention et de soins particuliers. Ne parler que du soin est réducteur et dévalorise les compétences déployées aujourd'hui au quotidien par les infirmières. Cela devient un acte isolé pouvant être exécuté par du personnel secondaire avec formation élémentaire. Même une fois le soin donné, il reste encore du travail. Ce dernier réclame encore plusieurs compétences. Non, ce n'est pas le soin qui est l'objet de la discipline. L'objet de la discipline est composé de cette exigence réclamée par les pratiques exercées au cœur des sciences humaines et des sciences de la santé. Par sa posture constructiviste traditionnelle d'intermédiaire culturelle (SC4), l'infirmière aidée par ses auxiliaires, offre des prestations de service institutionnelles, médicales et humaines en vue d'aider l'humain à mener sa vie en dépit des conditions adverses qui l'affecte. L'énoncé est plus long ! C'est logique, car la complexité des règles d'action du prendre soin institutionnel ne supporte pas les simplifications.

On ne peut réduire la discipline non plus, à quelques pratiques visant à s'occuper exclusivement des malades ou de la santé comme le préconisent le sens commun et le territoire théorique actuel. Comme expliqué dans le modèle d'intermédiaire culturel se sont 14 groupes de pratiques qui sont mobilisées dans le rôle professionnel. On peut du reste, photographier les 14 groupes de pratiques. Nous parlons bien ici de "groupes" de pratiques et non 14 pratiques. Combien vaut chacune d'elle dans la comptabilité analytique du système de santé ? Personnellement, je ne le sais pas…Mais il est impératif de reprendre cette question, autrement les infirmières risquent majoritairement de faire les frais des économies dans les hôpitaux.

C'est bien ici la perspective distincte du prendre soin institutionnel et de son objet qui peuvent alors servir de cadrage au développement de connaissances propres disciplinaires ultérieures et de repères. On est loin du soin comme concept central de nos pratiques.

Il appartient donc aux chercheurs, professeurs et étudiants des hautes écoles et facultés de science infirmière d'approfondir la pertinence de ce modèle d'intermédiaire culturel pour en mesurer sa fécondité. Il est en effet tout à fait possible, de développer de nouvelles connaissances en interpellant l'un ou l'autre, ou le tout à la fois, des quatorze groupes de pratiques requises pour exercer l'activité du prendre soin selon le modèle conceptuel et la posture d'intermédiaire culturelle présentée. Il est nécessaire d'expliquer dans le contexte économique actuel que l'on ne peut plus accepter de financer uniquement ce que les infirmières sont censées produire accessoirement par cas médical répertorié. Car, comme cela est démontré par des recherches qui utilisent le modèle d'intermédiaire culturelle comme cadre de référence scientifique, on prend rarement en compte la totalité des sources d'informations qui produisent ou déclenchent le travail de soins et la coordination que cela exige. D'où souvent une sous-dotation dans les effectifs et un épuisement du personnel en place.

Conclusion

Pour conclure, si l'on regarde le soin institutionnel selon une pensée analogique, on peut proposer une métaphore: celle du service de médiologie de la santé d'un hôpital, vu comme "tour de contrôle" et d'aiguillage du trafic des données. Selon cette métaphore, ce n'est pas le ciel qui est contrôlé, mais les flux, l'utilisation et la coordination des données transmises, pour satisfaire des demandes, assurer la sécurité et faire fonctionner le système de santé et ses institutions. Ce sont ces flux qui seraient susceptibles de fournir des indicateurs de charge pour assurer les dotations en personnel si l'on veut se montrer efficient ! D'où l'utilité, voire la fécondité, du modèle conceptuel d'intermédiaire culturel basé sur les racines historiques et les traditions de langage de la profession pour dépasser le mythe infirmier. Déjà utilisé dans l'enseignement des soins dès 1994 et dans la recherche en science infirmière en tant que cadre de référence scientifique dès 2002 dans plusieurs pays de la francophonie, ce modèle conceptuel d'intermédiaire culturel issu de la recherche, à la fois fondamentale et appliquée, semble effectivement ne pas relever d'une pure utopie. On voit ici, la portée des traditions de langage pour le développement des savoirs au sein d'une discipline. C'est effectivement "la tradition qui représente - si l'on exclut la connaissance innée - la source à l'évidence la plus importante, en qualité comme en quantité, pour notre savoir" (Popper, 1985, p. 53). Quant aux mots qui jaillissent comme effets collatéraux de l'utilisation du terme "soin" ou "infirmier" dans le langage quotidien, ils ont de la peine à générer une représentation scientifique de la discipline et donc, de sa reconnaissance. Comme cela a été évoqué dans la synthèse de ces journées d'étude : vouloir définir des soins qualifiés "d'infirmiers" n'est-il pas illusoire ?


Bibliographie

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Comme cela a été évoqué dans la synthèse de ces journées d'étude : vouloir définir des soins qualifiés "d'infirmiers" n'est-il pas illusoire ?

Notes :
En référence à l'ouvrage canadien "La pensée infirmière" (Pépin, Kérouac, & Ducharme, 2010).
Cf. http://www.mollat.com/li.
Dans notre modèle d'intermédiaire culturel, SC veut dire Système Culturel et les chiffres indiquent la chronologie d'apparition de l'écriture dans le milieu hospitalier laïc et l'ordre d'apparition des acteurs légitimés à parler et qui, tiennent par ce fait, le discours institutionnel et scientifique.
À l'émetteur apparent d'un énoncé, il convient d'ajouter le destinataire qui copilote le message, mais aussi le médium qui coproduit, autorise ou achemine celui-ci. Pour qu'une information passe, il faut en effet que le message trouve à la fois son véhicule ou son canal, son environnement, et des destinataires partageant quelque chose du même code (Bougnoux, 1993, pp. 534-538).
Communication présentée dans la dernière partie du congrès.
Classification internationale type de l'enseignement (CITE ou ISCED en anglais).
Secrétariat international des infirmières et infirmiers francophones.
Fera l'objet d'une publication intégrale chez De Boeck supérieur à Paris en octobre 2013.
L'exigence est ce qui est commandé par les circonstances et qui en général, demande beaucoup.
Lire plus

L'impossible reconnaissance d'une identité professionnelle et scientifique chez les infirmières, une problématique récurrente<em></em>

Citation :
Références bibliographiques à reporter en bibliographie générales et finales
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Comment avec de "faux parents" peut-on construire une identité professionnelle et scientifique univoque ? Comment produire de nouvelles connaissances en vue de développer une discipline si l'on ignore les traditions de langage héritées du passé et les savoirs anciens qui la fondent ?

