2
livres
Vous avez vu 11 livre(s) sur 2
LES ARTICLES DE L'AUTEUR
L'héritage chez les Béri dans les anciens temps (Une approche d'anthropologique sociale)
Citation :
N. Hagen (Pathologie de la reproduction) et V. Gayrard (Physiologie de la production), novembre 2005, Mémento des critères numériques de reproduction des mammifères domestiques, Ecole Nationale Vétérinaire - Toulouse.
Zakaria Fadoul Khidir, 2016, Anthropologie des Populations Tchadiennes. Les Béri du Tchad, L'Harmattan, Paris.
Site web : www.assorti.com, Judaïsme, Halakha (Loi juive), statut des femmes Moderne, article de Yeshaya Dalsace, Inégalité juive devant l'héritage (consulté en 2015).
Site web : www.najaf.org/french/book/6/19.htm, L'héritage de la femme en Iran à l'époque sassanide (consulté en 2015).
Site web : www.sunnite.net, L'héritage en Islam : Lois, Partage des biens, 15 avril 2015, Sunnite (consulté en 2015)
Résumé
La condition de la femme et les responsabilités de celle-ci au sein de la société sont devenues actuellement des problèmes majeurs dans le monde entier. La femme dans la communauté des Béri apparaît souvent comme un bien précieux, uniquement au service de l'homme : on meurt pour la conserver ou pour sauver son honneur mais elle reste totalement soumise à son mari et à la famille de celui-ci ; elle fait des enfants qui se rangent sur la lignée de leur père ; elle est l'objet du lévirat, souvent contre son gré ; elle entre dans le troupeau de la diya en remplacement de 25 têtes de bêtes et elle était, jadis, exclue de l'héritage sur les biens de son père lorsque celui-ci décède. Nous avons voulu décrire le cas le moins connu de ces problèmes, c'est-à-dire l'héritage dans les anciens temps, à l'époque où l'Islam n'avait pas encore changé les pratiques ancestrales dans cette communauté. L'analyse des faits montre, contrairement à ce qu'on est tenté de croire, que la fille n'est nullement défavorisée par son exclusion de l'héritage, par rapport au garçon. La communauté avait établi un code bien précis au cours de l'évolution de l'enfant et ce code fait acquérir à la fille des biens qu'elle n'aurait jamais eu autant, par le biais de l'héritage édicté par l'Islam.
Mots clés :
Fille, garçon, héritage, droit, âge, Islam, tradition ancestrale.
Summary
The status of women and the responsibilities of the latter in the company now became major problems in the world. The woman in the Beri community often appears as a precious, only in the service of man: one dies to preserve or to save her honor but it is totally submissive to her husband and family of it ; it is the children who line up on the line of their father; it is the subject of wife inheritance, often against their will; she enters the herd of diya replace 25 cattle heads and was formerly excluded from the inheritance of the property of his father when he dies. We wanted to describe the known cases the least of these problems is to say, the heritage in ancient times to the time when Islam had not changed traditional practices in this community. The analysis of the facts shows, contrary to what one is tempted to believe that the girl is not disadvantaged by its exclusion from inheritance, compared to the boy. The community had established a specific code during the development of the child and this code is to acquire goods daughter she never had as much through inheritance enacted by Islam.
Keywords
Girl, boy, inheritance law, age, Islam, ancestral tradition.
