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LES ARTICLES DE L'AUTEUR
LE PARTICULARISME DU CRIME CONTRE L'HUMANITE
L'incrimination du "crime contre l'humanité" a vu le jour en droit international en réaction de la communauté internationale contre les atrocités nazies durant la seconde guerre mondiale. Les crimes commis par les nazis étaient tout à fait nouveaux et différents des incriminations qui existaient jusque-là. Il s'agissait notamment des exécutions d'otages, des camps de concentration, des exterminations systématiques d'hommes, de femmes et des enfants pour de motifs de race, de religion ou de nationalité, des déportations de peuples entiers, des chambres à gaz. Cette politique d'extermination dévoile un anéantissement de l'humanité de l'homme, de son appartenance même à l'espèce humaine. C'est une négation de la qualité d'homme, déniée et méthodiquement détruite dans les camps de concentration. Il eut donc fallu, au regard des atrocités subies par l'humanité, forger une nouvelle qualification pénale pour désigner une novation dans l'ordre de l'horreur. La nécessité de la défense du monde entraina la naissance d'un nouveau concept : le crime contre l'humanité. L'apparition de ce concept était de l'ordre de l'action et inaugurait une nouvelle voie qu'allait emprunter la communauté internationale : "mettre en accusation des hommes, les juger et les condamner pour ce qu'ils avaient fait et qui était si interpellant qu'il fallait des mots nouveaux". Ce crime est donc apparu pour punir -et par là-même prévenir- les atteintes à l'humanité, autrement dit les valeurs fondamentales de l'être humain.
La première apparition du concept "crime contre l'humanité" dans un texte international remonte à l'année 1945, dans le Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg. Norme coutumière définie à Nuremberg, l'incrimination du crime contre l'humanité a erré au fil de l'histoire, au gré de la conception unilatérale de chaque droit étatique, avant d'être redéfinie en droit international. Finalement, c'est au Statut de Rome portant création, organisation et fonctionnement de la Cour pénale internationale que nous devons une définition générale et permanente du crime contre l'humanité. L'article 7 dispose :
Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l'humanité l'un quelconque des actes ci-après lorsqu'il est commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque :
a) Meurtre b) Extermination c) Réduction en esclavage d) Déportation ou transfert forcé de population e) Emprisonnement f) Torture g) Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée h) Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste ou en fonction d'autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international i) Disparitions forcées de personnes j) Crime d'apartheid k) Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.
Certes, le Statut de Rome a le mérite d'avoir élargi l'incrimination du crime contre l'humanité et d'avoir établi la liste de ses éléments constitutifs en s'en tenant aux illustrations de comportements inhumains, d'atteintes les plus graves à la dignité humaine. Par cette énumération, le droit international a pallié au risque de banalisation que comportaient certaines approches antérieures ainsi qu'au risque corrélatif d'une répression affaiblie-parce que trop diversifiée-de cette catégorie de crimes. Toutefois, l'on constate que la notion de crime contre l'humanité semble ne pas être définie, mais plutôt décrite. A l'instar du Statut du tribunal militaire de Nuremberg, de ceux du Tribunal pénal international pour le Rwanda et du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, le Statut de Rome utilise la technique de prévoir une série d'actes qui constituent le crime contre l'humanité lorsqu'ils sont commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique contre la population civile, lorsque l'auteur en a conscience. En conséquence, se pose avec acuité le problème de la spécificité de cette incrimination étant donné que la technique énumérative ne permet pas de dégager des différences nettes entre le crime contre l'humanité et les autres infractions dans la mesure où tous les actes constitutifs dudit crime sont par eux-mêmes des incriminations. C'est ce qui a fait dire à M. Lucas Vergnaud que le crime contre l'humanité manque de spécificité par manque de caractère propre ; seul le titre de l'incrimination nous laisse savoir que l'humanité est la valeur protégée, les textes ne donnent aucune explicitation de ce vocable. L'auteur en conclut que "si l'on se réfère au texte, nous savons ce qui est inhumain sans savoir ce qu'est l'humanité" tant et si bien que "l'article 7 du Statut (de Rome), qui définit le crime contre l'humanité, est fait de bric et de broc et ne brille ni par sa cohérence, ni par sa clarté". Autrement dit, le particularisme du crime contre l'humanité mérite d'être explicité.
Ainsi, il sera question, dans le présent article, d'articuler notre raisonnement autour de deux idées maitresses : l'humanité en tant que victime du crime contre l'humanité (I) et la négation de l'humanité en tant que spécificité du crime contre l'humanité (II).
I. L'humanité en tant que victime du crime contre l'humanité
Pour que l'incrimination de crime contre l'humanité soit juridiquement établie, l'article 7 §1 du Statut de Rome dispose qu'il doit s'agir d'une "attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile quelconque". Ce texte renferme un double objet de protection : un intérêt individuel, à savoir la personne humaine dont les droits les plus essentiels sont bafoués et un intérêt à caractère collectif, à savoir l'humanité. Notion fluide et fuyante, l'humanité peut être appréhendée tant sur le plan juridique (A) que sur le plan philosophique (B).
A. Une appréhension juridique de l'humanité
D'un point de vue juridique, l'objet principal de l'attaque constitutive du crime contre l'humanité est la population civile. Le texte prévoit que cette attaque doit être généralisée ou systématique. Un crime peut être généralisé par l'effet cumulé d'une série d'actes inhumains ou par l'effet singulier d'un seul acte de grande ampleur. Le caractère généralisé de l'attaque ressort de la gravité des actes qui la composent, de la multiplicité des victimes qu'elle vise, de son caractère massif et fréquent, ainsi que de sa nature collective. En revanche, une attaque systématique fait référence à l'idée que les actes de violence sont commis de manière organisée et non isolée. Elle doit donc, pour être qualifiée de systématique, suivre un plan méthodique, une politique commune à ses auteurs, et s'appuyer sur des ressources substantielles, privées ou publiques. Le crime contre l'humanité mettant en cause une valeur fondamentale de la communauté internationale, la dignité humaine, sa commission requiert, outre une "gravité substantielle", une "gravité circonstancielle", autrement dit attachée au contexte spécifique de sa commission. En conséquence, il est exigé une commission multiple d'actes, une campagne ou une opération, une suite globale d'événements dirigée contre la population civile.
La jurisprudence précise que le terme de "population" doit être entendu comme impliquant des crimes de nature collective, excluant des actes individuels ou isolés : l'accent n'est pas mis sur la victime individuelle mais plutôt sur la collectivité, la victimisation de l'individu ne tenant pas à ses caractéristiques personnelles mais plutôt à son appartenance à une population civile ciblée. Ici et contrairement aux autres incriminations de droit international telles que le génocide ou le crime de guerre, la victime s'avère être la collectivité humaine. Les membres de cette population civile sont tués, torturés, déportés, emprisonnés, réduits en esclavage ou subissent des traitements inhumains tout simplement parce qu'ils appartiennent à la communauté humaine. L'attaque généralisée ou systémique lancée contre la population civile vise dans la victime son appartenance au genre humain. Ce qui importe ici, c'est moins l'ampleur de l'attaque que l'identité d'une population civile.
La considération de la population civile dans le crime contre l'humanité est plus extensive que celle admise en droit international humanitaire. Dans le crime de guerre, la population civile protégée se limite aux personnes qui n'appartiennent pas aux forces armées et celles qui ne sont pas prisonnières de guerre, alors que dans le crime contre l'humanité, la "population civile" englobe outre les catégories comprises dans le crime de guerre, les combattants mis hors combats ou ayant déposé les armes. Plus concrètement, afin de déterminer le caractère civil d'une population, le crime de guerre se limite au statut des personnes alors que le crime contre l'humanité transcende ce statut et prend en compte la situation concrète des victimes au moment de la commission du crime. En définitive, le terme civil du crime contre l'humanité indique toute personne qui au moment de la perpétration du crime est hors de combat ou est autrement sans défense face à l'auteur du crime. Cette situation offre "un bel exemple de la relativité des termes juridiques: un prisonnier de guerre est un civil dans le cadre du crime contre l'humanité; il est un combattant dans le cadre du droit international humanitaire".
La "population civile" protégée par le crime contre l'humanité est également différente du "groupe protégé" par l'incrimination du crime de génocide. Alors que dans le génocide l'individu est considéré comme exclusivement membre d'un groupe spécifique, national, ethnique, racial ou religieux, il est en revanche considéré comme membre de la communauté humaine dans le crime contre l'humanité. Dans le premier cas, l'auteur du crime s'attaque au groupe "en tant que tel", alors que dans le second, il s'attaque au groupe en tant que partie de la communauté humaine. Dans tous les deux cas, la personnalité de la victime est essentielle dans la définition de l'incrimination, à la seule différence que l'auteur du génocide ne la vise que comme victime de sa haine à l'égard d'un groupe ethnique, racial ou religieux ; alors que l'auteur du crime contre l'humanité ignore la personnalité individuelle de sa victime, il ne la vise que comme victime commune ou collective de sa haine à l'encontre du genre humain. On en déduit que le crime contre l'humanité est un "crime contre la condition humaine", autrement dit "le crime d'être né", ce qui transporte l'analyse sur un terrain philosophique de la notion d'humanité, victime de ce crime.
B. Une conception philosophique de l'humanité
Avec la naissance du concept de crime contre l'humanité, celle-ci se trouve par là-même inscrite dans le système juridique international en tant que victime d'un crime spécifique. Cette humanité renvoie au "genre humain ( ), la nature humaine, l'essence de l'homme, ce qui fait qu'il est homme" et s'analyse à la fois comme une valeur universelle commune à tous et comme la somme des individus. Autrement dit, l'humanité, à laquelle porte atteinte le crime contre l'humanité, fait allusion autant à la qualité intrinsèque de l'être humain, présente en chaque individu singulier, qu'à la collectivité des hommes qui peuplent la planète, voire la planète elle-même. Dans cette optique, l'humanité est, d'une part une "unité de substance" car elle procède de l'homme, quel qu'il soit et où qu'il se situe dans l'espace et le temps ; et d'autre part, une "unité de structure" puisqu'elle accueille chaque membre de la famille humaine instantanément et embrasse cette dernière dans l'espace et le temps.
De ce fait, il existe un lien, dans le crime contre l'humanité, entre l'atteinte à l'homme dans son existence et sa dignité et l'atteinte à l'humanité dans sa pluralité et ses valeurs. Il s'agit là d'un lien naturel entre le genre humain et l'individu, l'un étant l'expression de l'autre. Cette position est d'autant plus justifiée que l'individu étant le détenteur et le gardien de la dignité humaine et des valeurs éthiques fondamentales de la société humaine, une atteinte contre un seul individu en sa qualité de membre du corps social, constitue un crime contre l'humanité, dès lors que cette atteinte présente un caractère spécifique qui heurte la conscience humaine. En conséquence, "le caractère spécifique de cette atteinte fait que se trouve toujours lésée, en même temps que cet individu et à travers cet individu, l'humanité entière" étant donné que concrètement, l'humanité est incarnée dans la personne humaine ; cette dernière est indivisible et résume à elle seule l'humanité toute entière.
Il en résulte que le crime contre l'humanité nie toute essence humaine et détruit toute existence communautaire. En effet, "un crime contre l'humanité nie non seulement l'humanité de la victime, mais aussi l'idée même d'humanité ce ne serait pas tant l'individu, mais le principe humain qui serait visé". Autrement dit, il s'agit de la négation même du droit, lequel est chargé de réglementer les relations humaines au sein de la société d'autant plus que la personne humaine comme valeur fondamentale, est la norme de toute conduite et de toute appréciation, de toute moralité, le fondement de la définition de tout droit. En s'attaquant à l'homme, le crime contre l'humanité s'attaque à son humanisme, c'est-à-dire à ce qu'il y a d'humain en lui. Et l'humanisme étant présent dans chacun des êtres humains, il en résulte que l'attaque dirigée contre l'homme est en réalité dirigée contre l'humanisme de tous les hommes, et donc contre l'humanité. Ce qui est évoqué, c'est la négation de la qualité humaine des victimes : "là où le crime a brisé, a blessé, a tué, là était l'humanité d'un être, et c'est là qu'on a visé". Par conséquent et au-delà de l'homme qui est attaqué par le criminel, l'acte de ce dernier vise l'essence humaine des victimes et l'existence d'une pluralité de groupes au sein de l'humanité : "l'humanité que vise le crime et que protège le droit, c'est donc la commune appartenance à l'humanité de tous les hommes et de tous les groupes humains".
Le crime contre l'humanité c'est "le mal radicale dans la nature humaine", selon le titre d'un article paru en 1792, écrit par le philosophe allemand Emmanuel Kant. Cet auteur avait déjà auparavant théorisé la notion de la dignité humaine qui s'avère absolue pour chaque être humain car insusceptible de limitation. Cette dignité fonde l'impératif catégorique, centrée sur l'idée d'humanité en tant que fin. Le célèbre philosophe estime que la personne humaine ne doit jamais être traitée uniquement comme un moyen, mais également comme une fin en soi. Aussi, énonce-t-il cette notion comme suit : "agis de façon telle que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme fin, jamais simplement comme moyen". Il s'en infère que la particularité des crimes contre l'humanité est d'être "un attentat contre l'homme en tant qu'homme et non point contre l'homme en tant que tel ou tel". Ainsi que le relève si pertinemment Florent Bussy, "le crime contre l'humanité vise l'humanité de l'individu et du groupe auquel il appartient (...). Le criminel contre l'humanité est animé par une conception déshumanisante de sa victime" et partant de l'humanité toute entière.
