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Sylvie Bourgouin

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Sylvie Bourgouin

Descriptif auteur

Ecrivaine, scénariste, j'ai publié de nombreux ouvrages de poésie, des pièces de théâtre, des essais, des romans depuis l'âge de quinze ans.
En 2002, à la mort de mon cousin, le peintre Jean-Paul Harivel, j'ai cessé d'écrire de la poésie pour me consacrer à la dramaturgie, pus j'ai écrit treize romans.
Je suis née à Rouen le 26 décembre 1963.
Après une maîtrise d'Histoire à l'université de Rouen, j'ai préparé une thèse de Lettres Modernes à Paris sur Marguerite Duras.

Structure professionnelle : 58, avenue de Versailles 75016 Paris
75016 PARIS
0650586883

Titre(s), Diplôme(s) : DEA de Lettres Modernes

Fonction(s) actuelle(s) : Scénariste

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AUTRES PARUTIONS

"La signatique, essai de sémiotique appliquée" paru aux éditions Spinelle à Paris.

LES CONTRIBUTIONS DE L’AUTEUR

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LES MUSULMANS ET LES BOUDDHISTES VERS UN NOUVEAU SANGHA- Sylvie Bourgouin

Articles de presse

Journal d'Elbeuf

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Deux mises en espace d'"Hafsa", informations pratiques

Articles de presse

"HAFSA", L'Espace Quartier Latin, 37 rue Tournefort 75005 Paris

Articles de presse

"Hafsa" à Art Studio Théâtre, 120 bis rue Haxo, 75019 Paris

Articles de presse

Deux représentations d'"HAFSA" à Paris

Articles de presse

"HAFSA" Collection Théâtres

LES ARTICLES DE L'AUTEUR

"Hommage à Annie Ernaux", Office de tourisme de Bourneville, juillet 2009

Signature :
Sylvie Bourgouin, Paris, juillet 2009.

"L'Illisible : Lieux et enjeux modernes et postmodernes", Colloque international pluridisciplinaire, Tunis, 7-10 mars 2012 Peut-on "Ecrire la vie" ou l'illisibilité annoncée dans l'oeuvre d'Annie Ernaux"?

"L'illisible : Lieux et enjeux modernes et postmodernes".
Colloque international pluridisciplinaire Tunis 7-10 mars 2012
Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis


Peut-on "Ecrire la vie" ou l'illisibilité annoncée dans l'œuvre d'Annie Ernaux ?
Sylvie Bourgouin

"Ici encore, devant les feuilles couvertes de mon écriture raturée, illisible sauf pour moi, je peux croire qu'il s'agit de quelque chose de privé, de presque enfantin, ne portant pas à conséquence […]Quand je commencerai à taper ce texte à la machine, qu'il m'apparaîtra dans les caractères publics, mon innocence sera finie"¹.