Qu'il s'agisse des aspects matrimoniaux, des conditions de vie, de la succession ou de l'héritage, les problèmes de la femme ont traversé des siècles et préoccupé des communautés. Par exemple, le statut juridique et social de la femme dans la communauté arabe préislamique paraissait abominable. Plusieurs prétextes dont le fait qu'elle n'était pas apte d'aller au combat et de pouvoir rapporter du butin, avaient conduit à l'exclure de l'héritage. Mais pire encore, non seulement qu'elle ne pouvait prétendre à l'héritage, elle devenait par ailleurs un élément parmi les biens de son mari si celui-ci venait de mourir : elle revenait alors au fils ainé de ce mari lors du partage de l'héritage et ne pouvait se libérer de lui que par un rachat. Par ailleurs, pendant la période sassanide (ex-empire iranien), un homme avait le devoir de trouver à sa fille un mari à sa convenance dès qu'elle atteignait l'âge de la puberté. Le mariage d'une fille était donc conçu par son père et le contrat ainsi établi était considéré comme légal car la fille n'avait pas le droit de choisir elle-même son mari. Une fois mariée, la fille perdait le droit à l'héritage sur les biens de son père. Mais si le père n'arrivait pas à lui trouver un mari à temps, elle pouvait alors outrepasser la volonté de son père et contracter elle-même un mariage qualifié d'illégal. De toute façon, du moment où la fille est mariée, légalement ou illégalement, elle perdait le droit à l'héritage sur les biens de son père. Le droit à l'héritage pour une fille était donc lié, non pas à la légalité de son union mais à son statut de mariée ou non. Enfin, la littérature religieuse nous apprend par ailleurs que la loi hébraïque ne reconnaissait pas à la fille le droit d'hériter de son père. En effet, dans les anciennes communautés juives, la fille ne pouvait hériter de son père si celui-ci avait un enfant mâle. Notons aussi que l'on y accordait à l'ainé des enfants le droit d'avoir une part double sur l'héritage du père tandis que ce privilège n'était pas reconnu aux filles. De même, une femme ne pouvait pas hériter de son mari alors que celui-ci le faisait quand sa femme décédait.
Ces différents aspects du problème m'ont conduit à examiner, dans la communauté des Béri, ce que représente la part de la fille sur les biens laissés par le père après sa mort. Il faut rappeler que les Béri constituent une communauté linguistique, culturelle et religieuse vivant aux confins des deux Républiques, le Tchad et le Soudan. La première remarque que l'on peut faire, c'est qu'il n'existe pas dans cette communauté de terme pour désigner l'héritage. A l'origine, il s'agissait de partage, inégal et variable parce que l'âge des bénéficiaires et d'autres considérations intervenaient pour influer sur les situations. Mais même dans cette inégalité, il n'existait aucune règle pour fixer la part de chacun. Font partie des héritiers les frères et demi-frères ainsi que les surs et demi-surs du défunt, ses fils et, selon les circonstances, d'autres parents et même ses amis intimes (ceux qui avaient acquis les mêmes droits que les frères). Dans certaines circonstances, si le frère d'un défunt se trouvait en position de force, il pouvait s'accaparer non seulement des femmes du défunt mais aussi de l'ensemble de ses biens. Si le fils aîné, à défaut d'oncle paternel digne d'autorité, se trouvait aussi dans la même situation, il pouvait lui aussi s'accaparer de tous les biens de son père et mettre à ses dépens tous ceux qui étaient sous la tutelle de ce père. Le mot weris que l'on utilise actuellement dans la communauté pour désigner l'héritage est d'origine arabe et est venu avec l'Islam ; celui-ci avait supplanté, il y a plus de quatre cents ans, le système traditionnel en place. Les Béri pratiquaient le droit d'ainesse avant l'Islam ; ils accordaient des privilèges liés à l'âge et excluaient de l'héritage les filles et les garçons déjà mariés.
1 - Le droit d'ainesse
On distingue deux cas de figures, celui où l'héritage se fait dans une famille de chef et celui où l'héritage concerne une famille du peuple. Dans le cas d'une famille de chef, lorsque celui-ci meurt, le titre du pouvoir, le sabre et le cheval du chef ainsi que tous les autres insignes d'autorité revenaient d'office à l'ainé des enfants mâles ou bour-sou [bυr-sυ]. Ces effets ne font donc pas l'objet de partage lors de l'héritage. Quant à la terre, on n'en faisait pas cas car son sort était déjà connu : la terre et les hommes qui y habitent appartenant au chef, ils revenaient aussi à son successeur, en tant qu'attributs du pouvoir.
L'ainé des enfants, qu'il soit issu d'une famille de chef ou non, a la priorité sur les biens dans la famille lors d'un partage, que ces biens soient des cadeaux, des dons ou des biens quelconques. Le statut d'ainé apparaît comme un privilège et conduit aussi à des responsabilités particulières dans toute situation, avantageuse ou difficile. L'ainé se met toujours au-devant de la scène. Même si le bour-sou mourait, ses enfants continueraient, d'une certaine manière, à assumer les fonctions d'ainesse de leur père.
