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Sarah Nouveau

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Sarah Nouveau

Descriptif auteur


Titre(s), Diplôme(s) : maîtrise de philosophie, diplôme de formateur en culture chorégraphique, D.E. de professeur de danse contemporaine, Certificat de parcours

Fonction(s) actuelle(s) : enseignante en danse et culture chorégraphique

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LES ARTICLES DE L'AUTEUR

Danse(s) numérique(s) in Société numérique de Tiphaine Zetlaoui éditions L'Harmattan

Texte encadré sur l'introduction des technologies numériques dans le milieu de la danse et leurs impacts en terme de création artistique

Signature :
URL : http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=50587

Nomades

Conférence dansée sur le voyage des danseurs et le métissage des danses

" Quand on m'a demandé de faire une conférence sur le voyage des danseurs et le métissage des - danses, beaucoup de questions me sont apparues :

-Comment parler de métissage des danses sans parler d'abord des danses d'origine ?

-Les danseurs qui ont reçu une formation dans une tradition gestuelle peuvent s'y sentir enfermés, mais ils possèdent en même temps un bagage d'une grande richesse que leur envient les danseurs sans référence forte.

-Voyager et découvrir d'autres cultures de danse pose la question du code (entre premier danseur, regard avec la conférencière), et ainsi nous donne un éclairage sur notre propre culture, nos propres codes (entrée deuxième danseur, regard avec la conférencière).

-Qu'est-ce qui entre dans la catégorie du "voyage" ? Un déplacement physique, géographique ? Est-ce qu'un danseur qui voyage entre différents styles de danse entre dans cette catégorie? Un voyage est-il forcèment un choc, une confrontation?

Pour la danseuse américaine Susan Buirge : le métissage, ça commence déjà par le fait de savoir que d'autres danses et d'autres traditions ont existé. Elle remarque que la modern dance s'est intéressée dès le début aux autres cultures, comme par exemple les danses exotiques de Denishawn...
Rudolph Laban, grand théoricien de la danse moderne allemande, a beaucoup voyagé à travers l'Europe et les Etats-Unis au début du 20ieÌme siècle ; il a observé la diversité des cultures, et il déplore le fait que l'homme perde ses racines et ne danse plus autant qu'auparavant....
Ainsi voyager serait retrouver la saveur des choses, apprécier la diversité des cultures.
Comme le remarque toujours Susan Buirge : la manière de bouger est influencée par la nourriture et le climat. On ne danse pas ainsi de la même manière aux Etats-Unis, en France, ou au Japon...

Bref, comme le dit si bien le danseur David Zambrano : (c'est un des danseurs qui le dit) "A Budapest, on ne prépare pas du tout les crêpes de la même manière qu'au Vénézuela".

Le métissage s'effectue ensuite de lui-même par des questions d'espace. Le danseur est nomade, et cela s'explique par le fait que traditionnellement il n'y a pas eu de lieu entièrement dédié à la danse...Le métissage se fait par le déplacement des danseurs et par le partage des espaces, et aussi par les parcours individuels.
Bref, face à toutes ces questions que suscite ce vaste sujet, et ne sachant par quel bout commencer, j'ai préféré vous apporter un souvenir d'un de mes voyages.

(La conférencière prend le piano à pouces et commence à jouer en allant dans l'espace des danseurs pour les observer de près.

Les danseurs font des postures d'équilibre.)

De ces différents voyages et des gestuelles incroyables que j'y ai vues, je me suis dit : ce que l'on entend par culture, dans l'art de la danse, commence peut-être par les choix, les options prises dans la manière de toucher le sol, et, parallèlement à cette prise de contact avec le sol, à la manière de tenir l'équilibre et de le conserver.

(Coupure : adresse de la conférencière au public. Les danseurs la regardent, puis s'échauffent avec des résonances corporelles au texte (viennent avant que ce soit dit).)

Par exemple, dans le sud-ouest de l'Inde, dans l'Etat du Kérala, le kathakali est né au 17ième siècle.
L'appui se fait sur l'extérieur du pied, avec un travail de frappes au sol. La position de base du kathakali, jambes écartèes, genoux très pliés, est enseignée au début de l'apprentissage.
Le kathakali est assez bien connu du monde occidental car depuis une trentaine d'années, des troupes se sont produites au Japon, en Europe et aux Etats-Unis. Mais dans les villages d'Inde, les représentations durent toute la nuit...
Le kathakali est joué par des hommes uniquement, qui interprètent aussi bien le rôle des hommes que celui des femmes.
La danse s'exprime selon deux styles : le tandava, la manière forte et virile, et le lasya, la manière gracieuse et féminine.
Le style tandava est composé de martèlements violents sur le sol et de grands sauts, le danseur doit faire trembler la terre, au sens propre aussi bien qu'au sens figuré.
Dans la position de la tête, qui soutient une coiffe très lourde, le danseur enfonce sa mâchoire inférieure sur son cou, ce qui provoque un double menton.
Le style lasa est composé de pas plus serrés, les jambes sont placées presque l'une contre l'autre et accentuent le travail des hanches qui roulent à partir de la taille, et tournent en évitant la synchronisation avec les mouvements de la tête.
La formation est longue et sévère, elle dure généralement huit ans, et les garçons entrent encore très jeunes dans les écoles de Kathakali.

Chaque geste a une signification, et on utilise en particulier les signes faits avec les mains, les mudras.
[les danseurs viennent côte à côte face public devant l'écran pour les mudras et pour les expressions du visage]
On trouve vingt-quatre racines de mudras dans le théâtre kathakali, chaque mudra peut avoir de multiples significations. Certains mudras sont faits avec une main, d'autres sollicitent les deux, et cela prend encore un autre sens selon ce que fait l'autre main. Ainsi tout un langage s'élabore communiqué par cette partie du corps.
Le kathakali met en scène, en musique et en danse, des récits connus de tous les habitants, comme différents épisodes de textes sacrés, tels que le Mahabharata et le Ramayana.
Aux mudras s'ajoutent les expressions du visage, où tous les muscles sont sollicités pour représenter les émotions fondamentales, comme la joie, la colère, la tristesse, la peur, le désir, l'amour.

Les élèves pratiquent des exercices pour les yeux, pour renforcer les muscles du bulbe oculaire, et augmenter la mobilité de la pupille
Ainsi le danseur s'exprime avec tout son corps, et les différentes parties se coordonnent entre elles tout en faisant des choses différentes, comme :

La nuque,
Les yeux,
Les mains,
Les pieds, Les coudes
Et toutes les parties en même temps.