1. Introduction
Notre propos met à l'épreuve les représentations que l'on se fait de la profession infirmière qui, toujours aliénée aux clichés en vogue, éprouve beaucoup de peine à faire reconnaître l'identité de ses savoirs tout comme celle de sa discipline propre.
Si un lecteur non averti peut se laisser surprendre ou dérouter par les clichés, il comprendra cependant mieux les multiples efforts mobilisés de façon récurrente par une profession en mal de reconnaissance et les analyses présentées pour donner un sens aux traditions de langage utilisées depuis des siècles dans l'exercice d'un métier non encore complètement conscient de sa propre rationalité.
Dans un premier temps, nous examinons la généalogie des idées depuis que le métier s'exerce au sein d'un espace-temps singulier, l'hôpital. Dans un deuxième temps, nous exposons une proposition analytique visant à s'extraire des mythes et à voir dans le métier exercé d'autres pistes que le sempiternel "para-quelque chose" qui domine, en vue de donner une identité à une discipline orpheline que, pour une fois, on évitera de qualifier d'"infirmière". C'est dès lors en tant qu'intermédiaire culturelle que l'infirmière place son activité réelle entre trois dimensions langagières: institutionnelle, biomédicale et médiations de vie. La médiologie de la santé se propose alors de remplacer l'intitulé "sciences infirmières". Bornée d'un côté par les sciences biomédicales et de l'autre par les sciences sociales, c'est une science humaine institutionnelle totalement au service de l'humain qui trouve ainsi ses fondements.
Méconnaissant l'histoire de leur discipline par déficit de recherche fondamentale sur le sujet, et avec une filiation disciplinaire erronée (on présente de faux parents aux infirmières), les infirmières ne peuvent pas retrouver l'identité propre de la rationalité de leur pratique. Comment avec de "faux parents" peut-on construire une identité professionnelle et scientifique univoque ? Comment produire de nouvelles connaissances en vue de développer une discipline si l'on ignore les traditions de langage héritées du passé et les savoirs anciens qui la fondent ? En effet, les infirmières ne se réfèrent que rarement à ces traditions de langage qui pourtant "représentent la source à l'évidence la plus importante, en qualité comme en quantité, pour notre savoir" comme le disait Popper (4e thèse, 1985 : 53-85). Ces traditions de langage dont Popper mentionne l'importance sont justement ces énoncés, ces unités de discours qui laissent apparaître des phénomènes spécifiques dans le champ du discours. Ces traditions, transmises de génération en génération par les soignants représentent aussi principalement, comme le rappelle Foucault (1969 : 38-41) des unités dont il convient de se demander
"[…] de quel droit elles peuvent revendiquer un domaine qui les spécifie dans l'espace et une continuité qui les individualise dans le temps ; selon quelles lois elles se forment ; sur fond de quels événements discursifs elles se découpent ; et si finalement elles ne sont pas, dans leur individualité acceptée et quasi institutionnelle, l'effet de surface d'unités plus consistantes" (1969 :38).
La culture soignante de l'époque profane à l'époque scientifique est composée de codes fondamentaux. Ces codes sont ceux qui, pour Foucault,
[…] régissent son langage, ses schémas perceptifs, ses échanges, ses techniques, ses valeurs, la hiérarchie de ses pratiques et fixent d'entrée de jeu pour chaque homme les ordres empiriques auxquels il aura affaire et dans lesquels il se retrouvera (1966 : 11).
2. Généalogie de la profession infirmière : les trois mythes
La profession infirmière n'est pas née par génération spontanée au XIXe siècle. Croire, comme on le fait actuellement, que l'objet de la discipline est le "soin", que le mot "infirmière" qualifie une école, une discipline, la recherche, ou la pensée, ou que la profession peut se situer dans le domaine paramédical, est significatif des mythes majeurs derrière lesquels la profession se met à l'abri pour éviter, peut-être, de se confronter à trop de questions.
Des images, clichés, et représentations encombrent toujours l'imaginaire construit autour du mot "infirmière". Entre les "vaches" et les "putains" distinguant les élèves qui sortaient des écoles de l'Assistance publique de celles qui sortaient des écoles Croix-Rouge en France (Knibiehler, 2008 : 258), entre les "poivrotes", les "cocotes" ou les "bigotes" portées par la culture militaire malveillante (ibid. : 206), entre les "ni-nonnes", "ni-bonnes", "ni-connes" des manifestations de l'automne 1991 en France, dont le qualificatif négatif ne dit pas ce qu'est positivement une infirmière, ou entre-le "peu lire", "beaucoup voir", "beaucoup faire", célèbres mots de Fourcroy en 1794, repris par Walter (1992 : 5), ces représentations et clichés suffisent aussi bien à provoquer l'évanescence de nos savoirs qu'à masquer le nomos ou le logos de la discipline du prendre soin.
Ne sachant pas sur quels fondements conceptuels se sont construits le terme infirmier et ses représentations, la profession infirmière est à la peine pour déterminer les orientations futures de ses quatre champs d'activité que sont, dans leur ordre d'apparition : la pratique du prendre soin, la pratique de formation, la pratique de la gestion, la pratique de la recherche. C'est pourquoi nous proposons dans ce texte d'approcher ce triple mythe sémantique qui se joue autour des termes "soin", "infirmier" et "paramédical" en confrontant ces termes aux résultats de la recherche fondamentale sur l'histoire d'hôpitaux aujourd'hui disparus. Ces termes véhiculés par le sens commun balisent la cartographie mentale à l'intérieur de laquelle la profession infirmière est pensée et se pense.
2.1. Le soin
L'hôpital laïc fut fondé sur le modèle de l'exploitation agricole dans les communautés urbaines et rurales dès le Moyen Âge. Ces établissements reçoivent ceux et celles qui n'ont plus de lieux dans lesquels demeurer, ceux et celles qui doivent être assistés pour faire face aux épreuves de la vie courante, fussent-elles liées à certaines maladies, parfois encore méconnues. Ces institutions n'ont jamais eu le soin comme unique finalité. On découvre alors au-delà du mythe couramment répandu que l'objet de la discipline soignante n'est pas le "soin médicalisé" comme le rapporte la croyance ayant cours aujourd'hui, mais tel homme déterminé, objet de soins et d'attention du soignant dans un espace-temps spécifique. Ce qui n'est pas du tout pareil : prendre soin de l'autre dans un espace institutionnel et public n'est pas prendre soin des siens de manière ordinaire dans le domaine privé. Dès lors, le fait de prendre soin tout autant de l'homme et de son espace de vie, ainsi que des proches liés à son cercle d'appartenance, fait déjà l'objet d'une discursivité singulière au sein de l'hôpital laïc médiéval.
