
Roger Courtois
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Descriptif auteur
Ingénieur des Télécom à la retraite et père historique de Wanadoo, Roger COURTOIS est retiré à Biarritz près de la famille basquaise de son épouse.
Il a été sollicité pour porter sur Internet la thèse de Doctorat de linguistique d’Arnaud ETCHAMENDY parue en 2007 sous le titre « Euskara-Erdarak (ndlr : -autres idiomes que le basque). Basque et langues indo-européennes. Essai de comparaison ». Mais, considérant que de par sa technicité la thèse n’était pas à la portée du plus grand nombre, il a pris l’initiative de sa vulgarisation sous forme d’articles thématiques rédigés entre octobre 2015 et décembre 2017. C’est sur la base de ces articles plus accessibles au grand public, mais … revus, corrigés et affinés depuis avec Arnaud ETCHAMENDY, Dominique et Fina DAVANT, qu’a été élaboré le présent ouvrage.
Passionné d'Euskara, il est par ailleurs l’auteur d’un cyber-cours de « basque unifié », synthèse des différents dialectes, en pole position sur Internet, accessible à l’adresse http://www.bascorama.com / rubriques « une initiation à la langue ancestrale des basques »
Structure professionnelle : 4 Rue Cardan - 64200 BIARRITZ
Titre(s), Diplôme(s) : Ingénieur des Télécom
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LES CONTRIBUTIONS DE L’AUTEUR
LES ARTICLES DE L'AUTEUR
<b>Le livre "L'origine de la langue basque", récemment publié par l'Harmattan</b>
Sur "L'origine de la langue basque"
Arnaud ETCHAMENDY, Dominique & Fina DAVANT, Roger COURTOIS.
L'HARMATTAN, 2018
"[ ] les civilisations sont des réalités de très, très longue durée. [ ] elles sont solidement accrochées à leur espace géographique. Bien sûr, la plus forte, la victorieuse pénètre souvent chez la plus faible [ ] En fait, toute civilisation affirmée ne se soumet qu'en apparence, et généralement elle prend alors davantage conscience d'elle-même [ ]"
Fernand Braudel, La Méditerranée. L'espace et l'histoire, FLAMMARION, Champs, 1985, p. 168.
La maison d'édition l'Harmattan vient de publier un nouveau livre sur "L'origine de la langue basque".
Le titre, voulu par la prestigieuse maison d'édition, n'en reflète pas le contenu profond. Il ne s'agit pas d'une uvre de plus sur une supposée origine "mystérieuse " de la langue basque. Non, au contraire, c'est un travail de recherche qui aboutit à la mise en évidence de l'appartenance, en grande partie, de la langue basque à la grande famille des langues dites indo-européennes.
À l'origine de ce livre, le travail de recherche d'Arnaud Etxamendy (Eñaut Etxamendi, en graphie basque). Né dans la montagne navarraise, un domaine où la notion de frontière est évanescente, sa langue maternelle fut l'euskera (langue basque) qu'il maîtrise comme personne. Il a suivi une formation classique (grec, latin) avant d'obtenir les diplômes d'ingénieur en agriculture et de science politique à Toulouse. Auteur d'ouvrages littéraires en euskera, poète, compositeur-chanteur très connu et apprécié aussi bien au Pays Basque de France que celui d'Espagne, il a depuis "toujours" été intrigué par la proximité de construction de sa langue natale avec celle du grec ou du latin. Et surpris que les linguistes -y compris ses maîtres de grec et de latin, pourtant excellents bascophones- ne s'en soient pas aperçus. Il a donc repris des études linguistiques, à l'heure de la retraite, et élaboré sa thèse de doctorat "Basque et Langues Indo-européennes-Essai de comparaison" qu'il a soutenue en 2007. Ses amis Fina & Dominique Davant l'ont encouragé et secondé dans cette tâche, bientôt rejoints par Roger Courtois qui a mis la thèse en ligne (www.euroskara.com).