Mais ne trouve-t-on pas dans notre tradition du ballet également certains éléments de théâtre ? Regardez la pantomime.
L'italien Charles Blasis analyse certains états psychiques dans leur manifestation corporelle qui peuvent être utilisés dans le ballet, tels que :

-la méditation
-la réflexion
-la contemplation
-l'admiration
-l'enthousiasme
-le prodige
-la stupeur

Ainsi danse et théâtre sont liés dans une expression commune.

A Bali, également, danse et théâtre sont liés, et ils sont encore intimement associés à des rites très anciens pratiqués encore de nos jours et indissociables d'un sentiment religieux.
Les positions de base de la danse balinaise peuvent sembler bizarres et très stylisées pour un regard occidental, elles alternent certaines parties du corps en tension dure, keras, et d'autres en tension souple, manis. La position très pliée permet le modelage de l'équilibre ;
Le diaphragme lui-même peut être tendu. Les yeux, comme dans le kathakali, sont très sollicités.

A Bali, comme dans beaucoup de traditions, le savoir passe par l'intermédiaire d'un maître, qui transmet l'héritage gestuel avec tout ce qu'il implique d'imaginaire ; il se place souvent en face de l'élève mais peut aussi le guider, surtout quand il est petit en se plaçant derrière lui et en le dirigeant pour qu'il soit en rythme. Et l'élève apprend par imitation.

La danse du Legong est celle des nymphes divines, et elle est une des plus gracieuses. Elle se dansait à la Cour royale.
Les danses balinaises racontent toujours des histoires, et une de ces danses représente la rencontre des abeilles et des bourdons. Cette inspiration par les insectes volants n'a pas échappé à Artaud, qui a pu voir une troupe balinaise venue en France à l'exposition coloniale et qui dans son livre "Le théâtre balinais" décrit ainsi cette danse comme "évoquant l'idée d'une intense volière dont les acteurs eux-mêmes seraient le papillotement."

Cette inspiration par l'animal se trouve de manière récurrente dans des danses. L'homme de par le monde se souvient de son animalité, et sa mémoire animale surgit plus fortement en certaines circonstances.
(Les danseurs bougent de manière animale, en incluant dedans le camel walk, le king cobra...)

Mettre en jeu un mimétisme animal, ses états émotionnels, ses réactions, ses processus de camouflage, correspond à la volonté de métamorphose de l'homme qui ne cesse d'accompagner sa croissance.
Ainsi on trouve dans de nombreuses traditions des danses animalières, qui s'inspirent de tel ou tel animal, et c'est quelque chose que l'on retrouve également dans la danse jazz, comme héritage des danses venues d'Afrique. C'est pourquoi de nombreux pas de danse jazz possèdent des noms d'animaux tels que le "turkey trot", le trôt de la dinde, le "pigeon wing", le saut de pigeon, le "camel walk", la marche du chameau etc... Dans le hip-hop autre héritage, on trouve un pas qui se nomme le "king cobra"...


La danse n'a pas toujours la même place au sein de la société selon les pays, et elle n'est pas toujours considérée de la même manière.
Mais se pose également la question du regard porté sur une culture. Michel Rafa, chorégraphe originaire du Congo remarque qu'"[Avec la colonisation] les Blancs nous ont toujours fait croire, que les Noirs, les Africains, étaient un peuple sans culture."
Il a voyagé jusqu'à Paris et a créé une compagnie pour valoriser le patrimoine de son peuple. Il est ensuite revenu dans son pays pour y encourager l'expression issue de la tradition.

L'anthropologue Joann Kealiinohomoku, quand elle s'intéresse au terme de danse ethnique, qui a commencé à être utilisé dans les années 1930, remarque que dans la bouche des spécialistes occidentaux, ce terme était souvent utilisé comme euphémisme de termes démodés tels que "barbare", "païen", ou encore "exotique".
Se posait également un problème de classification entre cultures considérées comme supérieures et d'autres comme inférieures, et l'utilisation du mot "art" était souvent rejeté pour qualifier les danses dites ethniques.

Pour Joann Kealiinohomoku, la danse ethnique devrait représenter une forme de danse appartenant à un groupe de gens donné, partageant des liens génétiques, linguistiques et culturels communs....[ainsi] n'importe quelle danse pourrait correspondre à cette description.

Elle propose de regarder le ballet classique comme une forme de danse ethnique. Et, d'après sa téorie, nous allons tout de suite en voir une démonstration (musique du "Lac des cygnes" de Tchaïkovski) :

"Pensez combien notre vision du monde est [par exemple dans des ballets comme Giselle ou le Lac des Cygnes] sans arrêt révélée à travers les fréquents thèmes d'amour non partagé, de sorcellerie, de dévouement au prix d'une patience à toute épreuve, d'erreur d'identité, et de malentendus entraînant des conséquences tragiques."

Et, concernant le langage de la danse lui-même, elle observe que "Nos valeurs esthétiques sont représentées par une longue figure d'un corps redressé, allongé, par le dévoilement complet des jambes [...], par des corps minces chez les hommes et les femmes, et par une qualité aérienne convoitée..." "...ce qui est particulièrement visible dans les portés,[où la femme semble voler dans les airs]"

....merci, j'espère que cela aura été assez clair pour notre public.

En Egypte, il existe une danse fortement sexualisée, qui magnifie le corps de la femme. Dans son documentaire "Mille et
une danse orientales", Moktar Ladjimi déplore la récupération par l'Occident de la danse du ventre devenu un spectacle commercial et obscène.

Là encore il existe une transmission, qui se fait de mère en fille, même si cette tradition se perd. La danseuse orientale avait un rôle bien précis dans les mariages et dans les célébrations, aussi bien dans les villages qu'à la ville.
Sabaa, danseuse dans un village d'Egypte, parle de l'ambivalence de la place de la danseuse dans son pays, elle dit : "En Egypte, danseuse est un mot honteux". "Si j'avais été instruite, je n'aurais pas fini danseuse." "J'aurais été quelqu'un de bien".
Un de ses voisins dit même : "moi si ma fille devenait danseuse, je la tuerai, et ses frères aussi."
En même temps, Lucie, que nous allons voir à présent à l'écran, danseuse de la ville, est une véritable star en Egypte. Elle dit qu'elle aime quand le public apprécie sa façon singulière de bouger les mains, les bras, les hanches, et que, dans ces moments, c'est comme si c'était elle, (vidéo danseuse égyptienne), qui possédait le public, et non l'inverse.
Le public essentiellement masculin est captivé, et, si un homme monte sur scène et se met à danser avec la danseuse, dans l'imaginaire égyptien, il devient femme.