Les fondements profanes du "prendre soin" institutionnel sont déjà présents dans l'hôpital, bien avant que la médecine ne s'invite en ces lieux ou que l'Église n'y trouve un moyen de rechristianiser une société en voie de déchristianisation.
En bref, ce n'est pas sur la maladie et les traitements que commence la standardisation de nos savoirs, mais sur l'accueil et le prendre soin de l'humain en difficulté (care plutôt que cure). Or, en se centrant exclusivement sur le "soin médicalisé", la profession infirmière laisse parfois de côté les compétences requises pour que l'homme, objet de soins, puisse recevoir correctement ces derniers. "Prendre soin" (au XVIIIe siècle, comme au XXIe siècle du reste), c'est avoir la compétence de capter des informations, des langages, et de développer des savoir-faire non dénués de sens qui permettent notamment de gérer l'espace, le temps, les mouvements (activités logistiques, économiques, organisationnelles et domestiques), qui débouchent aussi sur le "prendre soin" du groupe (activité sociale et relationnelle non exempte de conflits, de bagarres, d'ordre) et qui, enfin, permettent de prendre soin de l'humain en assurant une aide spécialisée d'intermédiaire culturel dans les activités de la vie quotidienne (Nadot, 2008 : 368-371).
Prendre soin sur un plan institutionnel, le care traditionnel (distinct du cure), fondement profane de la discipline dite "infirmière", reste aujourd'hui une prestation de service dont l'usager de la prestation, quel qu'il soit, est toujours celui qui a le pouvoir de fournir l'information verbale ou non verbale nécessaire au bon accomplissement de ce service. L'organisation, les médecins et les patients sont les trois grands ensembles d'usagers qui bénéficient du travail des soignants non médicaux. En effet, l'institution, le corps médical, les personnes soignées et leur entourage constituent trois ensembles socioculturels bénéficiaires des prestations soignantes dont les exigences doivent être impérativement coordonnées pour pouvoir constituer la pratique soignante.
2.2. Infirmier
Le mythe principal du "tout infirmier" est puissant sur le plan symbolique. Selon ce mythe, les soins sont infirmiers, la pensée est infirmière, la recherche est infirmière, la science est infirmière, etc. Le mythe du "tout infirmier" nous empêche d'accéder à la rationalité de nos langages anciens. Or, si, dans son caractère existentiel, la pensée symbolique/mythologique "répond aux attentes, appels, besoins, aspirations, craintes de l'être humain" (Morin, 1986 : 171), elle peut cependant avoir pour conséquence de déboucher sur des crises identitaires ou des conflits de rôle.
Le développement du système hospitalier, la rationalisation du travail, le frein aux dépenses de santé, la division académique de l'enseignement supérieur en science infirmière et la multiplication des acteurs autour des malades, n'éclairent certainement pas l'infirmière sur sa fonction. Elle en est encore à se demander "qui fait quoi" au sein des unités de soins. Mais ne devrait-elle pas plutôt se demander qui sait quoi, quel statut a le savoir produit au sein de la discipline et comment est utilisé ce savoir propre? Le terme "infirmier", utilisé encore aujourd'hui, relève en fait du tic verbal. Le mot "infirmier" ne dérive pas du latin comme on l'entend parfois. Si l'on suit son étymologie théologique, il est en fait construit sur "enfer", "mauvais", "malsain", et se rapporte aux peines de l'enfer, lieu de séjour des damnés. Autrefois, on disait d'ailleurs "enfermière" et non infirmière. Trois axiomes participent à la conceptualisation religieuse des règles d'action de l'infirmière :
• le premier est l'étiologie démoniaque de certaines maladies combattues avec la prière thérapeutique, l'huile sainte et l'eau bénite ;
• le deuxième voit le corps comme réceptacle du mauvais, que ce soit à travers les plaies qui fourmillent de vers ou à travers la puanteur qui sort du corps humain, donnant ainsi à l'âme une vertu supérieure à celle du corps qui, de ce fait, "est plus chère à Dieu" ;
• enfin le troisième, consiste à ce consentement pour l'infirmière à rechercher "le difficile comme bien" (Ricœur, 1988 : 111) selon une perspective paradisiaque qui confère à ce que l'on nomme la promesse eschatologique de la sœur hospitalière ou sœur grise une propriété exclusive.
Les religieuses sont en effet les seules à être scientifiquement et légitimement des infirmières. Leurs activités et les vœux qu'elles formulaient conféraient un sens spécifique à leurs actions. "Elles assument avec tranquillité et assurance le rôle qu'elles se sont choisi" (Turin, 1989 : 127). Mais ce n'est cependant pas sur ces axiomes que la discipline infirmière, telle qu'elle se présente actuellement, s'est construite. Dire, comme on le fait aujourd'hui, que le soin est "infirmier" ou que la pensée est "infirmière" provoque une utopie identitaire, porteuse d'une aporie, c'est-à-dire une difficulté d'ordre rationnel paraissant sans issue qui entraîne avec elle une prolifération de modèles théoriques qui n'ont rien d'"infirmiers".
Le statut du terme "infirmier" et les valeurs qu'il contient n'ont donc rien à voir avec l'histoire des pratiques soignantes laïques (Nadot, 2003a). Dans l'hôpital médiéval laïc, on ne trouve pas d'infirmières. Les soignantes en poste sont titularisées et ont déjà leurs auxiliaires et autres petites servantes à qui elles délèguent leurs connaissances. Dès lors, il faut prendre la nécessaire précaution de ne pas mélanger, d'une part, l'histoire de l'Hôtel-Dieu et de la culture soignante religieuse, qui relèvent de la théologie et procurent un bénéfice pratique spirituel et céleste, avec, d'autre part, l'histoire de l'hôpital et de la culture soignante laïque qui relèvent des sciences humaines et procurent un bénéfice pratique économique et terrestre. L'infirmière est donc finalement exclusivement une religieuse. Cette dernière accepte de se retirer du monde et de consacrer sa vie à Dieu en accomplissant des besognes exigeantes et difficiles au sein d'organisations privées ou publiques en vue de gagner son paradis.
2.3. Paramédical
Le métier d'infirmière n'est pas né non plus de la division du travail médical, comme on aime souvent à le présenter. À ses débuts, l'hôpital, avec ses règles d'action des métiers de soin, n'était pas au service de la médecine. Comme le dit Michel Foucault, "dans son fonctionnement comme dans son propos, l'hôpital général n'est pas un établissement médical" (1972 : 61). Cette affirmation déjà devrait questionner les infirmières sur leur identité professionnelle et sur la pénibilité du travail de soin permettant la mise en évidence de compétences spécifiques exigées par la fonction. Car, même à l'époque des savoirs profanes, l'économie complexe des secours avait déjà des répercussions sur l'acquisition des ficelles du métier et sur les compétences nécessaires à déployer.
