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S. AYAD-BERGOUNIOUX (dir.), Les logiques du droit. Science de la norme et des régimes de domination, Paris, Mare et Martin, 2019.
« Representative Government in France (1789-1802) : a reflection on the historical foundation of a French political mythology », Revue Parliamants, Estates and Representations, avril 2015, p. 1-20. Article ayant reçu le prix international de la recherche en science juridique Émile Lousse.
« Representative Government in France (1789-1802) : a reflection on the historical foundation of a French political mythology », Revue Parliamants, Estates and Representations, avril 2015, p. 1-20. Article ayant reçu le prix international de la recherche en science juridique Émile Lousse.
LES CONTRIBUTIONS DE L’AUTEUR
LES ARTICLES DE L'AUTEUR
Napoléon Bonaparte "républicain" : le mythe politique des droites radicales
Depuis plus de deux siècles, droite radicale et l'extrême droite s'autorisent à qualifier Napoléon Bonaparte de républicain. Pareille falsification historique nécessite une mise au point scientifique.
Depuis quelques jours, une polémique se serait engagée entre la gauche républicaine (soit l'ensemble des composantes de la nupes) et l'extrême droite autour du "républicanisme" de Napoléon Bonaparte. Une partie des médias s'en fait l'écho et interroge, voire affirme, le républicanisme de Napoléon Bonaparte !
Première mise au point nécessaire. Il ne saurait s'agir d'une polémique, autrement d'un débat vif, du moins si je n'en tiens à la science historique. À l'exception de quelques thuriféraires de droite radicale et d'extrême droite, de quelques doxosophes qui innocentent bien volontiers celui qui a pris le pouvoir par un coup de force, rétablit l'esclavage, ou encore inscrit l'infériorité des catégories sociales économiquement dominées et des femmes dans le marbre (Articles 213 et suiv. et 1781 du Code civil), qui ose qualifier Napoléon Bonaparte de républicain ? Comment expliquer une telle confusion ?
Les faits sont pourtant objectivables. Napoléon Bonaparte prend le pouvoir par suite d'un coup d'État, les 18 et 19 brumaire an VIII. Pour ce faire, il s'appuie sur la bourgeoisie libérale et conservatrice, désireuse de rompre le compromis constitutionnel républicain : c'est la naissance de la droite radicale (qui s'est souvent alliée à l'extrême droite aux XIXeet XXesiècles). Dès l'abord, nombre de doxosophes, d'idéologues tentent de justifier le coup de force en l'objectivant, en somme en effaçant l'arbitraire et la violence de l'évènement. Depuis plus de deux siècles, droite radicale et extrême droite reproduisent ce discours à l'envi. Ils sont particulièrement perméables aux sentiments des partisans acharnés de la cause bonapartiste qui, hier comme aujourd'hui, qualifient Napoléon Bonaparte de "républicain" ! À leur point de vue, les évènements brumairiens aboutiraient à l'avènement de l'ère méritocratique, où les capacités légitiment la prééminence sociale. Contrairement à la seconde révolution, celle du 10 août 1792, celle des "basses classes du peuple alliées aux démagogues", le coup d'État des 18 et 19 brumaire an VIII se serait fait sans recours excessif à la violence. Voilà l'origine de la confusion qui semble autoriser aujourd'hui à interroger le "républicanisme" de Napoléon Bonaparte !
Depuis plus de deux siècles, phraséologie, pratique discursive et idéologies sont identiques. C'est la résolution de contenir les convulsions des "classes dangereuses" soutenues par les "démagogues" qui aurait décidé du choix opéré en 1799. Le retour à l'ordre autoriserait l'emploi arbitraire de la force. Les événements des 9 et 10 novembre 1799 doivent pérenniser l'accession au pouvoir des élites conservatrices. C'est à l'instauration d'un "État fort et d'un pouvoir concentré"[1] qu'aspire cette bourgeoisie qui soutient Napoléon Bonaparte. Le contrôle des troubles populaires et la neutralisation des opposants politiques en dépendent.Reprenant les arguments des modérés, principal soutien à Napoléon Bonaparte en 1799, les idéologues donnent au coup d'État une couleur pacifique et légale. Il s'agirait d'un moindre mal face aux dérives néfastes de la Révolution française[2], autrement d'un régime démocratique qui arrête la souveraineté populaire comme fondement d'une République "une et indivisible". Ils adoptent donc les schèmes de pensée des bonapartistes qu'ils transmuent en instrument d'analyse du processus révolutionnaire. L'élite bourgeoise et conservatrice regarde la révolution non violente comme son fait. Son modérantisme, son talent et son désintéressement seuls l'ont permise. Elle fut l'abord et doit redevenir conforme à l'esprit qui les anime, à leur être même. Ce dernier influence leur conception du processus révolutionnaire. "On est dans le monde comme on le voit", écrit Hegel au détour d'un paragraphe de La Raison dans l'Histoire[3]. Et les doxosophes fondent leurs démonstrations sur les attendus de ceux dont ils prétendent expliquer les agissements. Pour eux, les événements brumairiens aboutiraient à l'avènement de l'ère méritocratique, où les capacités légitiment la prééminence sociale. Contrairement à la Seconde Révolution (10 août 1792), celle des "basses classes du peuple alliées aux démagogues", la révolution des 18 et 19 brumaire an VIII s'est faite sans recours excessif à la violence. Les tenants des droites radicales se montrent particulièrement perméables aux sentiments des hommes d'ordre, partisans acharnés de la cause bonapartiste, comme le contemporain du coup de force brumairien, Vincent Lombard de Langres (1765-1830) qui affirme :
que l'on se représente la convention nationale, armée d'un pouvoir tel qu'il n'en a jamais, nulle part, existé un pareil, et l'employant, jusqu'au 9 thermidor, à tout détruire, pour établir partout l'égalité, c'est-à-dire celle du néant et de la mort ; ne parlant de la propriété que pour en dépouiller le propriétaire ; de la richesse, que pour en vouer le possesseur à la proscription et à l'échafaud ; de l'industrie et du commerce, que pour signaler l'un et l'autre comme une conspiration permanente de la partie laborieuse du peuple contre la sentine fainéante et vagabonde qui partout en est la lie ; de la liberté que pour exciter la licence effrénée de quelques hommes perdus d'excès, contre la sûreté individuelle de tous les citoyens[4].