II. La négation de l'humanité en tant que spécificité du crime contre l'humanité
Dans une formule demeurée célèbre, le Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie décrit le crime contre l'humanité en ces termes : "les crimes contre l'humanité transcendent l'individu puisque, en attaquant l'homme, est visée, est niée, l'Humanité. C'est l'identité de la victime, l'Humanité qui marque la spécificité du crime contre l'humanité". Il en découle que la particularité du crime contre l'humanité réside tant dans une atteinte à l'ordre de l'humanité (A) que dans la négation du genre humain (B).
A. Une atteinte à l'ordre de l'humanité
Le particularisme du crime contre l'humanité réside dans l'acte inhumain d'avoir violé l'ordre de l'humanité. En attaquant l'homme, le crime contre l'humanité vise et nie l'humanité toute entière dans la mesure où il défait les normes juridiques impératives qui ont pour fondement la protection de la dignité humaine. En conséquence, c'est le principe d'humanité qui est violé dans son objectivité, et c'est donc l'humanité elle-même qui s'en trouve être la victime. C'est l'homme dans sa permanence, dans son universalité, dans son être même qui est atteint. L'effroi suscité par la description du crime tient lieu de raisonnement, car il ne fait pas de doute que l'humanité serait surement détruite si des Etats ou des individus étaient autorisés à perpétrer de tels crimes. En effet, le crime contre l'humanité recouvre des violations graves et caractérisées des droits fondamentaux de l'homme, lesquelles choquent la conscience collective. Il couvre des faits graves de violence qui lèsent l'être humain en l'atteignant dans ce qui lui est le plus essentiel : sa vie, sa liberté, son intégrité physique, sa santé, sa dignité. Son inhumanité résulte de son extrême gravité et en ce sens le crime contre l'humanité constitue "l'acte inhumain, négateur de l'humanité des personnes sur lesquelles il porte". Acte cruel et sadique traduisant "la violence dans ce qu'elle a d'effréné, la violence de la violence", le crime contre l'humanité est par excellence "la blessure exceptionnelle infligée à l'humanité" et qui "efface et le crime, et l'humanité qui lui est indissociablement liée". Sa gravité se déduit tant du caractère de l'acte incriminé (cruauté, monstruosité, barbarie), de l'étendue de ses effets (massivité des victimes) que du mobile de l'auteur (saper les fondements de la société humaine). Il s'agit ici de crimes dont les actes ne se limitent pas à massacre, torturer, rendre esclaves des dizaines, des centaines ou de milliers de personnes, mais ces actes transcendent la dimension individuelle des personnes atteintes pour se muer en une violation de l'ordre de l'humanité.
Cet ordre postule une solidarité humaine qui interdit de porter atteinte aux membres de l'humanité, c'est-à-dire aux hommes dans leur valeur morale d'homme. En effet, pour préserver "l'humanité" des "indicibles souffrances" de la seconde guerre mondiale, la communauté internationale a unanimement proclamé sa "foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine" ainsi que "la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables". De fait, "la dignité, qui est une condition humaine, sert de fondement aux droits humains, qui sont une requête humaine". Bien plus, l'atteinte à la personne humaine en tant que telle constitue une violation de la conscience de l'humanité. Il en résulte que la particularité du crime contre l'humanité porte sur le domaine du droit impératif dans lequel il est perpétré, à savoir celui des droits fondamentaux : "les crimes contre l'humanité sont des atteintes graves à des normes de jus cogens intervenues dans le domaine du droit international des droits de l'homme". Les droits de l'homme sont conçus comme une éthique universelle, autrement dit une manifestation de la capacité d'indignation de l'être humain face à l'inacceptable. Destinés à prémunir l'humanité contre la barbarie, ils seraient alors l'expression d'une révolte de la conscience humaine, entendue ici comme une instance interpellatrice, mais aussi comme lieu de déploiement et d'effectuation de l'humanité de l'homme. En retour, la reconnaissance des droits de l'humanité constitue une garantie efficace des droits de l'homme : dès lors qu'on accède à l'humanité, celle-ci est dans l'obligation d'être elle-même titulaire des droits faute de quoi les hommes perdraient les leurs.
Par conséquent, en bafouant les droits fondamentaux de l'homme, à commencer par le plus élémentaire qui est le droit à l'essence humaine, le crime contre l'humanité réduit l'univers à un monde sans droits où la communauté universelle perd sa raison d'exister ; par son acte, l'auteur du crime contre l'humanité ravale cette dernière à une situation semblable à celle des animaux dans la mesure où il rompt le lien entre l'individu et l'espèce humaine. Il s'agit des crimes qui touchent au fondement même de la société humaine. Pour Hannah Arendt, le crime contre l'humanité détruit le "droit d'avoir des droits", anéantit toute relation humaine et sépare l'homme de l'homme étant donné que les droits de l'homme n'ont de sens que comme "droit à la condition humaine", lequel dépend de l'appartenance à la communauté humaine. Sous cet aspect, le crime contre l'humanité opère une exclusion de la communauté nationale, étant entendu que c'est l'appartenance à une société qui prémunit l'individu contre la situation d'exception dans laquelle il n'existe aucune limite juridique. En échos à Arendt, Florent Bussy montre que ce crime s'attaque à la condition politique de l'homme, en réduisant ce dernier à son impuissance individuelle et naturelle et en détruisant toutes les garanties que fournissent aux membres d'une communauté les règles de droit en vigueur. De ce fait, la répression du crime contre l'humanité s'analyse en une auto-défense de la communauté humaine, acte conditionnant sa survie face à la barbarie extrême. Sa prohibition a pour vocation de protéger le genre humain, la collectivité toute entière, l'unité indivisible de l'espèce humaine. Dans la mesure où "c'est à la communauté humaine qu'il revient de garantir les droits de l'humanité", la sanction du crime contre l'humanité est légitime au nom de la défense du genre humain tout entier, autrement dit au nom du bien public. La sanction des actes inhumains se justifie par le fait que le concept universel d'humanité transcende les différences culturelles et les degrés de civilisation. De la même manière que l'Etat possède naturellement le pouvoir d'établir et d'appliquer des peines à ceux de ses citoyens qui sont criminels, le monde le possède aussi à l'égard de ceux qui sont nuisibles et malfaisants envers le genre humain, étant donné que l'univers entier représente en quelque manière une seule communauté politique.
B. Une négation du genre humain
A la différence des autres crimes internationaux notamment le crime de guerre, l'une de plus grandes spécificités du crime contre l'humanité réside dans la négation de l'essence humaine par son auteur. Ce dernier nie l'humanité non seulement dans la personne humaine, mais aussi et surtout dans le groupement humain. Le comportement criminel de l'auteur ne concerne pas uniquement un sujet protégé, victime immédiate, mais aussi l'humanité toute entière. Cette qualité spécifique de la victime confère au crime contre l'humanité une nature particulière. La personne humaine est atteinte parce qu'elle appartient à la communauté humaine et c'est cette dernière qui est visée à travers l'individu ; "le bourreau ( ) ignore sa victime individuelle et ne la connaît qu'en tant que membre de la victime collective visée" et "le sang dont rougissent les mains du bourreau est un sang impersonnel". Contrairement au crime de droit commun où c'est l'individu comme tel qui compte, dans le crime contre l'humanité, l'individu n'est qu'un des globules sanguins qu'on empoisonne, détruit ou expulse pour abattre le corps même; c'est à ce corps lui-même que l'auteur en veut. C'est en cette qualité de "personnalité" plus que d' "individualité" humaine que la victime doit être protégée, et cette qualité, en quelque sorte générique, universelle, exige que la protection du droit international se superpose à celle du droit commun.
Dans la mesure où le crime contre l'humanité bafoue la dignité humaine en raison de son ampleur et son caractère odieux, il touche par conséquent tous les membres de l'humanité, indépendamment de leur nationalité, de leur appartenance ethnique et de l'endroit où ils se trouvent. La commission de ce crime en un seul endroit du monde et sur un seul individu est ressentie par toutes les personnes humaines vivant dans toutes régions du monde entier. Cet état de choses est d'autant plus justifié que ce crime menace d'une part la dignité humaine et, d'autre part, la paix et la sécurité du monde. Quand bien même la commission matérielle d'un tel crime affecterait difficilement plusieurs Etats à la fois, il implique, néanmoins, une atteinte morale ou, à tout le moins immatérielle, à l'ensemble de la communauté internationale. C'est la nature universelle de la valeur mise en cause, l'humanité, qui fait de l'ensemble de la communauté internationale la victime du crime contre l'humanité. Plus spécifiquement, on en appelle à l'humanité des crimes contre l'homme car ils sont aussi des crimes contre elle dans la mesure où la victime est dépositaire de cette humanité en même temps qu'elle en est membre.
Cette conception se fonde sur l'idée selon laquelle l'homme existe à la fois individuellement et collectivement étant donné que son existence ne doit être envisagée qu'en rapport avec celle des autres membres du groupe social. M. Pierre Gire souligne que le principe de la diversité humaine prend forme à partir d'une dialectique qui met en rapport la réalité de la singularité du sujet, l'espace de la particularité qui qualifie la collectivité et la perspective de l'universalité qui manifeste la commune humanité des humains. En effet, explique-t-il, le sujet n'advient à sa singularité que dans la mesure où il appartient à une collectivité qui a ses propres déterminations particulières. La collectivité, sur fond de laquelle le sujet manifeste son existence, se trouve en coexistence avec d'autres collectivités dans le même monde. Les relations réciproques entre ces collectivités humaines ne sont rendues possibles que par l'existence d'une commune humanité, autant dire de l'universalité de l'humanité de l'homme. En conséquence, écrit Mireille Delmas Marty, l'humanité de chaque homme est nécessairement liée à celle de ses semblables et recouvre, pour ainsi dire, une double dimension : individuelle (la singularité de chaque être humain) et collective (l'appartenance des êtres humains à la communauté). C'est ce qui la pousse à considérer que l'humanité renvoie à une intersubjectivité, une sociabilité et que le crime contre l'humanité porte atteinte à la double nature de l'humanité, se distinguant ainsi des autres crimes par la dépersonnalisation et la déshumanisation de la victime. Elle en conclut que le crime contre l'humanité se définit par un double fondement : la violation du principe de différentiation et la violation du principe d'égale appartenance à la communauté humaine. Il va sans dire que le crime contre l'humanité nie à la fois l'essence humaine et l'espèce humaine : "l'humanité y est à la fois violée en la personne de la victime et en celle du bourreau, qui a cherché à nier l'humain. Dans cette perspective, le préjudice n'est pas subi seulement par l'individu, mais par le genre humain tout entier".
Autrement dit, c'est la dignité humaine que le crime contre l'humanité bafoue. En effet, "la fonction première du principe d'humanité est la protection contre la barbarie, contre la bestialité, contre l'avilissement de l'homme. Le comportement qu'ordonne le principe d'humanité ( ) repose sur une obligation objective, fondée sur la constatation et la conscience de l'unité du genre humain". Cette unité est considérée comme supérieure à l'appartenance des hommes à des nations, des races, des religions différentes. Le fondement de cette analyse réside dans le raisonnement d'Alain Seriaux dont nous reproduisons le schéma : Les hommes, dans leur diversité, possèdent tous en commun l'humanité (car tous les hommes participent de l'"hominité", au vu de l'existence de traits essentiels communs) et l'Humanité (dans la mesure où ces mêmes hommes appartiennent tous à une seule et même catégorie substantielle et la place qu'occupe chaque homme est identique à celle des autres hommes, ses "voisins"). Et ici apparait un principe cardinal autour duquel gravite la notion de l'humanité victime : chaque homme regorge en lui l'humanité et porter atteinte à un homme en sa qualité d'être humain, d'organe, équivaut à nier le corps tout entier constitué de la communauté humaine universelle.
En conséquence, le crime contre l'humanité atteint l'homme dans sa double dimension. D'abord physiquement, dans son corps, sa vie : il est assassiné, exterminé, ou dans sa liberté : il est déporté, réduit en esclavage. Ensuite, il l'atteint moralement, c'est-à-dire dans sa dignité qui le fait semblable aux autres hommes selon l'idée qu'en dépit de leur différence d'identité, les hommes partagent une nature humaine commune. En effet, la nature humaine est la même sous tous les cieux et les différences physiques entre les hommes ne sont que superficielles. L'esprit humain étant universel, "les hommes, dans ce qu'ils ont de plus fondamental, sont nécessairement universalistes". La nature humaine, nous dit Jacques Maritain, est la même chez tous les hommes. L'homme est constitué d'une façon déterminée et il a des fins qui répondent à sa constitution naturelle et qui sont les mêmes pour tous, comme pour les pianos par exemple, quel que soit leur type particulier et en quelque lieu qu'ils soient, ont pour fin de produire des sons qui soient justes.