Après ce petit tour dans différents pays et les formes d'expression dansées qui y sont rattachées, regardons maintenant le cas de danses qui sont nées d'emblée du métissage, et du voyage de personnes et de cultures à travers les continents et les océans.
C'est le cas de la capoeira, mais aussi du hip-hop, où l'on trouve des traces de l'héritage africain, notamment dans le cercle où les personnes entrent à tour de rôle et aussi dans l'idée de défi et de combat.
La capoeira, comme le dit Maître Joao Pequero, de Salador de Bahia "est arrivée au Brésil avec les esclaves
africains". Les [maîtres blancs] n'acceptaient pas qu'ils jouent leurs jeux. Ils trouvaient ça très dangereux.
Le nom de capoeira signifie la "brousse coupée", en mémoire des esclaves noirs qui s'enfuyaient dans la brousse.
Il y a une continuité avec les danses traditionnelles, même si la capoeira s'est modifiée avec les espaces, et cette danse vient au départ de l'énergie du combat.
Il existe une danse avec des bâtons qui se nomme "makuléleì".


On retrouve cette idée de combat et de défi dans le hip-hop. Chaque danseur entre dans le cercle et se dépasse en défiant son adversaire, c'est le principe de la battle.
Le hip-hop, tout comme le jazz, est une culture de métissage et de mélange, les danses s'inspirent de mouvements qui peuvent venir d'autres cultures et d'un imaginaire qui s'ancre dans la réalité ou dans d'autres sources.

Ce sont des formes en perpétuelle évolution. Comme le dit Farid Berki : "le hip-hop est une culture d'échange avec les autres... En fait, c'est un aller-retour entre la culture de départ, le quartier d'origine, et là où on veut aller. L'important c'est de ne pas se couper des deux."

Le hip-hop ces dernières décennies a effectué un voyage, de la rue à la scène. Franchissant la porte des théâtres, a-t-il perdu son âme ? Ou au contraire s'enrichit-il de démarches d'écriture scéniques et chorégraphiques ?
Le débat reste ouvert, de même que la question de créer des passerelles entre deux cultures, susciter l'échange et la rencontre, quelque chose de nouveau qui puise cependant dans les richesses des traditions.

Plusieurs chorégraphes contemporains sont partis en voyage pour s'immerger dans une autre culture, comme par exemple Mathilde Monnier, au Burkina Faso, en 1999, pour la création de son spectacle "Pour Antigone", qui mêlait danseurs européens et danseurs africains.
Cela l'intéressait de rencontrer des artistes qui aient une autre conception de la danse. Elle cherchait à les amener vers une forme d'abstraction, pour se concentrer sur des qualités de mouvements sans raconter d'histoires.
Elle leur a proposé également de danser en silence ou sur des musiques contemporaines, afin de révéler la musicalité intérieure du mouvement.

Ce qui a touché Mathilde Monnier chez les danseurs qu'elle a rencontrés, qui venaient du Burkina Faso et du Mali, c'est leur capacité à sortir de leurs codes, leur intériorité et leur imaginaire.
En retour, un des danseurs de la compagnie de Mathilde Monnier remarque qu'après cette expérience au Burkina Faso la chorégraphe a laissé plus de place à la personnalité des danseurs, plutôt que d'imposer un style, et ce voyage a été pour elle une ouverture.
En parlant de danseur, une danseuse a fait la démarche inverse.

Shantala Shivalingappa, initiée très jeune par sa mère à la danse classique indienne, et au style Kuchipudi par son maître, a depuis longtemps travaillé avec des chorégraphes et metteurs en scène occidentaux contemporains, et ce qui ne cesse de la motiver, c'est, "à partir de la technique pure de la danse indienne [de voyager] vers une autre narrativité, une autre manière de vivre et de ressentir la danse..."
Et, ce faisant, peut-être de découvrir quelque chose de l'ordre de l'universel dans la danse et le goût du mouvement.
En indien, il existe un mot le rasa.
Selon ses mots : "le rasa, la saveur qui émane de la danse n'est-il peut-être pas si différent que le porterait à croire le contraste apparent des formes ?"

Daniel Larrieu a également créé un spectacle avec des danseurs traditionnels en Thaïlande. Il est parti en résidence à Bangkok avec des danseurs du Jeune Ballet de France.
Et, parlant de cette expérience, Daniel Larrieu dit : en faisant ce voyage et ses rencontres, "je redécouvre la culture, je redécouvre d'où je viens."
Ça permet de "garder le caractère vivant des formes", de "retourner vers soi, intimement. [...] C'est ça que je trouve, la grâce."

Je vous propose à présent de regarder un duo avec un danseur traditionnel thaïlandais et un danseur du Jeune Ballet de France, suivi par un extrait d'une séance de répétition avec une danseuse du Jeune Ballet de France, et une danseuse thaïlandaise.
Et pour finir cette conférence, vous assisterez à une réelle expérience improvisée de métissage."

Notes :
Extraits vidéos :
-"Kathakali", Renuka George, 1991, CNC Danse n°23
-"Desa Kela Patra", Jean-Louis Berdot, 1992, France 3, CNC Danse n°9
-"Kizingu, l'Afrique en vie", Gilles Nivet, 1995, CNC Rafa n°1
-"Ghazeia, danseuses d'Egypte", Safaa Fathy, 1993, CNC Danse n°10
-"Cidade Capoiera", Laurence Méhaignerie, 2002, CNC
-"Génération hip-hop our le Mouv' des Zup", Jean-Pierre Thorn, 1995, France 3, CNC
-"Djai", Patrick Nezan, CNC Larrieu n° 3
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La danse expressionniste allemande dans les années 1930 : danse d'expression et théâtre dansé

Bonsoir,

Si l'on n'utilise pas le terme de danse expressionniste à proprement parler, cependant, la danse moderne allemande, qui s'épanouit entre les deux Guerres Mondiales, à savoir entre 1919 et 1939, dans un aspect plus expérimental à ses débuts, et plus institutionnel dans le courant des années 1920 et dans les années 1930, s'insère dans le courant expressionniste qui a touché différents arts au début du 20ième siècle.
La danse moderne allemande a, notamment, établi un dialogue avec les arts plastiques de cette période.
Dans les toutes premières années du 20ième siècle, le mouvement expressionniste apparaît dans les arts plastiques.
Ce terme, d' "expressionnisme", d'abord utilisé de manière péjorative par le peintre Max Lieberman pour désigner les expressions sauvages de jeunes peintres radicaux, puis repris par l'historien d'art Worringer, va nommer un courant d'avant-garde, qui renie toute tradition académique : prenant son inspiration dans les arts primitifs, l'art gothique et autres sources extérieures à l'art académique de l'époque, l'expressionnisme va donner lieu à des formes très singulières de la part de chaque artiste, qui dépeint dans ses oeuvres son propre état intérieur.