À la suite de Lombard de Langres, les thuriféraires bonapartistes contemporains estiment que, loin d'être arbitraire, l'usage de la violence est justifié par les nécessités particulières de l'hiver 1799 : la République démocratique. Ils interprètent le coup de force brumairien comme l'épisode naturel par lequel les représentants de la droite radicale et de l'extrême droite occupent enfin la position prééminente que leurs mérites auraient dû leur assurer dès les premiers temps de la Révolution. Ce faisant, droite radicale et extrême droite révèlent la relation de complicité ontologique qu'ils entretiennent, inconsciemment, avec cette vision de l'histoire. Ils partagent les présupposés idéologiques de ceux dont ils sont les héritiers politiques. Ainsi s'explique cette confusion entretenue depuis plus de deux siècles par les doxosophes de la droite radicale et de l'extrême droite qui semblent, aujourd'hui comme hier, les autoriser à qualifier Napoléon Bonaparte de républicain !
Notes :
[1]Thierry LENTZ, Rderer. 1754-1835, Metz, Éditions Serpenoise, 1989.
[2]Un autre exemple récent : Patrice GUENIFFEY, La politique de la Terreur. Essai sur la violence révolutionnaire, 1789-1794, Paris, Fayard, 2000.
[3]Georg W.F. HEGEL, La Raison dans l'Histoire, Paris, Pocket, 2012 (1èreédition, 1965).
[4]Vincent LOMBARD DE LANGRES, Le Dix-huit brumaire, ou Tableau des événements qui ont amené cette journée, des moyens secrets par lesquels elle a été préparée ; des faits qui l'ont accompagné, et des résultats qu'elle doit avoir, Paris, Garnery Librairie, an VIII de la République (1799).
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Depuis quelques jours, une polémique se serait engagée entre la gauche républicaine (soit l'ensemble des composantes de la nupes) et l'extrême droite autour du "républicanisme" de Napoléon Bonaparte. Une partie des médias s'en fait l'écho et interroge, voire affirme, le républicanisme de Napoléon Bonaparte !
Première mise au point nécessaire. Il ne saurait s'agir d'une polémique, autrement d'un débat vif, du moins si je n'en tiens à la science historique. À l'exception de quelques thuriféraires de droite radicale et d'extrême droite, de quelques doxosophes qui innocentent bien volontiers celui qui a pris le pouvoir par un coup de force, rétablit l'esclavage, ou encore inscrit l'infériorité des catégories sociales économiquement dominées et des femmes dans le marbre (Articles 213 et suiv. et 1781 du Code civil), qui ose qualifier Napoléon Bonaparte de républicain ? Comment expliquer une telle confusion ?
Les faits sont pourtant objectivables. Napoléon Bonaparte prend le pouvoir par suite d'un coup d'État, les 18 et 19 brumaire an VIII. Pour ce faire, il s'appuie sur la bourgeoisie libérale et conservatrice, désireuse de rompre le compromis constitutionnel républicain : c'est la naissance de la droite radicale (qui s'est souvent alliée à l'extrême droite aux XIXeet XXesiècles). Dès l'abord, nombre de doxosophes, d'idéologues tentent de justifier le coup de force en l'objectivant, en somme en effaçant l'arbitraire et la violence de l'évènement. Depuis plus de deux siècles, droite radicale et extrême droite reproduisent ce discours à l'envi. Ils sont particulièrement perméables aux sentiments des partisans acharnés de la cause bonapartiste qui, hier comme aujourd'hui, qualifient Napoléon Bonaparte de "républicain" ! À leur point de vue, les évènements brumairiens aboutiraient à l'avènement de l'ère méritocratique, où les capacités légitiment la prééminence sociale. Contrairement à la seconde révolution, celle du 10 août 1792, celle des "basses classes du peuple alliées aux démagogues", le coup d'État des 18 et 19 brumaire an VIII se serait fait sans recours excessif à la violence. Voilà l'origine de la confusion qui semble autoriser aujourd'hui à interroger le "républicanisme" de Napoléon Bonaparte !
Depuis plus de deux siècles, phraséologie, pratique discursive et idéologies sont identiques. C'est la résolution de contenir les convulsions des "classes dangereuses" soutenues par les "démagogues" qui aurait décidé du choix opéré en 1799. Le retour à l'ordre autoriserait l'emploi arbitraire de la force. Les événements des 9 et 10 novembre 1799 doivent pérenniser l'accession au pouvoir des élites conservatrices. C'est à l'instauration d'un "État fort et d'un pouvoir concentré"[1] qu'aspire cette bourgeoisie qui soutient Napoléon Bonaparte. Le contrôle des troubles populaires et la neutralisation des opposants politiques en dépendent.Reprenant les arguments des modérés, principal soutien à Napoléon Bonaparte en 1799, les idéologues donnent au coup d'État une couleur pacifique et légale. Il s'agirait d'un moindre mal face aux dérives néfastes de la Révolution française[2], autrement d'un régime démocratique qui arrête la souveraineté populaire comme fondement d'une République "une et indivisible". Ils adoptent donc les schèmes de pensée des bonapartistes qu'ils transmuent en instrument d'analyse du processus révolutionnaire. L'élite bourgeoise et conservatrice regarde la révolution non violente comme son fait. Son modérantisme, son talent et son désintéressement seuls l'ont permise. Elle fut l'abord et doit redevenir conforme à l'esprit qui les anime, à leur être même. Ce dernier influence leur conception du processus révolutionnaire. "On est dans le monde comme on le voit", écrit Hegel au détour d'un paragraphe de La Raison dans l'Histoire[3]. Et les doxosophes fondent leurs démonstrations sur les attendus de ceux dont ils prétendent expliquer les agissements. Pour eux, les événements brumairiens aboutiraient à l'avènement de l'ère méritocratique, où les capacités légitiment la prééminence sociale. Contrairement à la Seconde Révolution (10 août 1792), celle des "basses classes du peuple alliées aux démagogues", la révolution des 18 et 19 brumaire an VIII s'est faite sans recours excessif à la violence. Les tenants des droites radicales se montrent particulièrement perméables aux sentiments des hommes d'ordre, partisans acharnés de la cause bonapartiste, comme le contemporain du coup de force brumairien, Vincent Lombard de Langres (1765-1830) qui affirme :
que l'on se représente la convention nationale, armée d'un pouvoir tel qu'il n'en a jamais, nulle part, existé un pareil, et l'employant, jusqu'au 9 thermidor, à tout détruire, pour établir partout l'égalité, c'est-à-dire celle du néant et de la mort ; ne parlant de la propriété que pour en dépouiller le propriétaire ; de la richesse, que pour en vouer le possesseur à la proscription et à l'échafaud ; de l'industrie et du commerce, que pour signaler l'un et l'autre comme une conspiration permanente de la partie laborieuse du peuple contre la sentine fainéante et vagabonde qui partout en est la lie ; de la liberté que pour exciter la licence effrénée de quelques hommes perdus d'excès, contre la sûreté individuelle de tous les citoyens[4].
