
Nathalene Reynolds
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Titre(s), Diplôme(s) : Doctorat d'Histoire des Relations Internationales (Paris I, Panthéon-Sorbonne)
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L'Inde face à la nouvelle donne mondiale Brève présentation
La nouvelle rhétorique occidentale - qui accompagna la chute du bloc soviétique et les attentats du 11 septembre 2001 - apparaissait favorable aux ambitions d'une Inde qui se réjouissait d'être parfois décrite comme un îlot démocratique, tout au moins en Asie du Sud. L'enjeu "démocratie" était, au demeurant, un élément de propagande utile dans la région Asie dont une partie (l'Afghanistan et ses voisins frontaliers) était davantage fragilisée par l'éclatement d'un nouveau conflit à caractère idéologique. L'insertion de l'Union indienne dans une communauté internationale(1) dont on proclamait la légitimité en était facilitée, tandis que l'Occident s'inquiétait de l'incontestable montée en puissance de la République Populaire de Chine. New Delhi, quant à lui, se hâtait de se plier aux nouvelles contraintes internationales d'autant plus aisément qu'il pouvait instrumentaliser le nouvel équilibre(2) mondial à son profit ; il visait à consolider sa position sur les scènes internationale, régionale et nationale (puisque l'on faisait un usage prodigue du vocable de terrorisme, l'Inde pouvait s'attacher à condamner - d'une façon définitive - les mouvements séparatistes dont le Jammu et Cachemire voire le Nord-Est étaient les théâtres).
Depuis l'affirmation des nationalistes hindous au milieu des années 1990, l'Inde n'a plus coutume de célébrer l'héritage légué par le Premier ministre congressiste Jawaharlal Nehru (1947-1964). Nehru fut pourtant le promoteur, au lendemain de l'indépendance du 15 août 1947, du non-alignement. Cette doctrine autorisa une politique étrangère indépendante, préservant la scène indienne de l'intrusion de la guerre froide ; le pays nouait de bonnes relations autant avec l'Union Soviétique que les Etats-Unis, bénéficiant d'une importante assistance financière. En outre, le court conflit frontalier sino-indien de la fin du mois d'octobre 1962 permit aux autorités de New Delhi de bénéficier d'une aide militaire occidentale généreuse, tandis qu'elles renforçaient leurs liens avec Moscou, les deux grands s'accordant officieusement face à ce que l'on convenait déjà d'appeler la menace chinoise.
Nouvelle donne oblige, l'Union indienne ose désormais vanter les bonnes relations qu'elle entretient avec les Etats-Unis. L'épisode des essais nucléaires de mai 1998(3), il est vrai, lui a été bénéfique : il la conduit, d'une manière voilée, à une insertion progressive au sein du club atomique, alors même qu'elle continue de récuser toute adhésion au Traité de non-prolifération nucléaire. Du reste, l'Inde non-alignée ne négligea guère les questions de défense d'autant que dès la fin de 1947, un premier conflit l'opposait au Pakistan. Les dépenses militaires représentaient ainsi 2,5% de son PIB en 2006, un chiffre qui serait cependant en dessous de la réalité, tandis que l'armée de terre, par exemple, aligne 1 200 000 hommes. Il faut d'ailleurs rappeler une étape importante dans les relations indo-américaines, Washington arguant de la pérennité dont a fait preuve la démocratie indienne : le 2 mars 2006, le Président George Bush et le Premier ministre Manmohan Singh annonçaient la signature d'un accord sans précédent (le Civil Nuclear Cooperation Agreement). Les Etats-Unis proposaient à l'Inde leur assistance dans sa production d'énergie nucléaire civile, une coopération qui comprenait la livraison de réacteurs ainsi qu'un approvisionnement en combustibles. La Maison Blanche soulignait que New Delhi(4) participerait d'un système dont il avait été absent ces trente dernières années (le premier essai nucléaire indien ayant eu lieu en 1974). Seules concessions offertes (dans un premier temps, du moins) par le gouvernement Singh : l'Inde s'engageait à procéder, durant les huit années qui suivraient, à une stricte différentiation entre programmes nucléaires militaire et civil ; les infrastructures du pays seraient, pour la première fois, soumises aux inspections de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).