Dresde, lieu de naissance de la danseuse Mary Wigman, voit la naissance du premier mouvement de ce courant, "die Brücke", le pont, terme inspiré de Nietzsche, et qui est une communauté d'artistes fondée en 1905 par quatre étudiants en architecture : Bleyl, Kirchner, Heckel et Schmidt-Rottluff, bientôt rejoints par d'autres artistes comme Nolde ou Pechstein. Le groupe s'installe ensuite à Berlin.
Deux thématiques imprègnent ces artistes :

-Tout d'abord le désir de retour à la nature comme à un Eden perdu, lieu d'épanouissement de l'homme, dans une recherche de fusion cosmique entre l'être humain et son environnement naturel. Cette thématique témoigne d'un mouvement de pensée plus général qui touche en Allemagne un certain nombre d'intellectuels et de chercheurs de cette période : le mouvement de "réforme de la vie" (Lebensreform), qui s'insurge contre l'industrialisation croissante, avec pour corrélat, dans les villes, l'augmentation de la précarité des conditions de vie des ouvriers, en même temps que la dégradation des relations entre les hommes.

-A Berlin se développe chez les peintres expressionnistes un autre thème, celui de la grande ville, début de la mégapole moderne, à la fois fascinante et source d'angoisse, ville où l'individu souffre de solitude et peut être corrompu par les plaisirs décadents.
Chez ces peintres, le thème de la danse est très présent, notamment chez Kirchner, dont la compagne, Erna Shilling, était danseuse de cabaret, et Nolde, ami de Mary Wigman, qui viendra peindre ses élèves dans son école.La danse est perçue par les peintres expressionnistes comme source d'énergie, vitalité, comme la possibilité pour l'homme de se ressourcer, de la même manière qu'au contact de la nature.

D'autre part, dans ce même mouvement de refus de tout tradition académique afin de se recentrer au plus près autour de l'expression d'une réalité intérieure, les peintres expressionnistes vont également questionner, valoriser et creuser leurs propres outils d'expression : la forme, la ligne, la couleur... La danse moderne allemande s'insère dans cette double pensée : partir de l'intériorité du danseur, mais également se recentrer sur les outils d'expression propres à la danse, et ainsi questionner, creuser le mouvement dans toutes ses déclinaisons possibles.

Mais ces mêmes thèmes vont influencer également les danseurs et chorégraphes modernes : l'envie nostalgique de retour à la nature liée à l'angoisse de l'industrialisation grimpante marque fortement le début des recherches de Rudolf Laban.




ANNONCE DU PLAN DE LA CONFERENCE
Cette conférence s'intitule : "La danse expressionniste allemande dans les années 1930 : danse d'expression et théâtre dansé ; mais, avant d'arriver aux années 1930, il faut plonger dans les origines de ce courant, années expérimentales de recherche sur le mouvement, au cours des années 1910, autour de la figure centrale de Rudolf Laban.

Nous verrons ensuite comment la danse moderne allemande s'institutionnalise dans le courant des années 1920 et le début des années 1930, années noires de la montée du Nazisme, et la position des différents artistes vis-à-vis du régime nazi.
Enfin, nous nous intéresserons aux deux courants principaux qui se distinguent au sein de la danse moderne: la danse d'expression, et le théâtre dansé, avec comme chefs de file respectivement Mary Wigman et Kurt Jooss. En effet, si ces deux courants se rattachent tous deux à l'expressionnisme, cependant, chacun d'eux témoigne de partis-pris artistiques bien singuliers, qu'il conviendra d'observer.




I. Les recherches de Rudolf Laban.

Avant d'arriver aux années 1930, il faut revenir dans les années 1910, et se pencher sur une figure charnière, essentielle pour le développement de la danse moderne allemande : Rudolf Laban.
Car les deux chefs de file de la danse moderne allemande, Mary Wigman et Kurt Jooss, vont être élèves puis assistants de Laban, et leurs travaux sont fortement influencés par ce maître.
Laban, revenu de son séjour de plusieurs années en France, plus précisèment à Paris, où il a étudié la peinture, mais également travaillé la gymnastique harmonique auprès des éleÌves de François Delsarte, Laban, donc, de retour de France, ouvre en 1910 une école expérimentale à Munich intitulée "Tanz Ton Wort", la danse, le son, le mot.
Il poursuit ses recherches pratiques à Ascona, en Suisse, où il ouvre en 1913, l'Ecole de l'Art du Mouvement dans la communauté anarchiste de Monte Verita, fondée par Henri Oedenkoven et Ida Hoffmann. Il y animera des stages d'été en 1913, 1914 et 1917, et Mary Wigman y sera son assistante.

Dans un mouvement d'utopie d'un corps en harmonie avec la nature, et dans la mouvance de la danse libre, Laban et ses élèves improvisent nus, à l'écoute du corps et de ses sensations.
Laban développe aussi des recherches sur la danse comme rituel, liée aux étapes de la journée et de la vie.
Ces années d'expérimentation pratiques à Munich et à Monte Verita sont fondamentales, car ce sont à partir d'elles que Laban bâtira ses systèmes théoriques, concernant les paramètres ou facteurs du mouvement, les dynamiques et qualités du celui-ci, ainsi que sa nouvelle conception de l'espace.

Dans ces années d'expérimentation, Laban, qui se destinait à être peintre avant de s'intéresser à l'art du mouvement, entretient d'autre part un dialogue constant avec les arts plastiques : il se rend à plusieurs occasions avec ses élèves de Monte Verita au Cabaret Voltaire de Zürich où les Dadaïstes font des performances.

Chercheur polymorphe, s'intéressant à la danse et au mouvement dans une palette de résonnances très large, c'est-à-dire à la fois dans un sens sociologique, anthropologique, et ethnologique, Laban est animé de différentes motivations très fortes :

-Tout d'abord de la nostalgie des danses communautaire de son enfance dans les villages de Bosnie, nostalgie qui se manifeste dans le désir ardent de recréer des communautés par la danse.

-Ensuite de l'idée d'un retour à la nature comme lieu d'épanouissement de l'individu, l'individu lui-même étant mis au centre de ses recherches.

-Enfin, de l'envie de créer une nouvelle tradition chorégraphique, moderne.

A partir de ces improvisations et recherches sur le mouvement dans son propre corps et dans le corps de ses élèves, Laban va élaborer différentes théories qui vont révolutionner la conception de l'espace et du mouvement :

-Il va d'abord renverser la conception de l'espace, et pour cela, partir du centre de l'individu.
L'espace n'est plus pensé de manière extérieure, mais, en partant du centre du danseur, il se déploie de manière multidirectionnelle et en volume. Là encore, les improvisations en extérieur de Laban et de ses élèves ont permis de rompre avec la tradition frontale des scènes à l'italienne, qui formatait les corps dansants en représentation depuis le 17ième siècle.