______________________________
Annie Ernaux, Passion simple, p.70


Introduction
Lorsqu'une anthologie littéraire est proposée à un auteur et reçue par les lecteurs, les présupposés de réception critique semblent acquis a priori : cohérence éditoriale, collection connue, écrivain de renom à la dimension internationale, œuvre établie par l'établissement scolaire et universitaire.
Ces positions théoriques admises supposent et déterminent la lisibilité de l'œuvre si les critères de réception sont attendus aussi. Toutefois, dans cette anthologie Ecrire la vie, l'ordre chronologique, tout à la fois enfantin et doctoral conçu dans la simplicité de l'écoulement du temps de l'écriture n'est pas requis et convoque de façon prégnante l'illisibilité comme pré-requis de lecture.
L'écrivain a choisi l'ordre du temps de la vie, l'écoulement des jours plutôt que celui de l'écriture modifiant de surcroît le rôle du critique. Le lecteur ne lit plus une œuvre devenue illisible mais lit une vie pour reprendre le célèbre ouvrage du normand Guy de Maupassant.
Disons alors que les sciences du langage déplaceraient leurs enjeux de littéraire, de critique, de linguiste, de pragmaticien, d'historien de l'art ou de la littérature et se transformeraient en sciences du vivant intégrant alors non seulement la sociologie bourdieusienne chère à Annie Ernaux, l'Histoire dont elle reçut une formation initiale, l'ethnologie qu'elle développa à loisir dans ses journaux intimes mais aussi et principalement ici les sciences du vivant, la biologie, la médecine, la psychologie, la psychanalyse.
Il va de soi que le rôle du sémioticien n'est pas d'accéder au regard d'entomologiste du médecin et qu'il laisse encore l'œuvre dans son illisibilité. S'il s'agit d'un Degré zéro de l'écriture ou d'une Chambre claire, ils restent percés de trous, de manques, d'énigmes, de secrets, de malentendus, d'allers et retours, d'hésitations, comme la circulation du sang dans le corps humain ou le développement des cellules nerveuses. Le journal intime n'est édité que par extraits, les photographies a fortiori ne sont pas exhaustives à l'heure de la surmultiplication et de la déformation du numérique.
L'auteur, par cette illisibilité annoncée, opte pour le choix d'une transgression, d'une subversion d'un ordre établi. L'historien ou l'historien des lettres, le stylisticien s'attendent à ce que la biographie et la bibliographie concordent et coïncident dans les présupposés élémentaires de catégorisation, de classement de bibliométrie et de dictionnaire. Cette illisibilité convoquée, provoquée même nécessite une grille de lecture renouvelée, opérant pour le primat de certaines figures de style, la syllepse et l'analepse par exemple, comme un microkyste apparaît dans une échographie mammaire ou comme le désordre décrypté d'un taux de cholestérol ou d'une numération anormale de plaquette sanguine. Ces allers et retours sur soi, sur ces carnets d'écriture, sur ces débuts de romans, sur ces reprises, sur ces journaux intimes perdus, jetés, sur ces journaux extimes de la lumière extérieure sont comme le bouillonnement du sang de la tension artérielle.
