
Norbert Sclippa
ContacterNorbert Sclippa
Descriptif auteur
Né en 1944 à Bélesta (Ariège), vit aux Etats-Unis depuis 1973.
Titre(s), Diplôme(s) : Docteur ès Lettres (Ph.D.)
Vous avez vu 11 livre(s) sur 7
AUTRES PARUTIONS
"La loi du père et les droits du coeur : Essai sur les tragédies de Voltaire". Genève : Droz, 1993
"Le Jeu de la Sphinge : Sade et la philosophie des Lumières". New York : Lang, 2000
LES ARTICLES DE L'AUTEUR
Le devoir de monstruosité
Prenons le cas dOedipe, par exemple. Ce pauvre Oedipe qui se désolait davoir tué son père (et par accident encore), et pris sa place dans la couche maternelle alors que, quand il naurait pas commencé par cette destruction initiale, le meurtre de son père, rien ne serait arrivé, ni même sa fameuse histoire. Sophocle devait nécessairement avoir en tête une certaine idée de la destruction et de la signification de cette destruction en se mettant à écrire - signification qui comme nous le savons était politique,[3] et cest pourquoi il na pas choisi de faire aussi coucher Oedipe avec ses frères et soeurs (à lui en donner aussi), ou tuer sa mère pour coucher avec son père, ou tuer les deux après les avoir violés, etc. - car enfin ce ne sont pas les options qui manquent, et on ne peut pas dire non plus quil ait manqué dimagination. En tout cas, on nen a aucune preuve ; nous ne savons pas ce que pensait véritablement Sophocle, en-dehors de son uvre. Mais il travaillait « pour le théâtre » - le professionnalisme, déjà ! - et dans la Grèce du Vème siècle av. J.-C., travailler pour le théâtre signifie aussi travailler pour la cité, pour la polis - belle étymologie de police. (Comme quoi les dictatures nont rien inventé). Mais lidée dune libération de lesprit nétait pas encore dans lère bien que les deux soient loin dêtre contradictoires. Sophocle cependant ne pouvait pas non plus ignorer que lhistoire dOedipe se passait bien dabord dans sa tête, et alors même quil la destinait à être projetée au dehors, sur la scène du théâtre, devant la polis Mais même ce savoir ne pouvait rien changer au fait que son rôle était déjà déterminé davance. Il devait, par la cathasis - la terreur et la pitié - renforcer le respect du citoyen pour les lois et sa crainte de la colère des dieux, lesquels ont cette façon si particulière de se servir de lintelligence des hommes pour se jouer deux - en leur faisant voir des monstres, par exemple dipe et la sphinge sont donc aussi dans cette mise en scène la ruse du poète... Et voici bien où réside lultime trahison[4] : limagination capturée (comme on « capture » une rivière), prisonnière, livrée à la foule tout investie dhorreur, tel un épouvantail : dipe enfin, les yeux crevés et dégoûtant de sang... Et la sphinge, marionnette de Sophocle, le devenant par son truchement des foules assemblées venues consommer leur dose de terreur et de pitié [5]
La réponse dOedipe à la sphinge lui donnait implicitement le droit de tuer son père et de coucher avec sa mère. Sil est puni, cest pour satisfaire au désir de la polis venue consommer, par poète interposé, le spectacle sado-masochiste de sa propre mutilation, et son geste fou, qui rappelle le début spectaculaire du Chien andalou (lil fendu au rasoir), est aussi la mise en scène de son propre aveuglement.
Notes :
[1] Surtout la populaire, dont nous sommes de plus en plus envahis.
[2] Au sens également où Spinoza écrivait « Omnis determinatio negatio est » - toute détermination (limite) est négation.
[3] Comme Gilles Deleuze la bien noté, « dipe suppose une fantastique répression des machines désirantes ». (LAnti-dipe. Paris : Minuit, 1972, p. 8).
[4] Toute oedipianisation est « une trahison du désir ». Deleuze, op.cit., p. 132
[5] Il ny a, bien entendu, pas de place pour la catharsis dans luvre de Sade. Dans Juliette, par exemple, on peut lire : « or, si la pitié naît de la frayeur, elle est donc une faiblesse, dont nous devons nous garantir, nous purger le plus tôt possible. » (uvres. Ed. Michel Delon, Paris : Gallimard/La Pléïade, vol. III, p. 329. Toutes les références se rapportent à cette édition). Et ailleurs : « la pitié [ ] est un vice réel, [ ] une faiblesse de lâme, comme une de ses maladies dont il [faut] promptement se guérir », dont « les effets [sont] diamétralement opposés aux lois de la nature. » Ibid., p. 336.
[6] Voyez sa conférence, p. 45.
[7] « le pareil livre ne se rencontrant ni chez les anciens ni chez les modernes. » Les Cent Vingt Journées de Sodome, vol. I, p. 69.
[8] Mes italiques, dans la dernière ligne. Hubert Damisch, « Lécriture sans mesures », dans Tel Quel, numéro « La pensée Sade », Hiver 1967, p. 54.
[9] Métaphores de lhumanité dans Juliette.
[10] Audace dont il est bien conscient : « nous allons, avec une courageuse audace, peindre le crime comme il est. » La Nouvelle Justine, vol. II, p. 396.
[11] « son flambeau, comme celui de lastre du jour, doit dissiper toutes les ténèbres. » Ibid., p. 430.
[12] Au sens où lentendait Spinoza : « Quel moyen de saffranchir est à la disposition du philosophe ? Sa tâche est de se faire de son être propre, des accidents dont sa vie se compose, une idée comparable à celle quun mathématicien a dune figure quil sait construire et des propriétés de cette figure. A la passion alors succédera laction, à une nécessité extérieure et contraignante, une nécessité conforme à sa volonté devenue raison. » Op. cit., p. 15.
[13] « Si nous navions pas tout dit, tout analysé, comment voudrais-tu que nous eussions pu deviner ce qui te convient ? » Les Cent Vingt Journées, vol. I, p. 69.
[14] « Cest ici lhistoire dun magnifique repas où six cents plats divers soffrent à ton appétit. » Les Cent Vingt Journées, vol. I, p. 69.
[15] Comme aussi chez Spinoza : « Substance pensante et substance étendue, cest une seule et même substance comprise tantôt sous un attribut, tantôt sous lautre. » Ethique. uvres, 3. Paris : Garnier-Flammarion, 1965, p. 76.
[16] Et de quelle manière inouïe : trente ans de prison nont même pas réussi à entamer sa raison.
[17] « tant il est vrai que la vraie volupté ne gît que dans limagination, et quelle nest délicieusement nourrie que des monstres quenfante ce mode capricieux de notre esprit. » La Nouvelle Justine, vol. II, p. 602.
[18] Juliette, vol. III, p. 411. Saint-Fond dixit.
[19] Philippe Sollers. Sade contre lêtre suprême. Paris : Gallimard, 1996, p. 46.