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Le statut de Rome portant création, organisation et fonctionnement de la Cour pénale internationale, en son article 7, énumère une série d'actes notamment le meurtre, la torture, le viol, qui peuvent constituer des crimes contre l'humanité s'ils sont commis dans le cadre d'une "attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile quelconque", commise avec intention et connaissance. Cette formule, qui a survécu au temps, de Nuremberg à Rome, rend compte de l'idée selon laquelle le crime contre l'humanité se diffère des crimes de droit commun en ce que l'objet de l'atteinte n'est plus la seule intégrité physique de la victime mais l'humanité toute entière, et qu'il s'agit là d'un crime très grave qui choque la conscience collective. Le particularisme du crime contre l'humanité réside dans une atteinte à l'homme, considéré comme un maillon de la chaine humaine, et partant à tous les hommes. L'auteur du crime contre l'humanité réfute non seulement l'humanité de sa victime, mais également la sienne propre, dans la mesure où "être humain, c'est s'inscrire dans une pluralité d'individus, tous uniques et tous susceptibles de s'engager dans une action commune". Le crime contre l'humanité constitue "un rejet hors de l'humanité d'une partie de l'humanité par une autre", ce qui viole "le principe de réciprocité, car celui qui rejette, ou extermine, est aussi un homme". De ce point de vue, cet infâme crime apparait comme un acte inhumain dans la mesure où en prenant l'humanité pour cible, son auteur se met en dehors de l'espèce humaine par son acte qui dénie à l'homme son appartenance au groupe ; pourtant, l'homme n'existe qu'en tant qu'il est membre d'une communauté humaine. La société elle-même émane des personnes et à ce titre elle doit être organisée en vue de l'accomplissement de ces personnes. Donc, "le crime contre l'humanité réduit, abaisse, et ravale l'homme à l'état de sous-homme et par là même place son auteur dans une condition animale".
Notes :
Raphaëlle Nollez-Goldbach, Quel homme pour les droits ?, Paris, CNRS Editions 2015 aux pp 9-10 ; Marcel Gabriel écrit à ce propos que les techniques d'avilissement utilisées par les nazis avaient pour but de détruire chez des individus "le respect qu'ils peuvent avoir d'eux-mêmes", et de les "transformer peu à peu en un déchet qui s'appréhende lui-même comme tel, et ne peut en fin de compte que désespérer, non pas simplement intellectuellement, mais vitalement, de lui-même" ; Marcel Gabriel, Les hommes contre l'humain, Paris, Éditions universitaires,1991 aux pp 35-53, spécialement aux pp 37-40.
Jacques Fierens, "La non-définition du crime contre l'humanité", (2000) 3 La Revue Nouvelle à la p 38. De son côté, Catherine Grynfogel écrit que le problème de qualification pénale fut à l'origine de la naissance du crime contre l'humanité étant donné "qu'aucune qualification pénale ne pouvait exactement rendre compte de leur nature intrinsèque" et en même temps, il y avait nécessité de les punir ; Catherine Grynfogel, "Le droit de Nuremberg, droit de crise catalyseur de nouveaux concepts : naissance du crime contre l'humanité", in Jacques Larrieu, Crise(s) et droit, Presses de l'Université de Toulouse 1 Capitole, 2012 aux pp 263-264 ; Mohamed Hajam, "Création et compétences du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie", (1995) 63 : 3 Études internationales aux pp 508-509.
Il faut toutefois noter qu'avant 1945, le concept fut utilisé en 1915 dans une Déclaration commune de la France, le Royaume Uni et la Russie par laquelle ces trois pays condamnaient les massacres d'arméniens dans l'empire Ottoman (Turquie). Avant cette date, La "clause de Martens" dans les conventions de La Haye de 1899 et de 1907 avait utilisé l'expression "lois de l'humanité".
Néron écrit à ce sujet que la notion du crime contre l'humanité est née dans un contexte particulier de Nuremberg, par nature éphémère, et que ce sont les législations nationales qui lui ont permis de survivre en intégrant dans leurs lois les principes de Nuremberg. Il poursuit qu'"après le relais des cours nationales, qui ont fait évoluer le concept en différentes directions, le droit international a repris le concept pour le développer au sein de nouvelles juridictions (TPIY, TPIR et CPI) en retrouvant les racines originelles de Nuremberg" ; Jocelyn Néron, La justice et l'histoire face aux procès pour crimes contre l'humanité: entre la mémoire collective et la procédure, Mémoire de Maitrise en droit, université du Québec à Montréal, 2010 aux pp 16-17.
Nguyen Quoc Dinh (N), Patrick Dailler et Alain Pellet, Droit international public, 7ème éd., Paris, LGDJ, 2002 aux pp 716-717.
Jacques Fieriens, "L'inexistence sociale et le droit : La question des crimes contre l'humanité", (2005) 37 Cahiers à la p 7.
Depuis l'expérience de Nuremberg, les définitions du crime contre l'humanité se ressemblent sans jamais être les mêmes, ce qui donne lieu à une certaine ambivalence du concept. Face à cette situation, la nécessité d'harmoniser le droit des crimes contre l'humanité a vu le jour et la Commission de droit international a provisoirement adopté, en 2016, un Projet de Convention internationale sur la prévention et la répression du crime contre l'humanité, initiative largement saluée en doctrine ; Sevane Garibian, "Généalogie d'un concept centenaire : le crime contre l'humanité. De sa naissance à l'ébauche d'une Convention internationale", in Bruno Cotte, Peimman Ghaleh-Marzban, Jean-Paul Jean et Michel Massé, Soixante-dix ans après Nuremberg : Juger le crime contre l'humanité, Paris, Dalloz, 2017 aux pp 39-50 ; Ezéchiel Amani Cirimwami et Stefaan Smis, "Le régime des obligations positives de prévenir et de poursuivre à défaut d'extrader ou de remise prévues dans le texte des projets d'articles sur les crimes contre l'humanité provisoirement adoptés par la commission du droit international", (2017) 30 : 1 Revue québécoise de droit international aux pp 9-11. D'autres auteurs en appellent tout simplement au changement de paradigme pour marquer la progression d'une nouvelle conscience de responsabilité envers l'avenir, la condition humaine future, les autres espèces vivantes et l'environnement. En prenant appui sur les théories éthiques de la responsabilité transgénérationnelle, ce courant doctrinal propose la notion de "crimes contre les générations futures" ; Voir par exemple Emilie Gaillard, "Des crimes contre l'humanité aux crimes contre les générations futures : Vers une transposition du concept éthique de responsabilité transgénérationnelle en droit pénal international?", (2012) 7 : 2 McGill International Journal of Sustainable Development Law and Policy aux pp 181-202.
Lucas Vergnaud, Le périmètre du crime contre l'humanité, Mémoire de Master en droit international, Université Montesquieu Bordeaux-IV, 2009 à la p 48 ; Dans la même veine, Fabio Landa souligne que presque cachée dans les méandres de la terminologie juridique, l'apparition du crime contre l'humanité ébranle le code juridique et entraîne la création d'une nouvelle figure juridique complexe et problématique, qui s'appuie sur un élément d'instabilité qu'est la définition d'humanité. Le lecteur est convoqué à discerner ce qui appartient à l'humanité et ce qui relève de l'inhumain, ce qui constitue une fragilité formelle qui fait allusion à l'imprécis ; Fabio Landa, "Sauver la'victime' : Le 8 août 1945", (2008) 195 : 4 Le Coq-Héron aux pp 10-11.
Alain Pellet, "Pour la Cour pénale internationale, quand même ! Quelques remarques sur sa compétence et sa saisine", (2001) 1 International Criminal Law Review à la p 98.
Sévane Garibian, Le crime contre l'humanité au regard des principes fondateurs de l'Etat moderne : naissance et consécration d'un concept, Genève, Bruxelles, Paris, Schulthess, Bruylant, LGDJ, 2009 à la p 289.
Tribunal pénal international pour le Rwanda, Chambre de première instance, affaire Rutanda du 6 décembre 1999 (§69) ; dans le même sens l'affaire Musema du 27 janvier 2000 (§204) ; Philippe Currat, Les crimes contre l'humanité dans le statut de la Cour pénale internationale, Genève, Bruxelles, Paris, Schulthess, Bruylant, LGDJ, 2006 à la p 99 ; Françoise Bouchet-Saulnier, Dictionnaire pratique du droit humanitaire, 4ème éd., Paris, La découverte, 2013 aux pp 228-229.
Philippe Currat, supra note 12 aux pp 99-100. Le caractère systématique se rapporte à une pratique d'un caractère constant, alors que le caractère massif se réfère à un nombre élevé de personnes sans que ce nombre ne soit toutefois précisé, ce qui n'exclut pas l'application de l'incrimination à un fait unique dès lors qu'il présente les autres éléments constitutifs du crime ; Anne-Marie La Rosa, Dictionnaire de droit international pénal : termes choisis, Genève, Graduate Institute Publications, 1998 aux pp 28-29.
Isabelle Fouchard, "La formation du crime contre l'humanité en droit international", in Mireille Delmas-Marty, Isabelle Fouchard, Emmanuela Fronza et Laurent Neyret, Le crime contre l'humanité, Paris, PUF, 2018 à la p 7.
Cour pénale internationale, arrêt du 21 mars 2016, Procureur C/ Jean Pierre Bemba, ICC-01/05-01/08-3343-tFRA, §149.
Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, Jugement du 7 mai 1997, Procureur C/ Dusko Tadic, I-94-1, §644.
Toutefois, il n'est pas requis que toute la population d'un Etat ou d'un territoire donné soit visée, un nombre suffisant d'individus appartenant à cette population suffit à caractériser l'incrimination. Il est simplement requis que la population principalement visée par l'attaque soit majoritairement civile ; autrement dit la présence des non-civils dans la population visée ne modifie ni le caractère civil de la population, ni le caractère du crime ; Tribunal pénal international pour le Rwanda, Procureur C/ Nzabirinda du 27 février 2007.
Robert Kolb, "Crimes contre l'humanité", (2014) : 1 Global Community Yearbook aux pp 164-165.
Pour plus de développements à ce sujet, lire Germain Ntono Tsimi, Le paradigme du crime contre l'humanité et la renaissance du pluralisme juridique dans les droits pénaux africains : contribution à une théorie sur l'internormativité des systèmes pénaux nationaux en transition, Thèse de doctorat en Droit, Université de Yaoundé II, 2012 aux pp 135 et S.
Catherine Grynfogel, De la spécificité d'une infraction particulière : le crime contre l'humanité, Presses de l'Université Toulouse 1 Capitole, 2012 à la p 204.
André Frossard, Le crime contre l'humanité : le crime d'être né, Paris, Balland, 2019.
Sylvie Humbet, "Les procès pour crime contre l'humanité : au nom de la justice, au nom de la mémoire", in Mélanges de sciences religieuses : Mémoire, violence et société, Lille, éd. De l'Université Catholique de Lille, 2008 à la p 60.
Danièle Lochak, Le droit et le paradoxe de l'universalité, Paris, PUF, 2010 à la p 205.
Jill Brumier, "Humanité et Organisation des Nations Unies dans la pensée de René-Jean Dupuy", in Grandes pages du droit international, Volume 1 : Les sujets, Paris, A. Pedone, 2015 aux pp 176-177, L'auteur écrit que "l'humanité serait ainsi le premier et le dernier sujet du droit international public, entité autonome apparue avec les premiers hommes et destinée à survivre à la disparition des Etats et des personnes qu'ils créent pour ne s'éteindre qu'avec le dernier d'entre eux".
Annuaire de la Commission du droit international, 1986, vol. II, 1ère Partie, p. 56, § 13.
Henri Meyrowitz, La répression par les tribunaux allemands des crimes contre l'humanité et de l'appartenance à une organisation criminelle en application de la Loi n°10 du Conseil de contrôle Allié, Paris, L.GD.J., 1960 à la p 345.
Tanella Boni, "La dignité de la personne humaine : de l'intégrité du corps et de la lutte pour la reconnaissance", (2006) 215 : 3 Diogène à la p 65.
José Santuret, Le refus du sens : Humanité et crime contre l'humanité, Paris, Ellipses, 1996 à la p 34.
Van Parys, Dignité et droits de l'homme, Louvain-la-Neuve, éd. Noraf, 1989 à la p 98. Dans le même sens, Valérie Parent note que "le droit n'est possible que par l'humanité qui le porte", que la dignité humaine est une valeur universelle et chapeaute le droit, en particulier les droits de l'homme, le droit humanitaire et le droit au développement et que c'est autour d'elle que les valeurs communes de l'humanité s'articulent ; Valérie Parent, L'humanité et le droit international, Mémoire de Maitrise en Droit international, Université de Montréal, 2013 à la p 122, voir également les références bibliographiques citées par l'auteur.
Jacques Fierens, "La non-définition du crime contre l'humanité", (2000) 3 La Revue Nouvelle à la p 41.
Florent Bussy, "Le crime contre l'humanité : une étude critique", (2013) Mars : Témoigner, entre histoire et mémoire à la p 143.
Emmanuel Kant, Fondement de la métaphysique des murs, Paris, Vrin, 1980, p.113. Sur les analyses de cette théorie, voir Michal-Jean Sandel, Justice, Traduction de Savidan (P), Paris, Nouveaux horizons, 2016, pp.178-183.
Vladmir Jankélévitch, L'imprescriptible : pardonner ? Dans l'honneur et la dignité, Paris, Seuil, 1986 à la p 22.
Florent Bussy, supra note 31 à la p 140.
Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, Jugement du 29 novembre 1996, Procureur C/Drazen Erdemović. Plus tard, la même description fut intégralement reprise par le Tribunal pénal international pour le Rwanda dans l'affaire Procureur c/ Jean Kambanda du 4 septembre 1998. La Cour de cassation française, dans l'affaire Barbie du 20 décembre 1985, a repris le contenu de cette description dans des termes quasiment identiques : "le crime contre l'humanité se définit par la volonté de nier dans un individu l'idée même de l'humanité par des traitements inhumains".
Vladmir jankélévitch, supra note 33, à la p 21 ; Grégory Berkovivicz, La place de la Cour pénale internationale dans la société des Etats, Paris, L'harmattan, 2005 à la p 108.
Mario Bettati, "Crime contre l'humanité", in Dictionnaire des notions, Paris, Encyclopaedia Universalis, 2005 aux pp 272-274.
Alain David, "L'hypothèse du crime contre l'humanité", (2011) 666 : 5 Les Temps Modernes aux pp 227-228. L'auteur précise à la p 229 que "dans le crime contre l'humanité, la négation de l'humanité de celui qui est assassiné s'accompagne ( ), quand bien même la cruauté ne serait pas affichée, d'un excès, c'est-à-dire de dispositifs ne se contentant pas de tuer, mais visant à nier le meurtre, la qualité humaine de celui qui est tué. ( ).A la cruauté sadique, jugée trop ( ) anthropomorphique, se substitue alors une autre sorte de cruauté, froide en ce qu'elle est désindividualisée, dissociée de l'humain".
Annuaire Commission de droit international, 1987, Vol.2, 2ème partie à la p 13 ; Dans le même sens, Mario Bettati écrit que l'inhumanité du crime contre l'humanité loge dans la commission des actes générateurs d'indignation. Elle renferme deux aspects : la gravité et l'ampleur. Ces deux facteurs fondent l'internationalisation de ce crime en ce que, à travers les personnes qui en sont les victimes, c'est la communauté humaine toute entière qui est visée. Partant, le crime contre l'humanité serait un crime terrifiant car incomparable à quoi que ce soit d'autre ; Mario Bettati, "Le crime contre l'humanité", in Hervé Ascensio, Emmanuel Decaux et Alain Pellet, Droit international pénal, 2ème édition, Paris, A. Pedone, 2012 aux pp 105-108.
Préambule de la Charte des Nations Unies de 1945. Cette charte a internationalisé les droits de l'Homme qui ont cessé de relever du domaine réservé des Etats et en a fait un des principes de base de l'ordre public international. De ce fait, l'obligation du respect des droits fondamentaux constitue un frein à l'oppression que pourraient subir les êtres humains. Les violations des droits de l'homme constituant une atteinte à la conscience de l'humanité, c'est à la communauté internationale, extérieure et supérieure au jeu des intérêts et des passions locaux, qu'incombe la tache de leur répression ; Henri Donnedieu De Vabres, "Le procès de Nuremberg devant les principes modernes du droit pénal international", (1947) Recueil des Cours de l'Académie de droit international à la p 521 ; Emmanuel Decaux, "Les Nations Unies et les droits de l'homme : 60 ans après ", (2009) 7 Cahiers de recherche en droits fondamentaux aux pp.33-34 ; Fleiner Gerster, Théorie générale de l'Etat, Paris, P.U.F., 1986 aux pp 90-91.
Préambule de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 ; Sur la valeur juridique de cette Déclaration, voir Marc Gambaraza, Le statut de Déclaration universelle des droits de l'homme : une aventure juridique, Paris, Pedone, 2016.
Anat Biletzki, "Aux sources de la dignité : un propos laïque, politique et kantien", (2016) 253 : 1 Diogène à la p 46. Allant dans le même sens, Bertrand Mathieu estime que la dignité est une figure emblématique et un point de passage obligé d'une Déclaration des droits. Elle constitue un principe matriciel d'où dérivent d'autres principes, notamment la primauté de la personne humaine, le respect de l'être humain, l'inviolabilité de l'intégrité du corps humain, ainsi que l'intégrité de l'espèce humaine. Il en conclut que la dignité exprime l'essence de l'humanité, la reconnaissance de l'appartenance de l'homme à cette humanité; Bertrand Mathieu, "La dignité : principe fondateur du droit", (2010) 21 : 3 Journal International de Bioéthique aux pp 79-80.
Jean-François Roulot, Le crime contre l'humanité, Paris, L'harmattan, 2002 à la p 19. L'auteur note également que Nuremberg fut la manifestation éclatante du droit international des droits de l'homme. C'est là, en effet, que le droit international des droits de l'homme fut consacré dans son caractère indérogeable, même en l'absence de règles conventionnelles acceptées. En ce sens, conclut l'auteur, le jus cogens relatif aux droits fondamentaux prend en réalité naissance à Nuremberg, par la notion de crime contre l'humanité. Cette position doctrinale est conforme à la position du Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie. Ce dernier souligne, dans sa décision rendue en appel dans l'affaire Procureur C/Drazen Erdemovic le 7 octobre 1997, que "les crimes contre l'humanité ne touchent pas les intérêts d'un seul Etat mais heurtent la conscience universelle (...).Ce sont réellement des crimes de caractère universel, bien reconnus en droit international comme des violations graves du droit international humanitaire et qui transcendent l'intérêt d'un seul Etat". Toutefois, alors que les droits fondamentaux, qui se réalisent dans le temps présent, protègent la dignité de l'individu, le concept de crimes contre l'humanité protège plutôt la dignité commune des individus. Les droits de l'homme ont pour titulaire l'individu tandis que les droits de l'humanité, qui concernent aussi les générations futures, sont attribués au genre humain en tant qu'entité autonome : "les droits de l'homme protègent avant tout la personne humaine au sens de l'individu humain et de sa dignité. Le concept de crimes contre l'humanité protège quant à lui la personne humaine au sens individuel et universel du terme, autrement dit, il protège non seulement l'individu humain et sa dignité mais encore l'existence collective des humains dans ce qu'elle a de plus noble, de plus digne" ; Julien Danlos, De l'idée de crimes contre l'humanité en droit international, Thèse de doctorat en philosophie, Université de Caen Basse-Normandie, 2010 à la p 483 ; Mireille Delmas-Marty, "Le crime contre l'humanité, les droits de l'homme et l'irréductible humain", (1994) 3 Revue de science criminelle aux pp 478-490.
Roger Koussetogue Koudé, La pertinence opératoire des droits de l'homme : de l'affirmation universaliste à l'universalité récusée, Thèse de doctorat en Philosophie, Université Lyon 3, 2009 aux pp 5-6.
Catherine Le Bris, "Le projet de la Déclaration universelle des droits de l'humanité de 2015 : implications et perspectives juridiques", (2016) 10 La Revue des droits de l'homme aux pp 5-6.
Pour Annah Arendt, l'appartenance à une communauté politique donnée est le premier des droits de l'homme et il conditionne tous les autres. Les droits de l'homme ne sont réellement protégés qu'en tant qu'ils sont également les droits des citoyens d'un Etat donné ; d'où la formule "le droit d'avoir les droits", laquelle renvoie au droit à la participation à une communauté politique, au monde commun. En conséquence, le crime contre l'humanité s'avère être la plus grave des violations des droits de l'homme car il est la privation du "droit d'avoir des droits", c'est-à-dire le fait d'exclure quelqu'un de toute communauté politique et juridique. Le criminel contre l'humanité prive sa victime d'une place dans le monde, laquelle place rend la vie signifiante; Hannah Arendet, Les origines du totalitarisme : Eichmann à Jérusalem, trad. Martine Leibovici, Paris, Gallimard, 2002 à la p 600 ; Hannah Arendt, Impérialisme, Paris, Fayard, 1982 à la p 281 ; Roger Koussetogue Koudé, "L'Etat : une condition sine qua non pour la réalisation des droits de l'homme", (2016) 10 Etudes interculturelles aux pp 125 et S.
Hannah Arendt, "En guise de conclusion" (1951), in Les origines du totalitarisme, supra note 45 aux pp 70, 873 et S.
Florent Bussy, supra note 31 à la p 147.
Yann Jurovics, "Le crime contre l'humanité : définition et contexte", (2011) 1 Les Cahiers de la Justice à la p 147.
Catherine Le Bris, L'humanité saisie par le droit international public, Paris, LGDJ, 2012.
Jean Graven, "Les crimes contre l'humanité", (1950) 76 Recueil des Cours de l'Académie de droit international aux pp 439-441 ; Michale Jacquart, "Notion de crime contre l'humanité en droit International contemporain et en droit canadien", (1990) 21 : 4 Revue générale de droit aux pp 611-613.
Eugène Aroneanu, Le crime contre l'humanité, Paris, Dalloz, 1946 aux pp 35-37.
Jean Graven, supra note 51 aux pp 547-548.
TPIY, Le Procureur c. Drazen Erdemovic, Arrêt en appel, 7 octobre 1997, § 21. Raphaëlle Nollez-Goldbach relève que le principe de respect de la dignité humaine s'exprime dans un droit fondamental à l'intégrité de la personne, dont la protection se traduit par l'interdiction des atteintes à la personne. Il permet de protéger l'être humain face aux tentatives de déshumanisation dont il est l'objet. Par voie de conséquence, la dignité permet de protéger les hommes dans leur pluralité ; Raphaëlle Nollez-Goldbach, supra note 1 à la p 95.
Isabelle Fouchard, Crimes internationaux : entre internationalisation du droit pénal et pénalisation du droit international, Bruxelles, Bruylant, 2014 à la p 280
René-Jean Dupuy, L'humanité dans l'imaginaire des nations, Paris, Julliard, 1991 aux pp 201-203.
Pierre Gire, "Penser la diversité humaine : problématique philosophique", (2011) 4 Etudes interculturelles aux pp 19-20 ; Olivier Abel, "Comment peut-on être humain ? De l'humanité métaphorique à l'action humanitaire", in Olivier Abel et AA., Humanité-humanitaire, Bruxelles, Presses de l'Université Saint-Louis, 1998 aux pp 15-20 ; Jean-Luc Chabot, "Droits de l'homme, universalisme, universalité et particularismes culturels", (2009) 2 Etudes interculturelles aux pp 92-97.
Mireille Delmas-Marty, "Le paradigme du crime contre l'humanité : construire l'humanité comme valeur", in Baduel Pierre-Robert, Construire un monde ? Mondialisation, pluralisme et universalisme, Tunis, Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, 2007 aux pp 185-186. Explicitant sa pensée, l'auteure écrit ultérieurement que "ce que l'incrimination du crime contre l'humanité signifie, c'est que l'être humain, même inscrit profondément dans un groupe, ne devrait jamais perdre son individualité et se trouver réduit à n'être plus qu'un élément interchangeable de ce groupe et rejeté comme tel. Si l'être humain éprouve un besoin d'appartenance identitaire à un groupe, il ne peut être enfermé, enchaîné à son groupe sans perdre son statut au sein de l'humanité. Cette dépersonnalisation de la victime met en effet en cause l'humanité comme altérité, le terme désignant précisément à la fois la singularité de chaque homme comme être unique et son égale appartenance à la communauté humaine comme être social" ; Mireille Delmas-Marty, "Conclusion", in Mireille Delmas-Marty, Isabelle Fouchard, Emmanuela Fronza, Laurent Neyret, supra note 14, à la p 120.
Cathérine Le Bris, "Esquisse de l'humanité juridique : L'humanité juridique, une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part", (2012) 69 Revue interdisciplinaire d'études juridiques à la p 10.
Wladimir Naslednikov, "Crime contre l'humanité et communauté", in Arnaud De Raulin, Situations d'urgence et droits fondamentaux, Paris, L'Harmattan, 2006 à la p 98.
Alain Seriaux, "La dignité humaine, principe universel du droit?", (1997) 6 : 2 Actaphilosophica à la p 291.
Paul-Gérard Pougoue, G., "Lecture de la charte africaine des droits de l'homme et des peuples", in Dénis Maugenest et Paul-Gérard Pougoue, Droits de l'homme en Afrique centrale, Colloque régional de Yaoundé (9-11 novembre 1994), Paris-Yaoundé, éd. Karthala-Presses de l'UCAC à la p 33.
Jacques Maritain, Les droits de l'homme et la loi naturelle, Paris, éd. Paul Hartmann, 1945 aux pp 63-64. Mme Higgins le dit dans des termes davantage élogieux : "Où qu'ils soient, les hommes veulent la même chose essentielle : avoir suffisamment de nourriture et un toit, pouvoir parler librement, pratiquer leur propre religion, sentir qu'ils ne sont pas menacés par l'État, s'avoir qu'ils ne seront pas torturés, ou détenus sans chef d'accusation et que s'ils sont accusés, ils auront droit à un procès équitable. Il n'y a rien dans ces aspirations qui dépend de la culture, de la religion ou du niveau de développement. Elles sont tout autant ressenties par un membre d'une tribu africaine que par le citadin européen, l'habitant d'un bidonville latino-américain ou le résident d'un appartement de Manhattan" ; Rosalyn Higgins, Problems and process: International law and how we use it, Oxford, Clarendon Press, 1994, repris par Jessica Lawrence, Les droits de l'homme, Williamsburg, Peace Operations Training Institut and University for peace, 2012 à la p 27.