L'écriture se cache, le texte se voile, le récit se maquille, on retranche des graisses, on retire un abcès, on modèle une hanche et la fixation du genre, le contour de la matière restent incertains. "Très délibérément la narratrice se refuse les descriptions charmantes des rues de l'enfance pour rendre lisible la hiérarchie sociale qu'elles contenaient". L'initiale Y. est requise pour désigner la ville natale. L'effort de lisibilité est souhaité mais Y, par son étrangeté géographique, son code ou son indétermination comme lieu universel de l'illisible convoque aussitôt l'équilibre dans un principe de balancier entre lisible et illisible.
Toutefois, cette crise du sens permet aussi d'entrevoir un aspect de l'écriture de la romancière qui se tait, par dignité ou par pudeur, qui hésite, qui revient, qui complexifie, qui échange, qui annonce, qui dénonce, qui gomme, qui rature, qui efface, qui colle, qui copie, qui recopie, qui retourne dans un désordre, un déséquilibre, une instabilité ou une apparente fragilité.
Faut-il encore aborder l'illisibilité affichée des exhibitions de la maladie cancéreuse comme un exorcisme par L'usage de la photo ? On utilise les voyelles L'occupation, Je ne suis pas sortie de ma nuit comme une grille rimbaldienne d'un je qui resterait un autre.
Cependant, la découverte de soi, tout autant que la lecture abrupte de son journal intime exposerait l'auteur à une clarté crue, à une luminosité forte, à une lisibilité juvénile. Cette protection du fragment, de la juxtaposition du photojournal préserve la romancière d'un sens évident, simpliste en lui offrant la possibilité d'un nouveau possible pour une autre lecture. L'Europe, l'euro, la radio, les chansons et ses compromissions, la Belgique, la Russie, la médecine et la maladie deviennent alors à double sens dans la précaution élucidée d'un autre commentaire, d'une solution déviante, d'un faux sens. Cette forme de décantation, de passage obligé, d'un test de révélation de l'écriture permet à l'auteur une pause, une reprise de son souffle et au lecteur un round d'observation ou un tour de chauffe. Une approche symétrique, une reconnaissance concomitante, un rapprochement deviennent alors une forme de grâce de l'écrivain pour son lecteur.
Toutefois, ce masque serait-il une expression de l'illisibilité de l'entre-deux de la société ? La culture dominante aurait-elle alors son aliénation dans l'expression du jeu, du double jeu, de la double vie, du double sens de la bourgeoisie ? Serait-ce ainsi un code bourgeois ?
Cette volonté sans cesse énoncée de distanciation, de mise à distance, de modélisation surajoute et accentue l'illisibilité. L'auteur reste à distance de son lecteur dans la fraction et le quota, les mathématiques parfois illisibles de son intimité, les abréviations, les crochets, les codes de L'atelier noir. L'aspect insolite de l'univers codé de L'atelier noir (RT, VN "52", "A63" etc.) propose un décodage nécessaire à la lisibilité. Le chiffre et le signe exposent les peurs, les interdits se superposent et s'entrelacent dans une relation de domination.
Le français populaire en mémoire, les intertextes dans Les armoires vides peuvent conduire à une illisibilité. Un monde se clôt sur l'indéchiffrable d'un microcosme langagier, d'un accent ou d'une langue franche tout à la fois magique et illisible.