Ses travaux, en résonnance avec les théories défendues par les archéologues Colin Renfrew et Jean-Paul Demoule, se sont attachés à démonter deux mythes récurrents. Celui des conquérants "indo-européens" et celui de la non-comparabilité de la langue basque, une langue réputée isolée, dont la part de vocabulaire apparenté à celui des langues voisines serait forcément un emprunt.
Le mythe indo-européen
Celui d'un peuple "indo-européen" de guerriers invincibles, venu d'où on ne sait trop où, des confins orientaux de l'Europe, qui aurait conquis tout notre continent, soumettant tous les peuples et imposant à tous et partout leurs institutions et leur langue. Tel est le conte issu des travaux des linguistes allemands de la fin du XIXº siècle et du début du XXº. Ils ont situé cette invasion irrésistible aux IVº et IIIº millénaires avant notre ère.
Conquis toute l'Europe occidentale ? Toute ? Non ! Dirait Astérix les Basques et le Pays Basque auraient échappé à cette domination ! Par quel miracle ? Et de ce fait, la langue basque aurait conservé sa singularité et n'aurait donc rien à voir avec les langues indo-européennes.
Arnaud Etchamendy soutient que les langues qui partagent la parenté "indo-européenne" ne seraient pas issues de l'immigration de conquérants aryens, mais bien de langues parlées en Europe même par des populations clairsemées. Durant 8 000 ans de la plus forte période glaciaire (Wurms III) elles ont trouvé refuge dans quelques zones comme le sud-ouest de la péninsule européenne, les péninsules italienne, des Balkans et de Crimée (cf. Colin Renfrew, At the edge of knowability : Towards a Prehistory of languages, 2000 ; Archaeogenetics-Towards a "new synthesis" ?, 2010). Les langues parlées par ces petits groupes, confinés dans des espaces réduits durant des millénaires, auraient constitué des substrats à partir desquels la dispersion de ces populations, leurs rencontres et métissages, à la suite de la fin de la glaciation auraient produit les différenciations dialectales qui ont donné naissance au millier de langues classées dans la famille "indo-européenne".
Longtemps les "indo-européanistes" ont pensé qu'il y aurait eu une "langue-mère" unique, parlée par un peuple unique -celui des conquérants aryens- qui aurait donné des "langues-filles" en divergeant au cours des temps. Mais les travaux des archéologues tels que Colin Renfrew et Jean-Paul Demoule ont prouvé qu'une telle conception relevait du pur mythe.
Le mythe du basque, langue orpheline
Comme Jean-Paul Demoule, Arnaud Etchamendy, soutient que la parenté des langues dites indo-européennes serait due, non aux divergences millénaires d'une "langue-mère" unique, mais au métissage sur les mêmes durées et sur des distances considérables de parlers différents, au gré des migrations et des échanges (notamment matrimoniaux).
Les migrations de populations à travers les âges et l'espace sont attestées par les généticiens ; leurs travaux mettent en évidence les "voyages" de marqueurs génétiques, tels que le marqueur "V", dû à une mutation intervenue à l'époque du plus fort glaciaire autour de l' actuelle région basque, et dont la dispersion vers le Nord et l'Est de l'Europe indique les migrations post-glaciaires des populations qui la portaient. Bien évidemment, les marqueurs des groupes humains venus du levant, porteurs de la révolution néolithique, sont rapportés par ces travaux. Comme pour l'archéologie, la génétique ne laisse pourtant de doute : il n'y a pas eu de conquérants invincibles. Mais prosaïquement une très lente diffusion dans le temps et l'espace (ce qu'en agriculture on appelait jadis la "vulgarisation par l'observation du voisin par-dessus la haie")
Partant de ce constat, Arnaud Etchamendy a appliqué les méthodes de grands linguistes, internationalement reconnus : Antoine Meillet pour le latin et Pierre Chantraine pour le grec ancien, en matière de comparaison linguistique ; Émile Burnouf et Gérard Huet pour le sanscrit ; Émile Benvéniste et sa "théorie de la racine". Il s'est avéré que de nombreuses formes du basque partagent les racines élémentaires avec les langues dites "indo-européennes". Arnaud Etchamendy a compris ce qu'aucun linguiste n'avait observé : Parmi les très probables diverses strates qui composent la langue basque, il en est qui fournissent un nombre considérable de racines et de formes qu'elle partage avec le sanscrit et le grec anciens notamment.