Les filles, bien qu'exclues de l'héritage, avaient aussi leurs parts dans les autres cas de partage de biens ; les ainées étaient également avantagées par rapport aux plus jeunes. Elles jouissaient aussi du droit d'ainesse et avaient toutes les faveurs reconnues par ce statut ; mais il existait des cas où elles perdaient ce droit : par exemple, il arrivait qu'à la demande des parents d'une personne assassinée, la famille de la victime posât comme condition préalable au règlement de la diya, l'insertion dans cette diya d'une sur du meurtrier, en remplacement de 25 têtes de bêtes. Si c'est l'ainée des filles qui était désignée pour faire partie de la diya mais qu'elle refusait de l'accepter, elle perdait son droit d'ainesse par conséquent. Ce droit revenait alors à sa petite sur qui la seconde directement et qui devait désormais assurer la fonction de bour sou si toutefois elle acceptait, elle aussi, d'entrer dans la diya.
2 - Les exclus de l'héritage
Actuellement les Béri sont tous de confession musulmane et sont soumis aux principes d'héritage établis par le Coran et la Sunna. Donnons un exemple d'illustration, en prenant une famille nucléaire composée de la grand-mère, du père, de la mère et de deux enfants (un garçon et une fille) et voyons les différents cas de figure. Nous ne parlons pas ici du décès de la mère qui n'est pas gérante des biens (troupeau et autres) de la famille mais qui peut avoir aussi des animaux propres à elle.
Prenons un exemple concret pour notre illustration. A supposer que le père décède en laissant un héritage de 100.000.000 francs à sa famille et qu'il n'avait aucune obligations au moment de son décès (dettes, promesses de cadeaux ou de dons, etc.) ; la somme (appelons-la A) sera alors répartie de la manière suivante entre sa femme et ses fils (les oncles, tantes et autres parents ou amis ne pouvant pas se prévaloir comme héritiers dans ce cas) :
1/6 de A revient à la maman du défunt, soit 16.666.666,66666667 frs ;
1/8 de A revient à l'épouse du défunt, soit 12.500.000 frs
Le reste revient aux enfants, soit A - (A/6 + A/8) = 100.000.000 frs - (16.666.666,66666667+12.500.000) = 70.833.333,33333333 frs
Les 70.833.333,33333333 francs seront distribués entre les deux enfants, sur la base du principe islamique qui veut que la part du garçon équivaille à deux parts de la fille ; autrement dit, le garçon aura 2/3 de la somme restante tandis que la fille n'en aura que le 1/3, soit :
Pour le garçon : 47.222.222,22222222 francs
Pour la fille : 23.661.111,11111111 francs
Ces calculs se basent sur des principes de l'Islam, mais les choses se présentaient autrement dans les anciens temps chez les Béri puisque la tradition excluait de l'héritage les garçons mariés et les filles quel que soit leur statut matrimonial (mariées ou non). Cela s'explique pourtant par un certain nombre de raisons que nous verrons dans les lignes qui suivent.
2.1 - Les garçons mariés
Le souci principal pour les parents dans un couple, c'est de pouvoir marier ses enfants et l'une des principales destinations du troupeau de la famille était ce but par conséquent. Il faut rappeler que dans la famille chez les Béri, le gros du troupeau (exception faite des acquis spécifiques de chaque membre) constituait un bien commun et géré par le père qui y prélève la dot pour marier chaque garçon. En principe, le mariage des enfants, garçons ou filles, se faisait par ordre d'âge. Il n'était pas autorisé, sauf cas d'exception, qu'un enfant fût marié avant son ainé. Celui-ci avait le droit d'être marié le premier puis viendrait le second et ainsi de suite, jusqu'au benjamin qui serait le dernier à fonder un foyer. Le droit de chaque garçon sur les animaux de la famille (ou biens communs) cesse avec son mariage, le reste des animaux devant désormais constituer la dot pour les cadets non encore mariés.
