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Serge Venturini

Serge Venturini

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Serge Venturini

Descriptif auteur


Né à Paris le 12 octobre 1955, d'une mère de Figline di Prato dans la province de Florence et d'un père de Rutali en Haute-Corse.

Etudes supérieures à Paris, Jussieu Paris VII-Diderot
Longs séjours au Liban, au Maroc, en Arménie, en Russie et en Pologne.

De nombreux surnoms lui ont été donnés : "Nuage rouge", "Poète du devenir" et "Poète du transvisible".

Directeur de la collection "Lettres arméniennes" avec Elisabeth Mouradian depuis 2009.

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15 livres

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AUTRES PARUTIONS

D'AURORALES CLARTES, Editions Gutenberg XXIe siècle, Paris 2000
LE SENS DE LA TERRE, suivi de L'EFFEUILLEE, APHRODITE, Editions Didro (Caractères mobiles), Paris 2004

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TCHARENTS, NOTRE CONTEMPORAIN

Articles de presse

France-Arménie n°458

Articles de presse

Serge Venturini à la Bibliothèque Avetik Issahakian d'Erevan (Arménie)

Articles de presse

LA VIE ET L'OEUVRE DE SERGE VENTURINI ET DE SON EPOUSE ELISABETH MOURADIAN

Articles de presse

Mosaïque de proses contemporaines d'Arménie

Notes de lecture

SA DEUXIEME PATRIE : L'ARMENIE !

Notes de lecture

LES ŒUVRES DE SAYAT-NOVA EN FRANÇAIS

LES ARTICLES DE L'AUTEUR

NON, PAS QU'UN SONGE TOURBILLONNANT

Citation :
No siempre se puede tocar el alma profunda.
— Robarte de tus labios un beso abrasador. *
S.V.

Nous avons traversé des orages, des tempêtes, les hautes solitudes, les profondes douleurs.

Ne fût-ce que cela la vie ? La mort, n'était-ce que cela. — Vers l'haut-delà ?

Des joies, — l'éclair, du bonheur, — l'éblouissement.

— Or, j'avance somnambule, entre rêve et réel. Et j'ai outrepassé le visible, — le cap vers l'inconnu, — l'invisible.

Nous serions donc passés, comme des fantômes pressés. Pourquoi ce brouillard, ce perpétuel brouillard ?

— Mais quoi, folie, pourquoi ce doute ? dit l'Éveilleur. Vois ! l'homme qui disparaît au seuil de l'embrasure.

Que la nuit tombe enfin, pour que renaisse le jour !

Et le soleil victorieux, avec le mot amour réécrit, avec ces lèvres tremblantes, — avec ces lettres tremblées,

avec ces corps lents de musique, de frais parfums, avec dans la bouche ce goût de fruit d'été.

Nos corps tournant, dans le torrent du lit, roulant, parmi les draps d'aube d'or, le grand soleil, le vent.

Les cigales écrasées par le silence énorme. Dans l'obscur du soleil, les champs noirs de midi.

Une porte a été fracturée. — Une autre sera entr'ouverte.

Et ainsi tu vois l'homme dans son inachevé. J'outrepasse l'humain.

J'écoute les colombes et les rires s'envoler. Une promesse.

Oui, rien qu'une promesse. — Juste une promesse !

Notes :
* Toujours l'on ne peut atteindre l'âme profonde.
— Arracher de tes lèvres un baiser ardent.
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DLE YAMAN ou LE DEUIL INACCOMPLI

Cette mélodie arménienne est mystérieuse. Le sens même de son titre ne nous est pas parvenu. Elle est sans doute bien antérieure au génocide arménien. Le révérend Komitas l'a répertoriée dans ses recherches musicologiques.

Il est des mélodies qui traversent le temps, de lèvres en lèvres, portées par les oiseaux d'une flûte, d'un ney ou d'un doudouk venus des ténèbres des âges. Dle Yaman est l'un de ces airs intemporels et universels ; cette mélodie populaire fait partie des trésors de l'humanité. Le texte est une histoire d'amour. Un homme aima une femme, ou une femme aima un homme. Leur maison était l'une en face de l'autre. — Le reste tient du mystère. L'aimé a sans doute disparu, l'amoureux chante donc la perte de sa bien-aimée. Ou bien est-ce le contraire, car on ne sait s'il s'agit d'un homme ou d'une femme… Et le jour se leva sur la montagne, comme un glas qui sonne, qui résonne dans le ciel. Cette histoire si transparente dans sa simplicité, si cristalline, a été recueillie par un révérend, — le père Komitas ; un musicien arménien, musicologue et anthropologue, qui est à l'Arménie, ce que Bela Bartók fut à la Hongrie, quelques années plus tard, dans son immense et patient travail de recueil musicologique des musiques populaires de son pays. Une traduction littérale de ce chant le dévoile :

Dle Yaman, notre maison, votre maison, face à face,
Dle Yaman, cela suffit avec tes clins d'œil,
Yaman Yaman Bien-aimé(e)

Dle Yaman, cela suffit avec tes clins d'œil,
Yaman Yaman Bien-aimé(e)

Dle Yaman, le soleil se leva sur le Massis
Dle Yaman, nostalgique je suis de mon amie,
Yaman Yaman Bien-aimé(e)

Dle Yaman, nostalgique je suis de mon amie,
Yaman Yaman Bien-aimé(e)

Certes, douloureuse est cette mélodie, elle transmet au coeur une couleur de deuil, une tristesse profonde où se mêlent des images de paysages, des parfums de terre, des souvenirs d'un autre temps. Des larmes, celles d'une perte irréparable. Elle glace les sangs quand on l'entend la première fois, puis elle revient, tournoyant dans l'esprit comme une catastrophe, un désastre sans fin, un naufrage corps et biens. Mais elle apporte aussi, un courage lucide, une grande force qui permet ainsi d'avancer, de franchir le pas, - pour continuer. Somme toute, en cela, elle symbolise, le peuple d'Arménie. "Nous sommes nos montagnes", comme l'affirmait le prosateur de la région de Lori, Hrant Matevossian.

Ce poème des lèvres absentes coule avec la limpidité tragique d'une source. L'équilibre entre le texte et la musique est un vrai miracle, — d'où son universelle présence. Le doudouk perpétue, avec ses volutes colorées sur l'ostinato du bourdon, la gravité de la mélodie dans toute sa haute profondeur. On y respire les soleils envolés sur l'abrupt de la montagne : le Massis, — le dépeuplement de l'être cher, perdu à jamais. — L'aube est là, les chants d'oiseaux refleurissent, la perte, l'irréparable départ, et le deuil s'inaccomplit. Or la blessure demeure ouverte. C'est un chant de lamentation qui s'élève, — le glacial moment d'une lucidité, le discernement d'une solitude, le cri étouffé dans les larmes, quand la douleur s'exhale. — Rien n'empêchera le soleil de se lever.

8888888888888888888888888888888888888
Dle Yaman, mer dun, tser dun, timats timats
Dle Yaman, herik anes atchkov imats
Yaman, Yaman, Yar…
8888888888888888888888888888888888888
Dle Yaman,
Arev dipav
Masis sarin,
8888888888888888888888888888888888888
Dle Yaman,
Karot mnaci
es im yarin,
Yaman Yaman, Yar
8888888888888888888888888888888888888
Dle Yaman,
Karot mnaci
es im yarin,
Yaman Yaman, Yar
8888888888888888888888888888888888888
Dle yaman
yes kez siri
ashnan hovin
Yaman yaman, Yar
8888888888888888888888888888888888888

Il existe différentes versions musicales de cette ténébreuse et abrasive mélodie, la version de Luciné Zakarian semble pour beaucoup la version de référence. La traduction est de Elisabeth Mouradian.

Notes :
Cet article (N°107) a été publié par Serge Venturini dans son livre "Eclats d'une poétique de l'inaccompli" en 2012, aux éditions L'Harmattan. (pp. 156-157)
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DE PROFUNDIS

à
Josquin des Prés
(vers 1445-1521),
au "Prince de la Musique"



1.

Et ma parole fendra la pierre,
— mon œil brûlera tout
ce qu'il ne voudra voir.


Par ma bouche jailliront
des paroles anciennes.
— Fort anciennes.

Des voix d'antiques cultures
mêlées, — tissées, — trissées, —
au vent de l'universel. — Métissées.

Ma voix s'élancera. Là-haut. — Très haut.
Loin dans l'espace du chant. — L'esprit.
Dans le temps. — Le temps d'un silence.

Je ne serai qu'un poème imprimé.
Et mon souffle restera dans l'écrit.
— Attesté par mon cri.

2.

Les frontières n'existent
que pour être — franchies.
Et je volerai dans l'espace,

— simple étincelle du cosmos.
Et dans mon utopique errance,
plus rien ne pourra m'arrêter.

— De l'air ! Du vent ! Mon nom
ne sera rien d'autre
— que le suave zéphyr.

Le tigre de mon œil aura
tout entr'ouvert, dans l'or fondu de la parole.
— Et même mon œil ne sera plus que nuit.

— J'irai, cheval libre de ses entraves,
Très loin. — De tout ce qui mutile l'être.
Or, je serai cœur battant ! — Cœur pulsant !

3.

Ne parlez pas de rêves ! Dites, — visions.
Les rêves ne sont rien que fumée.
— Seules les visions ouvrent des portes.

Au diable froide cruauté et
tous les soleils de glace,
l'immense nuit et le vieux Chaos !

Nous habitons la langue. — La tyrannique
langue. Les rythmes. Les mètres. Les cadences.
— Notre unique, notre universelle patrie.

Nous ne sommes plus maîtres de rien.
Plus de dieux et plus de maîtres.
— Seul nous gouverne le devenir.

Lui seul est vie. — Vrai mouvement.
— Guide des métamorphoses.
— Et quel guide ! — Toujours renaissant !

4.

Souffle long, souffle court… — Qu'importe !
Seul le souffle est esprit. — Flammes !
Sans esprit. — Pas de feu. — Ainsi pas d'âme.

C'est au plus profond de l'obscur —
que vont fuser les étincelles de nos chemins.
— Ici. Point de plan cadastral. —

Ceux qui font semblant de nous ignorer,
ils ne connaissent point l'abeille de nos rires.
— Ils ont trop peur du rire qui tue !

— Sifflent les haches ! — Pleuvent les éclairs !
Hardis petits ! — ils ne s'aventurent guère
sur les dangereuses voies des condottieres.

Le mot virtù n'est pas dans leur vocabulaire.
Chez eux, — point de courage !
Chez nous, — le cœur, de tout est l'origine.

5.

Non ! — Ils n'ont pas le cœur à l'aventure.
Ils n'ont qu'un souci : — leur propre confort !
— Ils ont leur âme qui pue le renfermé.

— François Villon n'est qu'un aventurier.
Et il faut bien le reconnaître, ils ne l'aiment
que sur le papier. — Et ne pas le rencontrer !

Imaginez François l'escholier. — Médaillé
et breloqué. — Tel un commissaire de police !
Et Mandelstam, — qui n'avait même plus sa pelisse.

— Marina, ils me font tant honte avec leurs prix !
Un général par-ci. — Un maréchal par-là.
L'armée ? — Antonin, ils l'ont encore oublié…

Au diable ! Qu'ils aillent ! Ô que le vent les emporte.
— Là où bon lui semble. — Il y a des morts plus
vivants. — Que ces pauvres cadavres ambulants.

6.

Cela doit-il être ? — Oui, cela doit être !
— Oh ! vite, avançons ! Le poète est visionnaire.
Qu'il soit — réprimé, — déprimé — ou supprimé.

Moi aussi. — La poussière sans nom,
— pétri de terre, — de vil limon.
Moi aussi. — La rose de personne.

— Oui, j'en appelle à Paul Antschel Celan,
et à son obscur — Psaume de la souffrance ;
à son tragique — "Loué sois-tu, Personne."

Et l'on me reprochera mon immense orgueil,
mais pour traverser la grande Nuit des nuits,
— Jean de la Croix — point je ne suis.

Aimer. — Rien sans cœur et rien sans courage.
Aimer pour agir. — Contre tout ce qui fracture.
Contre les vampires d'âmes. Les manipulateurs.

7.

Aimer. — Pour être plus fort. Contre les malheurs !
— J'entends Josquin me murmurer ses mélodies,
je vois un chantre — sortir — de l'épais brouillard.

— Je danse. — Je vocifère. — Je creuse la langue.
Je déterre les mots. — Et je les fracasse. —
— Je suis un artisan. — Un pauvre artisan.

J'avance dans la nuit. — Toujours cœur battant !
— J'outrepasse le visible — vers — l'invisible.
Je marche. — Je course les démons. — Je silence.

Et il fait déjà jour. — Ciel bleu aux fenêtres.
Mais c'est une autre nuit. — Le combat continue.
À ce monde. — Nous ne sommes pas encore nés.

L'humanité est en marche. Corps déchiquetés. —
Corps lacérés. Mais elle avance. Hors des bourbiers.
— C'est l'heure noire du tohu-bohu des mégapoles.

8.

Le sommeil taraude. — Même les esprits aiguisés.
Des mots délirants. — La fatigue fait s'envoler. —
Musique ! Musique ! — Tout le corps est rythme.

S'achemine. — Dans le balbutiement. — Le silence.
— Des fatales sirènes. — Je n'entends plus le chant.
Temps ! Mon ouïe s'est brisée. Mon cœur s'est bronzé.

Déjà ! — La tombée du jour. — Baisse la voix !
Les morts exècrent le bruit. — Chut ! — Tes fruits
ont grand besoin du silence. — Pour mûrir.

— Ne viens donc pas troubler l'or du silence.
Brillent les étoiles. Se lève une brise nocturne.
Fais que ta Parole soit plus belle que le silence.

Ma soif d'aurore n'a pas d'égale. — Je pulvérise.
— Je suis le présent de ton présent infini.
Ah parfums ! — Nous volerons parmi les siècles.

9.

Tout est bleu. Dans le monde de l'ouvert. Oui, tout bleu.
— Et quand surgit l'orange solaire, — je ne garde en
mémoire — que les filaments des traînées rose pâle.

Dans la plus haute limpidité atteinte —
je n'entends plus que — le déchirement
des tout derniers cris. — D'hirondelles trissant.

C'est une nouvelle nuit. — Qui s'abat.
Et la venue de la première étoile.
— Quand l'ouvert, — là, se clôt.

Là. — Règne le silence.
Le silence recouvré.
— Le silence. — Nu.

Et du profond. — Des profondeurs,
j'ai crié, — j'ai crié vers Toi, lecteur.
— Le lecteur à venir.

10.

J'attends le jour. — De Profundis !
Le jour nouveau sur terre.
— Je suis vivant !







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À CHAQUE DEGRÉ, L'INACCOMPLI (extrait de Éclats d'une poétique de l'inaccompli) LIVRE IV

Citation :
…sous les marées et au haut des déserts de neige,

suivre ses vues, ses souffles, son corps, son jour.

Rimbaud


Par degrés, d'un degré l'autre, ça avance. Ni ennemis, ni amis, ni contre, ni pour, ni neutre pour autant, ― ailleurs. Vers l'irisation des couleurs, ni noir, ni blanc. Mais la palette des gris, la clarté des argents. J'entre dans la nuance et, dans une légère pénombre, j'avance. À l'heure où tout s'accélère, la vie est détail. Et non dans les plans d'ensemble. Vers la fusion.



Parfois la clarté est dissimulée, une infinité de teintes toutes de finesse, intimes, secrètes, ciel d'Île-de-France au matin de pluie, jour à l'éclat argenté de délicatesse. Variations irisées sur la peau des nuages, des corps scintillants, des miroirs infinis de l'espace. Comme une parole retenue dans la force du dire… ― Ô Lèvres incandescentes de silence, ― diamants.



Moi, l'iridescent, moi le nacré, l'opalin, je vis dans les reflets moirés, ma vie cette étincelle, morceau de fil qui joue avec la lumière, la trace d'un papillon sur le ciel, sa blancheur éclatante dans la rumeur d'été. Plus de trait, mais une variation diaprée, une transmutation lente du regard, ― de grain en grain.

― Et, l'inaccompli surgit dans ses habits d'aube.



Paris, le 6 juin 2009

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COLÈRE DE L'HOMME TRANSVISIBLE

Quelle joie, de vivre
se sentant vécu !
Se rendre

À la grande certitude, obscurément,
Qu'un autre être, hors de moi, très loin,
Est en passe de me vivre.

Car quand les miroirs, les espions
— vif-argent, âmes courtes—, assurent
que je suis ici, moi immobile,
les yeux fermés et les lèvres,
me refusant à l'amour
de la lumière, de la fleur et des hommes,
la vérité transvisible est que je marche,
sans mes pas, avec d'autres
au loin, et là
je suis cherchant des fleurs, des lumières, je parle.

Car il y a un autre être pour lequel je regarde le monde
Car il est en passe de m'aimer avec ses yeux.
Car il y a une autre voix avec laquelle je dis des choses
Non suspectées par mon grand silence ;
Et, car aussi elle m'aime avec sa voix.
La vie.


Pedro Salinas, (1891-1951)
__________________________________________________

Le poète est un homme en colère. Un homme hurlant, une bête traquée. Un homme pétri de cris et peuplés de fantômes. Homme de la nuit et fils d'aurore, il est d'une autre solitude. Mutant il est, transvisible il restera. Tout traversé d'éclairs et perforé de mots, il glisse fleuve impassible jusqu'en enfer, avance à travers l'étant, ― franchit tous les temps.

Illisible, ― qualifié d'obscur, il laisse "perplexe" les aveugles de l'esprit. "La verdad transvisible es que camino / sin mis pasos, con otros, / allá lejos, allí / estoy buscando flores, luces, hablo." Sur le pont du transvisible, il croise des ombres, les mouettes lui renvoient des spectres, ― des visions. Tout passe, comme chagrin et mélancolie, ― à toute allure, le rire revient. Il écrit, ― transcrit entre rire et larmes.

Il écrit aussi dans la colère, la sainte, ― la vraie colère, avec sa vieille carcasse. À lui, les tigres de la colère, le cœur bondissant dans la poitrine, l'appétit de mille fauves, la vie palpitante au bout des doigts, les mains aux griffes de fer, l'ardente prunelle qui étincelle. Le rire tue comme la colère. Et, nous allons mondialiser la colère. Ceux qui n'aiment ni troupeaux de moutons, ni bergers, ― ceux-là vous détruiront.

Entre visible et invisible, Ô courroux, ― L'IRE !
Que le soleil se lève sur sa colère ! Quand viendra midi, viendra aussi le silence. La torche de la fureur ne brûle qu'un temps. Or, la mort frappe le pauvre tout comme le puissant. Et, le souffle des siècles passe sur les faces des vivants, les hommes comme les feuilles meurent et renaissent au printemps.

Paris, le 22 novembre 2008

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TRANSVISIBLE

Entre le visible et l'invisible, il existe un pont, un passage, le temps d'un éclair, l'instant d'une vision : c'est le transvisible.

Pour bien comprendre cette théorie qui demeure à forger, il faut revenir à d'autres notions fondatrices du transvisible. La première de ces notions est le posthumain, où l'on voit mourir le vieil humanisme né avec la Renaissance italienne.

Au-delà de cette notion, comme en une deuxième étape, on se réfère au transhumain, comme une nécessité de dépasser la précédente notion. Le trasumanar du Dante demeure une référence capitale à cette problématique. "Transhumaner", aller au-delà de l'humain, "par-delà le bien et le mal" selon la parole de Nietzsche.

Le transvisible pourrait, sur le plan symbolique, être matérialisé par une flèche qui partirait du visible pour se perdre dans l'invisible. L'eau aussi semble être une excellente métaphorisation entre le monde liquide (le visible) et la vapeur d'eau (l'invisible). Le vent également capable d'agiter le feuillage des arbres sans être visible, ou inversement, quand rien ne semble bouger et qu'un souffle vient balayer le visage, à la semblance de la lumière. Autrement encore quand faute de règles bancaires strictes l'argent, en tant que valeur monétaire, est devenu de plus en plus immatériel, voire virtuel, transvisible. D'où la difficulté à clarifier cette fulgurance du passage entre ce qui est visible pour l'oeil et l'esprit et ce qui ne l'est plus. Entre l'étant et le non-étant, donc.

Entre science et art, un exemple est donné avec l'ingénieur florentin Maurizio Seracini, spécialiste de la réflectographie grâce aux infrarouges, pionnier de la restauration des oeuvres de Léonard de Vinci qui a su utiliser les techniques de pointe, afin de retrouver La Bataille d'Anghiari et de visualiser sous l'inachevée peinture actuelle de L'Adoration des mages, un des premiers dessins sous-jacent du maître. Voir, sous l'apparence d'une représentation, une autre réalité. Nous sommes dans le transvisible. Regarder au-delà du voir. Pour Pablo Picasso qui pointait cette difficulté, sous un autre angle, "il faudrait pouvoir montrer les tableaux qui sont sous le tableau."

Certains n'y voient qu'une forme de l'indéterminé, de l'improbable, de l'"anommable", et rejettent ainsi cette problématique. Tout ce qui n'est pas formulé, n'ayant aucun statut propre, ne mérite donc guère de considération.

Pourtant, quelques-uns comme Merleau-Ponty, furent en leur temps, passionnés par les rapports du visible et de l'invisible. Ce philosophe y voyait même une profondeur charnelle. Quelques poètes ont tenté par la parole de toucher la chair de l'invisible. Le vide, le rien, l'impensé dans la matière est riche de potentialités. Il s'agit bien de voir, de passer de l'opaque au translucide, avant d'atteindre la transparence de l'invisible. Insistons sur la perméabilité de ces mondes, car certains esprits trop cartésiens sont étrangers à ce dialogue. Les poètes, passeurs de lumière, vecteurs de transvisibilité, porteurs du feu de la parole, sont des êtres à mi-chemin entre ces deux mondes. Dans le passage du visible à l'invisible, le transvisible transfigure le Temps.

Paris, fin décembre 2007.

