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Pierre Rousseau

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Descriptif auteur

Pierre Rousseau est docteur en droit privé et sciences criminelles.
Après avoir fait un master 1 "Droit privé - Carrières judiciaires", puis un master 2 "Droit pénal et sciences criminelles", Pierre Rousseau a obtenu un contrat doctoral en octobre 2016. Il a rédigé une thèse intitulée "La légitimité de l'infraction", sous la direction du Professeur François Rousseau, a obtenu le doctorat en octobre 2019, puis la qualification aux fonctions de Maître de conférences en février 2020, ainsi que le prix de thèse 2020 du Barreau de Nantes. Pierre Rousseau a par ailleurs occupé un poste d'enseignant-chercheur contractuel pendant 4 ans à l'Université de Nantes.


Publications scientifiques:

"Adoption à l'étranger: que reste-t-il de l'ordre public international français ?" (avec C. Mathieu-Varennes), AJ famille, 2024, 05, pp. 298.

« L'élément moral de l'infraction à l'aune de la valeur protégée », Amplitude du droit, n°2, Octobre 2023.

« Lésions consenties et liberté d'autodétermination », Revue de droit pénal, n° 10, octobre 2022, étude 21.

« Réflexions autour de la distinction entre nécessité et proportionnalité », Amplitude du droit, n°1, juin 2022.

« Infraction justifiée ou répression injustifiée : une possible dualité de mécanismes de légitimation », Revue de droit pénal, n° 4, avril 2022, étude 8.

"Pour un contrôle de constitutionnalité de la répression opéré par le juge pénal", AJ pénal, n° 3, 2022, p. 139.

La légitimité de l'infraction, Mare et Martin, 2021.

"Incrimination de la diffusion d'une agression filmée: ratio legis et paradoxe", Dalloz actualité, 22 oct. 2021.

"Prévention d'actes de terrorisme et renseignement" (avec F. Rousseau), Revue de droit pénal, oct. 2021, n° 10, p. 18.

"La responsabilité pénale des parents de mineurs délinquants ou criminels", Dalloz actualité, 29 juin 2021.

"Le renforcement de la lutte contre les commanditaires d'abus sexuels en live streaming", AJ Pénal, n°9, 2020.

« Les infractions de violation des restrictions liées au virus Covid-19 », AJ Pénal, n°4, 2020.

CONTACT: pierrerousseaudroit (at) gmail.com

Titre(s), Diplôme(s) : Doctorat en droit privé et sciences criminelles

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AUTRES PARUTIONS

La légitimité de l'infraction, Mare et Martin, 2021, Bibliothèque des thèses.


LES ARTICLES DE L'AUTEUR

Protection pénale des lanceurs d'alerte : un fait justificatif sui generis

Citation :
Docteur en droit privé et sciences criminelles.
Enseignant-chercheur contractuel à l'Université de Nantes
(Droit et changement social - UMR6297).

Avec l'adoption de la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 (1), la protection du lanceur d'alerte revient au cœur de l'actualité. Ce nouveau texte s'inscrit dans la continuité de la loi "Sapin II" du 9 décembre 2016 (2), laquelle avait conduit à la création d'un nouveau fait justificatif à l'article 122-9 du Code pénal. Les améliorations issues de la loi du 21 mars 2022, visant notamment à préciser la définition du lanceur d'alerte et le domaine d'application du fait justificatif, ont été commentées dans la doctrine (3). Il ne s'agira donc pas ici de revenir sur l'ensemble de ces modifications, mais plutôt de souligner ce qui fait de l'article 122-9 du Code pénal un fait justificatif unique en son genre, et ce depuis sa création en 2016. Le législateur a fait preuve d'une méticulosité particulière dans la rédaction du texte. Son caractère très détaillé, s'il permet de strictement circonscrire les hypothèses de justification, conduit néanmoins à deux interrogations.
L'on en peut en premier lieu s'interroger quant aux exigences de nécessité et de proportionnalité mentionnées dans le texte. De quelle manière doit-on les appliquer, lorsque l'alerte répond déjà à toutes les autres exigences prévues par le législateur ? L'on peut en second lieu s'interroger quant au fondement de l'irresponsabilité pénale consacrée à l'article 122-9 du Code pénal. Certes, l'objectif de ce texte est d'éviter que le lanceur d'alerte soit pénalement sanctionné pour avoir divulgué un secret protégé par la loi (4). Mais pourquoi protège-t-on le lanceur d'alerte ? L'irresponsabilité pénale est-elle fondée sur l'utilité sociale de l'acte (conception objective) ou sur la moralité de son auteur (conception subjective (5)) ?
En précisant non seulement les critères situationnels permettant de justifier l'alerte, mais également la procédure à suivre afin de mettre en œuvre cette alerte, il semble que le législateur souhaite non seulement garder la main sur l'appréciation de la nécessité, mais également sur celle de la proportionnalité (I). Quant au fondement de l'irresponsabilité pénale (II), il s'avère introuvable si le texte exige non seulement l'utilité sociale de l'acte, mais également un certain état d'esprit chez son auteur.