À ce titre, l'un des meilleurs outils pour l'étude du passé européen est l'approfondissement de la connaissance de la langue basque qui est certainement la plus vieille encore parlée dans notre continent.
Qui aurait pu penser que l'origine du mot "corps", corpus en latin, sans étymologie pour Antoine Meillet, pourrait avoir quelque chose en commun avec le basque gorputz, composé de deux racines : gor = "chair", et putz = "souffle". Le corps est la chair pourvue de souffle. Ce n'est pas beau ? Ou le mot grec spéos = "grotte" (que nous retrouvons encore dans "spéléologie") ; sans étymologie pour Pierre Chantraine ; n'est-il pas proche du basque aizpe qui a la même signification et qui est un mot composé de aiz = "roche" et pe = "dessous", "sous la roche", donc. Ou encore le basque zohargi = "resplendissement du ciel nocturne étoilé" et le sanscrit swargya "céleste, du paradis, voie lactée" dont la racine est swar "le ciel, le paradis" qui en basque se dit zeru ; les linguistes donnent pour origine de zeru l'emprunt au latin de la forme clum ; comment pourrait-on expliquer la quasi parfaite correspondance de forme et de sens du basque zohargi et du sanscrit swargya à partir du latin clum ? (le Z du basque correspond au Ç du français).
Et tant d'autres exemples décortiqués par Arnaud Etchamendy dans sa thèse pour mettre en évidence ce que tous les linguistes refusent d'admettre jusqu'à présent (du fait de leur insuffisante connaissance de la langue ? du fait d'un "chauvinisme" de langue "singulière", à caractère "exclusif" ?) : le basque n'est pas une langue isolée, bien au contraire, elle partage, comme déjà évoqué, beaucoup de ses racines élémentaires, issues souvent d'onomatopées, avec d'autres langues indo-européennes anciennes.
Si la thèse est ardue et sa compréhension difficile pour les non-initiés, la lecture et l'approche de cet ouvrage, "L'origine de la langue basque", s'avère accessible au plus grand nombre et très agréable grâce à la créativité de Roger Courtois, pédagogue et informaticien de la première heure, champion de la vulgarisation. Il a réussi une mise en page simplifiée et amusante. Vous l'aurez compris : L'objectif de ce livre à huit mains, est de divulguer une nouvelle approche du rôle joué par le basque au sein des langues dites indo-européennes. Il tranche avec tout ce que l'on croyait jusq'à présent. Il apporte un éclairage complémentaire du passé européen du point de vue de la linguistique, comme le latin et le grec ancien, et il n'apporte pas à la réflexion des linguistes une langue morte de plus, mais une langue "fossile"-vivante.
Signature :
Dominique DAVANT
Paru dans un blog de Médiapart le 30 juillet 2018
Le basque une langue indo-européenne ?
Voici des réflexions inspirées par la conférence de Eñaut Etxamendi et Roger Courtois à Mauléon, le 2 décembre dernier [2017] à Mauléon
Tout peuple veut savoir d'où il vient. Pendant des millénaires c'est par les mythes que les humains ont répondu à la question de leurs origines. Les mythes sont des récits qui mettent en scène des ancêtres dans un passé lointain et un monde différent, où les humains, les animaux et les dieux pouvaient se parler. Depuis l'époque des Lumières, la recherche des origines utilise les outils de différentes sciences : anthropologie, histoire, archéologie, linguistique, génétique.
Les langues sont parmi les meilleurs matériaux pour savoir d'où viennent les cultures car elles sont le résultat d'évolutions et d'échanges sur plusieurs milliers d'années au moins. Pour les étudier il faut appliquer les méthodes des linguistes, principalement la comparaison du vocabulaire et des structures grammaticales. Mais la science aussi est parfois prisonnière des mythes. Elle en crée même de nouveaux. Aujourd'hui encore les communautés humaines ont besoin de récits fondateurs.