À la suite de Lombard de Langres, les thuriféraires bonapartistes contemporains estiment que, loin d'être arbitraire, l'usage de la violence est justifié par les nécessités particulières de l'hiver 1799 : la République démocratique. Ils interprètent le coup de force brumairien comme l'épisode naturel par lequel les représentants de la droite radicale et de l'extrême droite occupent enfin la position prééminente que leurs mérites auraient dû leur assurer dès les premiers temps de la Révolution. Ce faisant, droite radicale et extrême droite révèlent la relation de complicité ontologique qu'ils entretiennent, inconsciemment, avec cette vision de l'histoire. Ils partagent les présupposés idéologiques de ceux dont ils sont les héritiers politiques. Ainsi s'explique cette confusion entretenue depuis plus de deux siècles par les doxosophes de la droite radicale et de l'extrême droite qui semblent, aujourd'hui comme hier, les autoriser à qualifier Napoléon Bonaparte de républicain !
Notes :
[1]Thierry LENTZ, Rderer. 1754-1835, Metz, Éditions Serpenoise, 1989.
[2]Un autre exemple récent : Patrice GUENIFFEY, La politique de la Terreur. Essai sur la violence révolutionnaire, 1789-1794, Paris, Fayard, 2000.
[3]Georg W.F. HEGEL, La Raison dans l'Histoire, Paris, Pocket, 2012 (1èreédition, 1965).
[4]Vincent LOMBARD DE LANGRES, Le Dix-huit brumaire, ou Tableau des événements qui ont amené cette journée, des moyens secrets par lesquels elle a été préparée ; des faits qui l'ont accompagné, et des résultats qu'elle doit avoir, Paris, Garnery Librairie, an VIII de la République (1799).
Comment expliquer l'attaque des Libéraux contre la gauche au profit du RN ?
Citation :
Les conservateurs-libéraux n'ont-ils retenu aucune leçon de l'histoire ! À chaque fois qu'ils se sont appuyés sur l'extrême-droite pour maintenir leur pouvoir, ils ont été violemment écartés par ceux-là mêmes qu'ils entendaient contrôler. Ainsi en 1848, le parti de l'Ordre n'hésite pas à soutenir l'élection de Louis Napoléon Bonaparte qui renversera la Seconde République peu après. A la suite d'un coup de force en 1851, il finira par instaurer un régime autoritaire. Autre leçon de l'histoire, c'est le discrédit politique qu'accompagne pareils agissements opportunistes qui viennent légitimer l'aigreur, la frustration, l'antiparlementarisme qui, pour être dépassés, nécessitent le plein engagement du mouvement social, des forces de progrès.
Nombreux sont ceux qui s'étonnent aujourd'hui de l'alliance des droites et de l'extrême-droite. Pourtant, c'est une constante historique. Au sein d'un champ politique triparti, les libéraux entendent maintenir coûte que coûte leur position dominante, quitte à s'appuyer sur l'extrême droite et partant la normaliser.
Ainsi que l'a démontré le sociologue Pierre Bourdieu, ce sont les positions des agents sociaux qui déterminent leurs prises de position. Autrement dit, les pratiques discursives politiques sont les expressions manifestes des rapports de force au sein du champ du pouvoir. C'est pourquoi la multiplication des attaques des conservateurs-libéraux alliés aux réactionnaires du RN, sont hautement révélatrices de l'évolution en cours au sein du jeu politique.
Les élections législatives de 2022 donnent à voir une organisation tripartie, dominée par les conservateurs-libéraux (Ensemble, LR) concurrencés par les progressistes de gauche (NUPES), et les conservateurs-réactionnaires (RN, LR) minoritaires. Malgré la position dominante des conservateurs-libéraux au sein de la représentation nationale, ils sont liés, par un faisceau d'interdépendance, aux oppositions politiques. Aussi le contraignent-elles systématiquement à s'appuyer sur l'une d'entre-elles pour maintenir l'équilibre des forces politiques, condition de son autorité. C'est ce que laisse transparaître la volonté affichée de la "minorité présidentielle" de construire des "alliances de circonstance avec les oppositions parlementaires" peu après les élections législatives de juin 2022.
La montée en puissance actuelle du mouvement social ainsi que celle des forces de gauche, fragilisent la position prééminente du maître central. Comme toutes les fois où il se voit contesté dans sa position dominante, il s'appuie systématiquement sur le camp le plus faible afin d'asseoir son autorité. C'est pourquoi, contrairement à la législature précédente, les conservateurs-libéraux font le choix, aujourd'hui, des conservateurs-réactionnaires. C'est que l'union des forces de gauche a déstabilisé l'équilibre précaire sur lequel reposait jusqu'alors leur pouvoir. Leurs sorties répétées contre la Nupes, et plus particulièrement contre LFI, la force centrale de cette alliance, s'expliquent ainsi. Alors que se multiplient les violences policières et celles de groupuscules d'extrême-droite, les conservateurs-libéraux et réactionnaires accusent la gauche d'être violente, d'incarner une forme de "terrorisme intellectuel" qui justifient leur "union sacrée" pour la "défense de la République" ! À leur point de vue, ce contexte légitime le recours à la contrainte nue.