1. L'illisible des signes ou l'ordre biologique : l'hypothèse d'une autre vérité
Dans l'illisibilité d'une anthologie comme Ecrire la vie d'Annie Ernaux, doit-on béatement commenter qu'il nous est demandé de lire entre les lignes ? Lorsque l'auteur énonce dans sa préface
"Ce parti pris, en bousculant l'évolution de l'écriture et rapprochant des textes rédigés en des périodes très distantes, rend davantage perceptible la diversité des formes, l'écart des voix et des styles correspondant à celui des points de vue, dans une fréquente reprise des moments de la vie".
se dégage, au-delà de l'anticonformisme, la priorité donnée au signe, au signifié plus qu'au signifiant, au formalisme plus qu'à la narration d'une histoire linéaire.
Le lecteur sait d'emblée que sa position sera inconfortable, que sa mémoire sera convoquée et que cette illisibilité des signes doit intégrer son champ ou sa conscience.
"Pourtant cette œuvre inclassable, bien que se jouant des critères doxiques, brouillant les pistes et malmenant à l'envi "les scènes d'énonciation", se présente néanmoins avant tout comme littéraire".
Peut-on alors conclure au primat de l'écriture, à sa préséance sur toute autre forme ou activité humaine ?
Cette domination des signes qui devancerait la parole ou qui l'occulterait, qui empêcherait l'expression de l'amour ou de l'amitié peut surprendre de la part d'une romancière d'origine normande bercée au sein du romantisme hugolien. Toutefois, le concret, le réel même encore informe, illisible seulement signe indistinct, ce qui est vu, touché, transcende ou transgresse ce qui est sens. :
"Il y a eu des amitiés dans ma vie, il y a des amitiés, mais je ne sais pas en parler. Il y a des choses dont je ne sais pas parler, je crois que je ne sais pas parler de l'amour, par exemple. Je ne sais pas parler de l'amour, je ne sais pas parler de l'amitié, je ne sais pas parler ces sentiments, je ne peux que montrer des signes".
Dans l'illisibilité de l'œuvre d'Annie Ernaux, nous devons considérer cette impossibilité à dire le sentiment, peut-être même à énoncer, à nommer l'identité ou l'appartenance sexuelle. L'histoire sociale, le monde des dominés, l'histoire médicale, la douleur, la souffrance, l'exclusion, la solitude, le lieu d'où l'on vient, l'origine, la naissance déterminent l'expression de l'affect et la taisent, la refoulent en quelque sorte, rendant l'humain illisible. Si l'énonciation du destin dans l'œuvre est l'expression d'une dramaturge illisible, on ne peut déchiffrer les non-dits de la figuration des tabous. Se dessine alors une forme primitive de la féminité, dans sa gestation et sa reproduction, ses aliénations et ses privations mais aussi et surtout l'expression d'une classe sociale et l'éducation d'une génération. Le fait de mélanger l'ordre des textes avec les photos, d'opter pour l'ordre biologique, du déroulement de la vie plutôt que celui de la biographie du déroulement de l'écrit ne sert-il pas aussi à l'illisibilité d'une œuvre, d'un "je ne peux pas tout dire, je ne peux pas tout écrire, j'hésite, j'ouvre un journal intime puis un autre journal, un journal d'écriture puis enfin un début de livre, je reviens dans un des" journaux jusqu'à l'établissement définitif du livre fait d'allers et retours sur soi-même, d'hésitations, de remords et de repentirs. De semi-confessions en demi-aveux, la lisibilité n'est jamais directe de la pensée de l'auteur à l'écrit du livre comme le ferait un peintre ; ici on reprend, on retouche, on tait et on distancie. Le je se cache alors dans un filtre, un élixir et se perd, s'expose, s'exhibe et se délite, se reperd et se noie aussi dans les dédales d'une sur-formulation., d'une sur-lisibilité comme on dirait un sur-moi, dans le sens d'une redite, d'une répétition du moi dans le sens où nous disons plusieurs fois la même chose, où je se dit plusieurs fois.
"Pendant des années, en allant à la bibliothèque de l'INRP, rue d'Ulm, j'avais vu l'Institut Curie situé en face, son jardin attenant, les roses. Je changeais généralement de trottoir avant de parvenir à la hauteur de l'Institut. Je m'engouffrais dans l'INRP avec la sensation d'échapper à un danger. J'étais provisoirement sauve. Quand j'ai franchi pour la première fois la porte de verre de Curie le matin du 3 octobre 2002, j'ai pensé que le sursis était fini. L'impression que le cancer du sein devait m'arriver comme toutes les choses qui n'arrivent qu'aux femmes. Même si ni ma mère, ni ma grand-mère, ni mes tantes, ni mes cousines, n'en ont jamais eu, que je suis la première, comme je l'ai été en faisant des études supérieures, que j'inaugure."
Dans ces lieux de mémoire collective, dans cet Institut Curie connu de tous pour les soins portés aux cancéreux, dans ces changements d'orientation éprouvé par tous devant un hôpital s'offre peut-être la lecture, l'enchevêtrement, l'entrecroisement de plusieurs destins. Un destin de femme s'accomplit dans le déroulement de la maladie, dans son acceptation et sa soumission mais une vie palimpseste peut se déchiffrer dans la trahison du sein maternel. L'interaction de multiples vies se profile ainsi dans une sorte de montage de fragments de vie :
"Il (le photojournal) éclaire les raisons d'écrire ce que j'ai écrit jusqu'à présent. Il faut, je crois, le considérer comme un autre texte, troué, sans clôture, porteur d'une autre vérité que ceux qui suivent"
Une autre lecture possible de l'œuvre adviendra. L'utilisation du photojournal permet une réception souhaitée, supportée, admise de l'histoire relatée. Par ses manques, elle fait preuve de diplomatie, d'intelligence, de souplesse, de collaboration en quelque sorte qui peut conduire à la réussite et à l'ascension sociale rêvée.