Justine Lacroix et Jean-Yves Pranchère, Le procès des droits de l'homme : Généalogie du scepticisme démocratique, Paris, Seuil, 2016 à la p 301 ; A ce sujet, Hannah Arendt écrit que "la pluralité est la condition de l'action humaine, parce que nous sommes tous humains, donc semblables, mais tous uniques car différents de tout homme". Cette "action humaine" consiste à délibérer et à réfléchir sur les fins, les buts et les valeurs suprêmes ; Hannah Arendt, La condition de l'homme moderne, Paris, Calman-Lévy, 1983 aux pp 42-43.
Thomas De Koninck, De la dignité humaine, Paris, PUF, 1995, à la p 15.
Jean Nazaire Tama, Droit international et africain des droits de l'homme, Paris, L'Harmattan, 2006 à la p 319.
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La première apparition du concept "crime contre l'humanité" dans un texte international remonte à l'année 1945, dans le Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg. Norme coutumière définie à Nuremberg, l'incrimination du crime contre l'humanité a erré au fil de l'histoire, au gré de la conception unilatérale de chaque droit étatique, avant d'être redéfinie en droit international. Finalement, c'est au Statut de Rome portant création, organisation et fonctionnement de la Cour pénale internationale que nous devons une définition générale et permanente du crime contre l'humanité. L'article 7 dispose :
Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l'humanité l'un quelconque des actes ci-après lorsqu'il est commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque :
a) Meurtre b) Extermination c) Réduction en esclavage d) Déportation ou transfert forcé de population e) Emprisonnement f) Torture g) Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée h) Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste ou en fonction d'autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international i) Disparitions forcées de personnes j) Crime d'apartheid k) Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.
Certes, le Statut de Rome a le mérite d'avoir élargi l'incrimination du crime contre l'humanité et d'avoir établi la liste de ses éléments constitutifs en s'en tenant aux illustrations de comportements inhumains, d'atteintes les plus graves à la dignité humaine. Par cette énumération, le droit international a pallié au risque de banalisation que comportaient certaines approches antérieures ainsi qu'au risque corrélatif d'une répression affaiblie-parce que trop diversifiée-de cette catégorie de crimes. Toutefois, l'on constate que la notion de crime contre l'humanité semble ne pas être définie, mais plutôt décrite. A l'instar du Statut du tribunal militaire de Nuremberg, de ceux du Tribunal pénal international pour le Rwanda et du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, le Statut de Rome utilise la technique de prévoir une série d'actes qui constituent le crime contre l'humanité lorsqu'ils sont commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique contre la population civile, lorsque l'auteur en a conscience. En conséquence, se pose avec acuité le problème de la spécificité de cette incrimination étant donné que la technique énumérative ne permet pas de dégager des différences nettes entre le crime contre l'humanité et les autres infractions dans la mesure où tous les actes constitutifs dudit crime sont par eux-mêmes des incriminations. C'est ce qui a fait dire à M. Lucas Vergnaud que le crime contre l'humanité manque de spécificité par manque de caractère propre ; seul le titre de l'incrimination nous laisse savoir que l'humanité est la valeur protégée, les textes ne donnent aucune explicitation de ce vocable. L'auteur en conclut que "si l'on se réfère au texte, nous savons ce qui est inhumain sans savoir ce qu'est l'humanité" tant et si bien que "l'article 7 du Statut (de Rome), qui définit le crime contre l'humanité, est fait de bric et de broc et ne brille ni par sa cohérence, ni par sa clarté". Autrement dit, le particularisme du crime contre l'humanité mérite d'être explicité.
Ainsi, il sera question, dans le présent article, d'articuler notre raisonnement autour de deux idées maitresses : l'humanité en tant que victime du crime contre l'humanité (I) et la négation de l'humanité en tant que spécificité du crime contre l'humanité (II).
I. L'humanité en tant que victime du crime contre l'humanité
Pour que l'incrimination de crime contre l'humanité soit juridiquement établie, l'article 7 §1 du Statut de Rome dispose qu'il doit s'agir d'une "attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile quelconque". Ce texte renferme un double objet de protection : un intérêt individuel, à savoir la personne humaine dont les droits les plus essentiels sont bafoués et un intérêt à caractère collectif, à savoir l'humanité. Notion fluide et fuyante, l'humanité peut être appréhendée tant sur le plan juridique (A) que sur le plan philosophique (B).
A. Une appréhension juridique de l'humanité
D'un point de vue juridique, l'objet principal de l'attaque constitutive du crime contre l'humanité est la population civile. Le texte prévoit que cette attaque doit être généralisée ou systématique. Un crime peut être généralisé par l'effet cumulé d'une série d'actes inhumains ou par l'effet singulier d'un seul acte de grande ampleur. Le caractère généralisé de l'attaque ressort de la gravité des actes qui la composent, de la multiplicité des victimes qu'elle vise, de son caractère massif et fréquent, ainsi que de sa nature collective. En revanche, une attaque systématique fait référence à l'idée que les actes de violence sont commis de manière organisée et non isolée. Elle doit donc, pour être qualifiée de systématique, suivre un plan méthodique, une politique commune à ses auteurs, et s'appuyer sur des ressources substantielles, privées ou publiques. Le crime contre l'humanité mettant en cause une valeur fondamentale de la communauté internationale, la dignité humaine, sa commission requiert, outre une "gravité substantielle", une "gravité circonstancielle", autrement dit attachée au contexte spécifique de sa commission. En conséquence, il est exigé une commission multiple d'actes, une campagne ou une opération, une suite globale d'événements dirigée contre la population civile.
La jurisprudence précise que le terme de "population" doit être entendu comme impliquant des crimes de nature collective, excluant des actes individuels ou isolés : l'accent n'est pas mis sur la victime individuelle mais plutôt sur la collectivité, la victimisation de l'individu ne tenant pas à ses caractéristiques personnelles mais plutôt à son appartenance à une population civile ciblée. Ici et contrairement aux autres incriminations de droit international telles que le génocide ou le crime de guerre, la victime s'avère être la collectivité humaine. Les membres de cette population civile sont tués, torturés, déportés, emprisonnés, réduits en esclavage ou subissent des traitements inhumains tout simplement parce qu'ils appartiennent à la communauté humaine. L'attaque généralisée ou systémique lancée contre la population civile vise dans la victime son appartenance au genre humain. Ce qui importe ici, c'est moins l'ampleur de l'attaque que l'identité d'une population civile.
La considération de la population civile dans le crime contre l'humanité est plus extensive que celle admise en droit international humanitaire. Dans le crime de guerre, la population civile protégée se limite aux personnes qui n'appartiennent pas aux forces armées et celles qui ne sont pas prisonnières de guerre, alors que dans le crime contre l'humanité, la "population civile" englobe outre les catégories comprises dans le crime de guerre, les combattants mis hors combats ou ayant déposé les armes. Plus concrètement, afin de déterminer le caractère civil d'une population, le crime de guerre se limite au statut des personnes alors que le crime contre l'humanité transcende ce statut et prend en compte la situation concrète des victimes au moment de la commission du crime. En définitive, le terme civil du crime contre l'humanité indique toute personne qui au moment de la perpétration du crime est hors de combat ou est autrement sans défense face à l'auteur du crime. Cette situation offre "un bel exemple de la relativité des termes juridiques: un prisonnier de guerre est un civil dans le cadre du crime contre l'humanité; il est un combattant dans le cadre du droit international humanitaire".
La "population civile" protégée par le crime contre l'humanité est également différente du "groupe protégé" par l'incrimination du crime de génocide. Alors que dans le génocide l'individu est considéré comme exclusivement membre d'un groupe spécifique, national, ethnique, racial ou religieux, il est en revanche considéré comme membre de la communauté humaine dans le crime contre l'humanité. Dans le premier cas, l'auteur du crime s'attaque au groupe "en tant que tel", alors que dans le second, il s'attaque au groupe en tant que partie de la communauté humaine. Dans tous les deux cas, la personnalité de la victime est essentielle dans la définition de l'incrimination, à la seule différence que l'auteur du génocide ne la vise que comme victime de sa haine à l'égard d'un groupe ethnique, racial ou religieux ; alors que l'auteur du crime contre l'humanité ignore la personnalité individuelle de sa victime, il ne la vise que comme victime commune ou collective de sa haine à l'encontre du genre humain. On en déduit que le crime contre l'humanité est un "crime contre la condition humaine", autrement dit "le crime d'être né", ce qui transporte l'analyse sur un terrain philosophique de la notion d'humanité, victime de ce crime.
B. Une conception philosophique de l'humanité
Avec la naissance du concept de crime contre l'humanité, celle-ci se trouve par là-même inscrite dans le système juridique international en tant que victime d'un crime spécifique. Cette humanité renvoie au "genre humain ( ), la nature humaine, l'essence de l'homme, ce qui fait qu'il est homme" et s'analyse à la fois comme une valeur universelle commune à tous et comme la somme des individus. Autrement dit, l'humanité, à laquelle porte atteinte le crime contre l'humanité, fait allusion autant à la qualité intrinsèque de l'être humain, présente en chaque individu singulier, qu'à la collectivité des hommes qui peuplent la planète, voire la planète elle-même. Dans cette optique, l'humanité est, d'une part une "unité de substance" car elle procède de l'homme, quel qu'il soit et où qu'il se situe dans l'espace et le temps ; et d'autre part, une "unité de structure" puisqu'elle accueille chaque membre de la famille humaine instantanément et embrasse cette dernière dans l'espace et le temps.
De ce fait, il existe un lien, dans le crime contre l'humanité, entre l'atteinte à l'homme dans son existence et sa dignité et l'atteinte à l'humanité dans sa pluralité et ses valeurs. Il s'agit là d'un lien naturel entre le genre humain et l'individu, l'un étant l'expression de l'autre. Cette position est d'autant plus justifiée que l'individu étant le détenteur et le gardien de la dignité humaine et des valeurs éthiques fondamentales de la société humaine, une atteinte contre un seul individu en sa qualité de membre du corps social, constitue un crime contre l'humanité, dès lors que cette atteinte présente un caractère spécifique qui heurte la conscience humaine. En conséquence, "le caractère spécifique de cette atteinte fait que se trouve toujours lésée, en même temps que cet individu et à travers cet individu, l'humanité entière" étant donné que concrètement, l'humanité est incarnée dans la personne humaine ; cette dernière est indivisible et résume à elle seule l'humanité toute entière.
Il en résulte que le crime contre l'humanité nie toute essence humaine et détruit toute existence communautaire. En effet, "un crime contre l'humanité nie non seulement l'humanité de la victime, mais aussi l'idée même d'humanité ce ne serait pas tant l'individu, mais le principe humain qui serait visé". Autrement dit, il s'agit de la négation même du droit, lequel est chargé de réglementer les relations humaines au sein de la société d'autant plus que la personne humaine comme valeur fondamentale, est la norme de toute conduite et de toute appréciation, de toute moralité, le fondement de la définition de tout droit. En s'attaquant à l'homme, le crime contre l'humanité s'attaque à son humanisme, c'est-à-dire à ce qu'il y a d'humain en lui. Et l'humanisme étant présent dans chacun des êtres humains, il en résulte que l'attaque dirigée contre l'homme est en réalité dirigée contre l'humanisme de tous les hommes, et donc contre l'humanité. Ce qui est évoqué, c'est la négation de la qualité humaine des victimes : "là où le crime a brisé, a blessé, a tué, là était l'humanité d'un être, et c'est là qu'on a visé". Par conséquent et au-delà de l'homme qui est attaqué par le criminel, l'acte de ce dernier vise l'essence humaine des victimes et l'existence d'une pluralité de groupes au sein de l'humanité : "l'humanité que vise le crime et que protège le droit, c'est donc la commune appartenance à l'humanité de tous les hommes et de tous les groupes humains".
Le crime contre l'humanité c'est "le mal radicale dans la nature humaine", selon le titre d'un article paru en 1792, écrit par le philosophe allemand Emmanuel Kant. Cet auteur avait déjà auparavant théorisé la notion de la dignité humaine qui s'avère absolue pour chaque être humain car insusceptible de limitation. Cette dignité fonde l'impératif catégorique, centrée sur l'idée d'humanité en tant que fin. Le célèbre philosophe estime que la personne humaine ne doit jamais être traitée uniquement comme un moyen, mais également comme une fin en soi. Aussi, énonce-t-il cette notion comme suit : "agis de façon telle que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme fin, jamais simplement comme moyen". Il s'en infère que la particularité des crimes contre l'humanité est d'être "un attentat contre l'homme en tant qu'homme et non point contre l'homme en tant que tel ou tel". Ainsi que le relève si pertinemment Florent Bussy, "le crime contre l'humanité vise l'humanité de l'individu et du groupe auquel il appartient (...). Le criminel contre l'humanité est animé par une conception déshumanisante de sa victime" et partant de l'humanité toute entière.
II. La négation de l'humanité en tant que spécificité du crime contre l'humanité
Dans une formule demeurée célèbre, le Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie décrit le crime contre l'humanité en ces termes : "les crimes contre l'humanité transcendent l'individu puisque, en attaquant l'homme, est visée, est niée, l'Humanité. C'est l'identité de la victime, l'Humanité qui marque la spécificité du crime contre l'humanité". Il en découle que la particularité du crime contre l'humanité réside tant dans une atteinte à l'ordre de l'humanité (A) que dans la négation du genre humain (B).