Quant aux réactionnaires du RN, en s'engageant obséquieusement aux côtés des conservateurs-libéraux, ils manifestent leur soumission à l'autorité. Les journalistes médiatiques n'ont de cesse de qualifier ce processus de "notabilisation du RN". Or ici encore, ce dernier n'est révélateur que d'un double phénomène : la montée en puissance des forces progressistes de gauche et la faiblesse du maître central (les conservateurs-libéraux) qui espère se maintenir en s'appuyant sur la frange la plus réactionnaire de l'échiquier politique, quitte à la normaliser. Les sorties des membres du Gouvernement actuel sur le prétendu républicanisme des réactionnaires ne s'expliquent pas autrement. Faut-il rappeler que dès 1789, ce qui définit l'extrême-droite c'est son rejet de l'égalitarisme républicain ! À son point de vue, l'inégalité entre les hommes est l'essence même de toute organisation sociale. La façon dont aujourd'hui encore, elle classe les hommes en fonction de leur origine ne laisse point de doute !
Les conservateurs-libéraux n'ont-ils retenu aucune leçon de l'histoire ! À chaque fois qu'ils se sont appuyés sur l'extrême-droite pour maintenir leur pouvoir, ils ont été violemment écartés par ceux-là mêmes qu'ils entendaient contrôler. Ainsi en 1848, le parti de l'Ordre n'hésite pas à soutenir l'élection de Louis Napoléon Bonaparte qui renversera la Seconde République peu après. A la suite d'un coup de force en 1851, il finira par instaurer un régime autoritaire. Autre leçon de l'histoire, c'est le discrédit politique qu'accompagne pareils agissements opportunistes qui viennent légitimer l'aigreur, la frustration, l'antiparlementarisme qui, pour être dépassés, nécessitent le plein engagement du mouvement social, des forces de progrès. Après tout, c'est la lutte qui politise !
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Les conservateurs-libéraux n'ont-ils retenu aucune leçon de l'histoire ! À chaque fois qu'ils se sont appuyés sur l'extrême-droite pour maintenir leur pouvoir, ils ont été violemment écartés par ceux-là mêmes qu'ils entendaient contrôler. Ainsi en 1848, le parti de l'Ordre n'hésite pas à soutenir l'élection de Louis Napoléon Bonaparte qui renversera la Seconde République peu après. A la suite d'un coup de force en 1851, il finira par instaurer un régime autoritaire. Autre leçon de l'histoire, c'est le discrédit politique qu'accompagne pareils agissements opportunistes qui viennent légitimer l'aigreur, la frustration, l'antiparlementarisme qui, pour être dépassés, nécessitent le plein engagement du mouvement social, des forces de progrès.
Nombreux sont ceux qui s'étonnent aujourd'hui de l'alliance des droites et de l'extrême-droite. Pourtant, c'est une constante historique. Au sein d'un champ politique triparti, les libéraux entendent maintenir coûte que coûte leur position dominante, quitte à s'appuyer sur l'extrême droite et partant la normaliser.
Ainsi que l'a démontré le sociologue Pierre Bourdieu, ce sont les positions des agents sociaux qui déterminent leurs prises de position. Autrement dit, les pratiques discursives politiques sont les expressions manifestes des rapports de force au sein du champ du pouvoir. C'est pourquoi la multiplication des attaques des conservateurs-libéraux alliés aux réactionnaires du RN, sont hautement révélatrices de l'évolution en cours au sein du jeu politique.
Les élections législatives de 2022 donnent à voir une organisation tripartie, dominée par les conservateurs-libéraux (Ensemble, LR) concurrencés par les progressistes de gauche (NUPES), et les conservateurs-réactionnaires (RN, LR) minoritaires. Malgré la position dominante des conservateurs-libéraux au sein de la représentation nationale, ils sont liés, par un faisceau d'interdépendance, aux oppositions politiques. Aussi le contraignent-elles systématiquement à s'appuyer sur l'une d'entre-elles pour maintenir l'équilibre des forces politiques, condition de son autorité. C'est ce que laisse transparaître la volonté affichée de la "minorité présidentielle" de construire des "alliances de circonstance avec les oppositions parlementaires" peu après les élections législatives de juin 2022.
La montée en puissance actuelle du mouvement social ainsi que celle des forces de gauche, fragilisent la position prééminente du maître central. Comme toutes les fois où il se voit contesté dans sa position dominante, il s'appuie systématiquement sur le camp le plus faible afin d'asseoir son autorité. C'est pourquoi, contrairement à la législature précédente, les conservateurs-libéraux font le choix, aujourd'hui, des conservateurs-réactionnaires. C'est que l'union des forces de gauche a déstabilisé l'équilibre précaire sur lequel reposait jusqu'alors leur pouvoir. Leurs sorties répétées contre la Nupes, et plus particulièrement contre LFI, la force centrale de cette alliance, s'expliquent ainsi. Alors que se multiplient les violences policières et celles de groupuscules d'extrême-droite, les conservateurs-libéraux et réactionnaires accusent la gauche d'être violente, d'incarner une forme de "terrorisme intellectuel" qui justifient leur "union sacrée" pour la "défense de la République" ! À leur point de vue, ce contexte légitime le recours à la contrainte nue.
Quant aux réactionnaires du RN, en s'engageant obséquieusement aux côtés des conservateurs-libéraux, ils manifestent leur soumission à l'autorité. Les journalistes médiatiques n'ont de cesse de qualifier ce processus de "notabilisation du RN". Or ici encore, ce dernier n'est révélateur que d'un double phénomène : la montée en puissance des forces progressistes de gauche et la faiblesse du maître central (les conservateurs-libéraux) qui espère se maintenir en s'appuyant sur la frange la plus réactionnaire de l'échiquier politique, quitte à la normaliser. Les sorties des membres du Gouvernement actuel sur le prétendu républicanisme des réactionnaires ne s'expliquent pas autrement. Faut-il rappeler que dès 1789, ce qui définit l'extrême-droite c'est son rejet de l'égalitarisme républicain ! À son point de vue, l'inégalité entre les hommes est l'essence même de toute organisation sociale. La façon dont aujourd'hui encore, elle classe les hommes en fonction de leur origine ne laisse point de doute !
Les conservateurs-libéraux n'ont-ils retenu aucune leçon de l'histoire ! À chaque fois qu'ils se sont appuyés sur l'extrême-droite pour maintenir leur pouvoir, ils ont été violemment écartés par ceux-là mêmes qu'ils entendaient contrôler. Ainsi en 1848, le parti de l'Ordre n'hésite pas à soutenir l'élection de Louis Napoléon Bonaparte qui renversera la Seconde République peu après. A la suite d'un coup de force en 1851, il finira par instaurer un régime autoritaire. Autre leçon de l'histoire, c'est le discrédit politique qu'accompagne pareils agissements opportunistes qui viennent légitimer l'aigreur, la frustration, l'antiparlementarisme qui, pour être dépassés, nécessitent le plein engagement du mouvement social, des forces de progrès. Après tout, c'est la lutte qui politise !