I - Une mainmise du législateur sur l'appréciation de la proportionnalité

Afin de préciser la façon d'articuler les exigences de nécessité et de proportionnalité dans le cadre du contrôle juridictionnel, nous avons pu souligner que "la nécessité naît d'une situation, tandis que la proportionnalité s'analyse au regard de la réaction" (6). En d'autres termes, l'appréciation de la nécessité suppose une analyse de la situation dans laquelle se trouve l'agent, tandis que l'appréciation de la proportionnalité suppose une analyse de la façon dont l'agent réagit face à cette situation.
Il est possible d'illustrer cette articulation de façon assez simple dans le cas de la légitime défense (7). La nécessité d'une défense (dans son principe) est considérée (8) comme acquise lorsque les critères situationnels prévus par le législateur sont remplis (une agression actuelle, réelle et injuste). C'est ensuite au stade de la mise en œuvre cette défense que s'applique l'exigence de proportionnalité (9). Le juge doit s'assurer que le moyen employé pour se défendre (donner des coups de poings, faire tomber l'agresseur…) n'est pas excessif au regard de l'objectif poursuivi.

Dans le cadre de la justification et d'une façon générale, le législateur est donc maître des critères de la nécessité, tandis que la proportionnalité est laissée à l'appréciation du juge. Or, l'article 122-9 du Code pénal semble retirer au juge cette dernière prérogative. Il y a d'ailleurs lieu de penser que les qualificatifs "nécessaire" et "proportionnée" mentionnés dans cet article consistent en réalité à décrire les caractéristiques d'une alerte qui répond à l'ensemble des autres exigences textuelles.
La nécessité d'une alerte doit être considérée comme acquise lorsque les critères situationnels prévus par le législateur sont remplis. Ces critères ne sont pas directement prévus dans le texte de l'article 122-9 du Code pénal, mais plutôt à l'article 6 de la loi du 9 décembre 2016 auquel il renvoie. Selon la version en vigueur au 1er septembre 2022, la nécessité d'une alerte suppose donc en premier lieu l'existence d'"un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l'intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d'une violation d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, du droit de l'Union européenne, de la loi ou du règlement". Elle suppose en second lieu que l'agent ait eu connaissance de l'information précitée dans le cadre d'activités professionnelles, ou à défaut qu'il en ait eu personnellement connaissance. Quand bien même la nécessité est évoquée dans le texte de l'article 122-9 du Code pénal, il faut souligner que ce dernier critère, par son caractère restrictif, renvoie moins à l'idée d'une nécessité justificative qu'à celle d'une situation justificative (10).
Une fois cette "nécessité" acquise, la proportionnalité doit s'analyser au regard de la façon dont l'agent va procéder pour alerter. Or, le législateur a prévu de guider l'agent dans son action, ne laissant probablement plus aucune marge d'appréciation au juge pour en évaluer la proportionnalité. L'on peut par exemple déduire des dispositions textuelles qu'il serait excessif de divulguer des informations protégées par le secret professionnel de l'avocat (11), ou encore de divulguer directement l'information au public (sauf en certaines circonstances énumérées par le législateur). Ainsi, seule une façon de procéder conforme aux exigences légales peut être considérée comme mesurée (12). Il semble difficilement concevable qu'un juge qualifie de disproportionnée l'action de l'agent ayant scrupuleusement suivi les consignes du législateur.
En matière d' "alerte légitime", le législateur a donc la mainmise sur l'appréciation de la proportionnalité, ce qui est tout de même original. Mais la singularité du fait justificatif de l'article 122-9 du Code pénal ne s'arrête pas là, car le fondement de l'irresponsabilité pénale du lanceur d'alerte ne semble pas véritablement reposer sur l'utilité sociale de son action.