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LES OMBRES ENSOLEILLÉES DU TRANSVISIBLE

Citation :
Je ne suis de trop nulle part, car je ne me compte nulle part.
Antonio Porchia, poète argentin (1886-1968)

Fantôme parmi les fantômes, je suis un fantôme qui chante la lune et le soleil. Je suis de nulle part, entouré d'ombres vivantes. Mon royaume n'est pas d'ici, ni d'ailleurs, il est dans la langue. Je marche dans les rues des villes, ― mais personne ne me voit. Seuls les fantômes me regardent, me reconnaissent. Inutile de leur parler, ils savent tout de moi, comme les mots. Non, je ne suis pas un revenant, mais un devenant, ― du devenir, un transhumant.

Il est vain de chercher quelqu'un, les mots sont devenus inutiles, comme les idées nouvelles. Personne ne les écoute quand surgit une rencontre. Les mots renvoient à la solitude, seul le livre sauve les mots de la langue, ils traversent la langue et vont de l'autre côté, dans le futur où nul ne va, ne peut aller, sauf les fantômes. S'ils viennent du passé, ils connaissent aussi l'avenir. Et, ils savent de nous ― ce que nous ignorons d'eux.

Ils vont et viennent, les nuits de pleine lune, les matins de grand soleil, les jours de longues pluies, ils habitent la mémoire des vivants. Ne les maudissez pas, gens à la parole facile, ils glissent entre vos doigts de sable, ― ils sont de notre confrérie. Ils sont l'endroit du silence où rien ne pénètre, pas même la musique. Leur esprit porte la trace de brûlures, leurs yeux, ― celles d'éblouissements et d'éclairs. ― Ils balbutient une nouvelle langue.


Paris, le 17 septembre 2008

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VENDANGES DU TRANSVISIBLE

Dès les premiers rayons, l'oiseau en toi s'envole. Tourne la crécelle des cigales, je suis papillon dans l'air bleu. Gire le faucon hobereau, en cercles toujours plus hauts, la fauvette à tête noire est aux bains. Je ne suis qu'un pitre, un "poète fou" claquemuré, futur bouc émissaire au rire d'Averroès, je suis un esprit, et un esprit sans attaches, ― un feu follet intempestif !

Puis, les heures passent, la vie file, ― pulse. Se lève le soleil orangé de nuit. L'oiseau d'Athéna est en ligne, les grillons sont ressuscités. Je deviens chat-huant, sans cesse aux aguets, avec ma sœur la première étoile, ― mon alliée. Proche est le sang de la vigne et mûrs sont les yeux d'Horus : voici venu le temps des vendanges pour les vignerons de l'esprit. Le vril m'est réservé. ― Je m'enivre d'éternité ―. Si le vin fleurit, les fruits tombent et les germes lèveront.

Images pressées, images foulées aux pieds, ― la poésie est la grande vendangeuse. L'arbre de vie grandit en toi, ― il se déploie. Ô Vignes saccagées, Ô Vignes ni taillées, ni cultivées, ― esprit perdu. Voici venu le temps des pierres, des ronces et des épines. La vigne n'enveloppe plus les cieux. Et, les grains de raisin, pampres obscurs, étoiles délaissées. Mais ce nuage n'annonce-t-il pas l'orage ? Tourner le dos à Dionysos ne fait point le miel de l'esprit.

Corse, le 20 août 2008

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TRANSPORTS DU TRANSVISIBLE

Citation :
Tout oeuvre moderne recèle son miroir critique.
S.V.

La poésie est une vive émotion, un sentiment passionné qui émeut et entraîne. ― Elle est un transport qui transmet une culture entière, une page de civilisation. Si elle transfère une part de l'obscur en nous, ― c'est parce qu'elle vient d'un pays d'ombres où règne le soleil noir de la profonde mélancolie. Elle est un éclair venu du plus loin de nos nuits.
La poésie demeure un rapt, un vol et un ravissement.

Si Baudelaire parlait lui de Fusées, aujourd'hui la célérité est différente, les rapports à la langue et donc au corps ont beaucoup évolué, pour autant faut-il parler de missiles ? Les voix des autres mondes sont là pour nous rappeler à l'essentiel du poétique, à la fulgurance de son interrogation. L'espart qu'elle produit offre un éclairage autre, un sens qui va au-delà du sens lui-même, ― et en ce sens-là, elle est porteuse du devenir.
Elle porte au travers d'un gai devenir.

La poésie du transvisible provoque un vertige, ainsi elle soulève à un mouvement de renversement, ― elle déclenche un mouvement de bascule, vers un autre monde. Ce déséquilibre dans l'esprit est une incitation au refus de ce monde, une volonté de changer les rapports instaurés tels qu'ils sont aujourd'hui. Ce courant mental déstabilise le lecteur, ― il le trouble. Toute poésie qui ne trouble pas n'est qu'un pur jeu de forme et de langage.
La poésie est un trait qui griffe et déchire l'espace-temps.

Paris, le 3 juin 2008

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LES ASPHODÈLES DU TRANSVISIBLE

Citation :
Âme des Chevaliers, revenez-vous encor ?
Est-ce vous qui parlez avec la voix du Cor ?

Alfred de Vigny (1797-1863)

Ouvre en grand la porte, laisse entrer les ombres.
Mon soleil brûle cette nuit de renards verts. C'est l'heure où les ombres se promènent, et nous passons, ― comme cet ombrage. J'ai un rameau d'or, ma main est celle d'un enfant qui l'a cueilli. Que grondent les armes pour une paix, là, ― en plein soleil. L'ombre du grand Roland est enfin consolée.

― Où sont les Chevaliers ? ― Se sont-ils exilés au ciel impérissable ? J'entends leurs cris de victoire, je vois briller l'éclat de leurs armes, j'écoute le gémissement des mutilés.
Les ombres ont recouvert de sang même les nuages. Ce crépuscule d'horreur dévoile un pâle silence empli de la fumée des carnages. Ces malheureux fantômes qui les consolera ?

Les blancs asphodèles vibrent sur leur tige. Un frais parfum de nuit flotte sur le champ des luttes. Ces transparentes ombres, sont-elles celles des fugitifs ? Le bruit de leur pas lent n'a pas d'écho, une odeur fugace de jasmin frise mes narines.
N'est-ce point le son sourd d'un olifant d'ivoire ?
Quelle est cette lumière cachée, pour qui sont ces flèches sifflantes vers l'obscur ? ― Donne-moi ce miroir d'obsidienne.

Signature :
Paris, le 13 mai 2008

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OISEAU TRANSFIGURé DE MUSIQUES ET DE PLUMES

Citation :
L'ouïe fine tend la voile, le regard dilaté se vide
Et, le cœur audible des oiseaux nocturnes
plane à travers le silence.

Ossip Mandelstam (1891-1938)

Oiseau transfiguré de musiques et de plumes, je suis déjà mort, plusieurs fois, ― ressuscité ! Non, le rossignol n'a pas le cœur gelé, ― il ne brûle que de chanter. Il n'a pas les œillères du cheval de trait qui ne voit que son unique sillon, il prend son envol quand bon lui chante, il ne reviendra pas se poser sur la même ramure. ― L'écoutent-ils ? ― Il n'en a que faire.

Son cœur bat à son rompre l'aorte, ses mots brillent comme des étoiles. D'universalité sa voile est drapée. Tantôt noire, tantôt blanche, il appareille ― en transmigrant du visible. ― Il n'en continue pas moins de chanter, ― invisible ―, tel son moqueur frère sous la feuillée, amateur du sang des cerises. Passé du devenir, le voilà, transvisible ! Il chante pour sa Dame, ― en secret, avec passion, ― au soleil des ombres.

Ses plumes tiennent du griset, son autre frère. S'il grisolle vers l'aurore, c'est par ivresse, il imite l'alouette, sa compagne. Ces lèvres qui remuent présagent un doux babil mélodieux. La porte de la vision est ouverte, un souffle d'air soulève la terre. L'heure est venue de passer, ― l'autre côté du pont, les flèches lancées vers la lumière. Et, ― le feu de la vision le dévore.

Signature :
Paris, le 11 mai 2008

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SUR LE PONT AUX FANTÔMES

Citation :
Nous sommes les abeilles de l'Univers. Nous butinons éperdument le miel du visible pour l'accumuler dans la grande ruche d'or de l'Invisible.
[Lettre à Witold von Hulevicz], Rainer Maria Rilke.

EXTRAIT DU JOURNAL DU TRANSVISIBLE [inédit]

(à paraître)

J'arpente fiévreux en un lieu plein de fantômes.
C'est un pont où la vue se dégage, ainsi on peut voir loin, tout au fond du ciel, à l'est comme à l'ouest. J'y passe le matin quand l'aube entr'ouvre ses roses lèvres déchirées, les passagers du carrosse d'or dorment encore, ils ne tournent guère la tête pour regarder le jour sombre aux reflets pluvieux qui se lève dans l'encre noire et qui lentement glisse au bleu de Prusse.


J'y repasse le soir, je croise parfois des péniches avec des mouettes qui les suivent, avec leur je ne sais quoi d'amer qui hésite dans leurs ailes inquiètes. À peine le temps de voir leur air gracieux dans la lumière du jour, je leur envoie un baiser d'amour qui va se perdre loin, au large vers la mer, dans l'odeur de la liberté, dans le vent du soir qui agite l'ombreuse poussière des temps écoulés.

L'autre matin, très tôt, j'ai croisé un fantôme.
Je l'ai salué sans m'attarder sur sa plume de grand travailleur qui a changé sa propre langue. Notre langue aujourd'hui en guenilles par manque de foi, par manque de courage à la transformer. Qui d'ailleurs s'en soucie ? "Pour être bien en un endroit il faut connaître les fantômes", écrivait-il.


Je passai rue Edouard Vaillant lorsque j'ai cru entrevoir sa grande silhouette aux yeux bleus. Ce fut un homme de visions que ses spectres haineux poursuivaient partout. Il ajoutait toujours trois points qui faisaient voltiger son écriture. Son nom n'est plus tabou dans la ville. Son cadavre déterré maintenant des archives, comme un diable surgit de sa boite, il peut s'exprimer librement.


Inutile de parler aux fantômes. Nous en avons tous autour de nous qui rôdent. Ils ne nous connaissent que trop avec leurs interrogations. Ne les dérangeons pas les muets, ― ceux de Katyń, ceux d'Oradour, ceux de… Ils nous parlent, connus et inconnus, comme ils sont nombreux, ils sont la grande armée des ombres venues du fond des siècles. Ils errent par tous les temps, ils errent en tous les lieux. Le hasard nous réunit souvent sans que nous n'y prenions garde, avant que la terre ne redevienne notre demeure. ― Quel poids a-t-il le vent qui tout emporte ?

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LES YEUX FERMÉS DE LA NUIT

Citation :
Летит за облака Юпитера орёл,
Сноп молнии неся мгновенный в верных лапах.

Фet Афанасий Афанасьевич

L'aigle de Jupiter dépasse les nuages,
Serrant l'éclair furtif dans sa griffe superbe.


Le langage est si pauvre, Afanassi Feth, 1887.
(1820-1882) (Traduction : Claude Frioux)






Attentif au moindre signe où tu vois l'incroyable, à la rose qui tombe à terre, car la mort a fait d'elle un fruit. Un simple bruit, et ce qui gronde, ― c'est l'orage. J'entends des chuchotements de haine, comme ceux du vent à l'effeuillage, les draps de toile claquant.


Tu regardes le vieillard aveugle sortir avec son chien d'une tour qui s'écroule dans une montagne de poussière blanche. N'entendez-vous pas frères humains, ces myriades d'archanges fondant dans les rues ? ― Pour qui sont-ils venus ? Pour sauver ces milliers de vies ?


Je ne suis qu'un clandestin en ce monde. J'avance en tapinois, je jette ma parole à la dérobée, je suis un maître ― du catimini. Fils du silence, mes yeux ne s'ouvrent qu'à l'aurore. Ma compagne est une mendiante comme moi. Elle est de si loin venue, des domaines de la pauvreté.


Je n'ai plus de temps devant moi, les ombres s'allongent et mon verbe siffle comme les pierres lancées avec violence, avec la rage de ceux qui n'ont plus que leurs cris pour effrayer les autres, ― ces indifférents au doux secours du cœur, ces victimes sans résilience devenues bourreaux.


Mes yeux voient le terrible. ― Je sculpte ma face de vie tous les jours. Mon ventre déchiré d'amour est relié au monde qui bat. Resplendissant, je me dénude comme le serpent, je revis pour la résurrection des siècles à venir. ― J'entonne des chants de gloire.


Paris, le 24 avril 2008

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SONS ET VISIONS DU TRANSVISIBLE

Si quelqu'un a des oreilles, qu'il voie,
si quelqu'un a des yeux, qu'il entende !

Hans Arp (1887-1966)





Le transvisible est tout un monde de sons et de visions.



Un déclencheur souvent est à l'origine d'une vision : un grand bruit tout autour, un bruit diffus qui vient heurter les tempes comme une vague, une onde de choc. Puis, la naissance d'un rythme, d'une phrase. Cela avance, et peu à peu, cela sort de l'informe, comme lentement une forme surgit du brouillard. ― Du visible nous passons alors à l'invisible.



L'ouïe effectue ainsi un travail considérable. On peut avancer le terme de transaudible. Comme le marteau d'un tramway sonne le démarrage, la mise en mouvement donne le signal. Il s'agit donc maintenant de regarder, de lire, d'écouter ce qui est vu. Car les fulgurances sont nombreuses dans la célérité du translisible, ― comme une pluie d'étoiles filantes.


Le corps s'anime, s'échauffe, atteint sa turbulence laminaire. Les visions s'accélèrent, se multiplient, s'entrecroisent en autant de contradictions. Que déchiffrer, que décrypter, et surtout que retenir. Les mots viendront après le feu de la vision. Les mots ne sont que la cendre des visions. Ils sont en retard. Ils sont comme les carabiniers qui cherchent à remettre de l'ordre. ― Tout ne sera plus qu'au passé.



Seule une musique concrète peut s'approcher du transvisible. Courts-circuits et déflagrations engendrent un malaise dans l'esprit. Comme si le cerveau était incapable de suivre un pareil régime. L'avancée dans l'espace-temps s'opère dans l'in-accompli. Dans ce type de travail, il n'y a pas d'unité possible, ― l'essentiel est de savoir-être un fidèle et subtil réceptacle.



Transcrire le feu, transe-écrire, écrire la transe, dire le trans-cri. De "trans" et de "scribere", ― il s'agit là d'enregistrer les passages éclairants, ― stupéfiants, les seuils franchis, les éblouissements. Ensuite, il faudra maçonner et déployer la mosaïque. D'une langue l'autre, celles des images à celle des mots, des sons. Le combat contre l'ange, sous peine de transir.



Paris, le 26 avril 2008

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SAYAT-NOVA CHEZ TCHARENTS

Citation :
" Parle-moi, ne demeure pas enfermée dans ton silence.
Tu m'emportas, comme le navire fut emporté par les vagues.
Je mourrai. Comme Sayat-Nova, tu ne verras plus personne.
Ce que tu me donnes est un autre remède, autre chose.
O C'est un autre remède, autre remède."


FLORILEGE : TAGHARAN (1920-1922)

pour Arpik*

de Yeghiché (Elisée) TCHARENTS

CHANT XV
(Extrait du Recueil)

*première femme de Tcharents


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Quand j'entrai dans ce vieux monde avec mon chant, lyre et kamantcha, —
Que fera-t-il en ce monde, lui, pauvre imbécile ? a-t-on dit.

Mais quand je dis à voix haute mes doux chants aux festins d'autrui, —
Ta parole est suave comme les fruits mûrs de l'été, a-t-on dit.

Cependant je demeurai seul, triste, aux festins des gens sans coeur, —
Je voulus m'en aller — il est orgueilleux, méchant, a-t-on dit.

Écrasé de douleur, frustré, je pris un bon verre d'eau de vie, —
Tcharents est fou, — buveur de vin, stupide ivrogne, a-t-on dit.

Et, je restai pieds nus, dévêtu durant les tempêtes de neige, —
C'est l'hiver au dehors, et en ton âme, c'est l'été, a-t-on dit.

Vous, des êtres humains ? Ne voyez-vous pas mon corps déchiré ? —
L'âme de Tcharents est inflexible, ses chants hardis, a-t-on dit.

Ils rirent simplement à gorge déployée, car nu je suis resté, —
L'émerveillement des siècles est pour tes nobles chants, a-t-on dit.

[Traductions Elisabeth Mouradian et Serge Venturini, le 1er mai 2008]

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À l'heure où la propagande ultralibérale et oxymorique nous rebat les oreilles de réalité virtuelle, où l'homme lui-même est devenu virtuel, lui aussi, je m'abandonne de plus en plus à la poésie comme à une source de vérité.


Ce qui frappe de prime abord à la lecture de ce poème prophétique de Tcharents écrit en 1922, où il prévoit déjà sa fin, qui surviendra lors de la grande Purge de 1937, ― c'est le profond sillage de l'œuvre de Sayat-Nova laissé dans celle de ses successeurs.


Cette influence de la tradition poétique arménienne est profonde puisqu'elle ira jusqu'à Parouïr Sévak, Sergueï Paradjanov et sans doute bien au-delà… Tous les trois furent d'excellents connaisseurs de Sayat-Nova et de son œuvre irradiante d'amour universel. Sa vie et sa poésie magnétisent son lecteur. Et que l'on ne vienne pas nous raconter que c'est grâce à sa musique chantée que l'œuvre du XVIIIe siècle est parvenue jusqu'à nous, même si cet argument recèle une petite part de vérité.


Ce qui crée son attraction, ― c'est son raffinement. Quand les délices deviennent souffrance et quand la souffrance féroce se métamorphose en sublimes délices, les frontières s'estompent, la jouissance s'exprime et l'amour rayonne d'un feu universel. Si, selon Sévak, toutes les jeunes filles aimeraient avoir un amoureux comme Sayat-Nova, ce qui marque tout lecteur, c'est la passion amoureuse qui déborde tel un calice d'or. S'il y a de l'or dans ses odes, cet or vient de l'amour qui se consume en consumant son amoureux.

Aimer en chantant et mourir en déchantant, tel fut le destin de ceux qui vinrent se brûler les ailes à la flamme de Sayat-Nova. Car ils y trouvaient un miroir à leur vie de misère, à l'impossibilité qui leur était faite de dire toute la beauté qu'il y avait en eux. De Tcharents à Paradjanov en passant par Sévak, un même sort a été réservé à ces trois artistes. Si Paradjanov, homme de visions, d'images et de sons, a pu révéler plus que les autres, par sa naissance à Tiflis et son éducation dans cette ville si attachante, sa proximité avec l'œuvre de Sayat-Nova, Tcharents et Sévak n'ont pas subi influence plus vaste et plus profonde dans leur écriture poétique.


Sévak rédigea une thèse de doctorat d'État en 1963, quant à Tcharents la poésie de Sayat-Nova n'a cessé d'irriguer sa poésie comme ce poème le prouve, puisqu'il faut des preuves. Sayat, comme Koutchak, son auguste et turbulent prédécesseur, ont ouvert la voie à toute la poésie moderne de ce pays, l'Arménie,― où l'on aime tant ses poètes aujourd'hui encore.

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CE QUELQUE CHOSE D'UN ANGE

Est-ce toi l'ange, au si doux visage ? Je t'ai croisé l'autre nuit. Tu es venu me délivrer du visible, ― dis, est-ce bien toi l'ange ? Tu parles la langue des oiseaux, tu voles au-delà des limites quand moi, je n'atteins que les confins de moi-même. Tu passes, tu glisses, sans pourquoi ni au revoir, ― tu disparais.

J'entends un bruissement dans les feuillages, est-ce l'annonce de ta venue ? Allons-nous nous battre comme des pauvres, sache que je suis prêt au combat, je ne crains pas ta puissance. Même si parfois, je suis fatigué de tous les combats. Ma force est redoutable, mes griffes tranchantes, mon cynisme étincelle.

― Tu ris d'innocence ! Comme je te comprends, la grâce est de ton côté. Tes lèvres tremblent comme les miennes, comme tu me ressembles, je suis d'un autre royaume moi aussi, ni de celui des vivants, ni de celui des morts, mes ailes battent entre les mondes. J'avance en aveugle, ― mon œil voit au-dedans.

Ah ! Je brûle de t'entendre, mais tu gardes le silence. Connais-tu l'orgueil toi aussi, l'orgueil démesuré des grands esprits aériens ? J'aime la pâleur de ton visage de porcelaine, l'effroi de ta beauté me paralyse, mon verbe tant s'épuise qu'il voudrait tout emporter. Le vent se lève, n'est-ce qu'une tempête ?

Paris, le 21 avril 2008

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DAÉNÂ, LA TERRE S'OUVRIT DEVANT MOI

Sur le pont, presque à mi-chemin, j'aperçus une jeune femme d'une éblouissante beauté tant par sa parure que par son parfum. Pieds nus, elle s'approcha à pas lents pour me parler. Je m'arrêtai en haut du pont, saisi d'effroi tant sa magnificence et sa grâce étaient stupéfiantes. ― Qui es-tu ? questionnai-je. D'une voix douce, elle me répondit :

"Je suis ta Daénâ…"

Voyant la stupeur sur mon visage de terre, privé de sang, elle s'empressa d'ajouter, comme pour me rassurer : "Je suis celle que tes pensées, tes paroles, tes actions ont faite."


Aucune parole ne put s'échapper de mes lèvres, comme paralysées. Comprenant mon embarras, elle prit mes mains de marbre dans ses mains brûlantes et me dit avec son calme imperturbable :


"J'étais aimée, tu m'as faite plus aimée encore, j'étais jeune et belle, tu m'as faite plus belle encore, mes yeux étaient mi-clos et tu m'as ouvert les yeux."


Sa voix légère semblait venir d'ailleurs, ― peut-être celle d'une étrangère zoroastrienne.

Et, elle m'embrassa, ses mains serraient les miennes, son sang était de feu et elles me communiquaient toute leur chaleur. Je retrouvai mes sens et mes esprits, le sang coulait de nouveau dans mes veines.


Ses lèvres m'ont laissé une amertume de sel marin. Comme une brûlure au visage. Une blessure d'estafilade. J'avais un goût de sang à la bouche.
Mes lèvres remuaient de nouveau, ces lèvres hors d'atteinte qui saignent, ― déchiquetées.