Samedi 2 décembre 2017 à Mauléon, Eñaut Etxamendi [alias Arnaud Etchamendy] et Roger Courtois ont abordé devant un public d'une quarantaine de personnes, la question controversée et passionnante de l'origine de la langue basque. Et ils ont fortement remis en question deux mythes : celui des Indo-Européens et celui de la langue basque comme langue absolument unique.
Eñaut Etxamendi est un chercheur d'un type très particulier : il se présente comme un autodidacte, mais sa recherche s'appuie sur les travaux des linguistes les plus reconnus en particulier Émile Benveniste. À la fois chercheur, écrivain et poète, Eñaut Etxamendi manie avec aisance les méthodes et les concepts de la linguistique. Il est capable d'utiliser aussi le savoir oral des hommes et des femmes du peuple basque, celui de ses voisins ou de ses parents. Il est un bascophone passionné et excellent connaisseur de sa langue, y compris dans la diversité de ses dialectes. En deux heures il n'a pu que nous donner un très petit aperçu de son immense culture. Il put du moins nous faire partager sa passion.
Roger Courtois est lui aussi un autodidacte. Pendant sa vie professionnelle il a exercé d'importantes responsabilités dans une entreprise de télécommunication. Aujourd'hui il se passionne pour la langue basque et aide Eñaut Etxamendi à vulgariser sa thèse.
Depuis la Renaissance, des savants ont constaté des ressemblances entre des langues européennes, anciennes ou modernes. Au XVIIIe siècle le jésuite français Gaston-Laurent Curdoux puis l'érudit anglais William Jones reconnaissent la parenté entre le sanscrit (langue ancienne de l'Inde) le grec ancien et le latin. Au XIXe siècle les savants adoptent le concept de langues indo-européennes et ils y intègrent la plupart des langues parlées entre l'Inde et l'océan atlantique. Les savants allemands sont particulièrement en pointe dans ces recherches. Ils contribuent ainsi à valoriser leur propre langue qui souffrait jusque-là d'un complexe d'infériorité face aux langues anciennes et aux langues latines modernes illustrées déjà par une immense production culturelle.
Si les langues sont apparentées, c'est qu'il a existé une langue commune à un moment de l'histoire, et donc un peuple qui parlait cette langue. Du XIXe siècle jusqu'à aujourd'hui, de nombreux chercheurs ont essayé de retrouver ce peuple des origines et le territoire où il avait vécu. Ils l'ont situé entre les steppes de l'Asie centrale, le plateau anatolien, la Scandinavie. Les modèles qui les inspiraient n'étaient pas vraiment scientifiques. C'étaient l'histoire des Hébreux racontée dans la Bible ou celles des Romains de l'antiquité : un peuple aux débuts modestes, qui aurait migré et se serait répandu dans un vaste territoire, guidé par une mission providentielle. Ses qualités de courage, sa supériorité intellectuelle ou morale lui aurait permis d'absorber ou de réduire les autres peuples de sa zone d'influence.
Le thème des indo-européens a été enrichi par Georges Dumézil. Il a élaboré la théorie d'une organisation sociale reposant sur trois fonctions qui serait la marque de leurs sociétés : la guerre, le lien avec le sacré, la production. Les Indo-européens ont inspiré des théories raciales et des projets politiques. Pour Arthur de Gobineau, puis pour les nazis ils sont devenus les Aryens, la race supérieure. Chacun sait l'immensité des crimes auxquels la croyance en la race supérieure a conduit l'Europe.
Pour prouver l'existence des indo-européens les linguistes ont fait appel à l'histoire et à l'archéologie. L'histoire ne peut pas apporter beaucoup d'éléments puisque cette grande migration est sensée s'être produite entre le 12e millénaire et le 4e millénaire avant notre ère. Il n'y a donc pas de témoignage direct dans les textes. L'archéologie devrait pouvoir apporter des preuves matérielles irréfutables ou du moins des traces des migrations des Indo-Européens. Or malgré les nombreuses tentatives, aucun indice sérieux n'a été trouvé. [mais elle a permis, par exemple, de battre en brèche certaines théories comme celle du mythe des aristocrates indo-européens, conquérants, arrivés sur le continent à cheval vers - 8000 ans avec notre ère alors que le cheval monté n'est attesté qu'à la fin du IIe millénaires avant J.-C. !].