II - La question du fondement de l'irresponsabilité pénale

La doctrine adopte classiquement une conception objective de la justification. Selon cette conception, l'irresponsabilité pénale de l'agent est fondée sur l'utilité sociale du sacrifice d'une valeur pénalement protégée afin d'en sauvegarder une autre. Cette caractéristique étant propre à l'acte, la justification a un effet in rem : l'irresponsabilité pénale s'étend à tous les participants à l'acte (coauteurs ou complices). Néanmoins, en soulignant que la justification est parfois admise lorsque l'utilité sociale de l'acte fait défaut, mais qu'elle était vraisemblable pour l'agent, un auteur (13) a proposé une conception subjective de la justification : l'irresponsabilité pénale supposerait une prise en considération de la légitimité du mobile de l'agent, et serait alors davantage fondée sur la moralité de ce dernier. Selon cette dernière conception, la justification n'aurait qu'un effet in personam (les éventuels coauteurs ou complices n'ayant pas forcément un mobile aussi louable que celui de l'auteur principal).

Lorsque l'on se penche sur le fait justificatif prévu à l'article 122-9 du Code pénal, il y a lieu de s'interroger quant au fondement de l'irresponsabilité pénale du lanceur d'alerte. Certes, le texte exige un acte nécessaire et proportionné, ce qui renvoie à l'exigence d'utilité sociale de l'alerte. Mais l'article 6 de la loi du 9 décembre 2016 prévoit également des exigences tenant aux motivations du lanceur d'alerte : ce dernier doit avoir agi "sans contrepartie financière directe et de bonne foi (14)". Autrement dit, la justification ne peut opérer que si l'agent est doté d'un certain état d'esprit. Cette conception "mixte" de la justification, fondée à la fois sur la moralité de l'agent et sur l'utilité sociale de son action, s'avère assez problématique (15). Ce n'est pas vraiment l'utilité sociale de l'acte qui fonde l'irresponsabilité pénale, car l'agent ayant agi afin d'obtenir une contrepartie financière directe sera sanctionné quel que soit l'intérêt que présentait l'alerte pour la société. Ce n'est pas non plus la moralité de l'agent qui fonde l'irresponsabilité pénale, dès lors que le défaut d'utilité sociale de l'alerte exclut la justification. En résumé, le cumul des deux fondements possibles d'irresponsabilité conduit à ce qu'ils se détruisent l'un l'autre.
Il existe des arguments permettant de penser que l'agent ayant agi de bonne foi et sans contrepartie financière directe ne devrait pas engager sa responsabilité pénale, alors même que les faits seraient inexacts, et partant que l'utilité sociale de l'alerte n'aurait été qu'apparente (16). D'une part, la figure n'est pas nouvelle : la jurisprudence l'admet dans l'hypothèse de la légitime défense vraisemblable, et le législateur l'admet dans le cadre du commandement de l'autorité légitime (17) lorsque l'illégalité de l'acte n'est pas manifeste (18). D'autre part et surtout, une interprétation du fait justificatif de l'article 122-9 du Code pénal à la lumière de la directive (UE) 2019/1937 conduirait à faire prévaloir une conception subjective de la justification en matière d'alerte. Il est en effet précisé à l'article 6 de la directive de 2019 que la protection doit bénéficier à celui qui a eu "des motifs raisonnables de croire que les informations signalées sur les violations étaient véridiques au moment du signalement et que ces informations entraient dans le champ d'application de la présente directive". Il faudrait en déduire que l'irresponsabilité pénale est fondée sur la moralité du lanceur d'alerte, et non sur l'utilité sociale de son action. Cette prévalence de la conception subjective de la justification permettrait d'éviter l'incohérence d'une conception "mixte", mais mettrait évidemment à mal la conception classique en la matière.
Pourtant, si le législateur français a expressément prévu d'exclure la responsabilité civile du lanceur d'alerte lorsque la divulgation publique de l'information pouvait raisonnablement apparaître comme nécessaire (19), il est resté muet quant à un éventuel effet de la vraisemblance sur la responsabilité pénale de l'agent à l'alinéa suivant. Cette différence de traitement ne s'avère cohérente que si l'utilité sociale réelle de l'alerte est exigée pour la justification : lorsque la nécessité de la divulgation n'est qu'apparente, le lanceur d'alerte adopte un comportement normal (ce qui exclut la faute civile (20)) mais réalise un acte socialement nuisible (ce qui exclut la justification) (21). Ce silence du législateur conduirait donc logiquement à refuser l'idée d'une justification de l'alerte dont l'utilité sociale n'est que vraisemblable. Si l'irresponsabilité pénale du lanceur d'alerte repose bel et bien sur une dualité de fondements s'annulant l'un l'autre (moralité de l'agent et utilité sociale de son action), la ratio legis de l'article 122-9 du Code pénal devient malheureusement hors d'atteinte.