Pour les ayant-droits (ceux qui sont concernés par l'héritage c'est-à-dire les garçons non mariés), le partage des biens du père défunt se faisait en principe en fonction de l'âge. Ainsi, le plus âgé des garçons devrait avoir la plus grosse part, le second un peu moins que son ainé et le troisième moins que le second et ainsi de suite, mais sans qu'il y ait un calcul préétabli sur les attributions. Rappelons que maintenant, il est une obligation musulmane de mettre tous les garçons sur le même pied d'égalité quel que soit leur âge.
La logique de cette tradition chez les Béri s'interprétait ainsi : l'ainé avait mis plus de temps à entretenir le troupeau que ses cadets, le second plus de temps que le troisième, celui-ci plus de temps que le quatrième, etc. Il était donc normal (sans qu'il y ait une quantification mathématiquement proportionnelle) que la part de l'héritage fût relative à la peine consentie à l'élevage des animaux de la famille. S'il arrivait que l'ainé soit déjà marié au moment du décès du père, il n'aurait plus droit à l'héritage exception faite, dans le cas d'une famille de chef, de ceux que ce chef utilisait dans l'exercice de son pouvoir (les bêtes de monture par exemple) et qui ne devraient pas faire l'objet de partage dans l'héritage, comme nous l'avons déjà mentionné plus haut.
2.2 - Les filles (mariées et non mariées)
Toutes les filles sont exclues de l'héritage pour le fait qu'elles ont un certain nombre d'avantages matériels qui, généralement, ne sont pas reconnus aux garçons. Ces avantages sont :
2.2.1 - Le droit de l'indi-koudou : [ιndι-kυdυ] signifie littéralement "pour le rasage de la tête" : Au 7ème ou 14ème ou 21ème jour, on doit raser la tête du nouveau-né. C'est l'oncle germain qui le fait et donne à son neveu, au moment de cet acte, ce qu'on appelle l'indi-koudou qui consiste en un teguiri [tègìri]. Un tegiri est exclusivement choisi parmi les plus gros mammifères domestiques, un dromadaire, un cheval ou un bovin. S'il y a plusieurs oncles germains, c'est celui qui avait eu droit à une part dans la dot de leur sur (la mère du bébé) qui sera concerné. Remarquons que ce don est fait aussi au bébé garçon, mais c'est la maman qui désigne celui qui doit raser la tête de son bébé sans que ce soit forcément l'oncle maternel.
2.2.2 - Le droit de l'ossigo [òsìgò] : ce terme signifie "la fusion des cheveux". Jusque vers l'âge de 14 ans environ, la petite fille se rase les tempes à l'exception du reste de la tête. Pendant cette période on l'appelle sarfu-tadou [sυrfυ-tadυ], ce qui peut se traduire par "(fille) aux tempes rasées". Après cet âge, elle laisse pousser les cheveux sur ses deux tempes et toute sa tête sera alors couverte de tresses. C'est l'âge de l'ossigo [òsìgò] qu'on peut traduire par "l'âge de la fusion ou de l'alliance (des cheveux)". Elle reçoit alors de son père (ou de son tuteur à défaut du père), un teguiri (dromadaire, cheval ou bovin). Ce don et tous ceux qui suivent sont exclusivement donnés à la fille.
2.2.3 - Le droit de l'ogoï [ɔgɔι]. Vers l'âge de la puberté, la fille abandonne le cache-sexe au profit d'un pagne qu'elle noue autour des reins, c'est l'âge de l'ogoï ; ce terme se traduit par "attachement" ou "pour l'attachement" ou "qui sert à attacher". Elle reçoit alors de son père un teguiri (dromadaire, cheval ou bovin).
2.2.4 - Le droit de hidi-kergo [hidi-kεrgɔ] : ce terme peut se traduire par : "pour le tour du lit". On utilise aussi un terme emprunté à l'arabe, chort [ʃɔrt] : au moment des nuptialités, le mari ne peut toucher sa femme qu'après lui avoir donné le hidi-kergo ou chort, consistant toujours en un teguiri (dromadaire, cheval ou bovin).