Cet espace, chez Laban, est un espace dynamique, créé par le mouvement du danseur, et donc en perpétuel changement : la kinesphère, sphère du mouvement du danseur, est l'espace relatif de celui—ci, que le danseur fait évoluer au grès de ses mouvements, créant des tensions spatiales.

-D'autre part, pour Laban, tout mouvement peut être de la danse : il s'intéresse au mouvement en général, y compris le mouvement quotidien. Ses premières recherches se soucient d'ailleurs assez peu d'être qualifiées ou non de danse : Laban ne cherche pas du tout la continuité avec la tradition du ballet classique, de même qu'il ne souhaite pas s'enfermer dans un vocabulaire gestuel préétabli. C'est le mouvement en tant que tel qui l'intéresse comme sujet d'étude : se penchant sur ce qui constitue n'importe quel mouvement, c'est-à-dire les paramètres fondamentaux, il expérimente les déclinaisons du temps, de l'espace, de l'énergie, et du flux, qui concerne le déroulement du mouvement et la capacité ou non de l'arrêter à n'importe quel moment : si cela est possible, il s'agit d'un flux contrôlé, si non, il s'agit d'un flux libre.

Dans ses recherches sur le mouvement, Laban s'intéressera également à la motivation intérieure de l'individu, et il développera différents systèmes qui prennent également en compte les dynamiques et les qualités de mouvement.

-Enfin, influencé par sa découverte, lors de son voyage à Paris, de la notation Feuillet, premier système symbolique de notation de la danse, datant de 1700, Laban travaillera en vue d'établir une nouvelle notation du mouvement, capable de restituer par écrit, au moyen d'un système symbolique, n'importe quel mouvement, et non, comme c'est le cas pour la notation Feuillet, un vocabulaire de pas lié à un style de danse bien précis.Par cet intermédiaire, il voyait là un formidable outil pour créer et conserver un nouveau répertoire de chorégraphies modernes.
Ce sera la cinétographie ou notation Laban, publiée en 1927, grâce au travail d'Albrecht Knust, élève de Laban, et continuateur des recherches de son maître.

Ce faisant, Laban donne un socle théorique et pratique très important sur lequel vont s'appuyer les danseurs et chorégraphes modernes pour développer leur propre travail.



II. La danse moderne dans les années 1920 et les années 1930 en Allemagne.

Après la Première Guerre Mondiale, et de manière croissante jusque dans les années 1930, la danse moderne allemande va prendre un essor considérable et s'institutionnaliser, même si les conditions économiques sont difficiles. Cet essor tient essentiellement en deux choses :

Tout d'abord, dans le fait d'un grand travail auprès des amateurs : la danse moderne est pratiquée par un grand nombre de personnes, et les écoles de danse moderne fleurissent de manière exponentielle :

-En 1920, l'école Laban est installée à Stuttgart puis à Hambourg, et cette école est rapidement divisée en différentes filiales : on en dénombre pas moins de vingt-et-une dans toute l'Allemagne en 1927. [en 1926, un accident met fin à la carrière de danseur de Laban]

-Mary Wigman, elle, crée sa propre école à Dresde en 1920, dans des conditions très précaires. Au cours des années 1920, elle connaît le début d'une reconnaissance publique, et reçoit des subventions pour agrandir et aménager son école. Celle-ci compte en 1927 plus de 300 élèves et 15 salariés, et propose aussi un cursus de formation professionnelle en trois ans très réputé dans le pays.

-C'est en 1927 également que Kurt Jooss créé le département danse de l'école Folkwang à Essen, à destination des danseurs professionnels.

D'autre part, durant les années 1920 ont lieu différents Congrès de la danse en Allemagne, ont pour un des enjeux essentiels la place de la danse moderne au sein des institutions.
Deux visions s'opposent dans ces Congrès de la danse auxquels participent Laban, Wigman et Jooss : Alors que Mary Wigman entend continuer son travail de créatrice et de pédagogue de manière indépendante, au sein de son école, Rudolph Laban et Kurt Jooss veulent faire entrer la danse moderne dans les institutions, et en particulier créer des troupes institutionnelles de danse moderne, à l'instar des troupes de ballets classiques liées aux municipalités.

Dans les anneées 1920 se développent les "Tanzbühne", ou "Neue Tanzbühne", scènes de danse, terme inventé pour désigner les troupes institutionnelles de danse moderne, en les différenciant des troupes de ballet classique ou d'opérettes. Dans une politique de relance des opéras municipaux, chaque ville d'Allemagne suffisamment grande possédait sa troupe de danseurs permanents, et peu à peu la danse moderne va pénétrer dans ces institutions municipales.

Ainsi au cours des années 1920, sous la République de Weimar, la danse moderne allemande acquiert un statut officiel. Et ses différents acteurs principaux vont s'affirmer sur la scène internationale au début des années 1930 :

-En 1930, Mary Wigman fait une tournée triomphale aux Etats-Unis, où elle danse plusieurs de ses solos, et en 1931 s'ouvre une école Wigman à New York.

-En 1932, Kurt Jooss, qui était depuis 1930 maître de ballet à l'Opéra de Essen, remporte le Grand Prix de chorégraphie des Archives Internationales de la Danse, de la Ville de Paris avec la Table Verte. Ce prix lui donne une reconnaissance européenne, qui lui permet de tourner dans différentes grandes villes. Il crée sa compagnie indépendante : les Ballets Jooss.

Mais ces années sont également celle de la montée du nazisme : en 1933, Hitler devient chancelier du Reich et accède au pouvoir. Certains danseurs et chorégraphes vont fuir ce régime, d'autres vont rester. Dès 1934, Kurt Jooss fuit l'Allemagne nazie, après que le régime lui a demandé de se défaire de ses collaborateurs juifs, les danseurs, mais aussi le compositeur Fritz Cohen. Il émigre en Angleterre, et est accueilli à Dartington Hall où un riche couple lui offre l'opportunité d'ouvrir un lieu pour enseigner et créer. Sigurd Leeder enseignera également dans cette école.
En 1934 et 1935 (voir le livre de Laure Guibert), ont lieu les festivals de la danse de l'Etat Nazi. Y participent Mary Wigman, ainsi qu'Harald Kreutzberg et Gret Palucca, danseurs et élèves de Wigman, représentants de la danse d'expression.
Ces danseurs reçoivent au cours de ces années des subventions de la part du régime nazi.
En 1936, pour les Jeux Olympiques de Berlin, Joseph Goebbels demande à Laban de préparer et d'organiser les festivités en marge des Jeux Olympiques : une semaine de la danse amateur, un concours international de danse, la cérémonie d'ouverture du nouveau théâtre sur le campus olympique).

-ce qui intéresse le régime nazi dans le travail de Laban : ce sont ses chœurs en mouvement, chorégraphies de groupes s'inspirant des chœurs antiques, ainsi que la notation (cinétographie), qui permet de mobiliser dans une même manifestation un nombre impressionnant de participants (plusieurs milliers voire dizaine de milliers !!)