De la perte de repère moral
Citation :
L'ignorance, la mauvaise foi, autant d'expressions révélatrices de la perte de repère moral d'une société accablée par l'effondrement brutal des valeurs qui l'ont longtemps habitée et qui demeurent, aujourd'hui encore, inscrites sur le fronton de nos mairies : "liberté, égalité, fraternité".
Comment se fait-il que depuis la marche contre l'antisémitisme du 19 novembre, ceux-là mêmes qui ont, dès l'abord, vomi le rêve républicain, en sont perçus comme l'incarnation ? Face à un tel renversement, comment les forces de progrès républicaines peuvent-elles agir ? Inventer de nouvelles formes de contestation reposant sur une analyse scientifique de la situation politique, est une nécessité.
Quand on est historienne, il est toujours difficile d'écrire sur le présent, sur l'immédiat, en somme sur l'évènement, qui ne laisse d'étonner en raison de son imprévisibilité. C'est pourtant cette tâche que s'est assigné l'historien Marc Bloch en 1940.
Aujourd'hui, ses mots raisonnent avec une acuité particulière : "un témoignage ne vaut que fixé dans sa première fraîcheur et je ne puis me persuader que celui-ci doive être tout à fait inutile. Un jour viendra, tôt ou tard, j'en ai la ferme espérance, où la France verra de nouveau s'épanouir, sur son vieux sol béni déjà de tant de moissons, la liberté de pensée et de jugement. Alors les dossiers cachés s'ouvriront ; les brumes, qu'autour du plus atroce effondrement de notre histoire commencent, dès maintenant, à accumuler tantôt l'ignorance et tantôt la mauvaise foi, se lèveront peu à peu ; et, peut-être les chercheurs occupés à les percer trouveront-ils quelque profit à les feuilleter, s'ils le savent découvrir, ce procès-verbal de l'an 1940."
L'ignorance, la mauvaise foi, autant d'expressions révélatrices de la perte de repère moral d'une société accablée par l'effondrement brutal des valeurs qui l'ont longtemps habitée et qui demeurent, aujourd'hui encore, inscrites sur le fronton de nos mairies : "liberté, égalité, fraternité".
Ces valeurs, je me souviens encore de mon étonnement quand, pour la première fois, au moment du bicentenaire de la Révolution française, mon institutrice les a évoquées. Lors même que chaque jour, je subissais ses brimades et celles de certains de mes camarades de classe parce que j'étais née sémite, je suis devenue du jour au lendemain, un modèle d'intégration républicaine. Je voyais alors mes camarades arborer fièrement la cocarde tricolore et faire part de leur attachement à la République.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce moment de célébration des valeurs républicaines a transformé mon entourage. Ceux qui me conspuaient hier en raison de mes origines, voyaient désormais en moi, une sur, et rien de moins que l'accomplissement du rêve émancipateur républicain.
Le contexte était alors bien différent Les souvenirs de la Seconde Guerre mondiale demeuraient vivaces et la gauche au pouvoir arborait fièrement son héritage révolutionnaire. C'est cet idéal qui m'habite encore aujourd'hui. En tant qu'historienne dont les premières recherches ont porté sur la Révolution française, j'eus maintes fois l'occasion d'en mesurer les limites.
En tant que fille de "fellaghas", j'ai aussi pu constater les manquements de la République à son propre idéal. En tant qu'enseignante, j'ai sans cesse désespérer de l'abandon, parfois de la stigmatisation, d'enfants qui avaient pour seule tare d'être né étranger. Et pourtant . Demeure à jamais inscrit en moi le rêve d'émancipation républicaine que résume si bien notre devise : "liberté, égalité, fraternité".
Depuis la marche contre l'antisémitisme du dimanche 19 novembre, ces mots raisonnent étrangement.
Comment se fait-il qu'aujourd'hui que ceux-là mêmes qui ont, dès l'abord, vomi le rêve républicain, soient désormais perçus comme l'incarnation de cet idéal ?
Chaque année, lors de mon premier cours qui s'ouvre sur la Révolution française, je rappelle ce fait scientifique irréfragable : l'extrême droite française rejette la Révolution française parce qu'elle estime que la société ordinale, inégalitaire, est l'expression de la volonté divine. Elle conspue ouvertement le mouvement révolutionnaire français en ce qu'il proclame l'égalité des droits. À son point de vue, l'abolition de l'esclavage est une abomination et la nation républicaine une hérésie.
Rien d'étonnant dès lors, qu'aujourd'hui encore, l'État français - celui de la "révolution conservatrice" pétainiste, de la collaboration -, ou encore l'Algérie française - celle de la colonisation, du Code de l'indigénat et de la pacification -, demeurent les points géométraux de son horizon d'idéalité.
C'est pourtant avec ce pourfendeur de la République que nombre de mes amis - qui refusaient de céder un centimètre de terrain à l'extrême droite - ont dû manifester dimanche afin de signifier leur inquiétude légitime face à la montée de l'antisémitisme.
Comment en est-on arrivé à une telle confusion politique ? Comment expliquer les bouleversements actuels du champ politique ? Les temps nauséabonds de la "Révolution conservatrice" sont-ils de retour ? Le soutien implicite de nombreux tenants de "l'axe libéral-conservateur" n'en serait qu'un révélateur ? L'histoire ne le prouve-t-elle pas : à chaque renversement du rapport de force politique au profit des réactionnaires, les "libéraux-conservateurs" ne se sont-ils pas, trop souvent, distingués par leur mutisme !
En 1799, en 1815, en 1851, en 1870, en 1940, ils ont brillé par leur silence assourdissant . Il a fallu que le vent se lève, que les peuples entrent en résistance pour qu'enfin ils prennent la mesure du désastre. Pour autant, il serait faux d'affirmer que les libéraux-conservateurs agissent en pleine conscience.
S'il est évident que l'attitude d'une partie des libéraux-conservateurs a pour effet la "normalisation" de l'extrême droite (souvent par calcul politique et intérêt immédiat), ce constat ne permet néanmoins, aucunement de saisir les causes objectives de ce processus. Ce soutien n'en est que l'expression extériorisée. C'est dans la structure-même du champ du pouvoir - entendu comme espace de luttes pour la monopolisation des instruments de la domination -, que se trouve la principale explication.