2. Les manques : l'édition partielle du journal d'écriture, du journal intime et du photojournal
Ce refus de l'ordre classique, de l'ordre ancien, de l'académisme même transmet aussi une illisibilité d'ordre pragmatique. Ainsi l'écriture fragmentée des extraits du journal intime, intervenant sur un choix de photographies prises antérieurement à la rédaction des textes, tend à rendre lisible le mode opératoire de l'illisible. Par exemple, nous ne trouvons pas mention de l'article de Marguerite Duras sur l'affaire Grégory (Libération, 17 juillet 1985) écrit aux Roches noires de Trouville assez proche d'Yvetot. Dans L'atelier noir (éditions des Busclats), l'auteur écrit le 30 juin 1985 puis le 27 juillet 1985.
L'auteur donne à lire dans ce photojournal une version possible du décryptage de sa biographie, de son intimité devenue illisible de façon factuelle. Un simple extrait supplémentaire modifierait la globalité du sens et on peut convoquer ici l'enjeu majeur de l'illisible à savoir la crise du sens. L'auteur laisse ainsi son œuvre dans son éblouissement originel ne convoquant pas sa compréhension par la lecture de son intimité. Illisible, l'œuvre devient majeure laissant le récepteur à sa seule lecture. Cette crise du sens, sa contradiction, son fractionnement, son découpage, cette écriture comme un couteau offre une possibilité d'Ecrire la vie.
"Je possède très peu de photos familiales antérieures à ma naissance, aucune de ma mère avant le jour de son mariage, ni de son père, mon grand-père, décédé quand elle avait treize ans."
On entrevoit alors une issue, un corridor, un escalier sans que l'écrivain ouvre véritablement la porte de son œuvre, préservant ses secrets, son intimité globale et totale souhaitée, son quant-à-soi et laissant l'auteur plus écrivain que personnage public ou médiatique.
"Ecrits parfois à la même époque que celle de la photo, le plus souvent après, ils révèlent les fluctuations de la mémoire au fil du temps et jettent des lueurs mouvantes sur les choses de ma vie."
Dans l'illisibilité de ces manques, la mémoire reconstitue et se réapproprie une autre vie.
Annie Ernaux rend compte ainsi de l'illisible de son projet d'écriture :
"Parmi les photos de moi, j'ai privilégié bien que les moins nombreuses, celles des années d'enfance et de jeunesse, c'est-à-dire la période des hasards et des choix qui ont engagé durablement ma vie. Elles ne la résument pas. Elles rendent seulement visible le milieu social et familial dans lequel mon projet d'écriture s'est ancré, les conditions matérielles dans lesquelles il s'est réalisé. Reste invisible tout le reste, qui nourrit mes textes, les idées, les passions et même le métier de professeur qui m'a occupée durant trente-quatre ans"
Cette invisibilité, cette autre illisibilité des manques photographiés de la maturité sont comme une chance, une ouverture à l'imaginaire renouvelé du lecteur qui doit alors les reconstituer ou attendre un nouveau volume.
Peut-on lire une œuvre ou appréhender son sens par le manque, le négatif ? L'annonce émouvante de l'auteur est l'absence potentielle des photographies de l'âge adulte qui limite ou empêche l'exhaustivité de la lisibilité de la vie, son sens, sa compréhension, son détachement ou dégagement familial par le mariage, les amants. De la même façon l'écrivain poursuit :
"En regard des photos d'êtres, de lieux, qui ont compté, comptent toujours pour moi de toutes les manières - dans ma vie, mon écriture - j'ai fait figurer des extraits de mon journal"
Ainsi l'illisibilité inscrite permet une autre lisibilité de l'œuvre. Quel sera le sens à donner à l'œuvre, sa vérité aussi si on ajoutait d'autres photographies sur ces mêmes extraits ou d'autres extraits du journal intime sur ces mêmes photographies ? Aboutirions-nous à un autre champ de vision, une autre lisibilité, à une autre lecture, à un autre sens, à une autre vérité, à une autre illisibilité ? L'écriture de soi ne peut être ainsi qu'une écriture photographique où il est question de se chercher et de se perdre.
Ces photographies de l'auteur éblouissent les fragments des textes intimes et laissent la trace dans leur infinitude, leur incomplétude d'une illisibilité complice. Cette perte, ce manque, cette absence, ces blancs, cette écriture blanche peuvent rendre Venise par une étrange transformation illisible.
"L'incipit" décrit la sensation du manque, suivie de la constatation d'être perdue dans le monde ; "l'excipit" (absence) fait se refermer le livre sur une Venise désertée de la présence de W., avec nombre de locaux qu'ils avaient fréquentés ensemble, désormais désaffectés."