Laban présente en avant-première "Le Vent chaud et la joie nouvelle", qui regroupe des chœurs de mouvements de 21 villes du pays. Grâce à la notation Laban, et grâce au travail des répétiteurs avec chaque groupe, tous furent en mesure de danser ensemble à Berlin ce ballet gigantesque. Mais le spectacle fut annulé après cette avant-première, car Goebbels trouva la pièce mauvaise, c'est-à-dire trop intellectuelle. Goebbels, comme le cite
Isabelle Launay dans son livre "A la recherche d'une danse moderne", a alors déclaré, en parlant de cette danse : "Elle s'habille de nos habits, mais n'a rien à voir avec nous". A partir de cette date, Laban ne crée quasiment plus, il se consacre à ses recherches, tout en s'intéressant toujours beaucoup à la danse amateur et aux chœurs en mouvements.

Pour les Jeux Olympiques de Berlin de 1936, plusieurs danseurs modernes du courant de l'Ausdruckstanz, la danse d'expression, participent, comme Mary Wigman, Gret Palucca, Harald Kreutzberg.
[Gret Palucca, formée par Mary Wigman, ouvre sa propre école et chorégraphie un grand nombre de solos.Pour les Jeux olympiques de Berlin en 1936, elle danse un "solo-valse" remarqué mais doit fermer son école en 1939. Très combative, elle parvient à faire rouvrir son école après la guerre et s'adapte aux conditions imposées par le communisme en République démocratique allemande. Elle se veut le dernier rempart de la danse moderne en Allemagne. Harald Kreutzberg, 1902-1968]
En 1937 : radicalisation du régime nazi, exposition de l'art dégénéré. Certaines personnalités du monde chorégraphique voient leurs marges de manœuvre restreinte et sont censurées.
Rudolph Laban émigre en Angleterre en 1938. C'est à Manchester qu'il poursuit ses recherches de son système "Effort", en partant de l'observation des ouvriers.

Mary Wigman reste en Allemagne, elle se sentait profondément allemande et ne voulait pas quitter son pays. En 1942, en pleine année de Guerre, elle fait ses adieux à la scène, dans une soirée où elle présente trois solos dont "Adieu et Merci". Elle poursuit son travail dans des conditions extrêmement difficiles.

C'est ainsi durant ces années tourmentées que se sont affirmés les danseurs et chorégraphes modernes allemands.



III. Danse d'expression et théâtre dansé.

A présent, considérons les orientations artistiques au sein des deux courants de l'expressionnisme en danse dans les années 1930, à savoir la danse d'expression et le théâtre dansé, à partir du travail de leurs représentants principaux, Mary Wigman et Kurt Jooss.

Danse d'expression :

Tout d'abord, concernant la danse d'expression, Mary Wigman cherche à développer une "danse absolue", indépendante de toute narration ou récit, mais également autonome vis- à-vis de la musique. Un de ses premiers solos "Lento", de 1914, sera d'ailleurs dansé sans musique.
Elle veut atteindre une danse pure, autonome, qui ne s'appuie que sur les éléments qui la constituent. C'est la danse que Wigman danse... Cependant, elle part de ses sensations, de ses émotions, et de ses "visions", en cherchant à danser des états transitoires, de transformation, la danse résidant pour elle dans ces transitions.

Elle affirme : "Nous ne dansons pas des sentiments ! Ils ont des contours beaucoup trop nets!"
Mary Wigman a fréquenté les peintres expressionnistes du groupe munichois "der blaue Reiter", et son œuvre peut refléter certaines des ideìes de Kandinski, en particulier celle de la nécessité intérieure.
A l'origine de toutes ses créations, et en particulier ses solos, Mary Wigman plonge en elle- même et écoute ce qui est contenu en elle, de là sort un mouvement ou quelques mouvements, qui, s'ils portent en germe une danse, vont constituer le "motif", le noyau de cette danse : le travail de la danseuse chorégraphe consistera alors dans le déroulement dans l'espace de ce qui est contenu dans ce germe.
Chez Wigman, la "nécessité inteìrieure" se déroule ainsi dans l'espace.
Cette plongée en soi-même et cette écoute du corps sont aussi une manière d'être attentif à un geste neuf : Mary Wigman rejette toute forme et tradition académique, elle veut faire table rase du passé pour créer une forme nouvelle, digne d'une "danse de notre temps" comme elle l'appelle elle-même.

D'autre part, si chez Kandinski on trouve une aspiration spirituelle, on trouve chez Wigman, une envie de revenir à des figures archétypiques, universelles. Wigman part de l'humain tout en cherchant à atteindre une essence universelle.
Autre particularité de Wigman, mais aussi de tout le courant de la danse d'expression : le danseur est créateur de sa danse, il se place au centre de la création, et il est à la fois chorégraphe et interprète.

C'est pourquoi on trouve dans la danse d'expression beaucoup de solos.

Entre 1913 aÌ 1942, Mary Wigman en a créé un grand nombre, souvent assez courts et regroupés par cycles suivant les thèmes qu'ils développent.

Elle part de l'intime, et ce faisant, communique au spectateur quelque chose de l'ordre de l'état kinesthésique. Communiquer cette sensation interne du mouvement. Dans sa pédagogie, elle traque les habitudes de mouvement chez ses élèves, afin de les amener à un geste authentique et nouveau. Elle inteÌgre tout un travail d'improvisation et de composition, afin de guider ses élèves vers un geste créateur.

Théâtre dansé :

Passons à présent au théâtre dansé, tel que le développe Kurt Jooss. Pour Jooss, la danse moderne, c'est "trouver le geste juste qui allie forme et intériorité". Ce souci, cette prise en considération de l'intériorité, est caractéristique du courant allemand de la danse moderne, en écho à la modern dance, où le geste vient de l'émotion et d'une motivation intérieure.
Kurt Jooss cherche à créer une "dramaturgie du geste", sorte de pantomime moderne qui part de l'observation de l'homme dans ses comportements essentiellement sociaux.
Jooss cherche à communiquer à un large public un message clair et lisible, compréhensible par tous. Il crée des chorégraphies de groupes, avec des personnages bien définis, pris dans la réalité sociale, ou avec une résonance symbolique, comme dans "Pavane pour une infante défunte", ballet de 1929 sur la musique de Maurice Ravel, où la situation dans la Cour d'Espagne est une métaphore du pouvoir totalitaire écrasant l'individu.
Ses ballets sont narratifs.