Les observateurs soulignaient l'inauguration d'un partenariat stratégique (strategic partnership) liant les deux Etats. Et l'opposition au gouvernement de New Delhi, mais également les communistes qui le soutenaient (selon l'expression consacrée) de l'extérieur s'alarmaient de la menace qui pesait désormais sur l'indépendance nationale. Cette préoccupation était renforcée par ce que le Congrès et le Sénat américain, après l'examen du projet de loi qui leur était proposé, appelaient la Henry J. Hyde U.S.-India Peaceful Atomic Energy Cooperation Act - laquelle était adoptée en décembre 2006. Ce texte, selon ses détracteurs, ne contenait-il pas des clauses qui, tout en restreignant le programme nucléaire indien, enjoignaient à New Delhi de participer à la lutte à l'encontre de la prolifération nucléaire que poursuivait la Maison Blanche ?
Les gouvernements de New Delhi - à l'exception de la brève tentative d'août 1999 - n'ont jamais cherché à définir de doctrine nucléaire officielle, se contentant de souligner qu'ils n'useraient de l'arme atomique qu'en réponse à une attaque de la même nature, cette assertion s'adressant tout particulièrement à Islamabad. L'antagonisme indo-pakistanais demeure vivace. Washington est toutefois préoccupé par d'autres enjeux, considérant avec intérêt les différentes formes d'organisation régionales dont l'Asie est le théâtre. Tout en exerçant une pression mesurée sur l'administration Singh afin de l'empêcher de donner suite au projet de gazoduc iranien, la Maison Blanche s'inquiète des besoins énergétiques indiens (et chinois) grandissants. De plus, elle vise sans nul doute à ne pas être exclue d'un important marché. Les citoyens indiens représentent, en effet, un sixième de la population mondiale, tandis que le taux de croissance de l'Union était de 9,3% au premier trimestre 2007(5).
L'Inde - septième puissance spatiale qui lançait son premier satellite militaire au mois d'août 2007 - est en tout état de cause courtisée. En janvier de cette même année, elle signait avec la Russie un accord aux termes duquel celle-ci s'engageait à lui fournir trois réacteurs nucléaires. Ce fut l'occasion pour Manmohan Singh de remercier le Kremlin pour son soutien qui permettait de réduire la portée "des restrictions internationales", contribuant ainsi "à l'expansion du programme" indien(6). L'aide de Moscou - de toute évidence - n'est pas désintéressée : outre la consolidation de liens hérités de l'époque soviétique, tout particulièrement dans le domaine militaire, le gouvernement de Vladimir Poutine s'attache à promouvoir un triangle stratégique l'unissant à l'Inde et à la Chine, cet axe ayant pour objectif de faire face à la domination mondiale exercée par les Etats-Unis.
C'est dans le contexte de la réussite du modèle indien et de sa transition aisée vers un univers international bouleversé par l'effondrement de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques qu'il faut donc envisager la perspective géopolitique indienne de l'Asie. Dès sa naissance, New Delhi chercha d'ailleurs à user de ce continent comme d'un champ d'expression privilégié de son hégémonie(7). Il dut néanmoins se contenter de ce que l'on nomme parfois son arrière-cour, l'Asie du Sud, ne prenant souvent guère la peine d'y parer l'exercice de sa politique extérieure des couleurs du non-alignement. Alors que l'Union indienne s'attache à faire table rase de la douloureuse blessure que subit, en octobre 1962, un orgueil national exacerbé, les relations sino-indiennes prennent leur essor. La méfiance est de rigueur. Pékin n'entend pas revenir sur son opposition quant à l'octroi d'un siège permanent du Conseil de Sécurité à l'Inde : il s'inquiète des ambitions de son voisin, tout en feignant de prendre en compte les appréhensions de son allié pakistanais. D'aucuns évoquent aussi un vu américain qui n'a pas été formulé officiellement : celui d'une alliance visant à contrer la puissance chinoise. L'Inde reste pourtant fidèle à l'un des fondements d'un non-alignement désormais suranné, celui d'une politique étrangère qui autorise la diversification de ses relations diplomatiques. Le flou constitue ainsi un outil non négligeable qui peut pourtant nuire à son initiateur. En témoignent les enjeux relevés par les débats qui font suite à l'accord indo-américain du 2 mars 2006. Néanmoins New Delhi se réjouit probablement de l'intérêt qu'un tel rapprochement suscite en République Populaire de Chine, d'autant que les forces navales australiennes, indiennes, japonaises et singapouriennes ont entamé l'exercice Malabar le 4 septembre dernier dans la baie du Bengale(8).