3. L'illisible par le non-dit, le silence, les évolutions de la psychanalyse
La volonté de dévoiler le non-dit s'accompagne d'une réflexion critique, comme dans la description au début de Passion simple, d'images cryptées d'un acte sexuel évitait ensuite de décrire l'acte :
"C'est fait, une fois pour toutes, à la première page. Le sexe n'est pas représentable" (Propos recueilli par Christine Ferniot, Ecrivain Magazine n°6 oct-nov.1996)".
L'image cryptée participe de l'illisibilité où le sexe chez Annie Ernaux conjugue la double pulsion de fascination et de répulsion, d'éros et de thanatos, d'infinis problèmes et d'éternelles désolations.
Le sexe et la maladie semblent liés à la faute, comme une erreur de l'être, une fatalité, un destin. Le sexe et la maladie comme mode de transmission, un lien génétique entre la mère et la fille, un patrimoine génétique entre la fille et le père, un foyer infectieux pour la fille devenue mère. Le non-dit et le silence privilégient les déterminismes géographiques et l'aporie d'une classe sociale. Mais cette illisibilité naturelle de la maturité ou son opacité qu'accroît la maladie d'Alzheimer de la mère pourraient conduire à une autre lisibilité de l'œuvre : le pouvoir, la domination, la volonté de puissance dans un aspect reconsidéré du déroulement du temps de Passion simple ou des Années. L'ambition du roman total, la rage de l'élévation sociale, la recherche de la distinction par le biais du prix littéraire, le souhait d'une égalité entre les hommes et les femmes mènent à une autre lisibilité.
"Ce n'est plus mon désir, ma jalousie, qui sont dans ses pages, c'est du désir, de la jalousie et je travaille dans l'invisible"
Maîtrisons-nous tout à fait notre destin, cette part de l'illisible qui s'écrirait malgré nous ? "Je ne suis pas sortie de ma nuit" recouvre de noir la correspondance des jours et force à une nouvelle sociabilité de la distance déchiffrée.
L'examen clinique de la jalousie décrit l'illisibilité de l'être face à ses passions.
"Ce nom absent était un trou, un vide, autour duquel je tournais."
L'occupation exprime l'hyper réalité de la jalousie mais cache-t-elle ou anticipe-t-elle une autre maladie qui sera le cancer du sein ? Le dérèglement que peut provoquer la jalousie paranoïaque, le délire obsessionnel, la schizophrénie, la dépossession accentue l'illisibilité de l'être. Il s'agit bien d'une sur-lisibilité surlignée où une histoire s'inscrit sur une autre histoire, un livre palimpseste à la double lisibilité. Le choix biologique plutôt que le choix chronologique laisse-t-il alors entrevoir une sorte de caryotype de l'écrivain avec son autofiction médicale (le médecin pouvant se taire sur le nom d'une maladie, peu ou mal soignée pour diverses raisons), le secret médical ?
La violence verbale, la provocation du réel, le sang de l'avortement dans l'Evènement, la mort du père dans La place, la maladie d'Alzheimer de la mère dans Une femme, la vengeance d'une race, l'Ecriture comme un couteau, l'émotion des tests de séropositivité construisent l'illisibilité comme source de poïétique d'Ecrire la vie. Dans l'illisibilité, il y a la catharsis aussi. L'écriture réussit sûrement son exorcisme.
L'illisibilité d'une œuvre c'est aussi le déchiffrage de Dieu dans son absence, la lecture spirituelle dans sa négation, la place de l'eucharistie dans la vie matérielle.