A. Une atteinte à l'ordre de l'humanité
Le particularisme du crime contre l'humanité réside dans l'acte inhumain d'avoir violé l'ordre de l'humanité. En attaquant l'homme, le crime contre l'humanité vise et nie l'humanité toute entière dans la mesure où il défait les normes juridiques impératives qui ont pour fondement la protection de la dignité humaine. En conséquence, c'est le principe d'humanité qui est violé dans son objectivité, et c'est donc l'humanité elle-même qui s'en trouve être la victime. C'est l'homme dans sa permanence, dans son universalité, dans son être même qui est atteint. L'effroi suscité par la description du crime tient lieu de raisonnement, car il ne fait pas de doute que l'humanité serait surement détruite si des Etats ou des individus étaient autorisés à perpétrer de tels crimes. En effet, le crime contre l'humanité recouvre des violations graves et caractérisées des droits fondamentaux de l'homme, lesquelles choquent la conscience collective. Il couvre des faits graves de violence qui lèsent l'être humain en l'atteignant dans ce qui lui est le plus essentiel : sa vie, sa liberté, son intégrité physique, sa santé, sa dignité. Son inhumanité résulte de son extrême gravité et en ce sens le crime contre l'humanité constitue "l'acte inhumain, négateur de l'humanité des personnes sur lesquelles il porte". Acte cruel et sadique traduisant "la violence dans ce qu'elle a d'effréné, la violence de la violence", le crime contre l'humanité est par excellence "la blessure exceptionnelle infligée à l'humanité" et qui "efface et le crime, et l'humanité qui lui est indissociablement liée". Sa gravité se déduit tant du caractère de l'acte incriminé (cruauté, monstruosité, barbarie), de l'étendue de ses effets (massivité des victimes) que du mobile de l'auteur (saper les fondements de la société humaine). Il s'agit ici de crimes dont les actes ne se limitent pas à massacre, torturer, rendre esclaves des dizaines, des centaines ou de milliers de personnes, mais ces actes transcendent la dimension individuelle des personnes atteintes pour se muer en une violation de l'ordre de l'humanité.
Cet ordre postule une solidarité humaine qui interdit de porter atteinte aux membres de l'humanité, c'est-à-dire aux hommes dans leur valeur morale d'homme. En effet, pour préserver "l'humanité" des "indicibles souffrances" de la seconde guerre mondiale, la communauté internationale a unanimement proclamé sa "foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine" ainsi que "la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables". De fait, "la dignité, qui est une condition humaine, sert de fondement aux droits humains, qui sont une requête humaine". Bien plus, l'atteinte à la personne humaine en tant que telle constitue une violation de la conscience de l'humanité. Il en résulte que la particularité du crime contre l'humanité porte sur le domaine du droit impératif dans lequel il est perpétré, à savoir celui des droits fondamentaux : "les crimes contre l'humanité sont des atteintes graves à des normes de jus cogens intervenues dans le domaine du droit international des droits de l'homme". Les droits de l'homme sont conçus comme une éthique universelle, autrement dit une manifestation de la capacité d'indignation de l'être humain face à l'inacceptable. Destinés à prémunir l'humanité contre la barbarie, ils seraient alors l'expression d'une révolte de la conscience humaine, entendue ici comme une instance interpellatrice, mais aussi comme lieu de déploiement et d'effectuation de l'humanité de l'homme. En retour, la reconnaissance des droits de l'humanité constitue une garantie efficace des droits de l'homme : dès lors qu'on accède à l'humanité, celle-ci est dans l'obligation d'être elle-même titulaire des droits faute de quoi les hommes perdraient les leurs.
Par conséquent, en bafouant les droits fondamentaux de l'homme, à commencer par le plus élémentaire qui est le droit à l'essence humaine, le crime contre l'humanité réduit l'univers à un monde sans droits où la communauté universelle perd sa raison d'exister ; par son acte, l'auteur du crime contre l'humanité ravale cette dernière à une situation semblable à celle des animaux dans la mesure où il rompt le lien entre l'individu et l'espèce humaine. Il s'agit des crimes qui touchent au fondement même de la société humaine. Pour Hannah Arendt, le crime contre l'humanité détruit le "droit d'avoir des droits", anéantit toute relation humaine et sépare l'homme de l'homme étant donné que les droits de l'homme n'ont de sens que comme "droit à la condition humaine", lequel dépend de l'appartenance à la communauté humaine. Sous cet aspect, le crime contre l'humanité opère une exclusion de la communauté nationale, étant entendu que c'est l'appartenance à une société qui prémunit l'individu contre la situation d'exception dans laquelle il n'existe aucune limite juridique. En échos à Arendt, Florent Bussy montre que ce crime s'attaque à la condition politique de l'homme, en réduisant ce dernier à son impuissance individuelle et naturelle et en détruisant toutes les garanties que fournissent aux membres d'une communauté les règles de droit en vigueur. De ce fait, la répression du crime contre l'humanité s'analyse en une auto-défense de la communauté humaine, acte conditionnant sa survie face à la barbarie extrême. Sa prohibition a pour vocation de protéger le genre humain, la collectivité toute entière, l'unité indivisible de l'espèce humaine. Dans la mesure où "c'est à la communauté humaine qu'il revient de garantir les droits de l'humanité", la sanction du crime contre l'humanité est légitime au nom de la défense du genre humain tout entier, autrement dit au nom du bien public. La sanction des actes inhumains se justifie par le fait que le concept universel d'humanité transcende les différences culturelles et les degrés de civilisation. De la même manière que l'Etat possède naturellement le pouvoir d'établir et d'appliquer des peines à ceux de ses citoyens qui sont criminels, le monde le possède aussi à l'égard de ceux qui sont nuisibles et malfaisants envers le genre humain, étant donné que l'univers entier représente en quelque manière une seule communauté politique.
B. Une négation du genre humain
A la différence des autres crimes internationaux notamment le crime de guerre, l'une de plus grandes spécificités du crime contre l'humanité réside dans la négation de l'essence humaine par son auteur. Ce dernier nie l'humanité non seulement dans la personne humaine, mais aussi et surtout dans le groupement humain. Le comportement criminel de l'auteur ne concerne pas uniquement un sujet protégé, victime immédiate, mais aussi l'humanité toute entière. Cette qualité spécifique de la victime confère au crime contre l'humanité une nature particulière. La personne humaine est atteinte parce qu'elle appartient à la communauté humaine et c'est cette dernière qui est visée à travers l'individu ; "le bourreau ( ) ignore sa victime individuelle et ne la connaît qu'en tant que membre de la victime collective visée" et "le sang dont rougissent les mains du bourreau est un sang impersonnel". Contrairement au crime de droit commun où c'est l'individu comme tel qui compte, dans le crime contre l'humanité, l'individu n'est qu'un des globules sanguins qu'on empoisonne, détruit ou expulse pour abattre le corps même; c'est à ce corps lui-même que l'auteur en veut. C'est en cette qualité de "personnalité" plus que d' "individualité" humaine que la victime doit être protégée, et cette qualité, en quelque sorte générique, universelle, exige que la protection du droit international se superpose à celle du droit commun.
Dans la mesure où le crime contre l'humanité bafoue la dignité humaine en raison de son ampleur et son caractère odieux, il touche par conséquent tous les membres de l'humanité, indépendamment de leur nationalité, de leur appartenance ethnique et de l'endroit où ils se trouvent. La commission de ce crime en un seul endroit du monde et sur un seul individu est ressentie par toutes les personnes humaines vivant dans toutes régions du monde entier. Cet état de choses est d'autant plus justifié que ce crime menace d'une part la dignité humaine et, d'autre part, la paix et la sécurité du monde. Quand bien même la commission matérielle d'un tel crime affecterait difficilement plusieurs Etats à la fois, il implique, néanmoins, une atteinte morale ou, à tout le moins immatérielle, à l'ensemble de la communauté internationale. C'est la nature universelle de la valeur mise en cause, l'humanité, qui fait de l'ensemble de la communauté internationale la victime du crime contre l'humanité. Plus spécifiquement, on en appelle à l'humanité des crimes contre l'homme car ils sont aussi des crimes contre elle dans la mesure où la victime est dépositaire de cette humanité en même temps qu'elle en est membre.
Cette conception se fonde sur l'idée selon laquelle l'homme existe à la fois individuellement et collectivement étant donné que son existence ne doit être envisagée qu'en rapport avec celle des autres membres du groupe social. M. Pierre Gire souligne que le principe de la diversité humaine prend forme à partir d'une dialectique qui met en rapport la réalité de la singularité du sujet, l'espace de la particularité qui qualifie la collectivité et la perspective de l'universalité qui manifeste la commune humanité des humains. En effet, explique-t-il, le sujet n'advient à sa singularité que dans la mesure où il appartient à une collectivité qui a ses propres déterminations particulières. La collectivité, sur fond de laquelle le sujet manifeste son existence, se trouve en coexistence avec d'autres collectivités dans le même monde. Les relations réciproques entre ces collectivités humaines ne sont rendues possibles que par l'existence d'une commune humanité, autant dire de l'universalité de l'humanité de l'homme. En conséquence, écrit Mireille Delmas Marty, l'humanité de chaque homme est nécessairement liée à celle de ses semblables et recouvre, pour ainsi dire, une double dimension : individuelle (la singularité de chaque être humain) et collective (l'appartenance des êtres humains à la communauté). C'est ce qui la pousse à considérer que l'humanité renvoie à une intersubjectivité, une sociabilité et que le crime contre l'humanité porte atteinte à la double nature de l'humanité, se distinguant ainsi des autres crimes par la dépersonnalisation et la déshumanisation de la victime. Elle en conclut que le crime contre l'humanité se définit par un double fondement : la violation du principe de différentiation et la violation du principe d'égale appartenance à la communauté humaine. Il va sans dire que le crime contre l'humanité nie à la fois l'essence humaine et l'espèce humaine : "l'humanité y est à la fois violée en la personne de la victime et en celle du bourreau, qui a cherché à nier l'humain. Dans cette perspective, le préjudice n'est pas subi seulement par l'individu, mais par le genre humain tout entier".
Autrement dit, c'est la dignité humaine que le crime contre l'humanité bafoue. En effet, "la fonction première du principe d'humanité est la protection contre la barbarie, contre la bestialité, contre l'avilissement de l'homme. Le comportement qu'ordonne le principe d'humanité ( ) repose sur une obligation objective, fondée sur la constatation et la conscience de l'unité du genre humain". Cette unité est considérée comme supérieure à l'appartenance des hommes à des nations, des races, des religions différentes. Le fondement de cette analyse réside dans le raisonnement d'Alain Seriaux dont nous reproduisons le schéma : Les hommes, dans leur diversité, possèdent tous en commun l'humanité (car tous les hommes participent de l'"hominité", au vu de l'existence de traits essentiels communs) et l'Humanité (dans la mesure où ces mêmes hommes appartiennent tous à une seule et même catégorie substantielle et la place qu'occupe chaque homme est identique à celle des autres hommes, ses "voisins"). Et ici apparait un principe cardinal autour duquel gravite la notion de l'humanité victime : chaque homme regorge en lui l'humanité et porter atteinte à un homme en sa qualité d'être humain, d'organe, équivaut à nier le corps tout entier constitué de la communauté humaine universelle.
En conséquence, le crime contre l'humanité atteint l'homme dans sa double dimension. D'abord physiquement, dans son corps, sa vie : il est assassiné, exterminé, ou dans sa liberté : il est déporté, réduit en esclavage. Ensuite, il l'atteint moralement, c'est-à-dire dans sa dignité qui le fait semblable aux autres hommes selon l'idée qu'en dépit de leur différence d'identité, les hommes partagent une nature humaine commune. En effet, la nature humaine est la même sous tous les cieux et les différences physiques entre les hommes ne sont que superficielles. L'esprit humain étant universel, "les hommes, dans ce qu'ils ont de plus fondamental, sont nécessairement universalistes". La nature humaine, nous dit Jacques Maritain, est la même chez tous les hommes. L'homme est constitué d'une façon déterminée et il a des fins qui répondent à sa constitution naturelle et qui sont les mêmes pour tous, comme pour les pianos par exemple, quel que soit leur type particulier et en quelque lieu qu'ils soient, ont pour fin de produire des sons qui soient justes.
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Le statut de Rome portant création, organisation et fonctionnement de la Cour pénale internationale, en son article 7, énumère une série d'actes notamment le meurtre, la torture, le viol, qui peuvent constituer des crimes contre l'humanité s'ils sont commis dans le cadre d'une "attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile quelconque", commise avec intention et connaissance. Cette formule, qui a survécu au temps, de Nuremberg à Rome, rend compte de l'idée selon laquelle le crime contre l'humanité se diffère des crimes de droit commun en ce que l'objet de l'atteinte n'est plus la seule intégrité physique de la victime mais l'humanité toute entière, et qu'il s'agit là d'un crime très grave qui choque la conscience collective. Le particularisme du crime contre l'humanité réside dans une atteinte à l'homme, considéré comme un maillon de la chaine humaine, et partant à tous les hommes. L'auteur du crime contre l'humanité réfute non seulement l'humanité de sa victime, mais également la sienne propre, dans la mesure où "être humain, c'est s'inscrire dans une pluralité d'individus, tous uniques et tous susceptibles de s'engager dans une action commune". Le crime contre l'humanité constitue "un rejet hors de l'humanité d'une partie de l'humanité par une autre", ce qui viole "le principe de réciprocité, car celui qui rejette, ou extermine, est aussi un homme". De ce point de vue, cet infâme crime apparait comme un acte inhumain dans la mesure où en prenant l'humanité pour cible, son auteur se met en dehors de l'espèce humaine par son acte qui dénie à l'homme son appartenance au groupe ; pourtant, l'homme n'existe qu'en tant qu'il est membre d'une communauté humaine. La société elle-même émane des personnes et à ce titre elle doit être organisée en vue de l'accomplissement de ces personnes. Donc, "le crime contre l'humanité réduit, abaisse, et ravale l'homme à l'état de sous-homme et par là même place son auteur dans une condition animale".