Je traversai avec elle le pont tel un danseur, chantant un air mélodieux à tue-tête, comme font les marcheurs puissants au-dessus des abîmes peuplés de fugitives rencontres.


Paris, le 16 avril 2008

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BRILLENT LES PERLES DU TRANSVISIBLE

Citation :
La perle que la coquille du temps
et de l'espace ne peut contenir.

Hâfez de Chiraz (1320-1389)

Pas à pas j'avance dans le scintillant brouillard. Je traverse à toute vapeur le transvisible. Je vais errant dans l'eau troublée de ton regard, ― tastonnant aveuglé, dans la brume, ― égaré. Je ne suis qu'un rossignol que personne n'écoute. Je vois, brillants dans tes yeux, tant de paysages. Je voyage loin, au-delà même de tout voyage.

Mes feuilles de papier volent, je les jette, une bonne main les ramasse, je les jette encore, ― ce ne sont rien que des perles. Le livre est acte de courage que rien n'arrête. Et les perles roulent pour d'autres mains. Je suis cette goutte du devenir, ces larmes de joie. J'ai laissé les chemins qui ne mènent nulle part, ― mais je n'ai pas oublié le chemin du rire.

Même mort, je garderai toujours les yeux ouverts. Je n'entends que la colère, oui, la vraie colère ! Colère, fracas du rire qui tue comme la foudre. ― Fuyard ? Je ne suis pas l'un de ceux qui trahissent. Tes lèvres irisées sont aussi belles que ta bouche. Là, ― tu as un splendide pourpris touffu de roses. Et, le rossignol n'a de cesse que de chanter.

Paris, le 9 avril 2008

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LES TRANSHUMANTS DU TRANSVISIBLE

Je suis le vent de nuit de l'été qui franchit le seuil de l'aujourd'hui et qui vient rafraîchir toutes les pièces ouvertes jusqu'à l'aurore. Je suis fils de la Terre, un errant transhumant. Je vais au-delà dans le ciel de toujours, la mort n'est plus mon ennemie. Je suis aussi le fils du ciel, passeur des mondes, des vivants et des morts, j'avance dans le temps, ― je suis une force qui va de l'avant, trébuchant parfois, bégayant souvent. Je suis à l'image de ma pierre de parole, je suis un pont entre les hommes, ― je suis un fragile pont qu'un missile pulvérise. Par l'orifice de ma bouche parlent les gens d'orée. ― Nous sommes transvisibles. Nous parlons plus loin que l'espace et le temps du cosmos. Nous bondissons du tremplin de la planète pour d'autres rebonds. Et, si nous prenons la balle au bond, elle est pour d'autres mains d'artisans. Vous ne nous verrez plus, ne nous cherchez pas, car la nuit sera devenue à vos yeux ― introuvable. Bloc de terre, ma parole contient l'autre, les autres sont en moi, ils parlent en moi du devenir des mondes vers d'autres rivages étoilés. Je suis d'un autre bord et d'une autre lisière, ― souffle le vent du temps.
Paris, le 12 avril 2008

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SUR LE SEUIL DE LA PORTE, VISIONS DU TRANSVISIBLE

Citation :
Chemin : vers le haut, vers le bas, un ― et le même.
Héraclite d'Éphèse, fragment 60


L'œil frontal outrepasse la limite entre l'extérieur profane et l'intérieur sacré de la demeure. Le poète avec son double visage de Janus bifront est entre le monde des vivants et celui des morts, il frappe le seuil du bâton de sa voix. Il appelle la parole tremblée, lui, ― le dieu gardien de la porte des images.
Si les ténèbres extérieures existent, au centre flambe la lumière de la parole. La porte solaire franchie, la porte étroite et basse, celle où le chameau passe par le chas de l'aiguille, sous l'arc-en-ciel du devenir, l'homme chaotique du dehors transforme son regard et devient l'homme du dedans selon son ordre.
Il n'est plus la porte. La porte s'est envolée. Il marche vers la révélation de son être tout entier. Dans le terrestre, il voit le céleste. Toujours dans l'imminence de l'accès, l'œil en alerte, vif, les clefs ne sont plus nécessaires. Quelqu'un s'avance… Est-ce un homme, ou bien une panthère, ou bien un serpent ?
Présence tantôt, absence aussi, rien qu'un acte, du levant au ponant. Court est le chemin dans l'espace dérobé cinglant d'éclairs, ― mystère vivant à la vie brève, sur la frêle frontière dissipée de brume, il n'est plus que deux jambes qui marchent.
Les portes se referment. ― Diastole, systole. ― Souffle coupé.

Paris, le 4 avril 2008

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L'ŒIL AILÉ DU TRANSVISIBLE

Citation :
L'âme a deux yeux : l'un regarde le temps,
l'autre est tourné vers l'éternité.
(1657)
Johannes Scheffler dit Angelus Silésius,
(1624-1677), "L'errant chérubinique"

pour Leon Battista Alberti,
le Florentin exilé (1404-1472)




Une image disparaît, une autre par degrés apparaît, il en est ainsi de ce passage du fondu enchaîné de l'œil dans la permanence du cosmos, dans le perpétuel et son bruit de source, selon Georges Braque. Du plus particulier à l'universel, le regard glisse d'une réalité à une autre, d'un fugitif fragment de réalité à la totalité des phénomènes. Il s'agit pourtant du réel, ― mais qu'est-ce donc le réel ?

Quand l'œil ailé écoute, qu'entend-il ? Cet instant de fusion entre les deux images révèle le beau regard. L'œil ailé n'entend que ce qu'il voit. La première image a disparu, la seconde a pris sa place. Les deux images se superposent et qu'en reste-t-il au tréfonds de l'esprit ? Une vérité a surgi, elle vient de sourdre, à l'intersection des deux images associées, pour créer une autre réalité.

Elle est dans le lent glissement du sens de l'une sur l'autre, comme en une métaphorisation, du verbe grec metaphorein, "transporter". Et, c'est la force, c'est le savoir de la voyance de les accorder comme l'arc et la lyre. L'une n'est ni plus forte ni plus dense que l'autre, les deux sont essentielles et fusionnent dans l'infini comme deux corps amoureux. Aimer oui, aimer beaucoup, pour ouïr et saisir la voyance, ― parole donnée entre deux pôles.

L'œil solaire ne suffit pas. Le corps est emporté par un rythme, un fulgurant courant mental secoue le corps comme dans la transe. Les sons vibrent, les mots ébranlent l'esprit, les sons vrillent la tête, percutent le ventre comme la peau roide d'un tambour, ― l'esprit est habité.

L'ouïe tendue jusqu'au transaudible ne perçoit plus rien. L'illumination s'achève. Le silence est de retour. Le corps n'est plus qu'un morceau de glace. Les yeux fermés. Intérieur-nuit. Noir absolu. Or la vision s'épuise, ― tout n'est plus que cendres. L'œil ailé du transvisible s'est envolé.


Paris, le 30 mars 2008

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Ô PARNIMEDE, TOI AUSSI, TU AS FRANCHI LE SEUIL DU TRANSVISIBLE...

Les cavales qui m'emportent dans leur somptueux équipage, m'ont porté aussi loin que va mon désir, et leur célérité m'a conduit près d'une déesse, sur une route qui traverse les villages déserts des hommes. J'étais transporté par d'habiles limousines noires, des jeunes filles guidaient la véloce course, pour porter disaient-elles ; "celui qui sait voir". L'essieu brûlant, dont les moyeux jetaient un cri de flûte, ― strident dans l'espace-temps.


Les filles du soleil, quand derrière elles les demeures de la nuit furent abandonnées, hâtaient leur chevauchée vers la lumière. Et, d'une main gracieuse repoussant les voiles blancs qui couvraient leur tête, laissaient apparaître de beaux visages épanouis et rieurs. Là, les grandes portes qui s'ouvrent sur le chemin de la nuit et du jour se dressent. Tout en haut un large linteau, et en bas, un immense seuil de pierre. Avec leurs paroles de douceur, elles eurent vite fait de convaincre les gardes armées avec leurs kalachnikovs, elles repoussèrent l'axe qui verrouillait le barrage, et d'un coup, dégagèrent les portes. Avec fracas, les portes s'envolent, laissant tout béant l'espace. De ce fait après les virages du no man's land, ― nous arrivâmes.


Une autre déesse m'accueillit avec chaleur et bonté, elle prit ma main droite dans la sienne et me donna un baiser sur les lèvres. Elle me parla et me tint ce discours : ― Ô Homme mûr ! Tu as été le compagnon de tant d'immortelles cochères, tu arrives à notre maison, sois heureux, réjouis toi ! Je te salue puisque ce n'est pas un mauvais Destin qui t'a mené de l'avant sur ce chemin, car il est à l'écart de la grand-route des hommes. Mais c'est bien la Loi, et c'est Justice.

― Ô Comme ce voyage me fut doux.


Paris, 24 mars 2008

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MATIÈRE DU TRANSVISIBLE

La poésie du transvisible avance dans la nuit à tâtons,
elle marche en aveugle avec les yeux de la voyance,
et sa parole bégayante rougeoie aux hommes de l'horizon,
quand l'horizon est en feu et que la guerre gronde.

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La poésie du transvisible est une poésie du seuil,
― mais du seuil franchi, c'est le début de quelque chose.
Prélude qui se met en mouvement contre l'ordre du monde,
quand rien ne sera plus comme avant, quand rebrousser chemin
n'est plus possible, ― les hostilités commencent.

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La poésie du transvisible est marche, ― élévation.
Elle part d'une limite, marquant un passage à un autre état,
vers une autre situation. En cela, elle est une poésie du pas,
― du passage dans un au-delà de la poésie même. Elle avance
forte pluie, vent de printemps, porteuse de ce qui n'a jamais été.

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La poésie du transvisible, ― fille des vents galactiques,
n'a de cesse que de franchir des seuils vers d'autres mondes,
d'aller au-delà du liminaire pour tournoyer, ― étoile
dans l'ondoyante stridulation des grillons de l'inaccompli.
Elle recèle en son flamboyant mystère une turbulence brutale.
― Or, dans l'inconnu, elle brûle d'inapaisable.

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Paris, le 25 mars 2008

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ALLER AU-DELÀ DU TRANSVISIBLE

Il y a dans la brume une infinie présence, ― comme un mouvement d'ailes, un battement de plumes. Seule une arche du pont demeure visible, l'autre partie de l'arc noir semble comme enfoncée dans le brouillard. La vapeur d'eau de la cascade en amont engloutit tout sur l'autre rive. Impossible de voir l'autre côté, tant la brume scintillante en ce val est épaisse. Impossible de passer. ― Seuls les morts franchissent le pont.

Du ciel tombe des morceaux de feu accompagnés de cendres noires. Impossible de traverser à la nage, plus en aval, le courant du fleuve emporte tout sur son passage. Je demeure interdit sur la rive humide, errant autour des rochers, yeux grands ouverts jusqu'à la tombée. ― Des cris d'hommes par moments cornent le silence argenté des appels sans retour.

Parmi les lambeaux effilochés du brouillard, une femme nue a surgi de cette fumée d'eau, ses pieds légers dansaient sur les pierres rondes. Je crus croiser le regard d'un ange. Ses longs cheveux laissaient s'échapper les soleils, sa peau blanche m'éblouit de beauté, ― elle avait un sourire aux lèvres de rose violette. Elle disparut du fleuve comme elle était venue, elle revenait sans doute de l'autre côté, du côté lumineux de la rive, là où brille une lumière ardente. La réalité ouatée du val fut l'ombre d'un instant éclairée par d'obscurs rayons chus d'une éclipse. ― Signe d'une autre présence qui me métamorphosa.


Paris, le 15 mars 2008

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LE PONT FRANCHI DU TRANSVISIBLE

Entre ce que l'on est et ce que l'on voit, il se passe quelque chose d'incroyable, ― l'œil écoute. Le tigre de l'oeil voit ce qu'il ne peut toucher, ― l'intouchable. Quand la clé de l'œil tourne et que la fleur de la vision s'ouvre et embaume, ― l'Un devient multiple et atteint l'universalité.

Quand s'entrouvrent les claies des paupières, une fois le pont franchi, ― tout n'est plus que lumière. Il faut donc revenir à l'obscur, de l'autre côté, pour rouvrir les yeux et enfin respirer, renaître une fois de plus, dans ce brouillard perpétuel où survivent les humains et dans lequel vivent monstres et maffieux.

C'est un journal de l'invisible qu'il faudrait tenir, réfléchir. Écrire ce passage où les hommes se sauvent ou se damnent. Quelque chose venu du limon fertile, ce père de la petite sœur, ― la poussière, cet immense homme basaltique au désir démesuré, à l'orgueil à perte de vue, lié au vent qui nous porte.

À ceux qui rient du transvisible, je dis qu'ils ont raison d'en rire. ― Rire tue ! C'est un acte de courage dont les plus couards ne sont pas dignes. Il est bon d'en rire, ― c'est la force du transvisible. Parfois, l'on croise des anges sans ailes qui sourient de bonne grâce. Aimons-les, ces anges ! Ces Fravarti, de l'autre côté du pont, comme elles semblent nous attendre avec leur beauté de fines chandelles et les éclats de neige de leur sourire.

Les paupières se referment et l'esprit de lourdeur reprend de sa matière. La brume la plus épaisse s'agite, des nuages voraces passent au-dessus des précipices, un rapace tout là-haut glatit. Avec la nuit, un vent du soir se lève et la première étoile cligne.

Paris, le 10 février 2008

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TRANSVISIBLE : AU-DELÀ DU PONT LA TRANSPARENCE

Citation :

Rintrah roars & shakes his fires in the burden'd air ;
Hungry clouds swag on the deep.

William Blake

(Rintrah rugit et secoue ses feux dans l'air épais ;
D'affamés nuages hésitent sur l'abîme.)

Un pont, rien qu'un pont, juste un couloir dans l'espace-temps, une ligne droite, faite de quelques instants lactés, sépare le visible de l'invisible. Du haut du pont tout nimbé de brume, on n'aperçoit rien de l'autre côté. Seule une éblouissante lumière se réfracte, ― fractale. Des sons venus d'ailleurs vrillent les blocs de silence, au-dessus d'un fleuve allant cascadant dans la vapeur brillante, selon son sinueux rythme de serpent. ― Pas un oiseau. Je vais à tâtons, ― en apesanteur, j'erre comme un rossignol amoureux, j'entends les pleurs et les rires de l'excavatrice parole. Des voix perdues de mes frères sur de lointains chemins me parviennent par ondes, par vagues, dans le vent aigre qui apporta tout et qui tout emportera. Tout d'un coup, le retour du silence en plis d'atmosphères.

Où est la transparence ? ― Je ne vois plus rien. Je suis aveugle. Au-delà des épines et des épreuves qui grèvent l'âme et le corps, rabotent les sens et engourdissent l'esprit, j'avance même dans l'obscur. ― Rien ne m'arrête dans mon combat contre l'ange ! Je traverse des jours entiers des déserts où je ne rencontre plus personne. Seule une étincelle parfois me guide. Qui peut dire où je vais en ce val de larmes, dans cette plaine dolente où même les cimes s'effacent avec l'horizon.


On ne voit pas tous les jours trembler l'avenir, avec le soleil levant comme la pierre dressée de la parole. Et si la lumière fuit à cet endroit, je sais qu'elle va renaître sous d'autres latitudes. Tout n'est qu'affaire de décor, de point géodésique, d'angle de vue sur l'écorce terrestre. Je suis de toute éternité comme le cri aigu des hirondelles dans le ciel rasséréné d'un soir d'été.


L'air gronde. Craque la terre. Rôde la camarde. Je sens sur ma nuque froide et mes épaules nues un fort froissement de l'air et sur ma face un frôlement d'ailes. Et, pourtant rien ne bouge, les feuillages argentés ne bruissent pas…


Paris, le 6 février 2008

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LA SANDALE D'EMPÉDOCLE, AUTRE SIGNE

Citation :
Car déjà autrefois je fus, moi, garçon et fille, buisson, oiseau, muet poisson qui saute dans la mer. (Sur la Nature, frag. 117)


Sphaïros à l'orbe pur, en cercle solitaire, qui exulte. Empédocle d'Agrigente, (Sur la Nature, frag. 27)
[traduction Yves Battistini]



Un pur esprit s'accroît sous l'écorce des pierres.
Gérard de Nerval, Vers dorés

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Cette légendaire image m'obsède, ― comme une énigme. Ce philosophe présocratique du Ve siècle avant notre ère (soit environ -484/-424 av. J.-C) a désiré à la fin de sa vie devenir un volcan. Il est parti du visible pour l'invisible, comme une vraie délivrance, par désir de transfiguration, gouffre dans le gouffre, retour dans le grand Tout, ― par soif inouïe de purification. Le mot "pur" signifie feu en sanscrit. D'anciens traducteurs et médecins n'ont-ils pas pris le mot "feu" pour traduire pur, puros… Se fondre donc avec le volcan, devenir comme lui, au-delà des bombes volantes, des nuages de fumée rougeâtres et des laves sombres, pour renaître volcan à son tour, homme-volcan, ― ardente matière en fusion.

L'aphorisme éclairant de René Char résonne et fait écho :


Nous faisons nos chemins comme le feu ses étincelles.


C'est ici, la voie non tracée des poètes, porteurs de feu et passeurs de lumière. Cette identification avec le feu est donc projet de renaissance. Le volcan est d'abord miroir, où l'homme se regarde en son désir d'aller de bas en haut de la montagne de feu, ascension et élévation vers la connaissance spirituelle la plus haute. Puis, il devient pour le poète-philosophe, passage de l'autre côté du miroir en fusion dans l'ombre violette qui brûle, et enfin, homme-volcan dont il ne restera plus qu'une œuvre de feu, à l'aurore de la philosophie et de la pensée grecque, ― et une antique paire de sandales dont une seule fut, paraît-il, retrouvée, ― rejetée par le volcan lui-même. ― Autre signe.


Un précipité d'Etna, ― voilà Empédocle !
― Un homme devenu cendres et scories après avoir été illustre prince et voyant, tour à tour mage et thaumaturge, sorcier même parfois. Son œil solaire avait fondu dans le feu. De sa vision, il ne resta qu'un volcan qu'on ne cessât d'interroger comme un oracle. Ce passage du solide au liquide, avant de devenir pierre et poudre, n'est qu'apparence. Il est bien vite redevenu, après son entrée dans la montagne, matière vivante, ― la materia prima, l'énergie primordiale, pur élément errant, ― tant que la terre existera, parmi les hommes etnaiens, ses lointains disciples, entre ciel et terre.


Paris, le 23 janvier 2008

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RÉFLÉCHIR LE PASSAGE ENTRE VISIBLE ET INVISIBLE

Citation :
"Le germe porte en soi la nature entière de l'arbre,
le goût, la forme des fruits." Hegel

Qu'est-ce que le transvisible ? Une flèche traversant le vieil humanisme agonisant où le "berger de l'Être" chemine en ce qui demeure de poétique au monde. Du posthumain au transhumain, nous voilà passés dorénavant au transvisible, ― ce frêle pont étréci jeté entre le visible et l'invisible. Certes, cet individualisme, même révolutionnaire, a ses limites avec le "non-étant" ou ce qui n'existe pas encore.


Mais ce qui n'a pas encore d'être a-t-il bien une réalité ? Parménide disait déjà : "Si l'être est, le non-être n'est pas." Ce qui n'est pas encore pensé, peut-il être dit et être écrit ? Réfléchir, c'est pourtant accorder l'existence au non-être. Ainsi pensait Platon lui-même dans son Sophiste. Le non-être est toujours fantomatique comme l'invisible. Si dire ce qu'est une chose, c'est dire en même temps ce qu'elle n'est pas, pour l'exprimer avec la manière de Spinoza, ― toute détermination est une négation.


Est-ce donc nécessaire de revenir à l'indéterminé, élément toujours second, fort relatif pour certains, toujours marginal par rapport à l'être ? Ainsi quel statut pour l'indéterminé, pour l'improbable, pour l'informulé, pour "l'anommable" ? Ébauché par Sartre dans L'Être et le Néant, ― "l'être des lointains", capable de distance avec le monde et en même temps dans l'impossibilité de sortir du flux, ― cela lui confère une situation de malaise profond, d'angoisse schizophrénique. Être dehors et être dedans à la fois, ― n'est-ce pas pure folie ?


Faut-il revenir à une autre phénoménologie du visible et de l'invisible, initiée par Merleau-Ponty, avec sa "profondeur charnelle" ? Il y a quelque chose, plutôt que rien, soit ! Et l'être se donne à l'homme comme "il y a", même sur fond originel du "rien". Ce n'est qu'à partir du vide que l'homme parle, existe et construit. Le rien, riche de potentialités encore inouïes, réversible miroir des forces, rejoint alors son sens étymologique d'origine : ― le bien et la richesse.


La plus grande des prisons est dans l'esprit. Nous glissons de l'opaque au translucide, avant d'atteindre la transparence de l'invisible. Nous traversons dès lors des déserts où nous croisons faux prophètes et belles chimères, les mirages nous assaillent, les démons des hallucinations olfactives et musicales nous font chavirer les sens, la boussole du corps indique un Nord obsolète et superfétatoire. Nous dérivons sur les routes non tracées de l'absolu. Dans un monde d'images, ― où tout n'est qu'illusion, images des images et fausse vision, ― nous sommes englués dans la toile au soleil des arachnides.


Si l'eau est le meilleur des liens entre le monde visible et le monde invisible, il nous faut insister sur la perméabilité entre ces mondes du mythe. La parole rebelle, la parole vivante, ― ardente, en lutte contre la pesanteur pour la suprématie de la grâce, est vision du transvisible ; voyage libératoire entre le visible et l'invisible, il ouvre grand les portes à une archéologie exploratoire du savoir humain. En son dialogue avec les ombres, pour ceux qui n'auront pas rebroussé chemin, ― le poète indique chemin, passeur de lumière devenu "illuminateur" sur le pont du transvisible, ― par son combat, il empêche de fermer les yeux.