C'est seulement à la fin du XVIIIe siècle, lors de la naissance de la clinique, que le langage médical s'invite à l'hôpital. Il va dès lors se rajouter aux langages existants sans pour autant supprimer ces derniers. C'est encore plus tard, au début du XXe siècle, que les médecins vont s'attribuer le droit de définir ce qu'est une infirmière, permettant à l'association sémantique "médical-infirmier" (concevant l'infirmière comme l'auxiliaire du médecin) de s'imposer progressivement, comme ce fut le cas en France entre 1900 et 1914, lors de débats et controverses exposés dans les congrès nationaux ainsi que dans les hôpitaux. Du point de vue du médecin parisien Désiré Magloire Bourneville, les vraies infirmières sont les infirmières religieuses catholiques et si possible "plébéiennes ".
Comme nous le mentionnions à Marrakech lors du IVe congrès mondial du SIDIIEF en 2009, la profession dite "infirmière" n'est pas paramédicale (Savard, 2009 : 31 ; Nadot, 2009b). Son histoire montre que ce n'est nullement son essence. Elle est même principalement "para-rien-du-tout" selon l'affirmation malicieuse défendue par le directeur d'une Haute école de santé vaudoise. Pourquoi toujours se positionner en "profession auxiliaire" ou se présenter comme "para quelque chose" ? Ce n'est pas parce que les femmes soignantes de la classe des servantes et des classes populaires furent empêchées d'accéder à l'instruction au XVIIIe siècle qu'il faut ignorer aujourd'hui la spécificité et la complexité de leur tâche, en l'interprétant à partir d'un paradigme médical qui n'en reprend que très partiellement la pratique effective.
Contrairement à ce que laissent entendre de nombreux manuels et certains livres écrits par des médecins avec la célèbre formule "à l'usage des infirmières", l'infirmière d'aujourd'hui n'a pas plus une tradition parareligieuse, paramédicale, ou paramilitaire que le petit Africain n'avait d'ancêtres gaulois aux yeux bleus et aux cheveux blonds, comme le prétendaient les manuels scolaires distribués par les puissances coloniales (Nadot 2003b : 95 ; et 2008 : 363). C'est la prédominance du savoir médical délégué aux soignantes au début du XXe siècle au travers de manuels ("à l'usage des gardes-malade ou infirmières", comme il était bon ton de le dire) qui a pu laisser croire que l'infirmière était par essence, selon une circulaire du 28 octobre 1902 adressée aux préfets en France "la collaboratrice disciplinée, mais intelligente, du médecin et du chirurgien". On peut au final se demander quels bénéfices secondaires retirent les infirmières en persévérant à situer leurs espaces de parole et de travail derrière cet "affreux mot, paramédical" dénoncé en France par le psychanalyste Michel Renault en 1991 (Moreau, 1991). Coupées de leur histoire et véhiculant certains habitus, certaines se font un honneur de participer au rayonnement de la science médicale au détriment parfois de la visibilité de leur propre discipline. Quel avantage peut-on bien tirer de ces représentations symboliques erronées qui ponctuent le processus de professionnalisation ?
3. Comment dépasser nos mythes ?
Pour dépasser les mythes que nous venons de dénoncer tout en maintenant vivantes nos traditions de langage, nous proposons ici un modèle conceptuel métathéorique, non pas en science infirmière puisqu'on a vu les problèmes posés par les connotations de cette expression, mais en médiologie de la santé. La médiologie de la santé se présente comme une théorie descriptive et explicative du modèle d'intermédiaire culturel. Elle consiste en l'étude systématique des pratiques du prendre soin institutionnel dans ses rapports à l'"efficacité symbolique", et ce au centre de trois espaces de langage : le langage institutionnel, le langage biomédical et le langage des médiations de vie. En passant des soins infirmiers à la médiologie de la santé, on peut espérer voir "comment de simples mots, images ou paroles ont-ils pu et peuvent-ils toujours modifier le cours des choses ?" (Debray, 1993 : 11). La médiologie de la santé, destinée à remplacer le vieux terme ecclésiastique "infirmières" censé qualifier la science du prendre soin institutionnel, désigne l'étude des postures d'intermédiaires culturelles occupées par les infirmières et la place du langage symbolique dans les institutions de santé. Ces langages entrent dans le champ de la médiologie en tant que lieu et enjeux de diffusion, vecteurs de sensibilité et matrices de sociabilité (Debray, 1994 : 22, cité par Nadot, 2008 : 364-365).
Ce modèle, qui a l'avantage de s'inscrire dans l'histoire longue, intègre diverses théories de soins et valorise les énoncés transmis de génération en génération sur plusieurs siècles. Il permet de conceptualiser comment l'infirmière médiologue de santé offre des prestations de service à trois ensembles bénéficiaires qui ne travaillent pas forcément en synergie (on l'aurait presque oublié !). Selon Pelletier (2007 : 48), ce modèle théorique "favorise la prise de conscience de la complexité du rôle professionnel avec ses enjeux sociaux, politiques, stratégiques, scientifiques et économiques". Comme tout modèle conceptuel, le nôtre essaye "d'organiser le monde soignant de manière féconde par rapport à nos projets". C'est effectivement l'idée que s'en fait Fourez à propos des modèles conceptuels (1996 : 47-49). Comme pour d'autres disciplines, un modèle conceptuel guide et contrôle l'action exclusivement par l'information scientifique qu'il dispense. Il n'est utile qu'à la discipline pour laquelle il a été conçu.
Les pratiques de l'infirmière médiologue de santé se sont progressivement structurées autour de trois systèmes culturels ayant chacun leur dynamique propre. L'infirmière médiologue de santé a son activité au centre de ce dispositif. Entre les traditions de langage de l'organisation, les traditions de langage des médecins et des chirurgiens et les traditions de langage issues des médiations de santé avec chaque personne soignée, l'infirmière, dans sa posture d'intermédiaire culturelle, capte des informations verbales et non verbales en provenance de l'ensemble des signaux émis par l'environnement de travail et les bénéficiaires de la prestation de service. Cette posture, occupée depuis des siècles, donne sa spécificité aux énoncés du prendre soin institutionnel. De fait, au cœur des contradictions issues d'attentes pas toujours réconciliables, les médiologues de santé
"[…] doivent faire face aux lacunes de l'organisation, recevoir plaintes, doléances et questions" des bénéficiaires de leur pratique, "ce sont elles qui perçoivent les incohérences ou les lacunes des actions, qui en mesure le degré d'acceptabilité auprès des patients et des familles, et pallient les manques au quotidien (Grosjean & Lacoste, 1999 : 55).