Une partie de plus en plus nombreuse du monde académique est en train de reléguer les indo-européens au rang de mythe. Si la parenté entre les langues est avérée, elle ne suppose pas l'existence d'un peuple fondateur. Un même fond culturel, des langues très semblables peuvent s'être développées par des échanges continuels sur des vastes espaces. Cette création continue et progressive est possible dans le temps long. Elle s'est déroulée sur plusieurs milliers d'années, voire plusieurs dizaines de milliers d'années. Ainsi il n'y aurait pas un peuple distinct et une langue originelle, mais plusieurs peuples élaborant ensemble des langues très proches. On peut observer que la recherche sur les origines de l'homme évolue sur des chemins assez semblables, qu'il s'agisse de l'homme qui se distingue du singe ou de l'homme moderne. On parle moins d'un lieu d'apparition unique, mais de plusieurs territoires d'origine, (tous en Afrique) distants de plusieurs milliers de kilomètres.
Il est couramment admis que la langue basque est très différente des autres langues d'Europe actuelles ou disparues. Depuis que la recherche en linguistique existe, les spécialistes l'ont écartée du groupe des langues indo-européennes. Les humains qui parlaient l'ancêtre du basque actuel auraient échappé à l'invasion indo-européenne. Les emprunts aux autres langues (dans le vocabulaire surtout) auraient été limités et tardifs, et toujours dans le même sens : des langues dominantes, vers la petite et vieille langue parlée dans l'ouest des Pyrénées.
Quelques chercheurs ont voulu trouver des liens entre le basque et des langues du Caucase ou des langues parlées dans des territoires écartés comme le Tibet ou le Japon. Si on peut trouver des ressemblances ponctuelles, elles ne permettent pas de conclure de façon certaine à une parenté.
Cette vision de la singularité absolue du basque a été très volontiers reprise et défendue par les Basques eux-mêmes. C'était un motif de fierté supplémentaire que d'être les héritiers d'une langue absolument unique, qui aurait résisté à une puissante vague migratoire, une langue forcément très ancienne. L'homme de Cro-Magnon ne parlait-il pas basque ? "Les Basques ont aimé être les seuls au monde" dit Roger Courtois. C'était un argument pour les défenseurs de leur culture, une justification de leurs efforts pour la défendre. L'ancienneté et la singularité s'accordent très bien avec l'idée d'une "résistance" des Basques aux agressions extérieures.
Dans sa thèse, Eñaut Etchamendi présente une vision toute nouvelle de la parenté entre le basque et les langues indo-européennes. Le basque ne serait pas une langue à part mais la plus ancienne des langues européennes, du moins celle qui dans ses formes actuelles porterait le plus de traits des langues anciennes de l'Europe et de l'Asie.
Pour arriver à ce résultat, il a comparé des centaines de mots et expressions tirées du basque, du grec ancien et du sanscrit, la langue savante de l'Inde depuis au moins 2500 ans. Reprenant la méthode de Benveniste, il ne s'arrête pas aux mots car il considère que la plupart sont composés de plusieurs racines : des mots ou des sons plus courts et plus anciens. Beaucoup viennent d'onomatopées. La phonologie est l'étude de ces sons basiques et originels et c'est elle qui permet les rapprochements les plus convaincants. Eñaut Etxamendi s'est inspiré des travaux de Luis Michelena sur la phonologie basque.
Lors de sa conférence, il nous a donné quelques-uns des centaines de mots qu'il a analysés. Les auditeurs ont eu parfois des difficultés à suivre des démonstrations très savantes, mais grâce à des exemples bien choisis, ils ont été frappés par les ressemblances entre les trois langues et bien d'autres langues indo-européennes.