Paris, le 12-22 janvier 2008

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LE TIGRE DE L'ŒIL

Citation :
Et que derrière un voile, invisible et présente,
J'étais de ce grand corps, l'âme toute-puissante.

Jean Racine

Au-dessus des eaux mugissantes et glacées du fleuve des morts, il existe un pont entre le visible et l'invisible ; à peine un léger pont, étroit et tranchant comme un yatagan, tout au plus une fragile passerelle rouge et noire que l'on franchit, le temps d'une vision. Cette vision partant du visible s'ouvre vers l'invisible.


Or, nous cheminons hennissant tel Pégase vers le transvisible. Les êtres visibles me sont souvent invisibles, alors que je vois, dans mes absences au monde réel, ― les êtres invisibles.


Lorsque que mon regard transperce l'invisible, ils me sont manifestes dans la transparence, ils viennent sourdre du visible pour apparaître, tout droit venus de l'invisible couverts de cette rosée comme surgis d'une brume épaisse, connus et inconnus.


Le beau, et cela n'est guère neuf, est l'expression de l'invisible, même si le mystère de ce monde demeure dans le visible, même si les temps où nous vivons refusent de regarder en face l'invisible, car ils refusent de sortir de la matière pour voir au-delà du corps. Chez eux, l'œil n'écoute plus rien, n'entend plus ni langues rares, ni couleurs stridentes, ni parfums empourprés.

Quand la porte du visible est enfin ouverte, alors dans toute sa splendeur les formes éclatantes émergent de l'invisible. Les corps animés deviennent musique, théâtre d'ombres portées au plus noir, ― têtes renversées.


Cependant nous ne sommes plus dans le monde des fantômes, dans le monde des fausses apparences, nous sommes dans le monde de l'être, ― du devenir même aux formes changeantes et scintillantes, où nous apercevons l'espace-temps d'un instant, le déploiement de ces beautés neigeuses d'éclat qui toujours nous subjuguent. ― Ô Fravarti !

Elles vont ces corps-dansant, ces corps fluides, ces corps liquides se développant aux rayons du soleil naissant, corps brûlants entrevus à la flamme d'une chandelle, au clair-obscur du désir, comme au plus profond de la nuit miroitante.


Dans un mythe qui n'a pas encore dit son nom, étoile non-visible à l'œil nu, ― ma présence dévoilée se révèle dès lors dans l'invisible. ― Non ! Je ne suis pas hors du grand corps, ― mais en plein cœur de la vision.


Paris, le 22 décembre 2007

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Garry Kasparov jeté en prison comme un criminel

Citation :
pour Anna Politkovskaïa
assassinée le 7 octobre 2007


Un an, et après...

La vérité au cœur, - quand cœur signifie courage, quand l'encre noire du mensonge se répand sur tout le pays, la plume a ses devoirs. Et celle ou celui qui tient la plume ne connaît plus la peur, - la peur même lui est étrangère.
Même les balles ne peuvent l'atteindre. S'il meurt, d'aucuns vont continuer ce combat. Une autre voix prendra sa place, un fils, un frère ira dans les asiles psychiatriques et les prisons ; les vieilles méthodes de tous les tsars sont impuissantes à museler la lumière, même si ces procédés refont encore leur apparition.

La vérité au cœur, quand on massacre sans sourciller, quand un peuple tout entier risque de disparaître, quand le gros doigt indique un nom pour fêter un anniversaire.
Au temps des ténèbres, qu'avez-vous fait contre les ténèbres ? Diront les enfants, vos propres enfants. Que leur répondrez-vous alors ? Que vous fermiez les yeux, que vous vous bouchiez les oreilles pour ne pas entendre les cris des nôtres ? "Nachi", - les nôtres, le parti de Poutine et des slaves chauvinistes et ultranationalistes !

La vérité au cœur, car elle n'a pas de frontière, - cœur sans frontière, la liberté comme la musique aussi. Anna a été assassinée pour l'anniversaire de l'ancien du KGB, - Poutine, Larissa enfermée avec tant d'autres, Garry Kasparov surveillé, la presse et les media bâillonnés... dans l'indifférence des gouvernements "démocrates" de la planète.

- On ne bâillonne pas la lumière ! Et, les tyrans sont maudits par les enfants de leur pays. Avec le temps, la vérité triomphe toujours, même si l'on oublie les noms de ceux qui pour elle, - moururent. Ce fut leur choix d'être des hommes libres de vivre et de mourir, mais… - la vérité au cœur.

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Pour Patrizia Gattaceca Personne, donc !

Citation :
"More cum'è nasce u ghjornu
À l'usciu di a vita vera…"
Patrizia Gattaceca, Sextine III

"Mourir ainsi que naît le jour
À la porte de la vraie vie…"

Personne. Non, il n'y a personne. Outis aurait répondu Ulysse. Un vrai désert minéral, végétal, marin, glaciaire. Comme une banquise craquelante avec un vieil ours dessus, affamé, amaigri. Là où je suis, il n'y a personne. Je ne suis nulle part. Nulle part où je suis de trop, rien ne me pèse, je suis plus léger que la brise. Je ne me compte nulle part, ― je suis de tous les siècles.

Ma voix, mais qu'importe ma voix ! Ne l'entendez-vous pas dans le vent noir qui crie ? Je suis de par les mondes, le monde visible et le monde invisible. ― Je suis transvisible. Je vole sur la face des vivants et des morts, je suis sur toutes les lèvres frémissantes, la parole bruissante, la parole tremblée, où même les oiseaux viennent y boire pour mieux chanter, comme mon frère le rossignol enamouré.

Je suis là à vos côtés, mais vous ne voyez pas. Peut-être avez-vous fermé les yeux. Vous m'avez croisé pourtant. N'ayez le cœur endurci. Vous ne m'entendez plus. Peut-être vos oreilles sont-elles encombrées par d'autres paroles ? Il y a trop de bruit dites-vous ! ― Revenez donc au silence.

― Ah ! Le silence…

Venez écouter personne. Outis, Outis… Ne cherchez pas sur vos petits écrans, je n'ai plus droit de cité ! Même dans les colonnes de vos journaux, je suis porté pâle, ― porté disparu. Peut-être lancera-t-on une armée pour me sauver. Il faut sauver le… La suite de ce propos a été caviardée. Trop dangereux, semble-t-il. Voyez en prison, vous m'y trouverez à coup sûr !

― Peut-être aurez-vous plus de chance chez un fleuriste ! murmure une femme. Pourquoi ? ― Pour la Rose, la Rose de Personne. Les fleurs maintenant sont sans parfum, vous ne risquez rien, surtout les roses. Pour l'instant, elles ont encore des épines, mais certains ont déjà pensé à les supprimer.

― Qu'importent les épines ! ajoutent-ils.

Paris, le 11 novembre 2007

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Entre visible et invisible, l'énigme du survisible

Aromates venus de la terre, nous brûlons vers le ciel.
Nous sommes passage entre les mondes, fumée colorée, odoriférante. Parole bruissante, parole parlante et non parlée.

Maintenant je ne suis que silence. Je fais en moi tout le silence. Je me défais de tout ce que je suis, de tout ce que j'étais.
La nature me voit et la nuit m'attend. Le poète quand il est voyant est un homme habité, - possédé par la poésie.

Homme absent, homme aveugle, mais tout entier dans la parole poétique, dans la poésie même, plus léger qu'un bouchon, - abandonné à la poésie.

Nous sommes dans le survisible.
Inscription, voire palimpseste du visible dans l'invisible. La poésie demeure cette traduction de la vision de la nature et des mondes.

L'art qui est émotion est un acte du survisible. Partant du visible, le regard plonge plus loin dans le mystère et la profondeur de l'invisible, - celui du VOIR en acte.

- Déjà, nous surgissons ! De la profondeur, nous émergeons vers plus de profondeur encore. Nous voilà aux confins du monde des présences.

La conscience charnelle ouvre ses portes. Nous revenons à… - Enfin tout reprendre !

Nous jaillissons des lisières et franchissons les seuils, étape après étape. Puis la déflagration, le choc, l'émotion, les multiples percussions, la confusion des vibrations.

- Vitesse ralentie. Ah ! Perte de la raison. Vertiges ! Rires ! Hallucinations sonores et olfactives. - Retour du silence.

Signature :
Paris, le 1er novembre 2007

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Transparence de l'invisible ou Le visage de Mandorla

Citation :
Pour notre âme, les hommes sont des cristaux :
ils sont la nature transparente.
Novalis

La poésie est transparence de l'invisible. Elle est dans la recherche charnelle de la transparence aux lèvres sensuelles, au galbe des formes de la femme ronde, même si le plus souvent elle n'apparaît qu'en formes décharnées d'anorexique. Si la beauté est fille de l'invisible, elle occupe toute la place en sa rose iridescence nacrée. Pour le voyant, la beauté est irradiante.

Son impact est percussion et tumulte. Elle foudroie dans sa furtive fulguriance. Rétive comme l'amande en sa coque dure, elle n'offre son lait que l'espace-temps d'un regard éclair. Ses lèvres fascinent, son toucher brûle les doigts de désir.

Ses feux nourrissent, sa cosse recèle l'essentiel. Sous la verdeur de ses apparences, elle masque la réalité de son trésor, la source toujours cachée. Le poète ne cherche qu'à en briser l'écorce, à en déchirer le voile. Il veut embrasser ses lèvres entrouvertes dans sa contemplation, il brûle d'atteindre le secret de sa lumière, ― son éblouissant mystère.

Au cœur de la fragile vision de jaspe et de cornaline, il meurt d'enfoncer un doigt dans sa bouche, de caresser son noyau inviolable dans l'obscur. Sa lumière est pour le voyant révélation de son secret. Sa transparence met à jour la chair de l'invisible, ― elle provoque le poète aux tremblements sacrés de la parole.

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Manouchian le poète

Citation :
Un charmant petit enfant
A songé toute une nuit durant
Qu'il fera à l'aube pourpre et douce
Des bouquets de roses.

Missak Manouchian, Premiers vers

Lorsqu'il faut tracer sa vie sur un chemin de pierres et de ronces,
on ne peut pas être toujours un gentil écolier qui obéit.
Lettre de Martin Keller, 20 novembre 1944.

Qui était Missak Manouchian ? Qui se cachait derrière ce front étendu, sourcils épais, ces yeux noirs pleins de défis, ce nez puissant, cette bouche hardie aux lèvres fermes, ce menton expressif, cette vigoureuse figure taillée à la serpe, cet énergique visage massif tout pétri de tensions saillantes ? Homme au cou large, visage à la peau mate qui me fait penser à celui de l'homme d'Orihuela, Miguel Hernández mort en 1942 ; faciès de terre, de fils de paysans endurcis qui auraient tant plu sans doute au sculpteur Camille Claudel.

- Un homme fier d'un seul bloc -, un hardi dur à cuire, un inflexible résolu ; à la fois un insurgé, un stratège, un militant ouvrier, un poète et surtout, - un homme rude et chaleureux. Un homme d'abord, un humain sans haine. Ses derniers mots à Mélinée le prouvent, s'il faut encore des preuves.

Je suis passé hier au 11 rue de Plaisance, son dernier domicile connu, tout près d'ici, entre la rue Didot et la rue Losserand. Son itinéraire a été celui d'un errant entre le génocideur turc et le bourreau nazi, d'un orphelin déchiré certes, mais sans cesse entreprenant, intrépide et déterminé, et ceci dès l'enfance, en raison du génocide arménien perpétré par le gouvernement des Jeunes-Turcs en 1915. Si son dernier regard s'est tourné vers l'Arménie car il était Arménien, il mourut pour son pays d'accueil, en vrai patriote. "Bonheur à ceux qui vont nous survivre, a-t-il écrit, et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain."

Même si "la mort n'éblouit pas les yeux des partisans", je le vois, je l'entends crier, ce 21 février à midi, au Mont Valérien, à l'ultime instant de quitter ce monde, avec ses camarades : "Vive la France !" La France était selon Missak la "Terre de la Révolution et de la Liberté."

Les massacres des Arméniens se répétaient en raison des relations conflictuelles de la Turquie musulmane avec l'Occident chrétien. Le 1er septembre 1906, Missak voit le jour dans le petit village de Adyaman, au bord de l'Euphrate, hier partie arménienne de l'Empire ottoman, pays kurde de la Turquie aujourd'hui. Ses parents sont des paysans et il fut élevé dans le deuil et le souvenir de ces massacres. Son père meurt dans une action de défense, pendant un massacre organisé par les militaires turcs. Sa mère meurt aussi quelques années plus tard d'une maladie due à la famine, aux privations, au chagrin qui affectaient les populations de ces réfugiés apatrides.

- 1915-1918 : génocide des Arméniens.
Témoin de ces massacres, le jeune Missak, âgé de neuf ans, devient introverti et timide. Il commence à écrire des poèmes à douze ans. Accueilli par des Kurdes, il n'oubliera pas les victimes d'un autre génocide quand il rencontrera d'autres martyrs, les juifs dans la résistance. Orphelin comme des milliers d'autres enfants, il fut recueilli dans une institution chrétienne à Djounié, sous le protectorat français de Syrie, dans un orphelinat où il y apprendra des rudiments de culture.

Dans un poème, Privation, Manouchian révélait ceci :

Quand j'erre dans les rues d'une grande ville,
Ah ! Toutes les misères, tous les manques,
Lamentation et révolte, de l'une à l'autre,
Mes yeux les rassemblent, mon âme les recueille.


En 1924, à 18 ans, il quitte Beyrouth et débarque à Marseille avec son frère Karapet. Son frère décède en 1927. Orphelin de nouveau, désormais solitaire avec un immense chagrin, il fonde même deux petites revues littéraires arméniennes en 1930. Il monte à Paris. Mille métiers, mille misères, il était menuisier, le voilà tourneur chez Citroën... Dans un poème de l'ancienne anthologie de la poésie arménienne par Rouben Melik (1973), Le miroir et moi, on peut lire ces vers :

Comme un forçat supplicié, comme un esclave qu'on brime
J'ai grandi nu sous le fouet de la gêne et de l'insulte,
Me battant contre la mort, vivre étant le seul problème…
Quel guetteur têtu je fus des lueurs et des mirages !
(Traduction Gérard Hékimian)

Signature :
Paris, 31 mars-21 avril 2007

Notes :
NB : à tous ceux qui auront des informations supplémentaires, merci de me contacter.
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Coeurs sans haine, coeurs sans parti, coeurs nus, coeurs serrés

Citation :
Sur mon cou sans armure et sans haine, mon cou...
Jean Genet

Coeur qui déteste la guerre, il a bien fallu te résoudre à mener combat. L'heure n'est plus à la légendaire patience des bergers. Ils sont en nombre ceux qui se sont dressés contre les ennemis de tout bord, à toutes les époques. La France est entrée, depuis les années cinquante, dans une autre forme de Résistance qui n'a pas encore dit son nom.

J'étais adolescent encore, quand un jour je découvris la tragique et belle lettre de Missak Manouchian à sa chère Mélinée, sa petite orpheline bien-aimée, lettre écrite en poète le 21 février1944, quelques heures seulement avant d'être fusillé avec ses 22 camarades.

Au moment de mourir, je proclame que je n'ai aucune haine contre le peuple allemand...

Cette précision me bouleversa, elle me bouleverse encore aujourd'hui, surtout quand j'entends les choeurs de la puissante chanson de Léo Ferré, sur le poème de Louis Aragon L'Affiche rouge. Je ne peux pas ne pas penser à cet autre coeur, ce coeur qui haissait la guerre, - celui de Robert Desnos.

Comme nous sommes loin maintenant de cette musique :

C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon coeur a tant de peine !


Paul Verlaine semble lointain, et le temps n'est plus aux romances, les paroles sont devenues des cris, des vociférations inaudibles, chargées de haine. Nous passons dépourvus de haine, coeur sans haine, illisible lui aussi.

Paul Ribero, à sa libération des geôles cubaines déclara :
Je sors sans colère, pas dans une position belliqueuse, mais plutôt constructive. Je n'ai pas de haine...

Senghor l'Africain écrivait lui aussi dans Assassinats :

Le chant vaste de notre sang vaincra machines et canons
Votre parole palpitante les sophismes et les mensonges
Aucune haine votre âme sans haine, aucune ruse votre âme sans haine, aucune ruse vôtre âme sans ruse,
O Martyrs noirs race immortelle, laissez-moi dire les paroles qui pardonnent...


D'échos en résonances s'effacent les traces de ceux qui donnèrent leur sang au nom de la liberté, les voix d'amour se perdent dans le silence, pour ne plus entendre que les voix de la haine. Les chants de ceux-là ne doivent pas être oubliés, car ils sont à l'image de leurs combats pour la résistance et l'espérance.

Je pense à Nuits, le chef-d'oeuvre de Iannis Xenakis créé en 1967, à cette musique de Résistance aux dictatures, dédiée aux milliers d'oubliés dont les noms même se sont perdus, - immense blessure, géante blessure, blessure béante. D'autres voix doivent être perçues, sans oublier pour autant celles qui ne doivent pas être portées absentes, puiqu'elles ne sont plus parmi nous.

Signature :
Paris, le 9 mars 2007

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Résistance de la poésie

Citation :
Vous n'avez pas à répondre de moi,
Pour l'heure, dormez tranquillement ;
La force fait la loi ― mais vos enfants
Vous maudiront à cause de moi.


Akhmatova écrivait ce quatrain, certes en pensant à Pouchkine et à ses persécutions à la cour du tsar Nicolas1er, mais c'est à un autre tyran montagnard et moustachu auquel elle pensait alors (avec une toute autre discipline de fer), sans pouvoir l'exprimer ouvertement, sous peine de préparer sa valise pour le pays kolymesque de l'ours blanc.

Des parallèles peuvent se dessiner entre ces deux destins, et en effet, des traces, des échos, des résonances y sont à lire. Dans son article Dans l'ombre de Dante, le poète pétersbourgeois Joseph Brodsky écrivait : « Aussi tout poète consacre-t-il une part importante de son effort à la polémique avec ces ombres dont il sent le souffle chaud ou glacé sur son cou… » Cette polémique se poursuivra jusqu'en 1987, dans son magnifique Discours du Nobel dont je recommande vivement la lecture. Il est banal d'affirmer ici, le rôle prégnant de l'autoportrait, à peine masqué en ce genre d'exercice.

La situation de la poésie en Europe aujourd'hui n'a plus rien de commun avec ce que Pouchkine, Akhmatova, ou même Brodsky vivaient au quotidien. La censure n'existe plus, et Mandelstam ne pourrait plus lancer sa célèbre boutade à l'humour si dérisoirement jaune : « De quoi te plains-tu, ricanait-il avec sa femme, il n'y a que chez nous qu'on respecte la poésie : on tue même pour elle. Ça n'existe nulle part ailleurs. » L'Europe n'a plus besoin de la poésie, elle ne pense plus qu'à payer ses dettes ! Hors d'Europe, la situation est différente, - là où règne encore la tyrannie.

Mais des Bastilles demeurent à prendre, qu'on se le dise ! Les réseaux fonctionnent plus que jamais, le népotisme et le favoritisme sont à l'œuvre là où les groupes de pression sont une véritable force de frappe, comme le disait Jean-Baptiste Para de Gallimard. Voilà un mot qui en dit long sur l'état de guerre où nous survivons. Qui n'est pas du côté de cette force de frappe : - malheur à lui ! Vae soli ! Vae victis !

Ces derniers oublient le refus, la guérilla, les maquis, la résistance par tous les moyens. Ceux-là ont la mémoire courte, il est vrai qu'ils vivent sur une autre planète. Pas seulement la mémoire d'ailleurs, la pensée aussi. Ils écrivent au-dessus des nuages. Ils vivent à une autre altitude avec des avionneurs et magnats. Chacun connaît le sort réservé aux merveilleux nuages et à leurs desseins mystérieux.

« La force fait la loi - mais… » Quelques Bastilles sont tombées et voilà que d'autres se sont reconstruites. Ceux qui les occupent ne sont pas nombreux, et il n'y a pas de place pour tout le monde, proclament-ils ! Le pouvoir est de plus en plus concentré en quelques mains. L'indifférence les accable. Plus leur pouvoir est étendu, plus ils sont aveugles et sourds, pas voyants pour deux sous, sourds à la misère du monde. Et, ils viennent vous parler de la servitude volontaire, ces petits maîtres-chanteurs à la morgue péremptoire.

Je leur donne à méditer ces dernières lignes tirées d'un livre à propos de Jean-Jacques Rousseau, d'un célèbre écrivain breton, Jean Guéhenno, paria si proche des hommes par sa compassion, qui vieillissant notait : « Il me reste la joie nourrissante d'avoir vérifié que les hommes peuvent n'être pas ce qu'ils sont, ce que la nécessité les fait, mais qu'ils peuvent être ce qu'ils font, ce qu'ils veulent être. »

C'est incontestablement au fond de la mine, au pied du boyau de tranchée que l'on voit les veines du poète. A-t-il pu et su exploiter le filon dans la galerie étroite de sa poésie ?

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La fleur de l'amandier refleurira

Citation :
L'effort du poète vise à transformer vieux ennemis en loyaux adversaires.
René CHAR, 1943-1944

MOI L'INVECTIVEUR, MOI L'EMPORTÉ, je veux invectiver mes adversaires, m'élancer contre nos ennemis. Selon Diderot, on n'a recours aux invectives que quand on manque de preuves. Contre nos adversaires, - les ennemis de la poésie, - au sens le plus large, ce ne sont pas les preuves qui manquent.

Qu'ont-ils fait les tenants de la poésie d'aujourd'hui chez Gallimard et à la revue Europe, pour mener combat au nom de la résistance de la vraie poésie, - de la poésie vivante ?
Ne nous est proche que ce qui est excès, lançait Tsvétaïéva ! Leur poésie maigrelette et fadasse d'égoïstes et de cyniques ne représente pas cette force vive et pleine d'impétuosité venue des cinq continents.