Selon la culture implicitement déléguée par l'institution, celle "qui va sans dire" (SC1), le soignant permet à l'institution de fonctionner, mais n'est pas au service exclusif de cette dernière. Du reste, la direction de l'hôpital n'a généralement qu'une idée relative de ce qui se joue dans cet espace spécifique de travail. Dans la culture déléguée par le corps médical (SC2), les soignants rendent service à ce dernier dans une fonction d'agent double : agent informateur des médecins et agent applicateur des prescriptions, sans pour autant être mandatés pour décharger ces derniers de leurs responsabilités, fût-ce au travers de nouveaux savoirs délégués, de pratiques avancées ou d'évaluation clinique. Le troisième ordre à voir le jour, celui sur lequel repose les fondements de la discipline du prendre soin institutionnel (médiations de vie et posture d'intermédiaire culturelle), a la particularité d'être le deuxième à entrer en activité (déjà présent au XVe siècle), mais le dernier (vers 1950) à transformer l'expérience en savoir par le jeu de l'écriture (SC3). Comme déjà mentionné, ce n'est en effet que tardivement que la profession pourra développer sa pratique propre et produire de nouvelles connaissances dans des lieux adéquats et avec des professeurs payés pour cette tâche. La discipline commencera alors à structurer son langage et sa logique discursive écrite au plan académique. Dans son espace spécifique de travail, la soignante selon sa dynamique professionnelle propre, celle du SC3, pouvait alors se constituer une expérience du champ des misères contenues dans l'hôpital. Contrainte, mais consentante, de vivre avec et pour des humains, la soignante est confrontée à l'incertitude de leurs réactions, de leurs comportements, de leurs motivations à vivre ou à mourir, ou de leurs désirs.
4. Questions épistémologiques : quelle reconnaissance ?
Si après avoir suivi des cours d'ethnologie ou de sociologie jusqu'au doctorat, on peut se prévaloir d'être ethnologue ou sociologue, en va-t-il de même pour les infirmières ? Après des études d'infirmière, y compris jusqu'au doctorat, à quel "-logue" appartenir pour soutenir son identité scientifique et la faire reconnaître ? Une représentation symbolique forte comme celle d'"infirmière" aurait-elle le pouvoir de rassurer sur l'identité collective acquise face à la représentation scientifique faible d'une discipline qui commence seulement à construire son objet, et donc son identité scientifique ? On ne peut pas, en quelques années et dans une discipline émergente, avoir l'assurance et un indice de productivité scientifique équivalents aux disciplines universitaires établies depuis longtemps. Du reste, nos docteurs en "soins infirmiers" attendent encore quelques disciples capables de contribuer au développement de notre discipline de manière autonome.
Nous pensons qu'il est plus important pour une discipline de déterminer l'identité de ses savoirs que l'identité des personnes qui s'y réfèrent.
On ne devient pas infirmière avant d'utiliser un savoir de même nature que l'identité proclamée (infirmier). Or, l'infirmière laïque a vu le jour avant que la conceptualisation des savoirs ne prenne forme ou que le métaparadigme "infirmier" et ses théories se fassent connaître. Dans la tradition de langage francophone, on a commencé dans la première moitié du XXe siècle à "se dire infirmière" après avoir reçu une identité imposée et avant d'avoir pu conceptualiser des modèles paradigmatiques et théoriques "infirmiers". C'est en effet, seulement dans la deuxième moitié du XXe siècle que la recherche fondamentale en Nursing Science a vu le jour aux USA avec H. Peplau en 1952, V. Henderson en 1955, D. Johnson en 1958, etc. Par analogie, Jean-Baptiste Lamarck n'était pas biologiste avant de donner le nom de "biologie", en 1802, à ce qui se nommait alors "théorie positive de l'évolution des êtres vivants", pas plus qu'Auguste Comte n'était sociologue avant de donner à la "physique sociale" ou à la "philosophie positive" le terme de "sociologie" en 1839. Comme le précise Latour, "dur d'être chercheur avant que la profession existe !" (1989 : 365). Pour Nicole Rousseau, professeure émérite canadienne, les premières tentatives de conceptualisation du Nursing auraient dû s'inspirer des traditions
[…] ou du moins être développées à partir du quotidien de l'exercice infirmier autonome, c'est-à-dire à partir des interventions que posent les infirmières quand elles font autre chose qu'exécuter des prescriptions médicales. Ce n'est cependant pas ce que les infirmières théoriciennes ont fait (1997 : 43).
Elles ont, certes, fait une tentative de conceptualisation de l'activité soignante. Mais cette façon de procéder pour développer un corps de connaissances est tout à fait typique des premières théoriciennes.
Sans le dire explicitement, elles considéraient les soins infirmiers comme un champ d'études construit à partir de connaissances puisées dans diverses disciplines, plutôt que comme une discipline spécifique. L'objet de ce champ d'études demeurait extrêmement vaste et imprécis (ibid.).
Cela ne veut pas dire que ce savoir ne vaut rien, mais il est tout simplement le reflet du processus de constitution d'une discipline et le début d'un essai de distinction des savoirs. Cependant, même dépassé, le savoir produit représente une interprétation historiquement située qui mérite explication à l'aide d'arguments. Il doit être resitué dans l'espace-temps de sa construction. Un livre en tant que produit de l'activité humaine demeure un livre même si personne ne le lit jamais. Il contient de la connaissance objective, vraie ou fausse, utile ou inutile, actuelle ou dépassée. Par exemple, la théorie de soins de Virginia Henderson, très connue (trop peut-être ? Au point de faire oublier d'autres théories et résultats de recherche composant la discipline), ne représente pas à elle seule l'ensemble des connaissances propres à la discipline du prendre soin, tant s'en faut. Elle ne s'applique pas non plus comme un livre de recettes. Représentative des courants de pensée américains de la période 1935-1948, elle ne s'appuie pas sur une tradition de langage historique du soin institutionnel mais puise ses fondements dans la physiologie (Stackpole), la psychologie (Erikson, Thorndike, Maslow) et l'anthropologie (Radcliffe-Brown, mais surtout Malinowski), comme le démontre Nicolas Vornax (2010). Même s'il y a longtemps que l'on sait que les soins à l'humain ne se réduisent pas à une satisfaction de quatorze besoins dits "fondamentaux", la théorie de soins de Virginia Henderson demeure une représentation structurale ou conceptuelle de la réalité au sein d'une discipline donnée. Cette façon de construire le savoir a eu lieu à un moment et dans un espace donné selon des valeurs propres à l'auteure. Il n'en demeure pas moins que cette vision des choses reste en tant que patrimoine, à mettre au compte des savoirs significatifs du développement de la discipline du prendre soin. Cependant,
[…] à l'approche du XXIe siècle, la profession infirmière est en crise et ne semble pas pouvoir s'appuyer sur la législation ou sur ses théoriciennes pour s'en sortir […]. Ni l'accès au statut de profession, ni l'accès à la formation universitaire n'ont encore réussi à redonner aux soignantes leur indépendance perdue au fil des siècles (Rousseau, 1997 : 43).