Notes :
Raphaëlle Nollez-Goldbach, Quel homme pour les droits ?, Paris, CNRS Editions 2015 aux pp 9-10 ; Marcel Gabriel écrit à ce propos que les techniques d'avilissement utilisées par les nazis avaient pour but de détruire chez des individus "le respect qu'ils peuvent avoir d'eux-mêmes", et de les "transformer peu à peu en un déchet qui s'appréhende lui-même comme tel, et ne peut en fin de compte que désespérer, non pas simplement intellectuellement, mais vitalement, de lui-même" ; Marcel Gabriel, Les hommes contre l'humain, Paris, Éditions universitaires,1991 aux pp 35-53, spécialement aux pp 37-40.
Jacques Fierens, "La non-définition du crime contre l'humanité", (2000) 3 La Revue Nouvelle à la p 38. De son côté, Catherine Grynfogel écrit que le problème de qualification pénale fut à l'origine de la naissance du crime contre l'humanité étant donné "qu'aucune qualification pénale ne pouvait exactement rendre compte de leur nature intrinsèque" et en même temps, il y avait nécessité de les punir ; Catherine Grynfogel, "Le droit de Nuremberg, droit de crise catalyseur de nouveaux concepts : naissance du crime contre l'humanité", in Jacques Larrieu, Crise(s) et droit, Presses de l'Université de Toulouse 1 Capitole, 2012 aux pp 263-264 ; Mohamed Hajam, "Création et compétences du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie", (1995) 63 : 3 Études internationales aux pp 508-509.
Il faut toutefois noter qu'avant 1945, le concept fut utilisé en 1915 dans une Déclaration commune de la France, le Royaume Uni et la Russie par laquelle ces trois pays condamnaient les massacres d'arméniens dans l'empire Ottoman (Turquie). Avant cette date, La "clause de Martens" dans les conventions de La Haye de 1899 et de 1907 avait utilisé l'expression "lois de l'humanité".
Néron écrit à ce sujet que la notion du crime contre l'humanité est née dans un contexte particulier de Nuremberg, par nature éphémère, et que ce sont les législations nationales qui lui ont permis de survivre en intégrant dans leurs lois les principes de Nuremberg. Il poursuit qu'"après le relais des cours nationales, qui ont fait évoluer le concept en différentes directions, le droit international a repris le concept pour le développer au sein de nouvelles juridictions (TPIY, TPIR et CPI) en retrouvant les racines originelles de Nuremberg" ; Jocelyn Néron, La justice et l'histoire face aux procès pour crimes contre l'humanité: entre la mémoire collective et la procédure, Mémoire de Maitrise en droit, université du Québec à Montréal, 2010 aux pp 16-17.
Nguyen Quoc Dinh (N), Patrick Dailler et Alain Pellet, Droit international public, 7ème éd., Paris, LGDJ, 2002 aux pp 716-717.
Jacques Fieriens, "L'inexistence sociale et le droit : La question des crimes contre l'humanité", (2005) 37 Cahiers à la p 7.
Depuis l'expérience de Nuremberg, les définitions du crime contre l'humanité se ressemblent sans jamais être les mêmes, ce qui donne lieu à une certaine ambivalence du concept. Face à cette situation, la nécessité d'harmoniser le droit des crimes contre l'humanité a vu le jour et la Commission de droit international a provisoirement adopté, en 2016, un Projet de Convention internationale sur la prévention et la répression du crime contre l'humanité, initiative largement saluée en doctrine ; Sevane Garibian, "Généalogie d'un concept centenaire : le crime contre l'humanité. De sa naissance à l'ébauche d'une Convention internationale", in Bruno Cotte, Peimman Ghaleh-Marzban, Jean-Paul Jean et Michel Massé, Soixante-dix ans après Nuremberg : Juger le crime contre l'humanité, Paris, Dalloz, 2017 aux pp 39-50 ; Ezéchiel Amani Cirimwami et Stefaan Smis, "Le régime des obligations positives de prévenir et de poursuivre à défaut d'extrader ou de remise prévues dans le texte des projets d'articles sur les crimes contre l'humanité provisoirement adoptés par la commission du droit international", (2017) 30 : 1 Revue québécoise de droit international aux pp 9-11. D'autres auteurs en appellent tout simplement au changement de paradigme pour marquer la progression d'une nouvelle conscience de responsabilité envers l'avenir, la condition humaine future, les autres espèces vivantes et l'environnement. En prenant appui sur les théories éthiques de la responsabilité transgénérationnelle, ce courant doctrinal propose la notion de "crimes contre les générations futures" ; Voir par exemple Emilie Gaillard, "Des crimes contre l'humanité aux crimes contre les générations futures : Vers une transposition du concept éthique de responsabilité transgénérationnelle en droit pénal international?", (2012) 7 : 2 McGill International Journal of Sustainable Development Law and Policy aux pp 181-202.
Lucas Vergnaud, Le périmètre du crime contre l'humanité, Mémoire de Master en droit international, Université Montesquieu Bordeaux-IV, 2009 à la p 48 ; Dans la même veine, Fabio Landa souligne que presque cachée dans les méandres de la terminologie juridique, l'apparition du crime contre l'humanité ébranle le code juridique et entraîne la création d'une nouvelle figure juridique complexe et problématique, qui s'appuie sur un élément d'instabilité qu'est la définition d'humanité. Le lecteur est convoqué à discerner ce qui appartient à l'humanité et ce qui relève de l'inhumain, ce qui constitue une fragilité formelle qui fait allusion à l'imprécis ; Fabio Landa, "Sauver la'victime' : Le 8 août 1945", (2008) 195 : 4 Le Coq-Héron aux pp 10-11.
Alain Pellet, "Pour la Cour pénale internationale, quand même ! Quelques remarques sur sa compétence et sa saisine", (2001) 1 International Criminal Law Review à la p 98.
Sévane Garibian, Le crime contre l'humanité au regard des principes fondateurs de l'Etat moderne : naissance et consécration d'un concept, Genève, Bruxelles, Paris, Schulthess, Bruylant, LGDJ, 2009 à la p 289.
Tribunal pénal international pour le Rwanda, Chambre de première instance, affaire Rutanda du 6 décembre 1999 (§69) ; dans le même sens l'affaire Musema du 27 janvier 2000 (§204) ; Philippe Currat, Les crimes contre l'humanité dans le statut de la Cour pénale internationale, Genève, Bruxelles, Paris, Schulthess, Bruylant, LGDJ, 2006 à la p 99 ; Françoise Bouchet-Saulnier, Dictionnaire pratique du droit humanitaire, 4ème éd., Paris, La découverte, 2013 aux pp 228-229.
Philippe Currat, supra note 12 aux pp 99-100. Le caractère systématique se rapporte à une pratique d'un caractère constant, alors que le caractère massif se réfère à un nombre élevé de personnes sans que ce nombre ne soit toutefois précisé, ce qui n'exclut pas l'application de l'incrimination à un fait unique dès lors qu'il présente les autres éléments constitutifs du crime ; Anne-Marie La Rosa, Dictionnaire de droit international pénal : termes choisis, Genève, Graduate Institute Publications, 1998 aux pp 28-29.
Isabelle Fouchard, "La formation du crime contre l'humanité en droit international", in Mireille Delmas-Marty, Isabelle Fouchard, Emmanuela Fronza et Laurent Neyret, Le crime contre l'humanité, Paris, PUF, 2018 à la p 7.
Cour pénale internationale, arrêt du 21 mars 2016, Procureur C/ Jean Pierre Bemba, ICC-01/05-01/08-3343-tFRA, §149.
Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, Jugement du 7 mai 1997, Procureur C/ Dusko Tadic, I-94-1, §644.
Toutefois, il n'est pas requis que toute la population d'un Etat ou d'un territoire donné soit visée, un nombre suffisant d'individus appartenant à cette population suffit à caractériser l'incrimination. Il est simplement requis que la population principalement visée par l'attaque soit majoritairement civile ; autrement dit la présence des non-civils dans la population visée ne modifie ni le caractère civil de la population, ni le caractère du crime ; Tribunal pénal international pour le Rwanda, Procureur C/ Nzabirinda du 27 février 2007.
Robert Kolb, "Crimes contre l'humanité", (2014) : 1 Global Community Yearbook aux pp 164-165.
Pour plus de développements à ce sujet, lire Germain Ntono Tsimi, Le paradigme du crime contre l'humanité et la renaissance du pluralisme juridique dans les droits pénaux africains : contribution à une théorie sur l'internormativité des systèmes pénaux nationaux en transition, Thèse de doctorat en Droit, Université de Yaoundé II, 2012 aux pp 135 et S.
Catherine Grynfogel, De la spécificité d'une infraction particulière : le crime contre l'humanité, Presses de l'Université Toulouse 1 Capitole, 2012 à la p 204.
André Frossard, Le crime contre l'humanité : le crime d'être né, Paris, Balland, 2019.
Sylvie Humbet, "Les procès pour crime contre l'humanité : au nom de la justice, au nom de la mémoire", in Mélanges de sciences religieuses : Mémoire, violence et société, Lille, éd. De l'Université Catholique de Lille, 2008 à la p 60.
Danièle Lochak, Le droit et le paradoxe de l'universalité, Paris, PUF, 2010 à la p 205.
Jill Brumier, "Humanité et Organisation des Nations Unies dans la pensée de René-Jean Dupuy", in Grandes pages du droit international, Volume 1 : Les sujets, Paris, A. Pedone, 2015 aux pp 176-177, L'auteur écrit que "l'humanité serait ainsi le premier et le dernier sujet du droit international public, entité autonome apparue avec les premiers hommes et destinée à survivre à la disparition des Etats et des personnes qu'ils créent pour ne s'éteindre qu'avec le dernier d'entre eux".
Annuaire de la Commission du droit international, 1986, vol. II, 1ère Partie, p. 56, § 13.
Henri Meyrowitz, La répression par les tribunaux allemands des crimes contre l'humanité et de l'appartenance à une organisation criminelle en application de la Loi n°10 du Conseil de contrôle Allié, Paris, L.GD.J., 1960 à la p 345.
Tanella Boni, "La dignité de la personne humaine : de l'intégrité du corps et de la lutte pour la reconnaissance", (2006) 215 : 3 Diogène à la p 65.
José Santuret, Le refus du sens : Humanité et crime contre l'humanité, Paris, Ellipses, 1996 à la p 34.
Van Parys, Dignité et droits de l'homme, Louvain-la-Neuve, éd. Noraf, 1989 à la p 98. Dans le même sens, Valérie Parent note que "le droit n'est possible que par l'humanité qui le porte", que la dignité humaine est une valeur universelle et chapeaute le droit, en particulier les droits de l'homme, le droit humanitaire et le droit au développement et que c'est autour d'elle que les valeurs communes de l'humanité s'articulent ; Valérie Parent, L'humanité et le droit international, Mémoire de Maitrise en Droit international, Université de Montréal, 2013 à la p 122, voir également les références bibliographiques citées par l'auteur.
Jacques Fierens, "La non-définition du crime contre l'humanité", (2000) 3 La Revue Nouvelle à la p 41.
Florent Bussy, "Le crime contre l'humanité : une étude critique", (2013) Mars : Témoigner, entre histoire et mémoire à la p 143.
Emmanuel Kant, Fondement de la métaphysique des murs, Paris, Vrin, 1980, p.113. Sur les analyses de cette théorie, voir Michal-Jean Sandel, Justice, Traduction de Savidan (P), Paris, Nouveaux horizons, 2016, pp.178-183.
Vladmir Jankélévitch, L'imprescriptible : pardonner ? Dans l'honneur et la dignité, Paris, Seuil, 1986 à la p 22.
Florent Bussy, supra note 31 à la p 140.
Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, Jugement du 29 novembre 1996, Procureur C/Drazen Erdemović. Plus tard, la même description fut intégralement reprise par le Tribunal pénal international pour le Rwanda dans l'affaire Procureur c/ Jean Kambanda du 4 septembre 1998. La Cour de cassation française, dans l'affaire Barbie du 20 décembre 1985, a repris le contenu de cette description dans des termes quasiment identiques : "le crime contre l'humanité se définit par la volonté de nier dans un individu l'idée même de l'humanité par des traitements inhumains".
Vladmir jankélévitch, supra note 33, à la p 21 ; Grégory Berkovivicz, La place de la Cour pénale internationale dans la société des Etats, Paris, L'harmattan, 2005 à la p 108.
Mario Bettati, "Crime contre l'humanité", in Dictionnaire des notions, Paris, Encyclopaedia Universalis, 2005 aux pp 272-274.