Signature :
Nathalène Reynolds
Notes :
(1) Suite à la rupture de la logique des deux blocs (occidental et soviétique) et au déclenchement de la guerre du Golfe (janvier 1991), la presse occidentale s'employa à utiliser abondamment l'expression de communauté internationale. Elle jouait - volontairement peut-être - sur l'impact qu'un tel concept pouvait produire sur l'opinion publique, en particulier en Occident. Cette locution n'était jamais officiellement définie, sauf à guetter des glissements. Si l'on veut s'essayer à une définition, on peut aisément en conclure qu'elle vise à souligner l'existence d'un concert comprenant la grande majorité des nations occidentales, lesquelles conviendraient de décisions cruciales.
(2) Ce fut en cette époque de bouleversements que l'on prit l'habitude d'évoquer un nouvel équilibre international, les observateurs supputant quant à l'éventuelle naissance d'un ordre mondial unilatéral. A examiner le déroulement des événements depuis le début des années 1990, force est en tout état de cause de constater que l'Etat-nation - concept fondateur de ce que l'on nomma les Etats modernes - paraît avoir grand besoin de la notion d'ennemi (schématiquement ici, l'islam politique militant) pour tenter de susciter l'union intérieure tout en permettant la conclusion d'alliances sur la scène internationale.
(3) L'année suivant ces tests, l'on notait que l'Inde disposait de cinq types d'engins qu'elle avait déjà testés : les "missiles sol-air Akash et Trishul, le projectile antichar Nag et les missiles sol-sol de courte portée Prithvi et de portée intermédiaire Agni" (cf. L'instabilité des puissances régionales d'Asie et du Proche-Orient souligne les dangers de leur course aux missiles stratégiques, 22 octobre 1999, www.checkpoint-online.ch).
(4) Ce fut le gouvernement présidé par le nationaliste hindou Atal Behari Vajpayee qui engagea le pays dans une telle voie.
(5) Le succès économique de l'Inde constitue également un legs de l'ère Nehru, les premiers gouvernements du pays optant pour une forme d'autarcie qui favorisa l'expansion de la production nationale. La libéralisation économique, entamée sous le mandat du Premier ministre Rajiv Gandhi (1984-1989), eut certes lieu sous la pression des événements mondiaux, mais le pays était prêt à y faire face.
(6) Cf. India and Russia in nuclear deal, 25 janvier 2007, www.bbc.co.uk.
(7) La fédération indienne, qui comprend 2 973 190 kilomètres carrés, occupe une position stratégique d'importance : avec des frontières terrestres de 14 103 kilomètres, elle est voisine du Bangladesh (4053 km), du Bhutan (605 km), de la Chine (3380 km), du Myanmar (1463 km), du Népal (1690 km) et du Pakistan (2912 km). Elle dispose, en outre, de frontières naturelles le long de la chaîne himalayenne qui la sépare de la Chine. Quant à sa façade maritime, elle s'étend sur 7000 kilomètres, lui donnant accès à la Baie du Bengale et à l'Océan indien, tandis qu'elle est séparée du Sri Lanka par le détroit de Palk.
(8) A noter que l'Union a commencé, à la fin de mai 2005, la construction de la base navale de Kadamba (à Karwar, dans l'Etat indien du Karnataka), laquelle sera - selon les prévisions officielles - la plus importante de cette zone. New Delhi souhaite ainsi renforcer son potentiel dans l'Océan indien (du détroit de Malacca au détroit d'Hormuz).