Les infirmières auraient avantage à prendre conscience des racines historiques de leur profession et à s'en inspirer pour mieux définir le type de services qu'elles peuvent rendre à la société (ibid. : 44).
C'est ainsi que l'on peut dire que ni dans la médecine ni dans les sciences du vivant ou les sciences sociales, nos énoncés, nos règles de la pratique discursive ne peuvent former des groupes d'objets, des ensembles d'énonciations, des jeux de concepts, des séries de choix théoriques. La science infirmière doit retrouver ses traditions de langage. Il nous faut comprendre et expliquer nos fondements rationnels avant de suivre aveuglément ou par effet de mode n'importe quel savoir.
On l'a vu, les soins ne sont pas infirmiers, la discipline n'est pas "infirmière", elle ne peut pas l'être. Certes, nous employons aussi ces termes dans notre propos. Non seulement ils sont quotidiennement mobilisés dans la communauté francophone, mais il nous faut encore nommer le terme que l'on cherche à dénoncer. Compte tenu de l'appartenance linguistique religieuse du terme infirmier mentionnée précédemment et transportée par le mythe principal francophone, on ne peut pas parler d'une pensée "infirmière", d'une science infirmière ou d'une science des soins infirmiers, et nous ne voyons pas sur quel radical univoque peut s'insérer un suffixe de -logie qui représente souvent le nomos du discours savant que tient toute discipline. Dans le milieu de pensée "infirmier", le "-logue" est quasiment absent. En tout état de cause, nous ne faisons ni de l'"infirmiérologie" ni de la "soignotique". Bien que Debray puisse s'amuser en précisant "quand l'ique dépanne, la logie déclame" (1994 : 85), nous sommes bien obligés de reconnaître que sans -logie, sans -ique, la longue standardisation de nos pratiques et de nos savoirs est toujours orpheline sur le plan identitaire.
Plutôt que de la nommer "science des soins" comme Collière le propose en 1996, "science infirmière" ou "science de l'écologie de la santé humaine" comme le propose Donaldson en 2003 (Dallaire & Aubin, 2008 : 12), notre proposition consiste à nommer "médiologie de la santé et médiologue de santé" notre discipline propre et celui ou celle qui s'en sert.
La conceptualisation, la logique discursive de la médiologie de la santé est tridimensionnelle. Elle contient tout d'abord un langage sur l'environnement en tant qu'espace-temps spécifique institutionnel de travail que nous nommerons "MÉDium", l'hôpital est alors le premier espace-temps spécifique dans lequel apparaît le langage de l'organisation du travail, puis, un langage pour aider à vivre en établissant des MÉDiations de santé à tous les âges de la vie, et enfin, un langage comme interMÉDiaire culturel qui place la médiologue de santé entre trois systèmes de valeurs qui ne sont pas en synergie. Les "3 MÉD " en tant que radicaux associés à la dimension "vie" du trièdre épistémologique des sciences humaines ("la vie, le travail, le langage", Foucault, 1966 : 358), donneront "médiologie de la santé", santé, étant synonyme de "porteur de vie".
Médiologie de la santé (synonyme à la science infirmière) est "au singulier puisque le territoire théorique examiné est celui dans lequel se trouve seulement le savoir propre, soit celui élaboré de l'intérieur de la discipline" (Dallaire & Aubin, 2008 : 13). Le territoire disciplinaire est alors situé au cœur des quatre concepts du métaparadigme du Nursing selon la tradition américaine : environnement, personne, prendre soin et santé. Il nous faut quitter le mythos. Avec la médiologie de la santé, une -logie (logos) et son radical nomos donnent un sens à nos énoncés et à l'étude de l'activité traditionnelle du prendre soin. Celle qui se réfère à cette vision des choses peut devenir "médiologue de santé". Bien sûr ce changement d'identité ne va pas de soi. "L'individu a trop besoin de stabilité dans ses identités pour ne pas courir le risque permanent de la perte de reconnaissance sociale" (Sainsaulieu, 1985 : 385). Mais lorsque pendant un siècle, on vous explique que vous êtes une infirmière, voire une bonne infirmière (bonne ou infirmière… on hésite parfois dirons certains !), que vous avez un savoir polysémique imposé par une succession de cultures dominantes émanant des mondes savants, il est bien difficile d'opérer la conversion et d'admettre que parmi la multitude de contenus enseignés, nos règles d'action propres, nos traditions de langage portées par notre discipline sont plutôt dans l'ordre de l'humain. Les disciplines dépendent les unes des autres et de l'action de leurs membres. Une partie de ces derniers, notamment les chercheurs qui exercent au sein du quatrième champ pratique de la profession, celui de la recherche, contribuent à la production du savoir. Entre ces acteurs, des jeux, des tensions et des négociations plus ou moins complexes produisent, stabilisent et transforment les découpages, les savoirs, les représentations. Le jeu de la science, en tant que système de croyance, est de ceux-là. "Faire de la place pour une discipline suppose également de réduire l'importance d'autres disciplines. Ces luttes d'influence renvoient […] aussi, comme le précise Dominique Vinck, (2000 : 76), "au poids respectif des disciplines dans le champ des sciences et aux investissements requis pour se construire une identité propre".
La logique d'exposition du savoir au sein des écoles s'appuie sur des contenus réclamés par les compétences à déployer selon les cultures en présence. Les programmes de premier cycle universitaire de nos Hautes écoles ont un corps de savoirs permettant de rendre service aux trois ensembles bénéficiaires vus précédemment. Du droit des assurances, en passant par la gestion des dossiers de soins informatisés, des principes d'organisation du travail à l'anatomie, la physiologie, la pathologie, les thérapeutiques et techniques de soins, ou encore la psychologie, la sociologie des organisations, les cours d'anglais, l'éthique, la bio-statistique et les méthodologies de recherche en science infirmière, etc., tous ces savoirs concourent à la délivrance des prestations de service.