J'aime les attaques d'Antonin Artaud, les malédictions jetées à un monde en perdition. Dans une lettre du 17 septembre 1945, Artaud stigmatisait son temps. Ces lignes, à quelques détails près, auraient pu être écrites pour notre époque :

" Les gens sont bêtes. La littérature est vidée. Il n'y a plus rien ni personne, l'âme est insane, il n'y a plus d'amour, plus même de haine, tous les corps sont repus, les consciences résignées. Il n'y a même plus l'inquiétude qui a passé dans le vide des os, il n'y a plus qu'une immense satisfaction d'inertes, de boeufs d'âme, de serfs de l'imbécillité qui les opprime et avec laquelle ils ne cessent nuit et jour de copuler, de serfs aussi plats que cette lettre où j'essaie de manifester mon exaspération contre une vie menée par une bande d'insipides qui ont voulu à tous imposer leur haine de la poésie*, leur amour de l'ineptie bourgeoise dans un monde intégralement embourgeoisé, avec tous les ronronnements verbaux des soviets, de l'anarchie, du communisme, du socialisme, du radicalisme, des républiques, des monarchies, des églises, des rites, des rationnements, des contingentements, du marché noir, de la résistance."
[*C'est nous qui soulignons]

Certes, il ne faut pas confondre la hargne littéraire avec des paroles violentes de haine. La haine n'est pas de mon côté, elle habite ceux qui nuisent par leur pouvoir et qui entravent par leurs amis et autres acolytes convaincus, vifs défenseurs de l'Institution, - ces gens qui pourrissent la vie - de ceux qui ont des choses à dire et qui savent de quoi ils parlent.

Car, né de la douleur, né de la compréhension des êtres et des choses, et surtout né de la colère, je sais de quoi la vie et la poésie sont faites. Où sont donc les Armand Robin de nos jours ? - Mais, que les ennemis de la poésie prennent garde ! Les fantômes reviendront leur demander des comptes. À ensevelir vivant un poète, ces maudits auront à faire à leurs lecteurs lointains.

Et, la lumière ne se fera que sur les tombes.

Un poète comme Mahmoud Darwich n'a pas de leçons à recevoir de ceux-là mêmes qui arborent la haine, comme certains, - la rosette à la boutonnière. Voyons ce qu'il écrit :
"La poésie m'a appris qu'on ne combat jamais la haine avec les objets de la haine, ni la guerre avec la guerre. Plus la vocifération se fait violente plus le chuchotement est nécessaire… Ce que le poète peut offrir de plus beau à la Palestine, c'est d'arriver un jour à décrire la fleur de l'amandier…".

On ne se débarrasse pas des poètes par le mépris, le silence, par une absence de réponse à leur courrier, à leur livre, ou par l'indifférence lors de leur décès. Qu'on les assassine ne résout rien ! Qu'on jette leur corps à la fosse commune, non plus ! Leurs paroles vont leur propre chemin, - et ils n'y peuvent rien y faire ceux qui les ignorent. La fleur de l'amandier fleurira et refleurira, avec ou sans Printemps des poètes.

- Et, nous n'avons que faire donc de leur Printemps.

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Contre la haine de la poésie : résistance ! Lettre aux castors

Citation :
Souvenez-vous des castors. Vous êtes dispersés sur les bords du fleuve : assemblez-vous, entendez-vous, et vous aurez bientôt opposé une digue inébranlable à ses eaux rapides et profondes.
(Le livre du peuple, XV. Lamennais, 1782-1854)

Ce matin Paris était sous la neige, j'ai porté mon livre chez l'éditeur. J'aimerais dire l'indifférence à la poésie et au livre en ce monde de voyeurs où tout est truqué, où tout n'est plus qu'image. - L'image à en vomir !

Monde du bruit et du cri où le silence même est devenu une injure, où les anges qui passent n'ont plus droit de cité, où la force est du côté de celui qui fera le plus de bruit, où les directeurs de journaux vont manger dans la main d'un petit politicien à courte vue, monde où la corruption est à tous les niveaux si répandue au point que plus personne ne s'en étonne.

Je n'ai jamais ressenti une telle haine de la poésie.
Peut-être est-ce même naïf de décrire un tel état des choses, mais cela me paraît nécessaire au moins de le relever, de l'exprimer, même si la poésie n'a jamais pris auparavant cette irrésistible importance qu'elle a aujourd'hui dans ma vie.

Il n'y a plus de place en ce monde pour la poésie.
- Et pourtant, elle existe !

Certes, cela ne m'empêchera jamais d'écrire jusqu'à mon dernier souffle, rien ne pourra me détourner de ce but, car ma faculté de résistance est immense. Se tenir debout a été de tout temps le premier désir de l'homme libre.

Cependant, tel le boxeur dans les cordes, j'encaisse les coups, sachant que l'autre en face est le plus fort et que je ne réussirai pas à le fatiguer, pour ensuite réagir. J'ai tout basé sur ma capacité de résistance : l'endurance. Le rire est mon seul allié, non pas celui qui sauve, - mais celui qui tue !

Vu que les victoires se font dans la durée, il est vain de regarder le présent sans prévoir en stratège ce qu'il adviendra dans l'avenir. L'endurance inspire le respect, mais aussi le mépris, à quoi bon l'endurance quand c'est pour le pire ?

Point d'états d'âme donc, - rien que le combat !

À l'heure où le mot essentiel est l'ordre, assurer l'ordre partout ; à l'heure du nouvel ordre mondial après Yalta, quand le désordre règne sur l'ensemble de la planète, n'est-il pas urgent de désobéir ? Je crois au devoir de résistance des citoyens au nom de leurs droits, c'est cette noble résistance qui assurera la liberté contre le chaos qui vient, si rien n'est fait pour contrecarrer l'ultra-libéralisme.

C'est dans cette détermination à vaincre que ces lignes sont écrites, mon cœur chassant le sang dans les veines de mon corps, avec cette rage intacte de vivre, que nul ne peut, ni ne pourra briser. C'est ici le combat du jour contre…

Signature :
Paris, 8 février 2007

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Les crimes sont organisés

Citation :
C'est ainsi que les quelques rares bonnes volontés lucides qui ont eu à se débattre sur la terre se voient, à de certaines heures du jour ou de la nuit, au fond de certains états de cauchemar authentiques et réveillés, entourées de la formidable succion, de la formidable oppression tentaculaire d'une espèce de magie civique que l'on verra bientôt apparaître dans les mœurs à découvert.
Introduction à « Van Gogh le suicidé de la société », février- mars 1947


- Nous y voilà, Antonin ! L'Ordre est à l'œuvre avec sa magie civique et sa bonne conscience planétaire. Ordre juste pour les uns, Ordre injuste pour les autres. Les corbeaux sont là, bien présents, comme sur la toile de van Gogh, ils arment la main des sbires, des assassins, des tueurs à gages.

Oui, en face de cette unanime saleté, qui d'un côté a le sexe et de l'autre, d'ailleurs, la messe, aujourd'hui médiatique, les vrais voyants sont seuls à se dresser, afin de relever le défi, pour combattre cette malhonnêteté voulue, cette insigne tartufferie, de mépris crasseux de tout ce qui montre race… Antonin Artaud avait vu, bien avant les autres, que " ce n'est pas l'homme mais le monde qui est devenu un anormal ".

Gérard de Nerval ne s'est pas pendu tout seul la nuit du 25 janvier 1855. Artaud avait raison d'affirmer que toute la société, occultement liguée contre sa conscience fut à ce moment assez forte… pour le suicider.

- Rien n'a changé !

Antonin, si tu revenais, ils te traiteraient de fou et ils te mettraient à l'asile, ils verraient en toi un véritable danger à leur ordre, ils t'enfermeraient et te soigneraient comme avant à l'électrochoc et à l'insulinothérapie. À l'heure où la deuxième guerre mondiale battait son plein, tu étais à l'asile de Rodez, toi, le clairvoyant, toi, le supra lucide, à l'heure où régnait le grand chaos.

Non, ils ne reconnaissent pas autre chose que l'Ordre conformiste de leur société de contrôle. Et gare à celui qui aura le courage de lever la main ! Il n'a qu'à bien se tenir tout réfractaire à ce nouvel ordre planétaire. Qu'il sache que toute vérité révélée peut lui coûter la vie, que son sang coulera sur le trottoir dans l'indifférence généralisée, face à des foules apeurées et anesthésiées.

Bien des forces agressives sont activées pour le crime de celui qui aura osé dénoncer la lâcheté de l'humanité. Non, chères bonnes consciences, Artaud ne délirait pas et il voyait juste quand malade, il se disait
" envoûté " par le Mal, même si cela ne peut empêcher de faire rire de nombreux crétins. C'est toute une armée de criminels qui, dans chaque pays, sont prêts à agir. Ils n'attendent qu'un signe pour passer à l'acte, au nom de la religion, de l'ordre moral et de la vertu.

L'Intelligence leur fait peur autant que le Diable. La haine est partout, elle fleurit sur l'ignorance et la misère, et la liste serait longue de ceux qui périrent sur les coups des tueurs sans visage au fil des siècles. Les clans maffieux gouvernent les pays et non que faire de la souffrance des pauvres et des sans-logis, malgré ce que quelques naïfs pourraient croire, la corruption n'a jamais autant prospéré dans ces sociétés dites de Contrôle où la corruption des oligarques atteint des sommets inconnus dans les siècles passés.

- Hors d'ici ! Dégage ! hurlent-ils ! A la tombe !

Quel avenir d'une rive à l'autre des générations ?
Une militarisation de la vie publique, un fichage complet des citoyens avec une identification à la clé, un contrôle toujours plus sophistiqué pour ceux qui entraveront la prospérité lucrative des oligarques. Ainsi, le nombre des prisons et des hôpitaux psychiatriques sera sans cesse en augmentation. Des " antennes d'urgence " pour la santé mentale seront ouvertes nuit et jour dans chaque quartier, afin de redresser les idées délirantes des citoyens dits - déviants. Des remèdes de cheval seront administrés de force, avec la bénédiction de la police urbaine structurée en brigades. La sécurité des citoyens fera l'objet d'une attention toute particulière, et donc, d'une surveillance accrue par moult moyens, une politique de la dénonciation pratiquée par le voisinage sera banalisée, voire encouragée, tout cela au nom du bien commun et de la Sainte sécurité de tous.

Si les citoyens ne s'opposent pas à cette société préfasciste...

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Chaudron noir ! Je suis flèche, je suis foudre, je flamboie

Citation :
pour Hrant Dink, assassiné par un nationaliste turc

Sauf que certains visages apparaissent et signent l'envoûtement. Ils tournoient et virevoltent, seuls les voyants les voient ! J'entends leurs voix pernicieuses et leur clapotis d'écriture, comme en un souterrain où le salpêtre suinte. - Ne sont-ils pas des esprits supérieurs, les envoyés de Dieu lui-même ?

Que dire de leurs pas de matons, leurs voix d'étouffeurs avec leurs grandes mains mortifères. Ô Non ! Ils n'ont pas le pas du danseur, leurs godillots de massacreurs résonnent au fond de mon crâne, j'écoute leurs voix fielleuses, leur haine de toute musique, de toute beauté. Ils aiment surtout le chaos !

Ils n'ont ni visage, ni couleur, leurs discours extrémistes ont ce goutte à goutte de la torture, leurs papotages clabaudent dans la confusion de leurs rires caverneux. Ils sont le Mal ! Ils ne savent plus parler, ils criaillent, puis aboient en meutes. Ils n'ont pas idée que je puisse n'être atteint par leur cancan.

Et, - leur chuchotis, digne des frères cruels de l'Inquisition, derrière leurs obscures cagoules, a ce bruissement de vase s'écoulant, ils tuent sans état d'âme, comme on égorge un mouton. Ils vont chaque jour se multipliant par leur parole dissoute où la mort se lit à tous les mots, sur tous les fronts décomposés, là où règne la terreur. Ils ont trop vite oublié qu'ils seront bientôt poussière, fumée, - sel de pierre.

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Autre nuit, autre lumière, infrangibles

Citation :
Ne soiez donc de nostre confrarie;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre !

François Villon

per Anghjula Paoli

Entre la nuit et la lumière, il y a des étoiles qui se frôlent dans les nuits bleues de décembre. Mais, personne ne les voit. - Seuls quelques-uns voient l'incroyable ! Seuls quelques-uns sont reliés par des fils invisibles, amoureux, insécables.

Elles se touchent presque dans le noir, deux mains géantes dans le froid de l'univers qui un instant s'électrise. Elles sont LUMIÈRES ! Et, rien que des enfants les regardent se fondre, l'une dans l'autre, à jamais dans l'oubli.

Je regarde toujours ce qu'il faut VOIR ! Je croise des ombres blanches, des peintres du noir par goût de la lumière, ce sont des peintres aveugles, des musiciens sans orchestre, ni place pour leur musique, - avec une oreille becquetée de foudre.

Je suis de l'armée des ombres, celle des vaincus, des maudits, que l'on bouscule d'un trait de plume, à l'heure où le courage fait défaut, à qui l'on répond par un silence hautain où la morgue resplendit. Comme l'ortie, comme le chardon, je suis !

Que leur importe si la vraie poésie semble défunte, si le roman triomphe sur nos vies que sont vos ruines, quand les fronts anti-libéraux explosent en plein vol, il y a cette part de nuit inconcassable en nous qu'ils ne pourront pas détruire, ni même réduire. - A-ssa-ssins !

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Que vive l'homme-foudre !

Citation :
Les éclairs sont mes cris, les foudres sont ma voix…
Victor Hugo, « Fulgur »

L'homme-foudre n'est pas d'hier, il vient de loin avec son long pénis, comme le prouvent les aborigènes d'Australie ! Il sera d'après-demain. Frère de l'homme-volcan, il est poète avant tout. C'est un homme inspiré, son verbe en témoigne, un homme-chant, tout entier vibrant, de toute sa carcasse, avec ses lèvres émouvantes, à la parole au tranchant d'obsidienne, avec son œil d'outre-tombe et sa voix unique dans son siècle.

Il ramasse en son style une somme d'humanité, un sommet de la parole humaine qui dit que l'homme est sans cesse perfectible, au-delà du Bien et du Mal. S'il manifeste de la haine envers certaines grandes crapules de la gent littéraire, en particulier celles de son temps, c'est que nombre d'entre elles sont des écrivains surestimés et piétinent allègrement les livres des autres, tout en empêchant la parole de ceux qui mériteraient certes un peu d'égards et d'écoute, à l'heure où triomphe la Marchandise et la grande Cochonnerie.

L'homme-foudre n'écrirait pas dans la colère et n'aurait que faire d'eux, s'ils ne lui barraient pas son chemin de traverse aux temps des ténèbres, et surtout de l'indifférence à la poésie et à la littérature. « Pourquoi tant de hargne ? » grommèleront quelques esprits aveuglés ! Ceux-là sont des naïfs, ils ne voient pas. Tout est pourtant fait pour que leurs chants demeurent dans l'ombre à jamais, car, ils pourraient prendre la place tant lucrative de ces foutriquets qui fauteuillent, chez Gallimard comme ailleurs.

Comme si l'homme-foudre jalousait leur soi-disant influence de cyniques, leur réseau de convaincus, alors qu'il ne les regarde même pas, solitaire vivant en son babil d'innocence. Oui, ils auront tout fait pour l'enterrer vivant…

Que pourrait-il partager avec eux ? Il les croiserait dans la rue, il ne leur adresserait pas la parole, toujours pressé qu'il est de retrouver le rythme de ses pas, la foulée de son style, de porter toujours plus loin l'interrogation brûlante de sa poésie. Ces mirliflores spectaculaires sont responsables de l'éloignement de la poésie et des hommes.

L'histoire littéraire attestera un jour de leur responsabilité sur ce fait précis, à l'heure où la barbarie refleurit de toutes parts jusqu'à nos portes, puisqu'ils n'auront rien fait d'autre que profiter de leur place de roitelets des Lettres, au lieu d'appeler à l'insoumission et de pousser ce qui reste d'esprit au soulèvement. Certes, ils gouvernent, ils prétendent faire autorité en la matière, en ce monde de borgnes ils régissent pour leur propre compte, - et non pour celui d'autrui.

Il suffit ! Contre tout le verbiage formaliste, celui qui a tant nuit à la vraie poésie par son sens de l'abstraction langagière, celui qui écarte d'elle tous les amoureux du Verbe, écoutons donc la parole fulgurante de l'homme-foudre.

Signature :
Marseille-Paris, fin décembre 2006

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Un immense poète de l'amour : Sayat-Nova Ressusciter Sayat-Nova (1722-1795)

Citation :
Aime l'écriture, aime la plume, aime le livre. Sayat-Nova
La véritable biographie d'un poète est dans ses vers. Joseph Brodsky

Traduire enfin Sayat-Nova en langue française, "Haroutine" en arménien, du mot - " Haroutioun " : Résurrection, - d'où l'origine de son prénom.

Ressusciter Sayat-Nova donc, ce poète arménien de la Transcaucasie du XVIIIe siècle, comme Sergueï Paradjanov avait déjà tenté de le faire avec son film-tableaux en 1968, La couleur de la grenade. Sayat-Nova vécut à la cour de Géorgie, musicien, poète et troubadour, il laissa un dîwân selon les Orientaux ou un daftar, écrit en trois langues, en arménien dialectal de Tiflis mâtiné de langue persane, en géorgien et en turc. Ses odes arméniennes sont consacrées surtout à l'amour, et plus précisément à son unique élue, la Dame de son cœur, sa Nazanie, - l'Inégalée, sans doute la belle princesse Anna Batonachvili, sœur du roi Irakli II de Géorgie.

Jean-Jacques Rousseau avait dix ans et Denis Diderot onze quand Sayat-Nova naquit. Voltaire écrivait la première version de La Henriade. Sayat-Nova mourut un an après l'exécution d'André Chénier et de Fabre d'Églantine, deux ans avant la naissance d'Alfred de Vigny et quatre ans avant la mort de Beaumarchais. Quant au marquis Donatien Alphonse François de Sade, il achevait d'écrire sa Philosophie dans le boudoir.

Ce daftar, livre de renom de l'Asie mineure au Proche-Orient, a été écrit avec une grande modernité en langue arménienne, géorgienne et azérie. Sayat-Nova, - ce bâtisseur de ponts entre les cultures, fut si chèrement acheté comme serf par son roi. Il acheva sa vie, amant désespéré face à cette dame inaccessible, insensible, mais non sainte, n'écrivant plus, comme simple moine copiste du nom de Salomon, au monastère d'Haghpat en Arménie d'aujourd'hui où il fut assassiné par les soldats d'Agha Mehmet Khan, après avoir refusé d'abjurer sa foi. Traduire Sayat-Nova en langue française n'a jamais été entrepris en raison de sa difficulté. La traduction de cette œuvre est un périlleux travail. Traduire cette langue élégante et profonde du XVIIIe siècle est un pari difficile. C'est une lourde tâche qui relève parfois du pur miracle, celle de vouloir traduire le mystérieux, - l'insaisissable.

Traduire un poète, c'est tout d'abord l'aimer, puis chercher à comprendre par tous les chemins - un esprit, une culture ancienne, une langue riche aux origines diverses, voire ici plusieurs langues. Traduire est une tentative de serrer le sens au plus près, par fidélité au sens premier sans volonté consciente d'interprétation, sans volonté de métamorphoser le texte en quelque chose d'autre que le texte à son origine. Point donc de broderies orientalistes ici, de celles qui ont tant dégradé la poésie arménienne en traduction. Le sens, - rien que le sens, - fondateur de toute musique. La musique, seule mesure, unique métrique de la poésie.
J'ai traduit Sayat-Nova comme un frère.

Ce long travail hautement musical s'interrompt à peine, lors de ces longues heures d'été où s'achève l'œuvre émergée des épreuves de la sixième version. Il ne cesse de m'interroger sur la fragile mission du passeur entre les langues, les cultures et les siècles, tâche toujours inachevée, jamais satisfaisante… Ce siècle des cœurs sensibles, pour Arthur Rimbaud, se révèle capital pour bon nombre de civilisations. Et, nous avons bien, ici, un poète majeur à la mesure de son siècle ; ses poèmes lyriques par excellence tantôt graves et joyeux, tantôt profonds et légers, méritent une interrogation d'envergure, ce grand Œuvre soulève de riches questionnements. Son dîwân ou daftar n'est-il pas de la belle ouvrage d'universelle portée ?

Il y a du glacier chez Sayat-Nova, et il faut le gravir. Du feu et de la glace. Brûlure de la dure plaie, blessure toujours ouverte, homme à vif, cœur sensible. Sa couleur, - le rouge cramoisi, amarante ou pourpre. Sa voyelle, le i, - i rouge. D'un rouge strident, saturé, parfois injecté de sang, aveuglant, Rossignol aveuglé.

Rubis et sang, - pur diamant.
Pierre de sang, - Ô merveille.

Le style de Sayat-Nova est une mosaïque unique de langues, de notes colorées, de tonalités différentes, où l'expression lyrique faite de notions abstraites côtoie des mots d'une rage concrète.

Signature :
Serge Venturini, Paris, 2001 - Ficabruna, Haute-Corse, août 2006

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Hérissons-nous !

C'est la guerre, mortels, l'oubli ! Ô vous, les lucides !
Aux plumes dressées ! Contre les cycles de la Haine,
seule importe ici, la hargne littéraire contre les excès du formalisme, le plus cérébral comme le plus sophistiqué,
le formalisme sous toutes ses formes et ses effets.
Comme nous sommes loin de cette émotion appelée poésie… selon Pierre Reverdy.

Dans cette poésie dont nous nous réclamons, le mauvais caractère de l'irascible et solitaire hérisson par ses épines fait symbole.

- Or, ne suis-je pas le hérisson foudroyant ?

Je me dresse contre les soi-disant institutions, les Sollers, les Velter et leurs nombreux acolytes gallimardiens
qui ont muselé l'expression des poètes vivants, - les hautes figures de la Résistance en poésie qui vécurent dans la dignité des marges,
- interdits de toute parole publique. Ils fleurirent au soleil des grandes ombres ! Celles des maudits de tous les temps !

Oui, il faut quelque hargnerie, un goût fort pour les grondantes querelles, la verte polémique,
l'humeur agressive du tigre pour survivre en ces jungles.

- Oh ! comme elles brillent les pointes du style, (comme ils scintillent les beaux oursins des mots, les aigus piquants).