Comme toute "révolution conservatrice", le ressentiment est l'expression politique subjective de l'attachement obséquieux à l'ordre, en somme à la hiérarchie sociale, de tous ceux dont l'existence sociale dépend de son maintien.
Aujourd'hui, ce sentiment d'amertume, voire de rancur, semble particulièrement diffus dans la société au point de saturer l'espace public, en particulier les hauts lieux de production et de diffusion de l'information. En leur sein dominent une catégorie particulière d'agents sociaux : les "élites médiatiques". Or si ces dernières se distinguent par la position centrale qu'elles occupent au sein du champ médiatique - que révèle leur omniprésence -, leur engagement obséquieux dans le maintien de l'ordre social ne peut être compris s'il n'est pas également rapporté à la position doublement dominée qu'elles occupent au sein des champs culturel et du pouvoir.
Au sein de cet espace de luttes réglé pour la monopolisation des instruments du pouvoir, s'opposent deux catégories d'élites, l'une détentrice de capitaux économiques et l'autre de capitaux culturels. La première occupe aujourd'hui une position prééminente. Non seulement, elle domine en dominant l'État, mais en outre, elle s'impose en monopolisant l'essentiel des instruments de légitimation du pouvoir, en somme les lieux de diffusion de l'information (la presse, la télévision), ces "lieux où la parole devient pouvoir" (Pierre Bourdieu).
À cette fin, elle s'appuie sur les agents sociaux les plus dominés au sein du champ culturel, en somme les "élites médiatiques" dont les intérêts sont conformes aux siens. Cette alliance est favorisée par un effet d'homologie - une ressemblance dans la différence -, entre les dominés du champ culturel, les journalistes médiatiques, et les dominants du champ du pouvoir - les détenteurs de capitaux économiques. L'anti-intellectualisme, le ressentiment qui n'en sont que les expressions subjectives, favorisent le sentiment d'homologie qui lie ces deux groupes sociaux.
En effet, le décalage entre l'image qu'ont d'eux-mêmes les journalistes médiatiques - que vient renforcer leur aura télévisuelle -, et la relative faiblesse de leur capital scolaire - que le mépris affiché des élites culturelles ne fait que révéler -, les conduit à rejeter l'ensemble des valeurs de fraternité et d'égalité portées par ceux-là mêmes qu'ils qualifient de "wokiste" ou encore "d'islamo-gauchiste".
Leur ressentiment à l'encontre de ceux qu'ils décrivent de plus en plus nettement comme les "ennemis de l'Intérieur", résulte du décalage entre l'image qu'ils ont d'eux-mêmes et la position qu'ils occupent au sein du champ culturel. Quant aux élites économiques qui occupent une position dominante au sein du champ du pouvoir, elles ont intérêt à maintenir l'équilibre existant des pouvoirs, qui leur est hautement favorable.
Aussi soutiennent-ils tous ceux qui ne le remettent pas en cause. Il suffit pour s'en convaincre de prendre la mesure des votes communs des conservateurs et des réactionnaires à l'Assemblée nationale. L'unanimisme du débat public en est également une des expressions extériorisées. Or les moments où la structure sociale est figée sont généralement favorables aux forces politiques de gauche, parce qu'elles ont intérêt à remettre en cause une hiérarchie des pouvoirs qui leur est défavorable. Elles sont soutenues par une part importante des dominés du champ social mis en mouvement par l'effondrement de leur condition d'existence.
Effrayés par cette évolution du champ politique, les tenants de "l'arc conservateur-réactionnaire" en viennent à hystériser le débat public au point de blâmer systématiquement tous ceux qui ne partagent pas leur conception de l'ordre, autrement dit de la hiérarchie sociale. La présence à l'Assemblée nationale d'élus issus des classes populaires, ou proches de ses intérêts, a suscité une tel dégoût au sein de "l'arc conservateur-réactionnaire" qu'il a conduit nombre de représentants de la Nation à faire état de leur préférence pour les élus d'extrême-droite, dociles parce que soumis aux règles de la bienséance bourgeoise.
C'est dans ce contexte particulier que le 7 octobre 2023, le mouvement d'extrême-droite palestinien, le Hamas a commis un crime contre l'humanité en massacrant des milliers de civils israéliens. La suite est connue la guerre, ses violences et ses milliers de civils décimés !
Et pour clore ce bilan mortifère : une véritable instrumentalisation de l'horreur de la guerre à des fins politiques. L'objectif inavoué étant toujours le même pour les "bienheureux" : maintenir l'ordre (la hiérarchie sociale) coûte que coûte ! Il s'ensuit de toute part l'exaspération d'un véritable sentiment de haine qui s'accompagne de "l'effondrement brutal" des valeurs républicaines.
Par-delà la normalisation de l'extrême droite indispensable à la structuration de "l'arc conservateur-réactionnaire", force est de constater qu'à gauche, les tenants du républicanisme originel peinent à faire face. Les uns parce qu'ils sont effrayés par la violence du jeu politique préfèrent se taire, les autres parce qu'ils sont épouvantés par l'effondrement civilisationnel en cours usent de fermeté et n'entendent nullement céder malgré les vociférations insultantes des tenants de "l'arc conservateur-réactionnaire".
Or en réagissant à l'invective par l'invective, à la violence sociale par la violence sociale, les forces progressistes participent indirectement à l'hystérisation du débat public, et partant se rendent inaudibles.
Aussi à maints égards, la période semble-t-elle particulièrement désespérante, et pourtant...
Les temps actuels, l'extrême violence d'un régime de domination de plus en plus brutal sont également favorables à la réhabilitation des notions de rapport de force, de lutte des classes qui font échos à l'immense souffrance, souvent vécue comme honteuse, des classes populaires privées de protection sociale.
C'est pourquoi, il est temps pour les forces de progrès de se libérer des règles de conduite qui leur sont assignées par les forces de "l'arc conservateur-réactionnaire", et d'agir de concert, afin d'inventer de nouvelles formes de contestation qui reposent sur une analyse scientifique de la situation politique.