Mais l'on trouve aussi - et c'est heureux ! - des connaissances propres à l'exercice de la fonction indépendante du rôle professionnel selon la dynamique particulière au SC3. Comme d'autres, la discipline du prendre soin a ses théories de soins et modèles conceptuels à large spectre ou à spectre modéré issus de recherches fondamentales ou appliquées. Elle a aussi ses publications et ses revues spécialisées. L'énumération n'est pas exhaustive. Reportés sur un diagramme en radar après avoir été mesurés en temps (Nadot et al., 2002c), tous ces langages occupent une surface à géométrie variable avec quatorze groupes de pratiques modifiables en fonction des informations qui dynamisent la prestation de service. Rappelons-nous en effet que dans une prestation de service, ce sont principalement "les usagers qui fournissent l'information nécessaire à la conception et à la production du service" (Bancel-Charensol, Delaunay, Jougleux, 1999 : 37).
Dans une recherche internationale d'envergure (Nadot et al., 2002c ; Nadot, 2003c, 2009a), nous avons pu confirmer que parmi les quatorze groupes de pratiques mis en évidence dans le modèle conceptuel d'intermédiaire culturel, la pratique la plus complexe qui occupe les infirmières aujourd'hui n'est pas le soin, mais la pratique de gestion de l'information qui, associée à la pratique de récolte d'information, à la pratique de gestion et de coordination, à la pratique de régulation et à la pratique professionnelle de la relation, forme un groupe de "pratiques informationnelles" qui peuvent représenter jusqu'à 72 % de la journée de travail d'une infirmière médiologue de santé. On est loin des douze minutes par jour calculées "scientifiquement" par les logiciels comptables de certaines maisons de personnes âgées en Suisse romande pour le remboursement par les assurances maladies du temps de parole des soignants (Goumaz, 2011). Combien valent les pratiques informationnelles soignantes en informatique médicale et dans la productivité analytique d'un hôpital ? Si l'on en vient à mesurer toutes les informations qui déclenchent les prestations de service des infirmières médiologues de santé, on se rend vite compte que les effectifs en place ne suffisent plus à assurer le traitement des informations en provenance de l'environnement humain, technologique ou administratif. Comme les malades ne sont pas les seuls à délivrer des informations déclenchant la prestation de service, la dotation en personnel infirmier d'une institution de santé ne peut plus se faire en fonction du seul nombre de malades à soigner. Deux opérations de l'appendicite peuvent bien être comparables au plan médical, les patients qui les subissent ne le sont pas pour le médiologue de santé. On s'achemine alors vers la métaphore de l'infirmière "disque dur" du système de santé. Couplé à une cellule photoélectrique chargée de capter et de traiter la manifestation des émotions issues d'une clinique de l'humain, ce disque dur contient l'histoire des connexions et de la dynamique de toutes les informations à décoder et à transformer en actes et en paroles (Nadot, 2005 : 40). Si l'on file cette métaphore, on dira qu'il est important d'éviter de trop charger le disque dur, car lorsqu'il sera plein, de sérieux dysfonctionnements risquent d'être programmés ! Mais on peut aussi proposer une deuxième métaphore : celle du service de médiologie de la santé d'un hôpital comme "tour de contrôle" et d'aiguillage du trafic des données. Ce n'est pas le ciel qui est contrôlé, mais les flux, l'utilisation et la coordination des données transmises pour satisfaire des demandes, assurer la sécurité et faire fonctionner le système de santé et ses institutions. Ce sont ces flux qui seraient susceptibles de fournir des indicateurs de charge pour assurer les dotations en personnel si l'on veut se montrer efficient ! En tout état de cause, le salaire des infirmières médiologues de santé n'est pas encore celui des aiguilleurs du ciel !
Par le passé comme dans le futur, on reste confronté aux aléas de l'existence humaine et aux contraintes des organisations de santé puisque les compétences réclamées par l'activité dépendent de l'information perçue, décodée, traitée et distribuée dans un environnement particulier.
5. Conclusion
Que devient alors l'identité professionnelle, partie plus ou moins centrale de l'identité personnelle ? Pratique qui n'est ni ménagère, ni familiale, ni domestique, ni bénévole, ni caritative, ni philanthropique, ni paramédicale, ni sociale, "prendre soin" dans un espace-temps singulier et légitimé est une activité qui a ses traditions de langage institutionnelles avec des pratiques standardisées et qui suivent l'évolution de la société et des systèmes de santé sur le long terme. La vie, le travail et le langage constituent le quotidien du soignant et son spectacle depuis des générations. La médiologie de la santé (science infirmière) se trouve derrière ce trièdre épistémologique des sciences humaines remarquablement décrit par Foucault. Bornées d'un côté par les sciences sociales et, de l'autre, par les sciences médicales, nos connaissances propres sont pour Dallaire & Blondeau, (2002 : 289) "en partie, une science humaine fondamentale. Selon Kim, (1997), les sciences infirmières sont à la fine pointe du développement des sciences humaines dans leurs efforts pour mettre de l'avant une vision holistique de l'être humain". Qu'est-ce qui constitue la succession d'événements de pensée de la discipline dite "infirmière" et à quelle étendue peut-elle prétendre ?
D'où partent nos énoncés, jusqu'à quand se répètent-ils, par quels canaux sont-ils diffusés, dans quels groupes circulent-ils, quel horizon général dessinent-ils pour la pensée des hommes, quelles bornes lui imposent-ils ? (Foucault 1969 : 192).
Le mythe "infirmier", savamment entretenu par la profession, masque les réels fondements de la discipline dans le langage francophone, et sa dénonciation a l'effet d'un pavé dans la marre. Qu'à cela ne tienne ! Dépasser nos propres mythes devient alors, comme pour d'autres sciences, une nécessité impérative pour statuer sur le savoir propre à la discipline du prendre soin. La science part des mythes et de leur critique disait Popper (1985 : 85).
À l'abri de leurs certitudes, les infirmières continuent de faire un peu de tout, n'importe quoi et rien de spécial sans pouvoir donner un sens particulier à la polysémie de leurs propres énoncés. Pas étonnant que leur identité professionnelle et scientifique demeure dans ces conditions une problématique récurrente. Ce sont les disciplines qui définissent leur objet et leur identité, et non l'objet qui définit la discipline. L'objet d'une discipline n'existe donc pas avant que la discipline n'existe ; il est construit par elle ou, plus précisément, par ses acteurs au sein d'une communauté pensante et dans des lieux reconnus de parole légitime. L'action collective des chercheurs ou la reconnaissance de nos logiques d'acteurs ne peut alors jaillir selon Sainsaulieu "que par un compromis entre des valeurs et des idées où chaque type d'acteur social trouvera les moyens de desserrer le carcan culturel dans lequel il étouffe" (1985 : 411). Ce que nous pensons avoir fait.