" Ce faisant, je vise peut-être à dissoudre la scène indicible de mes douze ans dans la généralité des lois et du langage. Peut-être s'agit-il encore de cette chose folle et mortelle, insufflée par ces mots d'un missel qui m'est désormais illisible, d'un rituel que ma réflexion place à côté de n'importe quel cérémonial vaudou, prenez et lisez car ceci est mon corps et mon sang qui sera versé pour vous".

Quelle serait alors la lisibilité du même texte Ecrire la vie si un autre ordre, une autre stratégie de l'écriture de l'illisible étaient retenus ? Un dialogue socratique pourrait s'établir entre l'auteur et son lecteur, une illisibilité spirituelle se conquérir dans l'émergence d'une autre visibilité sémantique partagée.
La culpabilité, la faute non avouée, non énoncée, non prononcée, non nommée illisible déclenche l'acte d'écrire. La faute réelle reste masquée, illisible, reste le texte expiatoire, comme exutoire, sorte de cène originelle, sorte de soin, de pansement sur la plaie purulente. Une absolution, une eucharistie par la réception critique populaire, unanime, une sorte de sacre, mais la sœur est invisible, illisible. Satan enclot l'atome, la cellule du mal.

Conclusion
Les approches du lisible-scriptible par le langage dans l'œuvre d'Annie Ernaux et le choix de la forme de l'œuvre sont les marqueurs du respect de la classe sociale des origines. La volonté somme de ne pas trahir son milieu de naissance tout en combattant pour rejoindre le milieu social élevé de la bourgeoisie. La réalité énonce les nombreux points de vues des sciences humaines, expose les photographies des preuves du réel et se tourne par l'extrait du journal intime surtout du personnel vers le collectif, du pronom personnel je à l'indéfini on, décrit une trajectoire transpersonnelle de l'illisibilité qui devient commune si elle est révélée.
Dans l'évolution des formes, dans les obsessions de l'écriture plate, dans les progressions des recherches des projets et des énoncés reste l'importance du passage, de l'ouverture, du combat, d'une volonté acharnée d'établissement social, d'atteindre un milieu dominant, la bourgeoisie. La réussite sociale passe par des compromissions, une illisibilité, des bains de sang, des indifférences, des aveuglements et des fiertés. Mais l'illisibilité peut permettre une victoire, une nouvelle lisibilité sociale, la cohérence d'une œuvre et de son langage, sa grande force.
La complexité de l'établissement du texte, sa genèse difficile et laborieuse, ses méandres et ses élargissements dans les journaux intimes, son empêchement, sa volonté de pierre transmet dans sa réception critique l'illisibilité d'une mélancolie et l'illisibilité d'un pouvoir. L'œuvre d'Annie Ernaux annonce une crise, une crise du sens, une crise du langage et dans cette impossibilité à dire ou à écrire l'amour, l'amitié, les sentiments, un malaise, une déchirure, Une sorte d'urgence de l'écriture voulant se détacher de l'autobiographie collective, concomitance de l'individuel et du collectif où ce cancer du sein serait celui de tous, une sorte de communion de la maladie transmissible. L'illisibilité c'est aussi cette description hyperréaliste ou surréaliste d'une maladie, de l'avortement dans l'Evénement, de la maladie d'Alzheimer dans Une femme ou du cancer du sein dans l'Usage de la photo le sentiment hypnotisé, insensibilisé par l'accomplissement de la mort.






















Bibliographie


Sous la direction de Danielle Bajomée et Juliette Dor, Se perdre dans l'écriture de soi, Editions Klincksieck, 2011

Annie Ernaux, L'autre fille, Editions NiL, 2011
Annie Ernaux, L'atelier noir, Editions des busclats, 2011
Francine Dugast-Portes, Annie Ernaux, Etude de l'œuvre, Editions Bordas, 2008
Annie Ernaux, Ecrire la vie, Editions Gallimard, 2011
Annie Ernaux Marc Marie, L'usage de la photo, Editions Gallimard, 2005
Etudes réunies par Fabrice Thumerel, Annie Ernaux, une œuvre de l'entre-deux, Artois Presses Université, 2004

Signature :
Sylvie Bourgouin, Paris, mars 2012.

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