Ne vous approchez pas, - il vous en cuira !...
- Ah ! moi, l'épineux et moi l'impur, le chardon. Du vent ! car, je n'ai guère le fumet des martyrs !

Tout hérissé de poésie je suis. Brûlante est ma piqûre.
Comme le rayonnant héros de la paix, armé je suis !

Jamais n'aurai toute la sagesse du serpent, mon ennemi,
- moi, le vindicatif ! Aux dards qui sont les miens, qui s'y frotte…

D'ailleurs, ne suis-je pas de l'île de la châtaigne ?

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Comme elle est grande la solitude du rossignol

Solitude de Philomèle en son temps

Comme elle est grande la solitude du rossignol sous son modeste pennage roussâtre, il craint toujours les redoutables épines des roses, avec les chats grondants qui rentrent de leur escapade nocturne, l'odoriférant poil mouillé, museau et pattes tout griffés, les oreilles couvertes de petit duvet, les vibrisses de guingois. Toujours sur le qui-vive, frissonnant de rosée, le rossignol respire, dans l'humide paix inquiète de cette nuit d'été qui lourdement s'avance. Il gringotte de tout son corps, de toutes ses plumes, trilles et roulades, crescendo flûtés…

Le rossignol, frère matinal de la vive et carillonnante alouette, est l'ennemi juré du revêche et rébarbatif perroquet, ne s'interroge guère sur qui l'entend ; quelque part quelqu'un l'écoute, ― il le sait. Il chante ainsi dans la nuit sans fond jusqu'au crépuscule du matin, ardent sous la feuillée toute luisante de la pleine lune, ― obstiné, il module les sons avec tout son cœur, vers la dévorante étoile du matin qui brille, et cela malgré la transhumance bleue des nuages qui lessivent l'horizon encore obscur, malgré d'ultimes fulgurations.

Ah ! Comme il est vaillant en son chant, si pugnace, si endurant jusqu'à l'abandon à l'ivresse, il cherche la plus haute note, la plus belle mélodie, dans le tohu-bohu des rues et la cacophonie des jardins, où se mêlent les longs aboiements des chiens aux aigres cocoricos des coqs, des voix graves de femmes aux exhortations des hommes, entre fêtards ivres et matutinaux travailleurs qui se croisent dans l'ombre.

Puis, d'un arbuste d'amer romarin où il était niché, après un bref passage à découvert sur le menu gravier, le voilà qui s'élève au faîte d'un des chênes du boqueteau, sur la plus haute branche. Avec les premières lueurs de l'aurore qui approche, comme il gazouille, ― l'inextinguible !

Rien n'altère sa soif de chant. Rien ne le dérange.
Pas même le bruit des moteurs qui s'enfoncent dans le silence. Rien ne l'empêchera de dérouler les émouvantes et sublimes inflexions de sa légère ballade qui bouleverse le passant déjà levé aux yeux qui s'écarquillent. Comme l'amoureux solitaire, il chante pour sa rose à lui, et nul ne peut le contraindre, ― irréductible, donc !

Et, qu'importe si son chant primitif est au point du jour triste ou gai, il sait que le Prince dans cette nuit qui s'achève, tout embaumée d'un jasmin qui exhale à tue-tête sa fraîcheur fruitée des îles, le Prince, ― c'est lui !


D'autres oiseaux viendront prendre bientôt le relais, ce flambeau du chant, avec le soleil de l'aube qui maintenant apparaît en son cercle d'or. Une brise suave se lève et vient caresser l'écorce terrestre de cette partie de l'univers qui s'éclaire d'un jour frémissant. On perçoit les trois coups de la sirène sourde d'un ferry tout illuminé sortant du port.

Ainsi le rossignol s'assoupit, tête enfoncée dans son plumage, il peut enfin fermer les yeux, le silence lui appartient.

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Ossip Mandelstam, l'ultra lucide

Citation :
"Hargne littéraire ! Sans toi, avec quoi aurais-je mangé le sel de la terre ? (…) Il avait un comportement de bête envers la littérature, comme envers la seule source de chaleur animale. Il se réchauffait à la littérature, il frottait contre elle sa fourrure, la brosse rousse de ses cheveux et de ses joues mal rasées. C'était Romulus haïssant sa louve et, la haïssant, il enseignait aux autres à l'aimer."
"Le Bruit du temps", Ossip Mandelstam (traduction : Edith Scherrer)

En me privant des mers, de l'élan, de l'envol,
Pour donner à mon pied l'appui forcé du sol :
Quel brillant résultat avez-vous obtenu ?
Vous ne m'avez pas pris ces lèvres qui remuent !


Ah ! Ces lèvres qui remuent, elles ont fait trembler bien des pouvoirs, et surtout les plus féroces, ceux qui écrasent l'individu comme on cligne de l'œil, d'un seul battement de cils, d'un simple hochement de tête, le doigt sur une liste.

Après avoir traduit et publié Sayat-Nova, le trouvère de la Transcaucasie du XVIIIe siècle, non sans mal, contre vents et marées, j'entends contre ceux qui font la pluie et beau temps dans le monde de l'édition, les Sollers et les Velter qui refusèrent même de lire le manuscrit, et autres maquignons d'éditeurs, haïssant non sans morgue et indifférence les poètes vivants, j'envoyai donc un message à Georges Nivat, l'un des plus subtils connaisseurs, avec Efim Etkind et Nikita Struve, de la littérature russe. Il me répondit ceci :
merci pour cette annonce, bravo pour ce haut fait, je vais sûrement me procurer Sayat-Nova, je le connais un peu en traduction russe, sans compter le film, l'écho dans le film, ce film grandiose qui nous a marqués pour une époque entière.
Vôtre Georges Nivat


J'ai retrouvé l'autre jour dans mes livres, un ouvrage de Nivat publié en 1988, " Vers la fin du mythe russe ", avec un chapitre important sur la " lucidité mandelstamienne ".

Son article débute ainsi :
" Dans la poésie, c'est toujours la guerre. Ce n'est qu'aux époques d'idiotisme social que s'établissent la paix ou l'armistice. " Mandelstam, ajoute Georges Nivat, avait un sens aigu de la tension dangereuse de la langue, en perpétuelle guerre intestine. Son vers est toujours arc-bouté, poursuit-il, tendu, équilibre conquis sur les forces adverses.

Le poète de " Kamen ", 1913, (La Pierre, en langue russe), l'anagramme du mot acmé, l'acméiste Mandelstam et son goût des bâtisseurs, des Notre-Dame célestes, les mots comme pierres du poème, avec la " capacité dynamique " du Verbe, où chaque mot exerce son poids et donc sa gravité, sa résistance et sa densité comme matériau, à égalité avec les autres mots dans l'édifice majestueux du poème.

Dans son introduction au Bruit du temps, Nikita Struve, établit un parallélisme de la prose hérissée et de la poésie terreuse de Mandelstam. La phrase, précise Struve avec beaucoup de finesse et de justesse d'analyse, possède une concentration proche de celle de la poésie. Chaque mot, chaque expression, chaque nom propre est chargé d'un espace signifiant, souvent axiomatique. (…)

Une syntaxe nerveuse, ramassée, éperonne ces noms renouvelés qui semblent se bousculer. La prose de Mandelstam est comme une pluie de graines qui doivent germer dans l'esprit créateur du lecteur. Que dire de plus !

Avec le bruit du temps comme seul bagage, mais avec comme beau souci, " la culture universelle ", le feu follet d'Ossip Mandelstam aimait à se promener partout. Avant d'écrire les fameux " Cahiers de Voronej ", sommet de son art, ces poèmes écrits dans le dénuement le plus total, cette grande âme avait écrit son " Voyage en Arménie ". Un de ses plus beaux livres traduit en français par André du Bouchet.

En voici, un bel extrait. Quand je vais en Arménie, je ne manque jamais d'aller visiter Achtarak, une ville bénie des Dieux et si chère à mon cœur par ses traditions vivantes et sa beauté légendaire. Il y a là, après une belle entrée sous un fort et magnifique linteau, sur une petite esplanade, bordée de murs aux grosses pierres de tuf rougeâtre et terre de Sienne, une minuscule église, " discrète, modeste (pour l'Arménie) ", - Karmiravor. Voici ce qu'en dit cet immense architecte de la poésie, ce poète-bâtisseur :

C'est bien cela : petite église en barrette à six faces rehaussée d'une torsade de pierre courant le long de la corniche et de menues sourcils de corde similaires au-

Signature :
Paris, le 4 novembre 2006

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Pier Paolo Pasolini Vers une nouvelle préhistoire ?

Citation :
pour Anna Politkovskaya

Persi le forze mie persi l'ingegno
la morte mi è venuta a visitare
"e leva le gambe tue da questo regno"
persi le forze mie persi l'ingegno.

Lamento per la morte di Pasolini de Giovanna Marini


(J'ai perdu mes forces perdu mon génie
La mort est venue me visiter
"ôte donc tes pieds de ce royaume-ci !"
j'ai perdu mes forces perdu mon génie.)

Il ne peut plus parler, ― peut plus parler, ― plus parler, ce 2 novembre 1975. Les fils du MSI, les préposés au lynchage, à son propre massacre, ceux que Pasolini observait "avec le courage serein d'un savant", ceux du Parti fasciste ont finalement réussi à faire taire cet insupportable démon, ce poison de la vie politique italienne. Et, cela après tant de procès en inquisition, d'accusations et d'entraves à sa vie…
Pelosi dit "la grenouille" allait servir de bouc émissaire, d'assassin virtuel pendant trente ans, même si son rôle dans l'affaire demeure encore non-élucidé. Ce fut bien un crime d'État, un crime politique organisé par cette Italie sale et laide, puritaine et petite-bourgeoise, cette Italie que Pasolini haïssait de toutes ses fibres de poète élégiaque et de critique quotidien, car il ne voyait plus d'autre alternative.
En Italie (est-ce là une sanguinaire tradition, celle du bouc sacrifié ?) les grands incendiaires finissent au bûcher, de Jérôme Savonarole à Giordano Bruno. Sans oublier Giacomo Matteotti, assassiné lui aussi par un groupe fasciste sous la terreur mussolinienne. Pour Sartre, "la Société s'accommode plus facilement d'une mauvaise action que d'une mauvaise parole", car, avec le Mal, on ne transige pas, ― IL TUE !
En tout cas, ils ont atteint leur but de massacreurs, il ne parle plus dans la presse, ni ailleurs. Pier Paolo Pasolini n'était pas l'ange mythique et légendaire qu'il est devenu, ange noir ou ange béatifiant d'innocence, malgré tout ce qu'on peut lire en France à son sujet. Pasolini était plutôt un diable, pas un faux-diable comme Edoardo Sanguineti, mais un vrai diable, comme il le disait de lui-même, lors d'un entretien télévisé.
Or, il y avait en lui, un grand poète doublé d'un prophète qui annonça l'agonie de ce monde-là, dès 1960. Il suffit pour cela de regarder "La Rabbia" (La Rage) de 1963 (film de 55mn), pour comprendre sa lucidité sur les événements à venir. Il préfigure l'œuvre cinématographique d'un Guy Debord, maître en détournements, mais Pasolini était d'abord un poète engagé avant d'être une conscience européenne de haute volée. Comme il nous manque cruellement aujourd'hui, à l'heure où Günter Grass révèle sa jeunesse nazie, lui, un de ces "prix Nobel de littérature"…
C'est un chant de deuil, du "cinéma de poésie", avec une bande son à deux voix distinctes qui forment un chœur tragique, un film d'amour irrécupérable qui fort m'étreint, avec pour sujet des images d'actualité à propos des douleurs et des crimes de notre temps de guerres et de barbarie d'hier et d'aujourd'hui. Il s'agit ici de l'époque de la guerre froide avec son danger de troisième guerre mondiale, les missiles de Cuba et les confrontations USA-URSS.
Ce poème de la réalité est fait d'atroces images et d'événements horribles. C'est le film (censuré lors de sa présentation) d'un homme endurant et coriace, un film d'amour plein de cette pure lumière, celle des larmes des sacrifices, larmes amères de la victoire ensanglantée du début de la décolonisation, un hymne aux humiliés, aux larmes des mères qui ont perdu maris et enfants dans les luttes. C'est un film dédié aux offensés des cinq continents, ceux qui luttent contre la haine et voient les portes d'accès à la richesse à jamais fermées, à ceux qui luttent tout simplement pour survivre, chaque jour, jusqu'au jour suivant.
La fin du film nous présente le cosmonaute Titoff qui dans un monologue imaginaire médite avec un cœur simple, sur sa révolution, autour de notre planète. Il affirme que de là-haut tous les humains sont des frères, plus de communistes à l'Est, ni de capitalistes à l'Ouest. Ils devraient cesser leur combat désespéré d'insectes dans la boue, semble nous souffler Pasolini. Autre regard du corps en apesanteur qui vole vers l'Occident, aussi léger qu'une hirondelle, aussi irrémédiable que le retour du mois de mai.

La Beauté fut assassinée, symbolisée ici par Marylin Monroe, il ne reste plus dès lors qu'à se tourner avec amour vers la force de la tradition du passé, et selon Pasolini, "seule la révolution peut sauver le passé". Gardons mémoire de cet homme aux multiples facettes, proche de Jean Genet par ses luttes pour le peuple palestinien, par son soutien aux Black Panthers, et ses audacieuses prises de position, dans une époque de formatage avancée des esprits, où il n'y avait pas que les baleines bleues qui déjà disparaissaient… (68)

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Poésie : diablotins de la poésie contemporaine

Citation :
Ce qui vient au monde pour ne rien troubler
ne mérite ni égards ni patience.

René Char (Fureur et mystère. À la santé du serpent, VII)

- O ATARAXIE ! -


Récemment, je lisais dans un journal du soir*, un article à propos des identités de la poésie française d'aujourd'hui. En quoi cet article était-il caractéristique du temps où nous survivons ? L'article en question signé par une pétillante critique traitait des « Voix d'intranquillité ». Titre évocateur certes, mais qui renvoie - à quelque chose d'autre.

Que dissimule-t-il en effet ? Quel est le souci premier de ces écrivains et poètes masqués, « pleins de colère et de rage lyrique » comme l'affirme le sous-titre ? Derrière leur soi-disant rage de l'expression, ne se cacherait-il pas un vrai désir de tranquillité et de paix recouvrée avec et dans cette société, - ce qui semble étrange pour des révoltés ?

Ces poètes de l'« inapaisé » - et non de l'inapaisable - ne chercheraient-ils point au plus profond d'eux-mêmes ce qu'ils ne peuvent trouver en leur époque, ( qui n'est pas pour le moment marquée par une guerre mondiale ) une paix que ce monde ne peut, ni ne veut leur offrir ? N'est-il pas tout à fait légitime de s'interroger sur quelle pourrait être leur attitude en temps de guerre ?

Car, quelles perspectives proposent ces oeuvres, sinon le malaise propre à leur temps et à leur civilisation ? Ces poètes ne sont pas en rupture radicale, ils n'écrivent pas - contre leur temps, ils voudraient au fond s'adapter, s'accommoder à cette vie. En vain, ils ne trouvent pas le chemin, quitte à laisser leurs lecteurs au bord de la route, dans le fossé de leur désespoir nihiliste. De ceux-là, d'ailleurs, ils s'en moquent à l'envi ! Leur lyrisme rageur et critique abandonne le lecteur dans l'ornière, face au vide, au néant. Toute poésie, un tant soit peu civique, ferait éclater de rire ces petites grenouilles à la conscience malheureuse.

Cet article porte bien les stigmates ou les tendances d'une époque plus préoccupée de confort et d'aise que de guerre totale à mener jour après jour contre ce sombre monde du divertissement généralisé. Sous ces « poèmes cabrés » qui devraient amener tout lecteur aux yeux dessillés à une attitude de révolte, je ne vois que quelques chèvres, au mieux quelques chevaux dressés sur leurs pattes de derrière, aspirant à la paix et à la tranquillité des verts pâturages, en un monde ramené au calme, - et donc enfin radouci.

En substance, ces petits diablotins insurgés, ces irréductibles de surface ne visent en écrivant leur pénible malaise qu'à traduire outrancièrement au lecteur déjà fort angoissé leur âpre inquiétude, leur dérisoire trouble d'intranquilles. Ils réclament à toute voix, à tout prix et au plus vite - la libératoire ataraxie.

Signature :
Paris, avril 2001

Notes :
* Le Monde, 30 mars 2001.
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Poésie, voyance, enfer et envoûtement

Citation :
Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade...
Rimbaud

Certains jours de grand soleil, tout voyant devrait éviter de sortir. Un simple incident pourrait provoquer sa perte. Lors de ces journées de soleil noir, — de profonde mélancolie, même les murs de silence ne peuvent l'empêcher d'être envoûté, de ressentir la force de ces puissances occultes destructrices.


Impossible de réfléchir, d'être au calme, les maux de tête sont tels que le cerveau semble sur le point d'exploser. Le sommeil peut encore l'aider s'il est capable de trouver le repos, mais un voyant est trop lucide sur son état pour se laisser aller, pour se laisser porter en plein jour par Hypnos. À l'heure où toute l'humanoïderie est dehors, seul le temps et ses ombres tournantes peuvent dissiper l'envoûtement.


Ces journées-là, plus que toutes les autres, le corps social rejette tout corps étranger, rebelle à son ordre. Ils sont nombreux à chercher le bouc émissaire, quand ce n'est pas le crime organisé, la volonté de nuire et de manipuler, surtout les grandes natures.


Trop de soleil nuit à ces consciences mauvaises où haine et ressentiment s'exacerbent. Les proches se désolent, mais l'on ne peut rien contre ces terribles phénomènes, où quelques-uns veulent porter sourdement atteinte à votre santé. Ne plus bouger contient encore le vrai désastre. Hélas, cela ne dure pas, des voix confuses reprennent, résonnent... plus avant, — sans fin.


Persiennes fermées, rideaux tirés, même l’obscurité la plus complète, rien n’y fait. Tout travail est dès lors impossible. Peut-être faudrait-il se jeter dans la foule des manifestations, se laisser emporter à corps perdu comme un pauvre se raccroche à l’écume des vagues dans une mer démontée. Les démons le gouvernent à l’envie. Il est des jours où quand les forces hostiles sont trop fortes, tout voyant ferait mieux d’aller se coucher.

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Entre sons et visions, le grand saut Rimbaud, Blok, Tsvetaeva, Brodsky...

Citation :
Se débarrasser du superflu est en soi le premier cri de la poésie ― le début de la prédominance du son sur la réalité, de l’essence sur l’existence : la source de la conscience tragique. Tsvétaïéva est allée dans cette voie plus loin que quiconque dans la littérature russe et, semble-t-il, dans la littérature mondiale.
Joseph Brodsky, « Loin de Byzance », Le poète et la prose

Dire l’importance du travail à l’oreille, le travail du son comme origine du sens, de la vision. Voir Mandelstam, et Blok pour l’infini goût du silence. Joseph Brodsky parle avec justesse de cette sursaturation purement linguistique, perçue comme une sursaturation affective.

Ces fracassantes ruptures de registres, la folie des ellipses nominales et verbales, cette fulgurance maîtrisée dans les télescopages de mots, ébréchage des mots, clusters, fractures des syllabes, sculpture des sons, courts-circuits sémantiques, flux accéléré des images, électricité des affects, zébrures des sens, concentration, puis explosion, vitesse V… tout contribue à la recherche de la quintessence, du filament d’or, ― du style le plus nu et le plus tendu.

« Ma tâche, dit Marina, c’est d’arracher tous les masques, même si la peau et la chair viennent avec. » Guerre aux clichés, guerre au Temps surtout, feu, feu, sur les chronomètres. L’impatience, contre toutes les lenteurs et l’inadmissibilité du monde. Le refus, ― unique dignité.

Quotidien le travail dans la langue, c’est aussi le travail de la langue du quotidien, les mots et les sons de tous les jours, musiques entendues dans la rue... Le poète attaque la langue ou la langue attaque le poète, comme le sculpteur taille, retranche et pétrit un morceau de glaise. Un corps à corps s’engage, avec à la fin un vainqueur et un vaincu, une tension de la voix va servir d’épreuve. Quelle scansion ? ― Celle d’un psalmiste ! Il s’agit de tirer la langue, de l’attirer vers le haut ! Un défi à la pesanteur, à l’esprit de lourdeur. Même si parfois la hache n’est pas inutile, les coups portés sont précis, et ce jeu se veut aussi léger que de la dentelle. La marche est toujours nécessaire, avec modification de la foulée, le pas donnant l’allure. Sans présence du corps, ― point de travail de la langue.

Cette tâche est avant tout musicale, car basée sur le travail du rythme, du souffle, du vertige entre son et sens. Le son, comme il a été dit, joue un rôle déterminant. Il est l’élément déclencheur de la vision, le timbre offre ensuite une tonalité, une couleur et ouvre aux variations. La conscience à vif, ― toujours plus acérée, ― sans cesse accrue, exige une concentration sans limite, pour libérer enfin le plus véhément courant mental.

La parole est toujours avant, elle devance les faits, les actes, ― donc la réalité. Prémonitoire, oui, dans le sens du mot voyance ! Rien de neuf depuis Arthur Rimbaud. Et, « cette langue sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant. » ― À moins que cela ne soit dans le… ― et tirant. La vitesse a changé, vitesse du son dans les déplacements, fission de la matière, l’ultra-rapidité des communications, une nouvelle dynamique a transformé en profondeur notre perception des phénomènes.
Le poète est un grand musicien isolé, un évacué, un perforé, un homme troué. Ce qui est frappant et révélateur dans l’intensité du travail poétique : son caractère paradoxal, ― isolant et conducteur. Si puissant à isoler, en faisant s’écrouler les murs et craquer les résistances du langage, d’autant plus qu’il pousse vers une extrême radicalité, il est conducteur d’une extraordinaire énergie, mais dans une marge sociale où l’orgueil du drapeau noir flotte, faisant ainsi passer les relations humaines presque à la trappe :

« Je pense que je suis née pour la Solitude magnifique, peuplée d’ombres héroïques, que je n’ai besoin de rien d’autre que d’elle ― d’eux ― de moi,… écrivait Tsvétaïéva, le 14 juillet 1919, qu’il est indigne de moi de me faire chat et colombe, de câliner et roucouler dans les bras d’un autre, que tout cela est au-dessous de moi. »

Solitude de la perception, lent balbutiement des sons, comme arrachés d’un songe ou d’un

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Rainer Maria Rilke « Tout ange est terrible »

Citation :
Et qui, si je criais, m’entendrait donc depuis les ordres des anges ?
R-M.R.