Dans "La Table verte", ballet de 1932, Kurt Jooss dénonce l'absurdité de la guerre et son éternel retour, avec le tableau de début et de fin des politiciens autour de la table verte, table des négociations. Ces politiciens, masqués et gantés, débattent de la guerre, se disputent et parlent avec brio, et de leurs décisions découlent un champs de bataille, où la Mort, incarnée par Kurt Jooss lui-même au moment de la création, emporte tout le monde sur son passage.
Après un passage de danse macabre, le ballet s'achève par le retour à cette table verte des politiciens : pour eux rien n'a changé depuis le début, mais entre temps, la mort a fait son œuvre pour beaucoup d'autres.

Dans "La grande ville", de 1932 également, chaque classe sociale danse une danse bien définie, les milieux ne se mélangent pas.
Ainsi Jooss s'affirme plutôt comme réformateur du ballet, alors que Wigman opte pour une position de rupture plus radicale.
Dans le style gestuel qu'il développe, ainsi que dans sa pédagogie, Jooss opte également pour un mixte et un compromis avec la tradition : vers le milieu des années 1920, Kurt Jooss s'intéresse à la technique de la danse classique, et il cherche à élaborer une formation des danseurs qui fasse un compromis entre la technique du ballet et les recherches de Laban concernant l'espace et les qualités de mouvements.

En 1927, Jooss crée avec Sigurt Leeder le département danse de l'école Folkwang de Essen, ouÌ il propose à ses élèves une formation éclectique, ouverte sur différents styles de danse.



Conclusion : Héritage et descendance.

Après la Seconde Guerre Mondiale : l'Allemagne ne veut plus entendre parler de son passé d'avant-guerre, et, sur scène, on assiste alors à l'apogée des ballets classiques.

La danse moderne allemande reste liée à ce passeì nazi, et la postérité et l'héritage de toutes ses richesses se fera beaucoup grâce à l'enseignement.

-Jooss revient en Allemagne, en 1949, et il dirige le département danse de l'école Folkwang de Essen, auquel un studio-laboratoire est associé, le Folkwang Tanz Studio. Pina Bausch sera une de ses élèves, elle dansera dans la compagnie de Jooss et interprètera en particulier le rôle de la vieille mère dans "La Table Verte". Elle dirigera aussi le FTS de Essen, dans le cadre duquel elle réalise ses premières chorégraphies, avant de prendre la direction du théâtre de Wuppertal, où elle développe un théâtre dansé qui lui est bien particulier. D'autre part, Pina Bausch n'a pas rencontré Mary Wigman ni n'a été formée par elle, mais elle s'en disait très imprégnée.
Héritière de l'expressionnisme allemand, Pina Bausch disait s'intéresser non pas tant à la manière dont bougent les danseurs, mais à ce qui les bougent, c'est-à-dire à leur motivation profonde.

-Mary Wigman va continuer à enseigner jusqu'à la fin de sa vie en 1973 (et d'autres danseurs d'expression vont également continuer à enseigner, comme Gret Palucca, ou Harald Kreutzberg).
Importance de la pédagogie.
Wigman ne développe pas un système pédagogique, elle part de son intuition, et de l'instant présent. Son travail d'enseignement se base sur un travail technique d'emblée relié à l'intention du mouvement et à la sensation. Elle développe également des ateliers d'improvisation et de composition.

Dans l'enseignement de Mary Wigman : atelier d'improvisation et de composition, à partir d'un thème, par exemple "le cercle".

Nikolaïs, élève d'Hanya Holm qui dirige l'école Wigman de New York, va intégrer dans sa pédagogie ces ateliers d'improvisation et de composition.

Il ne reste pratiquement rien des œuvres chorégraphiques de Rudolph Laban, cependant sa pensée et ses théories du mouvement sont enseignées dans plusieurs endroits dans le monde :
A Londres, le Laban Studio.
A New York, le Laban Notation Bureau.
Le LIMS (Laban Bartenieff Institute of Movement Studies): à partir du cadre de l'analyse du mouvement de Laban, Bartenieff développe un entrainement permettant de mobiliser le corps dans sa totalité et de se construire dans un espace tridimensionnel, en insistant sur : le démarrage du mouvement, son intention spatiale, son cheminement dans le corps, et le type d'énergie utilisée. C'est un travail qui s'appuie et s'applique à différents domaines : la danse-thérapie, l'analyse des danse de différentes cultures, et la pédagogie de la danse.
Son système de notation, la cinétographie, est encore enseignée de nos jours, notamment au CNSMD de Paris, et fait partie des grands systèmes de notation du 20ième siècle. Certains chorégraphes font appel aujourd'hui à des notateurs Laban pour retranscrire leurs chorégraphies.

Concernant la transmission des œuvres chorégraphiques :
Remontage d'œuvres comme "La grande ville" avec les étudiants du CNSMD de Lyon, il y a quelques années, grâce à la notation Laban de cette chorégraphie.
Un des différends lors des Congrès de la danse dans les années 1920 :
-Mary Wigman veut créer une danse de l'instant, et ne tient pas à constituer un patrimoine de ses œuvres, alors que Laban et Jooss, en s'aidant de l'outil de la cinétographie, veulent établir un nouveau répertoire de chorégraphies modernes.

Visionnage d'un court extrait du Documentaire "Passeurs de danse", de Jean-Louis Sonzogni, 1996 : descendance française de Mary Wigman.
Début du documentaire : évoque la chappe d'oubli qui a recouvert la danse moderne entre les années 1930 et les anneìes 1960. On a plutôt tendance à parler de la fin du 19ième siècle jusqu'aux années 1920, puis à partir des années 1960 voire 1970 pour le développement de la danse contemporaine.
Pourtant, transmission.
Karin Waehner, Jacqueline Robinson, Dominique Dupuy.
Un beau témoignage sur la mémoire vive des danseurs, et sur la passation de corps à corps de la danse...

Notes :
Extraits vidéos :
-"Dore Hoyer tanzt", Rudolf Küfner, 1963, Inter nationes
-"Passeurs de danse", Jean-Louis Sonzogni, 1996, Image Plus, Grand Canal
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Entretien avec Christian Rizzo pour l'Opéra de Lille

Autour du specacle "Comment dire "ici" ?"

SN : Christian Rizzo, l'an dernier vous avez créé un spectacle avec une compagnie de danse sud-africaine, cette année vous présentez à l'Opéra de Lille une création avec une troupe taïwanaise, pouvez-vous dire ce qui vous a poussé vers d'autres cultures et ce que cela vous apporte dans votre travail ?