Signature :
Pierre ROUSSEAU

Notes :
1) Loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection du lanceur d'alerte.

2) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

3) V. notamment P. DUFOUR, "Protection des lanceurs d'alerte et rôle du défenseur des droits : les enseignements des lois du 21 mars 2021", Dalloz actualité, 6 avril 2022 ; C.-H. BOERINGER et K. CHAÏB, "Renforcement du statut du lanceur d'alerte - Commentaire des principales dispositions de la loi du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte", Dr pénal n° 5, étude 12, mai 2022.

4) Depuis la loi du 21 mars 2022, l'irresponsabilité pénale s'étend également au vol, détournement ou recel du support de l'information divulguée, lorsque le lanceur d'alerte en a eu connaissance de manière licite.

5) Sur cette conception subjective de la justification, v. F. ROUSSEAU, L'imputation dans la responsabilité pénale, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, Dalloz, 2009, n° 132 et s.

6) P. ROUSSEAU, La légitimité de l'infraction, th. Nantes, 2019, n° 37 et s. ; P. ROUSSEAU, "Réflexions autour de la distinction entre nécessité et proportionnalité", Amplitude du droit, n° 1.

7) Ce fait justificatif est prévu à l'article 122-5 du Code pénal.

8) Une véritable nécessité n'est pas exigée. Face à une agression actuelle, réelle et injuste, la personne qui avait la possibilité de fuir ne perd pas pour autant le droit de se défendre, dès lors que les critères situationnels prévus par le législateur autorisent une défense.

9) Il ressort néanmoins parfois de la jurisprudence que la nécessité est contrôlée au stade de la mise en œuvre de l'action par l'agent, v. par ex. Crim., 13 avril 2005, bull. crim. n° 131. Sur l'incohérence d'un cumul des exigences de nécessité et de proportionnalité au stade de la mise en œuvre de l'action, v. P. ROUSSEAU, La légitimité de l'infraction, op. cit., n° 48.

10) Il faut également évoquer une situation justificative dans un cas d'autorisation de la loi tel que celui de l'article 73 du Code de procédure pénal. V. en ce sens E. DREYER, Droit pénal général, 6ème éd., LexisNexis, 2021, n° 1288.

11) S'il est impossible d'alerter sans violer le secret professionnel de l'avocat, alors il faudrait plutôt envisager cette condition comme un critère situationnel relatif au domaine de l'information (l'agent ne serait pas dans une situation justificative).

12) L'on peut d'ailleurs se demander si ces conditions de recevabilité ne reviennent pas à faire perdurer l'exigence de nécessité au stade de la mise en œuvre de l'alerte (la recherche de l'action la moins préjudiciable au regard des valeurs en jeu afin d'atteindre l'objectif), ce qui rend inutile un contrôle de proportionnalité, v. P. ROUSSEAU, La légitimité de l'infraction, op. cit., n° 48.

13) F. ROUSSEAU, L'imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., n° 165 et s.

14) Il s'agit d'éviter les "signalements malveillants, fantaisistes ou abusifs", v. la directive (UE) 2019/1937, considérant 32.

15) V. P. ROUSSEAU, La légitimité de l'infraction, op. cit., n° 313 et s.

16) V. en ce sens A. PITRAS, "Le lanceur d'alerte. Étude comparée entre le droit français et le droit de l'Union européenne", RTD eur. 2020. 181.

17) Article 122-4 du Code pénal.

18) V. F. ROUSSEAU, L'imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., n° 135 et s. En ces hypothèse et afin de maintenir une conception objective de la justification, l'on pourrait considérer que l'irresponsabilité pénale ne découle pas d'une justification, mais davantage de la cause de non-imputabilité qu'est l'erreur sur le droit. V. en ce sens E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., n° 1320.

19) Art. 10-1 de la loi du 9 décembre 2016, créé par la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 (art. 6).

20) Sur la faute civile, v. P. BRUN, Responsabilité civile extracontractuelle, 4ème éd., LexisNexis, 2016, p. 200 ; G. VINEY, P. JOURDAIN, Les conditions de la responsabilité, 3ème éd., L. G. D. J., 2006, p. 372.

21) V. P. ROUSSEAU, La légitimité de l'infraction, op. cit., n° 335. L'hypothèse de la vraisemblance en matière de justification illustre l'idée selon laquelle un fait anormal peut découler d'un comportement normal.

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