Rilke a raison, tout ange est terrible, faut-il dire terrifiant ou effroyable ? Dans la descente aux royaumes des morts, ― il y a la traversée du monde invisible, ce combat qui durera jusqu’à l’aube dans le ravin de Yabboq.

Mais, de quel ange s’agit-il, chrétien ou plutôt musulman ? Ni l’un, ni l’autre. Ces oiseaux quasi mortels de l’âme sont une création du poète lui-même. Dans le combat contre l’ange toutes les frontières sont abolies, c’est le triomphe de la vie sur les forces mortifères, l’envol de la grâce contre l’esprit de lourdeur. Dans cette lutte, l’homme est dépassé, nous sommes dans le transhumain avec des mythes à re-construire. Pour Hans-Georg Gadamer, l’ange est « ce qui dépasse le domaine du sentiment humain. » Nos expériences sont donc au niveau du mythe. Que dit l’ange ?

L’ange dit ― l’indicible, il figure l’infigurable. Il dit ce qui avant lui n’était que dans les limbes du silence, mots, lambeaux de cris, qui par lui deviennent la parole, poésie. ― L’ange est une rose.

Rose, toi, ô chose par excellence complète
qui se contient infiniment
et qui infiniment se répand, ô tête
d’un corps par trop de douceur absent,

rien ne te vaut, ô toi, suprême essence
de ce flottant séjour ;
de cet espace d’amour où à peine l’on avance
ton parfum fait le tour. ( Les Roses, III )



Pour Rilke, point « d’En-deçà, ni d’Au-delà, rien que la grande Unité où ces êtres qui nous surpassent, les « anges », sont chez eux. » L’ange des Elégies de Duino, ajoute Rilke dans sa correspondance, est le garant du plus haut degré de la réalité de l’Invisible.

Ce que toujours je retiens de Rilke, ― c’est sa perpétuelle modernité. Il est d’avant, d’ici et maintenant, et il est de demain, d’après-demain, d’où l’immense richesse d’interprétations de sa poésie. Où sont les jours de Tobie…

Rilke fut un ange, et nombreux sont ceux qui en le croisant n’ont pas perçu l’ange en lui. Le château de Duino fut détruit par la guerre, mais les Élégies de Duino demeurent comme la parole d’un lieu, une allégorie de la parole, nous dit Gerald Stieg. De cet endroit qui n’existe plus aujourd’hui que par la voix de Rainer Maria Rilke. La voix élégiaque de Rilke, voix du château de Duino…

Si l’ange est une rose, par miroir, la rose est aussi un ange. Dante nous le rappelle, au chant XXX du Paradis. Béatrice n’est-ce pas un ange ? Et, qu’offre-t-elle à son amant parvenu au dernier cercle ? Une rose, et quelle rose !

Au cœur jaune de la rose éternelle
qui monte et se dilate, exhalant son parfum
de louange au soleil toujours printanier,
comme fait qui se tait et veut parler,
Béatrice m’entraîna…



Après la descente aux enfers, l’ange comme la rose manifestent des présences. Ils sont indissolublement liés, car ce sont deux figures de l’amour, monde où les rêves nocturnes sont réconciliés avec les rêves diurnes, monde où les vivants et les morts coexistent, ― forment un tout.

Dans le combat de Jacob contre l’ange, symbole pour Rilke du travail poétique, dont Delacroix nous a laissé une merveilleuse illustration, le poète passe du monde visible au monde invisible. Ici, point d’ange Gabriel, ni de doux messagers au visage souriant annonçant la bonne nouvelle. C’est en cela que tout ange est terrible. Il faut se mesurer à une perfection pleinement épanouie et achevée, affronter un accomplissement sans le moindre défaut.

La Beauté engendre toujours un sentiment d’effroi, pour celui qui cherche à l’exprimer, à dire ce qui ne peut être dit, à dévoiler ce qui ne peut être révélé. Cette traversée de la face invisible du monde des visions exige des hommes un engagement total au-delà des forces humaines. Il faut des anges ou des géants pour s’opposer aux anges, ― et les combattre du visible en invisible.

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Nahapet Koutchak, parole d'archer (1500 ? - 1592)

Citation :
(Le soleil), de la largeur d'un pied d'homme.
Héraclite

… ché seatta previsa vien piú lenta.
(… car la flèche prévue est à venir plus lente.)
Dante, Paradiso, canto XVII, 27.

Ses sourcils noirs faits en arche d'ébène,
De l'arc d'amour la forme et le portrait,
D'un beau croissant contre-imitoient le trait,
Ronsard, 773.

L'éclair. D'emblée, ― ce qui frappe, dans la vision de Koutchak l'impur, l'éclatante présence des corps dans sa poésie, ainsi que le beau voisinage de la nature et l'intensité sauvage des éléments, la flamboyance de son verbe surtout, la terre rugueuse ensuite, et l'air avec ses odeurs toniques et roboratives. L'eau enfin, si claire, si fraîche, avec ces belles onduleuses que l'on croise, silhouettes charnelles aux splendides courbures, croupe roulante au beau déhanché, une pesante cruche sur la ferme épaule, revenant palpitantes et haletantes de la lointaine fontaine, mains brûlantes et melons en pointe, pieds meurtris sur les chemins raboteux.

En un second temps, le premier mouvement de lecture passé, avec la rapidité des nuages qui circulent en accéléré comme dans un rêve d'enfant, ce qui touche plus profondément encore, ― c'est le trait, et la célérité du trait, vitesse et droiture de la sagitta d'or, flèche de lumière symbole du pur amour qui surgit. Sa poésie siffle vibre et vole comme une flèche entre terre et ciel, stridente hirondelle elle passe et se précipite, se jette et plonge dans l'imminence de l'orage.
Koutchak naquit, ne l'oublions pas, dans la "ville des archers", Agn, (Eghine aujourd'hui, dans la région de Kamaliyé en Turquie). L'arc, avec ses flèches, est la figure essentielle de sa poésie.

En lieu premier, cette figure est l'empreinte de l'enfance, la marque d'une appartenance, comme chez tous les exilés, aux souvenirs de la terre natale des ancêtres, à la mémoire de la première terre, mère-nourricière, arbres et montagnes, sources et forêts, chez ce fils du carquois selon l'Ancien Testament.
En second lieu, une grande figure de l'union des contraires ; l'arc d'Eros, célébration de la beauté des yeux, arcades des sourcils, arc des longs cils, flèches des yeux aiguisés, jet acéré des regards croisés, secret des arcanes de l'amour, mots affûtés, parole tranchante.
Et enfin, l'arc de la tension des corps recourbés, celui de l'élan des cœurs amoureux, où les êtres sont honorés pour ce qu'ils sont, simplement magnifiés avec noblesse dans leur liberté d'aimer (et avec quelle libre liberté !), à une époque d'alarme et de rumeurs, d'effroi et de cruautés, de carnages et de massacres, le prélude tragique d'un génocide à venir.

Mais, quand le chasseur, devient à son tour chassé, et que la Bien-aimée se montre belle chasseresse, alors, avec grand amour, l'arc se réveille lyre.

Le poème lu laisse en bouche un goût d'inachevé, comme la grâce d'un baiser offert ou volé, il recèle la saveur piquante de la surprise, la fraîcheur mordante de l'émerveillement, la délicate fugacité et l'extrême densité de l'étoile filante. Il incite à la relecture, il pousse à y regarder de plus près, ou bien il donne à voir et à vivre toujours plus avant.

La langue savoureuse et épicée de ce poète est tantôt populaire, gouailleuse et pleine de truculence, tantôt exquise et subtile, nuances, finesses, élégance, toujours de haute tenue, tendue jusqu'au dépouillement. Sa langue est tirée du quotidien comme l'eau du puits, elle possède en même temps le sel brûlant du cosmos et la chaleur sonore du pain qui dore. Ses haïrens brûlent et embrasent, crépitent et pétillent, grillent et se consument.

"Je suis dur comme une pierre que le marteau ne peut briser"... décochait stoïque le poète.

Koutckak attise, tel un endurci et coriace maréchal-ferrant, son inapaisable faim et son inextinguible soif, il traverse caracolant, amoureux éperdu, le pont des désirs. Le feu central est son domaine privilégié, son archée secrète selon les alchimistes, son pré d'élection, là où le diable païen (le grogh) est toujours dans le voisinage, prêt à vous emporter, dans les affres de l'autre monde. Qoutchak sent le soufre n'en déplaise aux cagots.

Certes, Koutchak est un impur d'un caractère fort et composite, un caractère hybride, mi-Prométhée, mi-Hermès, avec une part d'ombre digne d'Héphaïstos. Koutchak fut un vrai libertaire pour son époque, Soufre rouge, Homme universel, un sacré diable de Phénix. Les Arméniens, dans leur grande majorité, lui préfèrent Sayat-Nova, sans doute beaucoup moins turbulent, plus proche des malheurs de ce peuple toujours en danger d'extermination, immense poète de la tradition arménienne, et selon les dires de sa traductrice française : ― "pur diamant", "larme d'amour"…

La fulgurance du temps traverse la poésie de Koutchak dans la célébration de la joie de vivre comme dans l'élégiaque, fondant ou s'étirant selon la quotidienne mesure. La matière sensuelle de sa langue poétique est pétrie d'âpre sensualité, le poète parle avec ses mains rêches d'homme rude, de vigoureux gaillard qui s'emporte avec tendresse, de marcheur aventureux mais résolument indompté, au pas que rien ne désaltère, et qui farouchement se révolte, et souvent maudit de colère.
Koutchak écrit avec des mots concrets, odorants et goûteux, c'est dire la douce familiarité et la proximité délicieuse de cet univers incandescent, où tout respire sous nos yeux dans l'étincelante lumière, où le soleil cuit les chairs avec son dard acéré, son rayon qui ne cesse, non loin du lac de Van avec son éblouissant miroir de paix, là, où sous les éperons du soleil vivre devient léger, dans ce cœur ruiné, aujourd'hui en pièces, endeuillé, ― le cœur même de l'ancienne Arménie, non loin de là où naquit le géant Grégoire de Narek, son auguste prédécesseur, tant vénéré par tout un peuple avec ses odes et surtout son "Livre des Lamentations".
Et, quatrain après quatrain, la lecture s'enclenche, puis s'égrène comme en suspens, la terre se dérobe sous les pieds, le rêve commence, la méditation continue, le songe se prolonge… un moment. Et de nouveau Koutchak entraîne, vin fort, courant marin, souffle ondoyant, face au soleil.
En lisant et relisant Nahapet Koutchak, je me suis souvenu de ces lignes d'Ossip Mandelstam, dans son Voyage en Arménie, livre magnifiquement traduit, faut-il le rappeler, par André du Bouchet : "La plénitude de vie des Arméniens, leur douceur fruste, la noblesse de leur ossature ouvrière, ainsi que leur aversion inexplicable pour toute démarche métaphysique et la familiarité splendide qu'ils entretiennent avec le monde des choses réelles, avait pour moi valeur d'injonction : oui, tiens bon, n'aie pas peur de ton époque, ne cherche pas à biaiser."
Lire Koutchak et ses quatrains où l'on festoie et se réjouit, cela donne du courage et de l'orgueil, il rend plus riche et plus fécond, car il nous offre son bas-relief de la passion amoureuse. Là, où vivre est un danger, le bonheur si précaire, le futur peut-être un exil, alors, le présent demeure l'unique issue pour ne pas mourir en ce monde. Point de chair triste ici, un goût prononcé pour la luxure, plutôt le grand désir, les plaisirs des sens surtout quand ils sont prodigués à l'autre, accordés à l'autre, au plus vite partagés.
La vie tout entière triomphe chez Koutchak, malgré souffrances et séparations, morts et deuils, il œuvre à contre-angoisse, il bataille à contre-mort. Ses quatrains s'ouvrent comme des triptyques où le metteur en scène dresse tout un microcosme qui fourmille de fantasmes et de fantômes, voire de spectres. Dans sa poésie de l'infinie conversation, nous écoutons les magnifiques variations de ce dialogue amoureux sans cesse renouvelé entre un "Je" et un "Tu", entre duel et connivence. N'oublions pas trop vite le poids du "On" toujours oppressant de sous-entendus, celui de la règle implicite si accablante et convenue, du non-dit asservissant, comme celui de la rumeur, si pesant, à une époque où la transmission de la culture était la plupart du temps orale.
Il fait l'éloge du mystère de vivre en plein soleil, comme au beau milieu du clair-obscur. Épris avec véhémence de ces paysannes hâlées, avec leur poitrine qui se dévoile lentement, qui va s'éclaircissant comme une aube blanche et vient éblouir le regard de beauté, apporte un jour neuf, une bonne lumière, tel un jeune soleil. Il n'y avait qu'une chose au monde qu'il aimât : l'amour.
L'amour le plus ouvert, le plus immense qui soit, comme l'unique valeur, celle d'une matinée d'ivresse, "Ô mon Bien ! Ô mon Beau…", incendie qui se propage, d'une rive à l'autre, au loin sur la crête de la montagne. Malgré "le temps des Assassins" qui sans cesse gagnait du terrain, le poussant à l'exil vers Kharagonis, village au nord-est de la ville de Van, Koutchak ne fléchissait pas, il résistait et résista longtemps. N'est-il pas mort centenaire ?
Oui, l'amour seul compta ardemment à ses yeux, ce petit archer qui dompte tous les Dieux, l'arche d'amour, clef de voûte de l'œuvre, ― l'amour et l'exil.
Un amour parfois teinté d'un mysticisme charnel avec ce beau souci de fusion divine, du dépassement de la condition terrestre d'homme, sa volonté de briser tout ce qui écrase et isole, d'abolir à la force des poings toute pesanteur, avec son sourire de rosée, son œil de flèche et son regard de plume.
Le paganisme luxurieux demeure fort vivace jusque dans la symbolique des images, goût de la surabondance où la poitrine adorée de la femme devient Livre sacré, son corps merveilleux temple vivant illuminé de mille feux, sans que sa parole ne devienne jamais blasphématoire ou sacrilège. Koutchak vivait le monde avec gourmandise, il ne supportait guère la religion et ses règles sottes et bornées qu'il percevait comme une puissante entrave à l'épanouissement de ses désirs.
Koutchak avait en lui du furtif marlou rétif avec des yeux mêlés de métal et d'agate. Chat roué pour les uns, ruffian madré pour les autres, un maroufle retors qui aimait sortir la nuit, surtout de pleine de lune, pour marauder de belles drôlesses. Ses flancs en miettes gardèrent le souvenir de ses escapades nocturnes, de ses errements selon ses propres dires, et selon la tradition orale aussi, où prospèrent culte du poète, fables et légendes. Son regard de source ne recèle ni ressentiment, ni haine, mais une mémoire de l'amour qui dure et demeure désir, et cela malgré les coups dans les côtes, les passages à tabac.
Il y a, par ailleurs, chez ce déiste hors normes, grand oiseau sans maître ni seigneur, à l'intelligence sagace, un amour incandescent des belles femmes, un amour affranchi des beaux jouvenceaux, un amour délivré des contraintes religieuses et des barrières de la morale austère qui grève. Chez Nahapet Koutchak qui faisait flèche de tout bois, des folies amoureuses brûlent coruscantes, de térébrantes batailles.

"À batailles d'amour, champ de plumes", lançait un autre archer, contemporain de Koutchak, Luis de Góngora y Argote, des batailles d'amour en des temps tumultueux de délires fanatiques, et des troubles guerriers les noirs flambeaux. Lui, si taciturne, plus que muet, avec son silence de mérou à propos des événements historiques de son temps.

C'est, dans la véhémente urgence et l'impératif de vivre que viennent s'inscrire les quatrains de cet exilé du XVIe siècle, contemporain de Ronsard. À l'heure de "Mignonne, allons voir si la rose / Qui ce matin avoit desclose / Sa robe de pourpre au Soleil…", le patriarche Nahapet Koutchak, parle des femmes, elles s'expriment par sa voix, par sa bouche illustre d'ancêtre des trouvères arméniens : les ashours. Si un poète se juge au degré des épreuves, il fut la grande âme des chants populaires de son temps, ce qui lui valut de nombreux disciples, voire des imitateurs et plagiaires. Mais l'on ne pille que les cœurs vraiment généreux, on ne pirate que les esprits surabondants.

Cette liberté d'expression fut nouvelle pour l'époque, même extrêmement nouvelle, et avec quelle liberté de ton et avec quelle hauteur de vue elle se révèle, s'expose et s'imprime à notre oreille. Ravis, devant tant de Beauté échevelée, aux anges, on hume enchantés, dans cette profonde poésie qui ouvrit non sans fracas les portes de la Renaissance arménienne, l'odeur virginale des premiers matins de la terre.


― Tes yeux comme la mer, dressée aux portes de l'Egypte,
Ta chevelure ondoyant, les flots sous le vent.
Élancée et déliée telle une printanière tige,
Croquante et ronde pareille à une pomme écarlate,
Une rose de Kafour ― radieuse et rayonnante,
Avec ta fragrance, tu embaumes la terre, le monde.

(Traduction Élisabeth Mouradian et Serge Venturini) (64)


Paris, février 2006.

Signature :
Paris, février 2006

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Ce que je dois à Marina Tsvetaeva

Citation :
Ce n'est pas moi que l'on mettra en terre,
Non, ce n'est pas moi.

Marina T.

Voir, devoirs et revoir

Le poète civique doit s'opposer à son époque, par son refus sans posture, il est un puissant antidote, un essentiel contrepoison à son temps prédateur. Entre terre et ciel, il est l'être d'un autre royaume, royaume sans cesse nié, toujours refoulé, le plus souvent saccagé, - mais bien réel pourtant et surtout vivant. Par son désir de trouver du neuf, de laisser place à la trouvaille, il n'a jamais été complè-tement dans la vie, ni dans la vie, ni en dehors de la vie. Il va et vient, hésite, bégaie dans un entre deux, entre le son et le sens, le bas et le haut, - flèche sur la page.

Papillon de l'obscur virevoltant dans la lumière dansante, archer exilé de l'immortalité domptant ses propres cris, il erre sans fin dans une nuit crépusculaire, tel le rossignol errant, mille roses ne sont-elles pas son vrai souci ? Il cherche après tant d'autres voyants, le lieu, le temps et la formule. Sa voix est aussi d'un autre espace-temps. Il est là sans être là, - il est d'ici et il est d'ailleurs.

Si le poète est un émigré sous son propre ciel dans un enfer sans prix, un exilé sur la Terre pour l'éternité, il n'est ni un être purement céleste, un haut séraphycus, ni un être pleinement terrestre, un tchernoziomien. Il oscille dans un troisième royaume et agit en révélateur tout épris qu'il est de subtile transparence. S'il élabore le visible, c'est pour mieux le mettre au service de l'invisible.

Dépasser l'humain vers le transhumain, n'est-ce pas le fameux Trasumanar du Dante ? La vie devient invisible, la voix de sa propre conscience alors disparaît. Il n'est ni blanc, ni noir, entre le feu de la Terre et la fumée du ciel, il est la vie, - rien que la vie, - cette poussière de flamme, matière chauffée à blanc, - pure incandescence.

L'œuvre est la vie même, - transfigurée. Car écrire, n'est-ce pas vivre ? Oui, écrire pour vivre, telle est l'expérience du monde pour le poète qu'il signe d'un soleil levant, d'un arc-en-ciel, ou d'une traînée de comète.

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Un peu d'air qu'on dérobe

Citation :
…pour moi, dans le pain couronne, ce qui compte, c’est le trou.
Et la pâte de la couronne ? La couronne, on la mange - le trou, il reste.

Ossip Mandelstam,
(Tchétviortaïa proza ) la Quatrième prose.

S’il fallut qu’on cherchât un livre-référence à cet ouvrage de rupture qu’est la poétique du devenir transhumain, il faudrait sans doute aller regarder du côté de la Quatrième prose de Ossip Mandelstam, et remercier son merveilleux traducteur français, André Markowicz.

Pour la première et la seule fois de ma vie, la littérature eut besoin de moi, elle me pétrissait, me ballottait, me malaxait, et tout faisait peur comme dans un rêve d’enfance, écrivait Mandelstam le réfractaire en 1930. L’écrivain comme outil de la langue, idée reprise ensuite par beaucoup d’autres, notamment par Joseph Brodsky. Dans sa Feuille vineuse, René Char remarquait aussi que les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d’eux. Gardons cette phrase en mémoire contre la cochonnerie littéraire et les soi-disant Maîtres de la langue.

Le 11 mai 1927, Marina Tsvétaïéva écrivait ceci à Boris Pasternak, aux proches comme aux lointains...

Comprends-moi bien : je ne vis pas pour écrire des vers, j’écris des vers pour vivre. (Qui donc se fixerait comme but ultime d’écrire des vers ?) Je n’écris pas parce que je sais, mais pour savoir. Tant que je n’écris pas à propos d’une chose (ne la regarde pas), elle n’existe pas.
Mon moyen de connaissance : l’énonciation, la connaissance immédiate, jaillie de sous la plume. Tant que je n’écris pas une chose, je n’y pense pas. (Toi non plus d’ailleurs.) La plume - cours habituel de l’expérience véritable, mais dormante. Telle la Sibylle qui, avant les mots, ne sait pas. La Sibylle sait dans l’immédiat. Le mot est le fond de la chose en nous. Le mot est le chemin vers la chose et non l’inverse. (Si c’était l’inverse, on aurait besoin du mot et non de la chose, or le but ultime est la chose.)
[ extrait de Vivre dans le feu, Confessions. ]


Mandelstam oppose les œuvres permises aux œuvres écrites sans permission. Les premières - ajoute-t-il, c’est du vomi, les autres - un peu d’air qu’on dérobe.
Que penserait-il aujourd’hui ? Sans doute la même chose, voire pire, l’écrivainerie pottérise à l’échelle planétaire et tout le monde produit maintenant son roman. Qui n’a pas fait son Rolla aurait dit Rimbaud ? Qui ne veut pas pottériser ?