Avec ce premier modèle conceptuel en médiologie de la santé de l'Europe francophone (science infirmière), la mise en évidence de la partie profane des savoirs du prendre soin institutionnel, enrichie par les nouveaux savoirs contemporains issus de la recherche scientifique, honore ainsi dans un paradigme d'antériorité et de continuité, les habiletés, activités, connaissances et identités des soignants qui nous ont précédés.

Dans la généalogie des idées sur le métier du prendre soin institutionnel, l'hôpital apparaît comme cet espace-temps singulier qui permet à des traditions de langage soignantes d'exister sur le très long terme. La discipline dite "infirmière" retrouve ses fondements dans une proposition analytique originale ; c'est en tant qu'intermédiaire culturelle que l'infirmière place son activité réelle entre trois dimensions langagières : institutionnelle, biomédicale et médiations de vie. La médiologie de la santé se propose alors de remplacer l'intitulé "sciences infirmières" fondé à partir de la mythologie théologique. Bornée d'un côté par les sciences biomédicales et de l'autre par les sciences sociales apparaît ainsi une science humaine institutionnelle totalement au service de l'humain.

Notes :
1) Infirmier Ph. D., professeur d'histoire et d'épistémologie en sciences infirmières, ancien chargé de cours à la Faculté de biologie et de médecine de l'Université de Lausanne, chercheur retraité de la Haute école de santé de Fribourg (Suisse), professeur associé à la Faculté des sciences infirmières de l'Université Laval à Québec (Canada), professeur invité à la Faculté des sciences infirmières de l'Université St Joseph à Beyrouth (Liban), fondateur du premier modèle conceptuel en sciences infirmières de l'Europe francophone. E-mail : nadotm@hotmail.ch
2) On entend par discipline, "une articulation historiquement ancrée d'éléments composites, pouvant faire sens de manière durable et se constituer en instance rationnelle de connaissances" (Berthelot, cité par Vinck, 2000 :74).
3) Le médecin aussi observe la santé de l'être humain, "ou même plutôt la santé de tel homme déterminé, car c'est l'individu qui fait l'objet de ses soins" (Feyerabend, 2003 : 95).
4) Intermédiaire culturel entre la culture et le langage prescriptif institutionnel hiérarchisé (système culturel 1), la culture et le langage prescriptif médical hiérarchisé (système culturel 2), et la culture et le langage des personnes soignées. C'est à partir des interactions avec ces dernières que se sont élaborés la culture et le langage réflexif des soignants sur leur fonction indépendante (théories de soins du système culturel 3). On y reviendra longuement plus bas.
5) Au plan économique, le secteur de la santé se trouve effectivement aujourd'hui dans le secteur tertiaire, celui des services.
6) Lorsque nous parlons des soignants, nous mentionnons exclusivement les infirmières et leurs auxiliaires qui assurent les soins 24 heures sur 24 au sein du département des soins infirmiers des institutions de santé.
7) Ce qui expliquerait en partie, selon nous, la difficulté qu'ont les infirmières à se donner une identité professionnelle et scientifique univoque. Lorsque l'on sait l'importance de cette dernière pour assurer à la personne une place dans la société et une certaine unité ou cohérence de son être et de son agir, on peut s'inquiéter de voir cette utopie identitaire perdurer. "L'identité est nécessaire psychiquement et socialement. Elle est un pré-requis au fonctionnement social harmonieux d'une personne dans son environnement tout autant qu'à la cohésion des groupes" (Rocher, 1968 : 163).
8) Collière (1996 : 40) situe cette période à partir de la XVIIIe dynastie égyptienne (1500-1300 avant J.-C.). Pour Dallaire qui cite Saillant et Côté (2008 : 56), "les savoirs profanes des soins se structurent en fonction de l'histoire et de la culture propres au groupe dont ils sont issus".
9) Femmes du peuple quant à l'origine, à l'aspect, aux mœurs et aux manières.
10) Par exemple : Molignier A. (1979), Pathologie médicale à l'usage des infirmières, Paris, Douin ; Carillon R. (1969), Anatomie et physiologie à l'usage des infirmières, Paris, Douin ; Bernard P. (1974), Manuel de l'infirmier en psychiatrie, Paris, Masson ; Lacombe M. (1967), Précis d'anatomie et de physiologie pour les infirmières, Paris, Lamarre-Poinat (en 2009, Lamarre sort encore le même livre en 30e édition) ; Mercier J. & Clogne R. (1963), Manuel de pharmacologie à l'usage des élèves infirmières, Paris, Poinat ; Lacombe M. (2009), Dictionnaire médical à l'usage des IDE, Paris, Lamarre.
11) Journal officiel français du 30 octobre 1902 : 7043. Circulaire d'Émile Combes, ministre de l'Intérieur et des Cultes.
12) SC pour Système culturel. 1, 2, 3 : ordre d'apparition de l'écriture et du langage prescriptif sur le long terme au sein des organisations de santé.
13) Henderson V. (1955), Textbook of the Principles and Practice of Nursing, 5e éd., New York, Macmillan Co. ; Henderson V. (1960), Basic Principles of Nursing Care, Genève, International Council of Nurses (rééd. 1961, 1968, 1969, 1973, 1974, 1976, 1977).
14) Le modèle conceptuel en science infirmière nommé "modèle d'intermédiaire culturel" a fait l'objet de publications en 1992a, b ; 2002a, b, c ; 2003b, c ; 2008 ; 2009a (Nadot) et représente le premier modèle conceptuel en science infirmière de l'Europe francophone recensé dans les théories de soins de la bibliothèque universitaire de l'Université Laval à Québec (Canada).
15) En fait, un hôpital ou une institution de santé comprend une dynamique de pouvoir vue comme élément institutionnel de valeurs capable de transcender et donc de relier des entités diverses comprenant un ordre normatif accepté par les acteurs. L'institution est toujours habitée par du pouvoir et formate les pratiques. L'espace-temps du prendre soin voit aussi une pratique discursive se développer en tant "qu'ensemble de règles anonymes, historiques, toujours déterminées dans le temps et l'espace qui ont défini à une époque donnée, et pour une aire sociale, économique, géographique ou linguistique donnée les conditions d'exercice de la fonction énonciative" (Foucault, 1969 : 162).
16) Deux préfixes et un radical.
17) Certaines bibliothèques universitaires ont des dizaines de mètres linéaires de théories, dépassées ou actuelles, qui, comme pour d'autres disciplines, n'en constituent pas moins le patrimoine objectif de la discipline.
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