CR : J'étais en train de lire quelque chose là-dessus dans le train tout à l'heure. Ce livre disait : il n'y a pas de culture sans déplacement... c'est ce qui permet pour moi de rendre une culture vivante, à la différence d'une culture morte, comme une langue qui se parle, s'échange, se modèle avec de nouveaux mots qui rentrent, et une langue qui ne se parle plus, s'assèche et finalement ne regarde que très peu de gens... L'histoire de Taïwan a commencé il y a deux ans, j'ai eu la chance d'avoir une résidence d'artiste, et je suis parti dans ce pays que je ne connaissais absolument pas. J'y suis retourné quatre fois, dont la dernière a abouti au projet avec la compagnie Dance Forum. Je savais que dans ce projet il y avait la possibilité de travailler avec Iuan Hau Chiang, un jeune artiste qui fait des images en 3D. Il avait été mon assistant sur une exposition et j'avais très envie de trouver un moyen de travailler ensemble. J'ai donc fait une pièce pour eux, ce sont eux qui la tournent, même si la Compagnie Fragile, avec Catherine Meneret à la production, s'est investie, ainsi que l'Opéra de Lille. C'est ce qui m'intéressait, que ça devienne une invitation aller-retour, une pièce franco-taïwannaise.

SN : Est-ce qu'elle a déjà été créée là-bas ?

CR : Au début du mois de juin de cette année au Théâtre National de Taipei dans ce qu'ils appellent le "lieu expérimental".

SN : Pouvez-vous préciser comment s'est passé la création ?

CR : D'abord je ne les connaissais pas ; en général je travaille avec des gens que je choisis. Et puis il a fallu trouver des modalités de compréhension, de langue, et de regard sur le spectacle. Il y a des choses que je "piste" : des états d'abandons... danser des fois dos au public... ce genre de choses qui n'étaient pas du tout dans leurs habitudes. J'étais avec des danseurs modernes, mais qui sont dans cette appréhension scénique de faire face au public, de montrer, alors que je suis dans un travail qu'on pourrait qualifier des fois de minimal - qui ne l'est pas, je pense, mais qui dans son organisation spatiale et physique rentre dans d'autres problématiques que le spectaculaire.

SN : Avec ces déplacements, Afrique, Asie, Europe, avez-vous remarqué des différences dans la manière de voir le spectacle et la création ?

CR : Bien sûr. Là où j'étais en Afrique du Sud, avec les Via Katlehong, un groupe de danseurs de rue, on a travaillé dehors sans "outil" de théâtre et là le rapport était très différent dans le sens où, pour eux, il y a un besoin de communion absolue avec le public, c'est l'essentiel. Je me suis reconnu dans ce besoin et je me suis fait happer par cette chose plus rituelle, plus immédiate. Avec les danseurs de Taïwan, c'était une compagnie qui avait l'habitude de la distance de la scène : la projection, le regard... Il a fallu faire tout ce travail de posture : tout simplement, comment on prend l'espace, et qu'est-ce qu'on va laisser. En sachant que c'est une fois de plus les absences répétées qu'on va laisser qui vont cristalliser l'enjeu de la pièce.

SN : Pouvez-vous développer les "absences répétées"...

CR : Je continue avec mes obsessions : je trouve que la danse plus que tous les arts que je connaisse ne travaille que sur la mémoire, il n'y a rien de tangible qui reste, pas de film, pas d'écrit, pas d'enregistrements. C'est juste ça : les gens sont dans un espace pour un moment donné, où ils vont inscrire quelque chose dans la mémoire. Ca m'intéresse de prendre cela comme matrice du travail : quelque chose est en train de disparaître et de signaler cette absence qui va avoir lieu.

SN : Ca rejoint une question que je voulais vous poser : si le mouvement est présent dans toutes vos créations, il y a une pièce, "100°/° Polyester", où il n'y avait pas de corps...

CR : Mais il y avait du mouvement...

SN : Oui, mais du coup, est-ce que pour vous il s'agit quand même de spectacles de danse ?

CR : Absolument. C'est une question qui m'importe beaucoup : peut-être que des fois il n'y a pas de danse, mais je suis persuadé qu'il y a de la chorégraphie, qui sont pour moi deux choses totalement différentes : la danse pour moi est juste un matériau, la chorégraphie, c'est l'écriture de ce matériau. C'est une problématique d'écriture spatiale qui m'importe, dans tout ce que je traverse.

SN : La scénographie a d'ailleurs une place très importante dans vos pièces. Pour cette création, quelles nouvelles possibilités de concevoir l'espace de la scène les images en 3D ont-elles apportées ?

CR : Pour être honnête, je n'en sais rien... parce que je me suis toujours dit que je ne mettrai jamais d'images sur scène ! C'est le premier projet avec des images et j'ai voulu me demander d'abord : quelles images ? Hors de question de ramener du réel, ça ne m'intéresse pas. Et puis je trouve que souvent quand se pose la question des images projetées on ne se pose pas la question du support. Pour l'instant ce sera sur un écran blanc, où apparaîtra une ligne noire, c'est de la 2D, du dessin noir et blanc qui d'un coup se met lui-même en mouvement et commence à avoir des perspectives ; ça me permet de faire surgir des écritures, des plans... Je voulais aussi aller dans le "papier-peint" mouvant, dans des questions qui sont de l'ordre de l'ornemental comme objet à part entière. Si on arrivait à voir ce qui se passe sur scène comme ce qui se passe sur un écran, je pense qu'on comprendrait plus les enjeux d'écriture spatiale.

SN : "Comment dire "ici"? ", d'où ce titre est-il venu ?

CR : De là-bas ! Quand je m'absente, je m'absente de tout, des gens que j'aime, et très souvent je me dis : comment leur dire "ici" ? Si je dis "ici", l'autre va entendre "là-bas". Et puis "ici", c'est aussi dans le théâtre, au moment où on joue. C'est une espèce de double jeu mais qui est une chose latente car je ne travaille jamais à partir de thématique. Je n'aime pas avoir des idées, j'aime que les idées sortent de la réalité de la mise en oeuvre ; je préfère mettre en place un dispositif.

SN : "Ici", c'est actuellement l'Opéra de Lille où vous êtes en résidence pour plusieurs années, avez-vous des projets spécifiques par rapport à ce lieu, à cette ville ?

CR : L'ouverture de saison l'an dernier a été un projet absolument spécifique à ce lieu : mélange improbable pour le "Happy Day" entre la venue des Katlehong, le remix de pièces existantes entre les escaliers, la construction d'un bac à sable, d'un mini-jardin à l'intérieur de l'Opéra... concernant la région, j'ai un projet lié à la mode et au textile. Cette année, je suis artiste invité au Fresnoy pour suivre les travaux des étudiants et en même temps produire un ou des objets. Et puis je dois rencontrer à Roubaix le Théâtre de l'Oiseau-Mouche, compagnie professionnelle qui est en même temps un lieu d'insertion pour les personnes handicapées. Ca aussi c'est du déplacement, il n'y a pas besoin de partir très loin des fois pour se déplacer.

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