Il faut sans trêve se radicaliser et se passionner. Déterminés, suivons notre cap, malgré les vents contraires. Ce peu d’air dérobé dont parle Mandelstam est devenu si rare de nos jours, par contre, le vomi se lit à toutes les pages. Certains écrivassiers en ont fait leur fond de commerce, et le revendiquent bien volontiers. Combien de romans, combien de tirages, avec le Veau d’or comme unique perspective ! Asphyxie et amnésie sont à l’œuvre…

Car la littérature, poursuivait Mandelstam, en tout lieu et toujours, n’a qu’une seule fonction : aider les chefs à garder leurs soldats dans leur état d’obéissance, aider les juges à liquider les condamnés.
A sociétés de contrôle, écrivains contrôlés et formatés, soumis, - donc publiables.

À l‘heure de la consommation de masse, l’ère de l’insignifiance est arrivée avec noyade spirituelle assurée pour des millions de lecteurs potentiellement programmés et mercatisés pour le retour des baigneurs aoûtiens.

Je n’ai pas de manuscrits, pas de bloc-notes, je n’ai pas d’archives. Je n’ai pas d’écriture, pour la raison que je n’écris jamais. Je suis le seul en Russie qui travaille à la voix, persistait Mandelstam et il enfonçait encore le clou, quand cette saloperie de meute en rage autour de moi écrit, écrit. Un écrivain, moi ? Hors de ma vue, crétins !

- Vite, un peu d'air ! De l’oxygène ! Mandelstam, au secours ! De la glace et du vent, ce fut le repas des deux mendiants, des fugitifs Mandelstam, son héroïque épouse Nadejda, amour et mémoire, et lui, feu follet, tous deux errants dans les plaines de Voronej.

Déjà en 1930, Ossip, déjà vieux lion, se remémorait :
Quand je repense à notre solitude - comment arrivions-nous à vivre ! De grosses l

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La pellicia di Mandelstam

En 1922, Ossip Mandelstam signa une première prose, digne de ce nom, qui allait comme une matriochka contenir toutes les autres, et surtout la plus belle d’entre elles, son « Voyage en Arménie. » Ils sont peu nombreux les lecteurs de « La pelisse », pourtant la plus affranchie des plumes, la plus désinvolte, la plus détachée, est déjà là.

Rien à faire donc, Mandelstam ne se plaît pas dans cette pelisse d’occasion trouvée à Rostov, elle sent le moisi :

« … mais voilà, je ne peux pas m’y faire, elle dégage une mauvaise odeur, comme de coffre, et aussi d’encens, de testament spirituel. »

En 1930, notre poète s’emballe, s’emporte, prend le mors aux dents, se déchaîne, secouant dogmes et traditions. Il écrit dans la Quatrième prose, au chapitre XIV :

« J’arrache de mes épaules ma pelisse littéraire, je la piétine. Je reste en veston… mais tout plutôt qu’entendre le tintement des deniers, le décompte des feuillets d’imprimerie. »

Ossip Mandelstam, comme Marina Tsvétaїéva, vivaient dans la plus grande dignité, - c'est-à-dire dans la misère et par la poésie, loin de toute aide ou subvention… Au clou donc, la pelisse, refus total de compromis avec les pouvoirs politiques et littéraires et leurs sbires de leur temps, même par moins trente…

Voilà un vrai courage qui manque fort à ceux qui aujourd’hui lèchent les mains de ceux qui font la pluie et le beau temps sur la scène européenne. Ils se reconnaîtront sans aucun doute au chapitre XII :

« L’écrivainerie est une race à la peau qui pue, aux recettes de cuisine les plus sales. C’est une race nomade, qui dort dans son vomi, chassée des villes, honnie dans les campagnes, mais, toujours et en tout lieu, proche du pouvoir… »

Entre le 17 et le 28 mars 1931, Mandelstam écrivit un poème Pour les siècles futurs… où il est question non seulement d’une pelisse, mais en plus, -- d’un manchon. Que cet homme a dû endurer le froid, celui qui glace les os, fait se courber l’échine, pétrifie le corps sans pourtant réussir à geler l’âme, et à sceller les lèvres !

Sur mes épaules le siècle loup-garou s’élance,
Mais je ne suis pas un loup par le sang de mes veines,
Enfouis-moi plutôt comme une toque dans la manche
De la brûlante pelisse des steppes sibériennes.
(Tristia et autres poèmes)


La voilà sa future place dans la Russie et dans le monde, gardée bien au chaud, dans le fond d’un manchon en fourrure, cette pièce d’habillement très féminin, comme un sac ouvert aux deux bouts et dans lequel on met ses mains pour les protéger du gel. Tout un symbole, pour un poète mort de faim et de froid, -- exténué, aux portes de la Kolyma.

C’est ce qui s’appelle avoir du caractère, -- un grand caractère ! Son intrépide vision lui faisait adorer une poésie
forte que certains esprits obtus refusaient d’entendre. Il aimait la poésie du Géorgien Vaja Pchavela, que Tsvétaїéva traduisait aussi. « Dans le métier des mots, je n’estime plus que la viande brute, que l’excroissance folle :

Le sanglot du faucon taillade
Tout le refuge, jusqu’à l’os....


voilà ce qu’il me faut. » (Quatrième prose, V.)


L’homme dont la parole avait un goût de malheur et de fumée, parole spirituelle entre terre et ciel, toujours nostalgique de la culture universelle, cet homme n’avait pas de pardessus fourré à l’heure de rejoindre le royaume des ombres. Ombre parmi les ombres, il l’était déjà, transi et affamé. Mandelstam n’avait ni pelisse, ni seconde peau, --même son âme était toute nue.

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J’ai traduit Sayat-Nova comme un frère

Citation :
"Nous nous cherchions l’un l’autre,
nous cherchions un refuge pour notre amour,
mais le chemin nous a menés au monde des morts."

Sayat-Nova


Je voulais simplement lire Sayat en français dans le texte et il était impossible de trouver une traduction intégrale de sa poésie arménienne. Je pensais qu’un livre comme celui-là trouverait donc pour une publication une maison d’édition française rapidement. - Oh ! que nenni !
En effet, jamais pareil travail n’avait été effectué en Europe depuis le XVIIIe siècle, même si de douteuses adaptations circulent. C’était sans compter sur l’absence de curiosité des éditeurs français. Après cinq années de travail avec mon épouse sur ce daftar, le manuscrit des 47 odes arméniennes, grande fut notre stupéfaction de voir nos courriers à différentes maisons d’éditions restés sans aucune réponse. C’était aussi sans compter sur l’exécration de la poésie de nos contemporains… Fallait-il que l’on crût à une impossibilité conjoncturelle ?
À l’heure du Tout-pour-le-Roman, le pauvre Sayat, comme nous aimons à le dire entre nous avec un sourire, lui qui fut maudit par les féroces autorités de son temps, autant que vénéré par les trois peuples de la Transcaucasie, doit encore se retourner, une fois de plus, dans sa tombe. Lui, si vivant, deux siècles après sa mort, dans tout le Caucase aujourd’hui, et si étranger des réseaux de l’édition française et arménienne de la diaspora, tous plus avides les uns que les autres de manne financière, plus aveuglés par de futurs profits qu’animés d’un vrai souci de la Beauté, d’un sens réel du partage et d’une grande exigence de la littérature.
Immense fut notre déception et profonde notre tristesse de constater une telle myopie des esprits. Nous avalâmes incompréhension et colère avec un doigt de fiel, et plus que déterminés, reprîmes notre long et tortueux chemin, car l’année de l’Arménie en France approchait à grands pas. Une occasion s’offrant peut-être à nous bien que nous soyons sans illusion quant à l’issue de notre proposition.
Ce monde des petits épiciers et des grands boutiquiers est devenu tellement abject dans sa débâcle qu’il faut sans trêve mobiliser toutes nos énergies afin de lutter contre le cœur de ce monde sans cœur. Les pires ennemis n’ont même plus de visage. Les terroristes fanatisés ont celui de la fausse innocence. Derrière le regard du renard bat un cœur de loup. Mais le lion qu’a-t-il à faire de ces esprits étroits aux vils stratèges ?
Connaissez-vous la neige chaude ? lançait désabusé, quelques mois avant d’être lâchement assassiné, le poète berbère Lounès Matoub. Comment la République a-t-elle pu nourrir en son sein des serpents qui chercheront tôt ou tard à la détruire de leur poison ? Et comment le fondamentalisme intégral a-t-il pu prendre les paupières cousues du sectarisme bombiste et meurtrier ?
Au moment où certains sont gouvernés par la peur, au lieu de se couvrir la face de cendre, au lieu de se draper dans la solennité du silence, et sans prendre l’autre pour un barbare, (même si la tolérance est la plupart du temps perçue par les ignorants comme une faiblesse) - n’est-il pas venu le temps opportun de réagir par la force des lois et l’universalisme des principes ? Le peuple ne doit-il pas combattre pour les murailles de ses lois ?
En ce monde de plus en plus virtuel, où toutes les cartes sont minutieusement truquées, la contrefaçon plus vraie que nature, il nous faut un courage inoxydable, une dignité sans faille, - une fraîcheur d’âme de tigre pour seulement survivre. Combien serons-nous demain, debout, à l’heure des combats ? Ou bien…
Sayat-nova est mort refusant d’abjurer sa foi, sous la force du yatagan, mais on ne triomphe guère par le glaive, comme chacun sait. Les morts habitent la mémoire des vivants, et quelques-uns chantent même dans les supplices. Seuls demeurent, quand les brasiers se sont éteints, les chants de ceux-là qui marchèrent au supplice et à la mort. Ces chants sont alors les chants de triomphe de la vie.

Signature :
Serge Venturini, août 2005

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Combat

Citation :
Où ils font un désert, ils disent qu'ils apportent la paix.
TACITE


O grande est la paix des déserts ! Ainsi parlent les poètes. J’habite Paris, un immense désert, un désert de la pensée, où chacun est un désert plus ou moins peuplé d’ombres et de spectres. Ce vent de nuit qui siffle ne remue qu’un peu d’air et de poussière. Les démons sont bien là, barbus et bombeurs, égorgeurs, les esprits sont en lutte, ― que dis-je en guerre. Le barbare, c'est toujours l'autre !

Les déserts s’accroissent et la pleine lune s’avance derrière les nuages, elle glisse sur un aride paysage de solitude. Cette rumeur qui semble tomber de quelques étoiles, que dit-elle ? Rien ! Le vide ! ― Rien que le vide ! Celui de la plus grande lucidité, de la plus noire peste, ― déréliction !

J’entends l’écho fusillé, silence que rien ne vient troubler, sauf le déplacement du serpent sur le sable. Pourtant dans ce pays de la soif, je peux non sans mystère parler sans être écouté, compris, peut-être le serai-je plus en plein désert ? ― Non ! Je ne serai qu’un étranger de plus parmi les étrangers. Rien de plus !

À l’heure de la mondialisation, Paris n’est qu’un bled, un trou, la France, une zone de l’Europe marchande. Chaque citoyen que l’on croise ne rêve que d’oasis, d’une vaste Thébaïde, tout en sachant que dans ce chaos tout n’est que mirage, havre d’illusions. Ceux qui gardent l’espérance en ce monde du mensonge chaque jour organisé ne croient qu’aux chimères, ― les malheureux !

La vérité n’étant qu’une apparence, tout est trompe-l’œil, ― simulacre et l’Europe des libéraux une Putain avec ses maquereaux. Les gouvernants ne veulent pas de la vérité, ils ne désirent que du spectacle. ― Où est donc passée l’Europe des nations, l’Europe des peuples ?

Nous vivons dans un mensonge permanent entretenu comme un feu par une classe politique à bout de souffle, de plus en plus éloignée de la vie des citoyens, les élites sont dévoyées, sans aucune dignité, avec des médias-valets, ― les uns comme les autres, au service du Kapital.

Mais, d’autres sont habités de visions, hantés de mots, porteurs du souffle. Ces exilés de la vraie vie ne travaillent qu’à l’oreille et ces quelques voyants ne désarment pas. Bien au contraire, ces précaires croient à l’impossible, à la fracassante Parole et à la sortie du désert. ― Vite, une palmeraie ! ― Un peu de ce pays de cocagne… Apollon !

Une brise agite les palmes près d’un brasier, des dattes d’or collantes et brillantes sont à portée de doigts, des feuilles de menthe recouvertes de rosée parfument la nuit. Je vois les larges yeux du tigre, les yeux tendres du tigre brûlant, du tigre flamboyant que je chevauche dans le temps.

Et quoi, à l’horizon, cette lumière violette … Le jour, déjà.


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"Donc tu te dégages des humains suffrages…"

Tant d’échecs et si peu de victoires. Mais qu’importe !
Ma cendre sera plus chaude que leur vie, disait Marina Tsvétaïéva.
L’Insignifiant étant devenu l’essentiel, la littérature et la poésie ne fonctionnent plus qu’en réseaux, — ceux de l’Insignifiance !
Ou bien vous montrez patte blanche, ou bien, — circulez… Les éditeurs n’ont plus d’yeux que pour la marchandise. Ce livre va-t-il se vendre, et à combien d’exemplaires ?
— Prodigieuse interrogation !
Ils ne savent d’ailleurs plus lire, encore moins écrire. Chez eux, tout est inversé, ils marchent à l’envers, la Terre n’est pas pour eux, — ces esprits crépusculaires !
A l’heure du faux, tout est devenu Roman, tout ne se finit plus en chansons, mais en roman de la réalité, et la poésie disparaît des choses vues, elle devient l’invisible, et aussi l’inexistant.
Jamais, je n’ai vu, lu, pareille détestation !
— C’est donc l’hiver des poètes, un enfer polaire où la poésie grelotte, même si certains parlent encore d’un Printemps, à moins que cela ne soit l’enseigne d’une grande surface parisienne. Que dire des écrivains ou des poètes qui ne répondent plus au courrier ? La passion de vivre et de lire s’est perdue, la grande curiosité d’esprit, ainsi que le courage et l’admiration pour ce qui est inconnu.
La couardise de vue des prédateurs est partout manifeste, — les allongés sont légions. Il ne s’agit plus de VOIR, mais uniquement d’ÊTRE VU.
Ne cherchez pas des voyants parmi ceux-là, point de visions chez ces esprits obtus, vous ne trouverez que des aveugles de l’esprit, au mieux quelques affreux borgnes de la pensée. Leur parole myope n’engage à rien qui ne soit digne du politiquement correct. Tout est selon eux dans la forme. Ne leur parlez pas de gouffres, ils craignent par-dessus tout la profondeur, ces lisses prédicateurs de la grande surface. Le cheval de Troie américain est bien rodé. Voilà que les Barbares s’installent avec leur méthode.
Nous connaissons la suite. Panurge and coo !…

Courage, résistons ! — Exigeons le transhumain !
Nous ne sommes déjà plus de ce temps, et les grands combats continuent, — Tristes sires amblyopes de l’âme !

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FAUT-IL RESSUSCITER SAYAT-NOVA EN EUROPE ?

Paris, mi-février 2005.

Cher Philippe Sollers,

Avez-vous vu Sayat-Nova ? Je parle du film, du chef-d’œuvre de Sergueï Paradjanov ?
Quant au poète de la Transcaucasie du XVIIIe siècle, vous ne risquez pas de l’avoir lu, il n’existe aucune belle infidèle digne de ce nom, aucune traduction de cet auteur qui s’exprimait en trois langues, d’où la grande difficulté pour le traduire. Seulement quelques broderies ou cartes postales…, point de version intégrale en Europe.
C’est quelque part au nom des Chrétiens d’Orient ( et rien de moins ! ), entre l’Ararat et l’Elbrouz, au nom de ceux qui vivent dans cette région où Ulysse chercha la Toison d’or, que je vous écris. Ils aimeraient partager leurs trésors universels avec les Français.
Cet homme, ce Sayat, fut assassiné, refusant d’abjurer sa foi, faut-il le tuer une fois de plus ?
Voilà plus de cinq ans, j’ai entrepris de traduire avec Elisabeth Mouradian, ce poète peu connu des Européens, mais très vivant dans le Caucase. Nous pensions que les Editions Gallimard seraient intéressées par cette première traduction depuis le XVIIIe siècle. Et voici que confondant l’accessoire et l’essentiel, au nom de la soi-disant rentabilité de la nrf, la collection Connaissance de l’Orient, après avoir traduit de la poésie arménienne, ferme les portes à toute publication de poésie pour deux ans. Sayat-Nova a bien attendu deux siècles, pourquoi pas trois ou quatre ?

Brûlons-donc Sayat-Nova !
Une fois de plus il mourra !

Ceux qui occupent aujourd’hui les devants de la scène poétique en France, ne sont pas dignes des postes qu’ils occupent, et ce qui se publie ne mérite guère qu’on s’y intéresse.
Au-delà de la communauté arménienne, il y a je pense un public pour ce troubadour aimé jusqu’à nos jours de trois peuples, ( deux siècles après sa naissance ! ), lui qui se voulait un pont entre Géorgiens, Arméniens et Turcs du Caucase.
Or, c’est la guerre ! Et les affaires continuent…
Vu, ? pas vu, ? riez ou pleurez !
Faites ce que vous voulez !
Je vous joins ici quelques extraits de cette poésie vivante.

(…)

Avec férocité.

Signature :
Serge Venturini

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Contre les corbeaux de la poésie contemporaine

Citation :
...et la rose naît de l'épine.
Saadi, "Golestân" (La Roseraie)

Criaillez, croassez, croassez-donc, -- corbeaux,
je n'ai rien à apprendre de vos sinistres chants de deuil.
Je ne suis le contemporain de personne.
J'avance, regard oblique, sous les feux palots de votre formalisme clairet où vous mignardisez, -- et tant pis pour votre indifférence !
Merci de ne pas empuantir de votre haleine fétide l'air déjà vicié, -- irrespirable,
merci pour la solitude, -- la grande solitude, celle du grand combat spirituel le plus brutal...
Danger, attention dégagez, -- le terrain est ici miné !

Rien ne peut m'empêcher d'avancer dans cette nuit de catacombes,
où la flammèche des libertés vacille, où les pays tremblent sur leur base.
Or, -- c'est la guerre,
la guerre sans limites contre le coeur, la guerre globale contre l'intelligence !

Un homme engagé dans son écriture, cela vous répugne dites-vous,
circulez, -- par ici rien à voir pour vous, ici le rire emporte, le rire tue !
Un simple éclat pourrait vous briser.

Je m'éloigne de vous, ni mépris, ni cancan, les siècles futurs me prendront à témoin.
J'ai rendez-vous cette nuit, avec une ombre magnifique,
-- ma petite soeur maudite, Marina Tsvétaiéva. La connaissez-vous, même ?

En quoi cela vous importe-t-il, n'est-ce pas ?

Les feux de l'aurore et les salves de parole nous réchaufferont l'âme en ces temps glaciaires.

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Conversation sans âge sur la place du marché à propos de poésie

V ( avec entrain ) - Célébrons les poètes du passé...
W ( le visage hilare ) - mais bien sûr, gloire aux anciens !
X ( l'ironie aux lèvres ) - Et les poètes vivants, qui les portera aux nues ? (...)
Y ( geste à l'appui ) - Qu'ils crèvent les maudits !
Z ( très déterminé ) - Puis nous exalteront la beauté de leurs chants, ajouta le dernier à parler.

( Merveilleux l'inconnu X, non ? Toujours là pour poser la bonne question, au bon moment, celle qui fâche. Un silence et tous ont déjà oublié l'intérêt de sa question. )

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De la haine médiatique de la poésie contemporaine Lettre ouverte à monsieur Philippe Sollers

Citation :
Ces lèvres qui remuent sont hors de votre atteinte.
Ossip Mandelstam

Voilà ce qu'on pouvait lire dans la page "littéraire" * en peau de chagrin du journal Le Monde du 09-01-04 :
" Il faut se battre dit Philippe Sollers contre ce qu'il nomme la servitude volontaire, ou même le masochisme des poètes qui acceptent, et surtout militent en faveur de leur marginalisation". Ainsi parlait l'Institution Sollers.

Mais les aigles jamais n'ont perdu plus de temps, qu'en écoutant les leçons du corbeau. A bon entendeur, Maître de la marchandise, avec esclaves and coo, et ils sont nombreux...
Lui, grand amateur de Rimbaud, d'Hölderlin et du Dante n'a pour son grand malheur jamais pu écrire un seul poème. Du ressentiment, et même de la haine de la Poésie existe chez cet homme, - mais inavouée. Samuel Beckett dans sa jeunesse écrivit de beaux poèmes. André Breton avait une poésie... précieuse, mais il aimait la Poésie.

Mais qu'a-t-il donc fait, lui, le pauvre Sollers, maintenant papiste, pour la poésie et pour les poètes de son temps ? - De cela pas un mot ! Tout pour le roman... Bien peu de choses en vérité, car Monsieur Sollers déteste poètes et poésie d'aujourd'hui, à quelques rares personnes près, qui ne sont par ailleurs guère des êtres d'exception.

Ennemis de la grande poésie, de plus en plus nombreux en ces temps d'enténébreurs, vous, dont la parole n'atteindra jamais une certaine hauteur, Ennemis de la poésie contemporaine, ayez quelque peu le courage de vos idées secrètes ! Ne maudissez point ce que vous êtes impuissants à créer. Je n'ai que mépris pour vos sophismes à courte vue.

Et, cessez donc à la fin de parler de votre très mauvaise réputation , bourgeois que vous êtes, vous n'êtes point le frère d'Antonin Artaud, ou d'Isidore Ducasse malgré tout ce que vous pouvez écrire, et encore moins le frère de Pierre François Lacenaire ou de Maistre François Villon. Avec ou sans commission, votre réputation n'est plus à faire.

Notes :
* " ...ce journal dont la page littéraire est quelque chose d'effrayant et si fourbe, quand elle n'est pas désespérante et odieuse dans la médiocrité. "
Ces lignes datent du 15 juillet 1985. Elles sont de René Char à... André Velter. Cela s'est encore fort avili depuis...
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