Eñaut Etxamendi présente les résultats de ses travaux dans deux sites que Roger Courtois a mis en forme. Dans le premier [http://www.euroskara.com] on trouvera l'essentiel de sa thèse de doctorat soutenue en 2007. Le second [http://www.bascorama.com] présente les résultats de sa recherche sous une forme plus accessible : des dizaines de petits articles illustrés de schémas. Nous nous permettrons de reprendre ici quelques extraits dans des encadrés en espérant que le lecteur voudra aller plus loin dans sa réflexion en parcourant les sites eux-mêmes [et surtout depuis peu l'ouvrage plus abouti qui vient d'être publié par L'Harmattan].
Il a remarqué que dans beaucoup de mots basques encore en usage aujourd'hui il y avait des racines indo-européennes.
Le mot basque ULE (version biscayenne du mot ILE, plus connu au Pays basque nord) fait partie de la vaste famille des mots indo-européens désignant la "laine". Wolle en allemand moderne, Wool en anglais, etc. [ ] Tous ces mots ont en commun une vieille racine indo-européenne indiquant quelque chose qui tourne, comme dans l'anglais Wheel [...]
La laine est naturellement bouclée et elle doit être torsadée pour être filée.
On a pensé qu'un certain nombre de mots basques venaient du latin ou des langues romanes. Eñaut Etxamendi parle d' "emprunts indûment décrétés". En réalité, les mots basques ont une origine antérieure au latin et il avance même la possibilité d'emprunts en sens inverse. Par exemple du basque [proto-basque?] au latin.
ASKI "assez, suffisamment" est vu par certains comme emprunté au français assez, alors qu'il est issu de ASE "saturation, rassasiement, saturé, repu". [ ] Nous avons déjà rencontré ASE à propos de nourriture dont nous avions souligné la similitude saisissante avec les mots grecs ἆσαι [āsai], ἆση [ásē] "rassasier, rassasié"
Dans ses recherches Eñaut Etxamendi fait de nombreux rapprochement entre le basque et le sanscrit.
AHATE/AATE, "canard" en basque, a un proche cousin indo-européen prestigieux (en sanskrit védique) ātíḥ [=aatiə] "oiseau aquatique"
Il existe des similitudes frappantes avec le grec ancien.
"Fumée" se dit en basque KE / KHE ou encore EKE/ EKHE. Comment donc ne pas rapprocher ces mots de différentes formes du verbe grec ancien καίω [kaiō] "brûler, mettre le feu à, cautériser" telles que ἔκηα [ékēa] ou encore κε̃αι (kēai). Et comment ne pas s'étonner de la similitude des mots KAUTER (en basque) et καυτήρ [kautēr] en grec quand le premier est traduit par "chaudronnier" ou "chaudronnier ambulant" et le second par "celui qui brûle" faut-il rappeler que le "KAUTER" était celui qui allait de ferme en ferme proposer ses services d'étameur qui commençaient toujours par l'allumage d'un feu !
L'étymologie de nombreux mots des langues européennes jusque-là obscure, peut s'expliquer par la comparaison avec le basque.
Le terme basque AIZPE "caverne, grotte" [peut être] rapproché du grec σπέος [spéos], de même sens, dont CHANTRAINE [linguiste spécialiste du grec ancien] disait "terme archaïque sans étymologie mais qui doit être en rapport d'une manière ou d'une autre avec σπήλαιον". [...][spḗlaion] signifiant également "grotte, caverne".
En revanche, au-delà de la proximité phonique des mots grec et basque ayant la même signification, l'étymologie du terme AIZPE est parfaitement claire puisqu'il est issu de la combinaison de /AIZ-/ "rocher" (en composition) + /-PE/ suffixe signifiant "sous, dessous".
La thèse de la similitude du basque et des langues indo-européennes anciennes est confirmée par l'étude grammaticale. Pourtant dans ce domaine aussi le basque est réputé tout à fait unique. L'ergatif (distinction entre un sujet "passif" et un sujet "actif"), l'absence de distinction entre masculin et féminin, le grand nombre de déclinaisons (13 déclinaisons. Le chanoine Lafitte déterminait 15 cas).