Alain David, "L'hypothèse du crime contre l'humanité", (2011) 666 : 5 Les Temps Modernes aux pp 227-228. L'auteur précise à la p 229 que "dans le crime contre l'humanité, la négation de l'humanité de celui qui est assassiné s'accompagne ( ), quand bien même la cruauté ne serait pas affichée, d'un excès, c'est-à-dire de dispositifs ne se contentant pas de tuer, mais visant à nier le meurtre, la qualité humaine de celui qui est tué. ( ).A la cruauté sadique, jugée trop ( ) anthropomorphique, se substitue alors une autre sorte de cruauté, froide en ce qu'elle est désindividualisée, dissociée de l'humain".
Annuaire Commission de droit international, 1987, Vol.2, 2ème partie à la p 13 ; Dans le même sens, Mario Bettati écrit que l'inhumanité du crime contre l'humanité loge dans la commission des actes générateurs d'indignation. Elle renferme deux aspects : la gravité et l'ampleur. Ces deux facteurs fondent l'internationalisation de ce crime en ce que, à travers les personnes qui en sont les victimes, c'est la communauté humaine toute entière qui est visée. Partant, le crime contre l'humanité serait un crime terrifiant car incomparable à quoi que ce soit d'autre ; Mario Bettati, "Le crime contre l'humanité", in Hervé Ascensio, Emmanuel Decaux et Alain Pellet, Droit international pénal, 2ème édition, Paris, A. Pedone, 2012 aux pp 105-108.
Préambule de la Charte des Nations Unies de 1945. Cette charte a internationalisé les droits de l'Homme qui ont cessé de relever du domaine réservé des Etats et en a fait un des principes de base de l'ordre public international. De ce fait, l'obligation du respect des droits fondamentaux constitue un frein à l'oppression que pourraient subir les êtres humains. Les violations des droits de l'homme constituant une atteinte à la conscience de l'humanité, c'est à la communauté internationale, extérieure et supérieure au jeu des intérêts et des passions locaux, qu'incombe la tache de leur répression ; Henri Donnedieu De Vabres, "Le procès de Nuremberg devant les principes modernes du droit pénal international", (1947) Recueil des Cours de l'Académie de droit international à la p 521 ; Emmanuel Decaux, "Les Nations Unies et les droits de l'homme : 60 ans après ", (2009) 7 Cahiers de recherche en droits fondamentaux aux pp.33-34 ; Fleiner Gerster, Théorie générale de l'Etat, Paris, P.U.F., 1986 aux pp 90-91.
Préambule de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 ; Sur la valeur juridique de cette Déclaration, voir Marc Gambaraza, Le statut de Déclaration universelle des droits de l'homme : une aventure juridique, Paris, Pedone, 2016.
Anat Biletzki, "Aux sources de la dignité : un propos laïque, politique et kantien", (2016) 253 : 1 Diogène à la p 46. Allant dans le même sens, Bertrand Mathieu estime que la dignité est une figure emblématique et un point de passage obligé d'une Déclaration des droits. Elle constitue un principe matriciel d'où dérivent d'autres principes, notamment la primauté de la personne humaine, le respect de l'être humain, l'inviolabilité de l'intégrité du corps humain, ainsi que l'intégrité de l'espèce humaine. Il en conclut que la dignité exprime l'essence de l'humanité, la reconnaissance de l'appartenance de l'homme à cette humanité; Bertrand Mathieu, "La dignité : principe fondateur du droit", (2010) 21 : 3 Journal International de Bioéthique aux pp 79-80.
Jean-François Roulot, Le crime contre l'humanité, Paris, L'harmattan, 2002 à la p 19. L'auteur note également que Nuremberg fut la manifestation éclatante du droit international des droits de l'homme. C'est là, en effet, que le droit international des droits de l'homme fut consacré dans son caractère indérogeable, même en l'absence de règles conventionnelles acceptées. En ce sens, conclut l'auteur, le jus cogens relatif aux droits fondamentaux prend en réalité naissance à Nuremberg, par la notion de crime contre l'humanité. Cette position doctrinale est conforme à la position du Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie. Ce dernier souligne, dans sa décision rendue en appel dans l'affaire Procureur C/Drazen Erdemovic le 7 octobre 1997, que "les crimes contre l'humanité ne touchent pas les intérêts d'un seul Etat mais heurtent la conscience universelle (...).Ce sont réellement des crimes de caractère universel, bien reconnus en droit international comme des violations graves du droit international humanitaire et qui transcendent l'intérêt d'un seul Etat". Toutefois, alors que les droits fondamentaux, qui se réalisent dans le temps présent, protègent la dignité de l'individu, le concept de crimes contre l'humanité protège plutôt la dignité commune des individus. Les droits de l'homme ont pour titulaire l'individu tandis que les droits de l'humanité, qui concernent aussi les générations futures, sont attribués au genre humain en tant qu'entité autonome : "les droits de l'homme protègent avant tout la personne humaine au sens de l'individu humain et de sa dignité. Le concept de crimes contre l'humanité protège quant à lui la personne humaine au sens individuel et universel du terme, autrement dit, il protège non seulement l'individu humain et sa dignité mais encore l'existence collective des humains dans ce qu'elle a de plus noble, de plus digne" ; Julien Danlos, De l'idée de crimes contre l'humanité en droit international, Thèse de doctorat en philosophie, Université de Caen Basse-Normandie, 2010 à la p 483 ; Mireille Delmas-Marty, "Le crime contre l'humanité, les droits de l'homme et l'irréductible humain", (1994) 3 Revue de science criminelle aux pp 478-490.
Roger Koussetogue Koudé, La pertinence opératoire des droits de l'homme : de l'affirmation universaliste à l'universalité récusée, Thèse de doctorat en Philosophie, Université Lyon 3, 2009 aux pp 5-6.
Catherine Le Bris, "Le projet de la Déclaration universelle des droits de l'humanité de 2015 : implications et perspectives juridiques", (2016) 10 La Revue des droits de l'homme aux pp 5-6.
Pour Annah Arendt, l'appartenance à une communauté politique donnée est le premier des droits de l'homme et il conditionne tous les autres. Les droits de l'homme ne sont réellement protégés qu'en tant qu'ils sont également les droits des citoyens d'un Etat donné ; d'où la formule "le droit d'avoir les droits", laquelle renvoie au droit à la participation à une communauté politique, au monde commun. En conséquence, le crime contre l'humanité s'avère être la plus grave des violations des droits de l'homme car il est la privation du "droit d'avoir des droits", c'est-à-dire le fait d'exclure quelqu'un de toute communauté politique et juridique. Le criminel contre l'humanité prive sa victime d'une place dans le monde, laquelle place rend la vie signifiante; Hannah Arendet, Les origines du totalitarisme : Eichmann à Jérusalem, trad. Martine Leibovici, Paris, Gallimard, 2002 à la p 600 ; Hannah Arendt, Impérialisme, Paris, Fayard, 1982 à la p 281 ; Roger Koussetogue Koudé, "L'Etat : une condition sine qua non pour la réalisation des droits de l'homme", (2016) 10 Etudes interculturelles aux pp 125 et S.
Hannah Arendt, "En guise de conclusion" (1951), in Les origines du totalitarisme, supra note 45 aux pp 70, 873 et S.
Florent Bussy, supra note 31 à la p 147.
Yann Jurovics, "Le crime contre l'humanité : définition et contexte", (2011) 1 Les Cahiers de la Justice à la p 147.
Catherine Le Bris, L'humanité saisie par le droit international public, Paris, LGDJ, 2012.
Jean Graven, "Les crimes contre l'humanité", (1950) 76 Recueil des Cours de l'Académie de droit international aux pp 439-441 ; Michale Jacquart, "Notion de crime contre l'humanité en droit International contemporain et en droit canadien", (1990) 21 : 4 Revue générale de droit aux pp 611-613.
Eugène Aroneanu, Le crime contre l'humanité, Paris, Dalloz, 1946 aux pp 35-37.
Jean Graven, supra note 51 aux pp 547-548.
TPIY, Le Procureur c. Drazen Erdemovic, Arrêt en appel, 7 octobre 1997, § 21. Raphaëlle Nollez-Goldbach relève que le principe de respect de la dignité humaine s'exprime dans un droit fondamental à l'intégrité de la personne, dont la protection se traduit par l'interdiction des atteintes à la personne. Il permet de protéger l'être humain face aux tentatives de déshumanisation dont il est l'objet. Par voie de conséquence, la dignité permet de protéger les hommes dans leur pluralité ; Raphaëlle Nollez-Goldbach, supra note 1 à la p 95.
Isabelle Fouchard, Crimes internationaux : entre internationalisation du droit pénal et pénalisation du droit international, Bruxelles, Bruylant, 2014 à la p 280
René-Jean Dupuy, L'humanité dans l'imaginaire des nations, Paris, Julliard, 1991 aux pp 201-203.
Pierre Gire, "Penser la diversité humaine : problématique philosophique", (2011) 4 Etudes interculturelles aux pp 19-20 ; Olivier Abel, "Comment peut-on être humain ? De l'humanité métaphorique à l'action humanitaire", in Olivier Abel et AA., Humanité-humanitaire, Bruxelles, Presses de l'Université Saint-Louis, 1998 aux pp 15-20 ; Jean-Luc Chabot, "Droits de l'homme, universalisme, universalité et particularismes culturels", (2009) 2 Etudes interculturelles aux pp 92-97.
Mireille Delmas-Marty, "Le paradigme du crime contre l'humanité : construire l'humanité comme valeur", in Baduel Pierre-Robert, Construire un monde ? Mondialisation, pluralisme et universalisme, Tunis, Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, 2007 aux pp 185-186. Explicitant sa pensée, l'auteure écrit ultérieurement que "ce que l'incrimination du crime contre l'humanité signifie, c'est que l'être humain, même inscrit profondément dans un groupe, ne devrait jamais perdre son individualité et se trouver réduit à n'être plus qu'un élément interchangeable de ce groupe et rejeté comme tel. Si l'être humain éprouve un besoin d'appartenance identitaire à un groupe, il ne peut être enfermé, enchaîné à son groupe sans perdre son statut au sein de l'humanité. Cette dépersonnalisation de la victime met en effet en cause l'humanité comme altérité, le terme désignant précisément à la fois la singularité de chaque homme comme être unique et son égale appartenance à la communauté humaine comme être social" ; Mireille Delmas-Marty, "Conclusion", in Mireille Delmas-Marty, Isabelle Fouchard, Emmanuela Fronza, Laurent Neyret, supra note 14, à la p 120.
Cathérine Le Bris, "Esquisse de l'humanité juridique : L'humanité juridique, une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part", (2012) 69 Revue interdisciplinaire d'études juridiques à la p 10.
Wladimir Naslednikov, "Crime contre l'humanité et communauté", in Arnaud De Raulin, Situations d'urgence et droits fondamentaux, Paris, L'Harmattan, 2006 à la p 98.
Alain Seriaux, "La dignité humaine, principe universel du droit?", (1997) 6 : 2 Actaphilosophica à la p 291.
Paul-Gérard Pougoue, G., "Lecture de la charte africaine des droits de l'homme et des peuples", in Dénis Maugenest et Paul-Gérard Pougoue, Droits de l'homme en Afrique centrale, Colloque régional de Yaoundé (9-11 novembre 1994), Paris-Yaoundé, éd. Karthala-Presses de l'UCAC à la p 33.
Jacques Maritain, Les droits de l'homme et la loi naturelle, Paris, éd. Paul Hartmann, 1945 aux pp 63-64. Mme Higgins le dit dans des termes davantage élogieux : "Où qu'ils soient, les hommes veulent la même chose essentielle : avoir suffisamment de nourriture et un toit, pouvoir parler librement, pratiquer leur propre religion, sentir qu'ils ne sont pas menacés par l'État, s'avoir qu'ils ne seront pas torturés, ou détenus sans chef d'accusation et que s'ils sont accusés, ils auront droit à un procès équitable. Il n'y a rien dans ces aspirations qui dépend de la culture, de la religion ou du niveau de développement. Elles sont tout autant ressenties par un membre d'une tribu africaine que par le citadin européen, l'habitant d'un bidonville latino-américain ou le résident d'un appartement de Manhattan" ; Rosalyn Higgins, Problems and process: International law and how we use it, Oxford, Clarendon Press, 1994, repris par Jessica Lawrence, Les droits de l'homme, Williamsburg, Peace Operations Training Institut and University for peace, 2012 à la p 27.
Justine Lacroix et Jean-Yves Pranchère, Le procès des droits de l'homme : Généalogie du scepticisme démocratique, Paris, Seuil, 2016 à la p 301 ; A ce sujet, Hannah Arendt écrit que "la pluralité est la condition de l'action humaine, parce que nous sommes tous humains, donc semblables, mais tous uniques car différents de tout homme". Cette "action humaine" consiste à délibérer et à réfléchir sur les fins, les buts et les valeurs suprêmes ; Hannah Arendt, La condition de l'homme moderne, Paris, Calman-Lévy, 1983 aux pp 42-43.
Thomas De Koninck, De la dignité humaine, Paris, PUF, 1995, à la p 15.
Jean Nazaire Tama, Droit international et africain des droits de l'homme, Paris, L'Harmattan, 2006 à la p 319.