Est-il réellement nécessaire de rappeler au terme de cet article, qu'être de gauche c'est tordre le cou aux idées reçues, c'est rompre avec les alternatives simplistes (de "l'arc conservateur-réactionnaire") qui n'engendrent que démoralisation et désillusion politique !
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L'ignorance, la mauvaise foi, autant d'expressions révélatrices de la perte de repère moral d'une société accablée par l'effondrement brutal des valeurs qui l'ont longtemps habitée et qui demeurent, aujourd'hui encore, inscrites sur le fronton de nos mairies : "liberté, égalité, fraternité".
Comment se fait-il que depuis la marche contre l'antisémitisme du 19 novembre, ceux-là mêmes qui ont, dès l'abord, vomi le rêve républicain, en sont perçus comme l'incarnation ? Face à un tel renversement, comment les forces de progrès républicaines peuvent-elles agir ? Inventer de nouvelles formes de contestation reposant sur une analyse scientifique de la situation politique, est une nécessité.
Quand on est historienne, il est toujours difficile d'écrire sur le présent, sur l'immédiat, en somme sur l'évènement, qui ne laisse d'étonner en raison de son imprévisibilité. C'est pourtant cette tâche que s'est assigné l'historien Marc Bloch en 1940.
Aujourd'hui, ses mots raisonnent avec une acuité particulière : "un témoignage ne vaut que fixé dans sa première fraîcheur et je ne puis me persuader que celui-ci doive être tout à fait inutile. Un jour viendra, tôt ou tard, j'en ai la ferme espérance, où la France verra de nouveau s'épanouir, sur son vieux sol béni déjà de tant de moissons, la liberté de pensée et de jugement. Alors les dossiers cachés s'ouvriront ; les brumes, qu'autour du plus atroce effondrement de notre histoire commencent, dès maintenant, à accumuler tantôt l'ignorance et tantôt la mauvaise foi, se lèveront peu à peu ; et, peut-être les chercheurs occupés à les percer trouveront-ils quelque profit à les feuilleter, s'ils le savent découvrir, ce procès-verbal de l'an 1940."
L'ignorance, la mauvaise foi, autant d'expressions révélatrices de la perte de repère moral d'une société accablée par l'effondrement brutal des valeurs qui l'ont longtemps habitée et qui demeurent, aujourd'hui encore, inscrites sur le fronton de nos mairies : "liberté, égalité, fraternité".
Ces valeurs, je me souviens encore de mon étonnement quand, pour la première fois, au moment du bicentenaire de la Révolution française, mon institutrice les a évoquées. Lors même que chaque jour, je subissais ses brimades et celles de certains de mes camarades de classe parce que j'étais née sémite, je suis devenue du jour au lendemain, un modèle d'intégration républicaine. Je voyais alors mes camarades arborer fièrement la cocarde tricolore et faire part de leur attachement à la République.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce moment de célébration des valeurs républicaines a transformé mon entourage. Ceux qui me conspuaient hier en raison de mes origines, voyaient désormais en moi, une sur, et rien de moins que l'accomplissement du rêve émancipateur républicain.
Le contexte était alors bien différent Les souvenirs de la Seconde Guerre mondiale demeuraient vivaces et la gauche au pouvoir arborait fièrement son héritage révolutionnaire. C'est cet idéal qui m'habite encore aujourd'hui. En tant qu'historienne dont les premières recherches ont porté sur la Révolution française, j'eus maintes fois l'occasion d'en mesurer les limites.
En tant que fille de "fellaghas", j'ai aussi pu constater les manquements de la République à son propre idéal. En tant qu'enseignante, j'ai sans cesse désespérer de l'abandon, parfois de la stigmatisation, d'enfants qui avaient pour seule tare d'être né étranger. Et pourtant . Demeure à jamais inscrit en moi le rêve d'émancipation républicaine que résume si bien notre devise : "liberté, égalité, fraternité".
Depuis la marche contre l'antisémitisme du dimanche 19 novembre, ces mots raisonnent étrangement.
Comment se fait-il qu'aujourd'hui que ceux-là mêmes qui ont, dès l'abord, vomi le rêve républicain, soient désormais perçus comme l'incarnation de cet idéal ?
Chaque année, lors de mon premier cours qui s'ouvre sur la Révolution française, je rappelle ce fait scientifique irréfragable : l'extrême droite française rejette la Révolution française parce qu'elle estime que la société ordinale, inégalitaire, est l'expression de la volonté divine. Elle conspue ouvertement le mouvement révolutionnaire français en ce qu'il proclame l'égalité des droits. À son point de vue, l'abolition de l'esclavage est une abomination et la nation républicaine une hérésie.
Rien d'étonnant dès lors, qu'aujourd'hui encore, l'État français - celui de la "révolution conservatrice" pétainiste, de la collaboration -, ou encore l'Algérie française - celle de la colonisation, du Code de l'indigénat et de la pacification -, demeurent les points géométraux de son horizon d'idéalité.
C'est pourtant avec ce pourfendeur de la République que nombre de mes amis - qui refusaient de céder un centimètre de terrain à l'extrême droite - ont dû manifester dimanche afin de signifier leur inquiétude légitime face à la montée de l'antisémitisme.
Comment en est-on arrivé à une telle confusion politique ? Comment expliquer les bouleversements actuels du champ politique ? Les temps nauséabonds de la "Révolution conservatrice" sont-ils de retour ? Le soutien implicite de nombreux tenants de "l'axe libéral-conservateur" n'en serait qu'un révélateur ? L'histoire ne le prouve-t-elle pas : à chaque renversement du rapport de force politique au profit des réactionnaires, les "libéraux-conservateurs" ne se sont-ils pas, trop souvent, distingués par leur mutisme !
En 1799, en 1815, en 1851, en 1870, en 1940, ils ont brillé par leur silence assourdissant . Il a fallu que le vent se lève, que les peuples entrent en résistance pour qu'enfin ils prennent la mesure du désastre. Pour autant, il serait faux d'affirmer que les libéraux-conservateurs agissent en pleine conscience.
S'il est évident que l'attitude d'une partie des libéraux-conservateurs a pour effet la "normalisation" de l'extrême droite (souvent par calcul politique et intérêt immédiat), ce constat ne permet néanmoins, aucunement de saisir les causes objectives de ce processus. Ce soutien n'en est que l'expression extériorisée. C'est dans la structure-même du champ du pouvoir - entendu comme espace de luttes pour la monopolisation des instruments de la domination -, que se trouve la principale explication.