Ces particularités ne sont pas des exceptions. La linguiste Claude TCHEKHOFF a montré que les langues indo-européennes avaient été autrefois ergatives. Il en restait encore des traces par exemple dans le français du XIIIe siècle. Les langues anciennes avaient comme le basque beaucoup de déclinaisons (ou comme le latin et le grec, des déclinaisons avec plusieurs cas). C'est une évolution progressive depuis l'antiquité qui a conduit à la réduction du nombre puis à la disparition des déclinaisons, par exemple dans les langues romanes.
Le basque marque le féminin mais d'une façon différente des autres langues.
Le public présent à Mauléon le 2 décembre a été largement convaincu par les démonstrations de Eñaut Etxamendi et de Roger Courtois. Leur enthousiasme venait conforter leur argumentation. Le fait que le basque ne soit pas une langue indépendante des autres langues européennes, mais au contraire une langue (apparentée) indo-européenne ne diminue pas sa valeur. En tant que témoin toujours vivant de l'histoire ancienne des autres langues, elle en devient plus précieuse encore. Elle devient le patrimoine non seulement des Basques, mais des Européens dans leur ensemble et de tous ceux qui dans le monde parlent leurs langues. Il faudra un jour abandonner le terme indo-européen trop chargé de mythe et d'erreurs pour en créer un autre dans lequel le basque pourra trouver sa place, non pas comme la mère des langues de ce vaste ensemble, mais comme une sur aînée qui aurait conservé plus que les autres les traces d'époques reculées.
Une question reste ouverte. Elle n'est pas l'objet des travaux d'Eñaut Etxamendi, mais ceux-ci la posent avec plus de force encore. N'est-il pas surprenant que l'on puisse établir tant de similitudes entre le basque, langue populaire de l'ouest des Pyrénées et du nord de la péninsule cantabrique toujours vivante malgré bien des vicissitudes, et des langues aujourd'hui [quasiment] disparues [le grec ancien, le sanscrit ], présentes seulement dans une immense production écrite dont les ouvrages les plus anciens approchent des 3000 ans ? Comment expliquer que la langue basque soit la sur ou la cousine de langues si anciennes ? Est-ce la structure grammaticale, l'originalité de ses formes qui l'aurait préservée des transformations ? Dans ce cas, d'autres langues auraient duré de la même façon. Est-ce la situation isolée du Pays basque qui l'aurait préservé des influences extérieures ? Les Basques seraient des survivants des temps anciens habitant des vallées inaccessibles. Cette thèse a eu beaucoup de succès y compris dans la littérature touristique. La réalité démontrée par l'histoire et l'archéologie contredit totalement ce point de vue. Le territoire entre l'ouest des Pyrénées est un des principaux lieux de passages du continent européen, depuis la dernière glaciation.
C'est sans doute en faisant entrer les Basques dans l'histoire, en comprenant ce qu'ils ont eu de commun avec les autres peuples qu'on comprendra mieux leur singularité. L'historien évoquera donc une succession d'évènements pour expliquer le maintien, l'évolution, la disparition des langues et des cultures. En voici quelques exemples pour le Pays basque.
Au tournant de notre millénaire, ce territoire est intégré dans l'empire romain et influencé par sa culture. Mais deux lieux ou cette civilisation s'exprime le plus - la cité et la grande exploitation agricole (villa) ne s'y trouvent pas. Pendant tout le Moyen Age et l'Ancien-Régime, les Basques sont sans cesse en contact avec d'autres peuples et d'autres cultures, et avec les pouvoirs. Cependant la stabilité du système des maisons et des communautés de vallées, garantit une très forte continuité culturelle. Le XIXe et le XXe siècle sont ceux de la découverte scientifique du basque, de sa défense par le clergé catholique. Le XXe siècle est sans doute celui des attaques les plus fortes et les plus organisées contre la langue. C'est aussi l'époque où l'on peut parler le plus de résistance. C'est donc une série de circonstances qui ont permis à cette langue de traverser les siècles.
Signature :
Robert ELISSONDO (Historien)
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