Comme toute "révolution conservatrice", le ressentiment est l'expression politique subjective de l'attachement obséquieux à l'ordre, en somme à la hiérarchie sociale, de tous ceux dont l'existence sociale dépend de son maintien.
Aujourd'hui, ce sentiment d'amertume, voire de rancur, semble particulièrement diffus dans la société au point de saturer l'espace public, en particulier les hauts lieux de production et de diffusion de l'information. En leur sein dominent une catégorie particulière d'agents sociaux : les "élites médiatiques". Or si ces dernières se distinguent par la position centrale qu'elles occupent au sein du champ médiatique - que révèle leur omniprésence -, leur engagement obséquieux dans le maintien de l'ordre social ne peut être compris s'il n'est pas également rapporté à la position doublement dominée qu'elles occupent au sein des champs culturel et du pouvoir.
Au sein de cet espace de luttes réglé pour la monopolisation des instruments du pouvoir, s'opposent deux catégories d'élites, l'une détentrice de capitaux économiques et l'autre de capitaux culturels. La première occupe aujourd'hui une position prééminente. Non seulement, elle domine en dominant l'État, mais en outre, elle s'impose en monopolisant l'essentiel des instruments de légitimation du pouvoir, en somme les lieux de diffusion de l'information (la presse, la télévision), ces "lieux où la parole devient pouvoir" (Pierre Bourdieu).
À cette fin, elle s'appuie sur les agents sociaux les plus dominés au sein du champ culturel, en somme les "élites médiatiques" dont les intérêts sont conformes aux siens. Cette alliance est favorisée par un effet d'homologie - une ressemblance dans la différence -, entre les dominés du champ culturel, les journalistes médiatiques, et les dominants du champ du pouvoir - les détenteurs de capitaux économiques. L'anti-intellectualisme, le ressentiment qui n'en sont que les expressions subjectives, favorisent le sentiment d'homologie qui lie ces deux groupes sociaux.
En effet, le décalage entre l'image qu'ont d'eux-mêmes les journalistes médiatiques - que vient renforcer leur aura télévisuelle -, et la relative faiblesse de leur capital scolaire - que le mépris affiché des élites culturelles ne fait que révéler -, les conduit à rejeter l'ensemble des valeurs de fraternité et d'égalité portées par ceux-là mêmes qu'ils qualifient de "wokiste" ou encore "d'islamo-gauchiste".
Leur ressentiment à l'encontre de ceux qu'ils décrivent de plus en plus nettement comme les "ennemis de l'Intérieur", résulte du décalage entre l'image qu'ils ont d'eux-mêmes et la position qu'ils occupent au sein du champ culturel. Quant aux élites économiques qui occupent une position dominante au sein du champ du pouvoir, elles ont intérêt à maintenir l'équilibre existant des pouvoirs, qui leur est hautement favorable.
Aussi soutiennent-ils tous ceux qui ne le remettent pas en cause. Il suffit pour s'en convaincre de prendre la mesure des votes communs des conservateurs et des réactionnaires à l'Assemblée nationale. L'unanimisme du débat public en est également une des expressions extériorisées. Or les moments où la structure sociale est figée sont généralement favorables aux forces politiques de gauche, parce qu'elles ont intérêt à remettre en cause une hiérarchie des pouvoirs qui leur est défavorable. Elles sont soutenues par une part importante des dominés du champ social mis en mouvement par l'effondrement de leur condition d'existence.
Effrayés par cette évolution du champ politique, les tenants de "l'arc conservateur-réactionnaire" en viennent à hystériser le débat public au point de blâmer systématiquement tous ceux qui ne partagent pas leur conception de l'ordre, autrement dit de la hiérarchie sociale. La présence à l'Assemblée nationale d'élus issus des classes populaires, ou proches de ses intérêts, a suscité une tel dégoût au sein de "l'arc conservateur-réactionnaire" qu'il a conduit nombre de représentants de la Nation à faire état de leur préférence pour les élus d'extrême-droite, dociles parce que soumis aux règles de la bienséance bourgeoise.
C'est dans ce contexte particulier que le 7 octobre 2023, le mouvement d'extrême-droite palestinien, le Hamas a commis un crime contre l'humanité en massacrant des milliers de civils israéliens. La suite est connue la guerre, ses violences et ses milliers de civils décimés !
Et pour clore ce bilan mortifère : une véritable instrumentalisation de l'horreur de la guerre à des fins politiques. L'objectif inavoué étant toujours le même pour les "bienheureux" : maintenir l'ordre (la hiérarchie sociale) coûte que coûte ! Il s'ensuit de toute part l'exaspération d'un véritable sentiment de haine qui s'accompagne de "l'effondrement brutal" des valeurs républicaines.
Par-delà la normalisation de l'extrême droite indispensable à la structuration de "l'arc conservateur-réactionnaire", force est de constater qu'à gauche, les tenants du républicanisme originel peinent à faire face. Les uns parce qu'ils sont effrayés par la violence du jeu politique préfèrent se taire, les autres parce qu'ils sont épouvantés par l'effondrement civilisationnel en cours usent de fermeté et n'entendent nullement céder malgré les vociférations insultantes des tenants de "l'arc conservateur-réactionnaire".
Or en réagissant à l'invective par l'invective, à la violence sociale par la violence sociale, les forces progressistes participent indirectement à l'hystérisation du débat public, et partant se rendent inaudibles.
Aussi à maints égards, la période semble-t-elle particulièrement désespérante, et pourtant...
Les temps actuels, l'extrême violence d'un régime de domination de plus en plus brutal sont également favorables à la réhabilitation des notions de rapport de force, de lutte des classes qui font échos à l'immense souffrance, souvent vécue comme honteuse, des classes populaires privées de protection sociale.
C'est pourquoi, il est temps pour les forces de progrès de se libérer des règles de conduite qui leur sont assignées par les forces de "l'arc conservateur-réactionnaire", et d'agir de concert, afin d'inventer de nouvelles formes de contestation qui reposent sur une analyse scientifique de la situation politique.
Est-il réellement nécessaire de rappeler au terme de cet article, qu'être de gauche c'est tordre le cou aux idées reçues, c'est rompre avec les alternatives simplistes (de "l'arc conservateur-réactionnaire") qui n'engendrent que démoralisation et désillusion politique !