2.2.5 - Le droit de tà-sougo [tà-sugo] dont la traduction est "(pour le) voile de la tête" : après les nuptialités organisées auprès de ses parents, la femme reste avec sa mère des années pendant lesquelles elle peut avoir un, deux et même trois enfants avant de regagner le foyer de son mari. Durant tout ce temps, le père ne peut rencontrer sa fille qu'après lui avoir donné son droit, le tà-sougo consistant en un téguiri (dromadaire, cheval ou bovin).
2.2.6 - Le droit de l'adiya [adιya] qui signifie "(pour la) cachette" mais c'est une expression qui renvoie vaguement à l'idée de la pudeur : le fait de se montrer pour la première fois à ses beaux-parents constitue pour la jeune mariée une sorte de comportement impudique, qui fait référence à la perte de sa virginité. Le préjudice (défloration) que le mâle a fait subir à la femelle demande une réparation, c'est pourquoi à l'arrivée dans le foyer de son mari, la jeune mariée se cache dans sa case et refuse de se montrer au monde et de pratiquer les travaux ménagers hors de sa demeure, tant que son mari ou le tuteur de celui-ci n'aura pas donné son droit à l'adiya qui consiste en un téguiri (dromadaire, cheval ou bovin). Toutefois, ce droit se perd au cas où la fille ne serait plus vierge au moment du premier acte sexuel avec son mari. Celui-ci annonce alors le déshonneur en faisant sortir le fer d'une lance à travers le toit de sa case. Le caractère insolite du percement du toit symbolise et exprime l'anomalie mieux qu'un langage articulé. Les femmes renchérissent à leur tour ce message en envoyant sur la place publique un repas couvert d'un van troué au milieu. Il ne sera rien dit en public par des mots. Rien ne sera non plus dit, ni à la fille elle-même ni à ses parents. Dans la tradition, la fille débauchée (déflorée hors mariage) n'était pas renvoyée dans sa famille avec restitution de la dot, comme on le fait souvent à nos jours dans certains milieux musulmans. Le mari gardait sa femme mais celle-ci perdait son droit à l'adiya et le problème était ainsi résolu.
2.2.7 - Le droit de séné-kobou [sεnε-kɔbυ] : ce terme veut dire littéralement "manger pour survivre" ou "le droit à la vie". En cas de sécheresse, d'épidémie ou de tout autre événement qui aurait décimé son troupeau, la femme revenait alors auprès de ses parents pour réclamer de son père ou du tuteur, un autre droit, le sènè-kobou qui lui permettra de surmonter les moments difficiles. La valeur du sene-kobou, même si elle est tacitement obligatoire, n'est pas préétablie comme dans les autres cas.
Récapitulons les biens ainsi acquis par la fille dans un tableau :
Biens acquis Désignation de l'acquis
Valeur du bien acquis Donateur
1 indi-koudou Tèguiri 1 dromadaire, 1 cheval ou 1 bovin Oncle maternel
2 Osìgò Tèguiri 1 dromadaire, 1 cheval ou 1 bovin Père
3 Ogoï Tèguiri 1 dromadaire, 1 cheval ou 1 bovin Père
4 hidi-kergo ou chort Tèguiri 1 dromadaire, 1 cheval ou 1 bovin Mari
5 tà-sougo Tèguiri 1 dromadaire, 1 cheval ou 1 bovin Père
6 Adiya Tèguiri 1 dromadaire, 1 cheval ou 1 bovin Mari
7 séné-kobou Non précisé préalablement ; variable Père
La fille recevait donc au cours de sa vie des animaux de valeur appelés téguiri, non cumulatifs : soit un dromadaire soit un cheval soit un bovin. L'un de ces animaux est offert par son oncle germain, tandis que 4 par son père et 2 par son mari. Ces biens lui revenaient de droit et elle ne pouvait plus encore prétendre à une part d'héritage sur les biens laissés par son père.
Il faut noter ici que les trois acteurs qui interviennent le font dans des contextes différents : le premier (oncle germain) intervient une seule fois au moment du rasage du nouveau-né (moment où l'enfant dépend exclusivement de sa mère), le second (père) intervient quatre fois aux différentes étapes de l'évolution de son enfant, tandis que le troisième (mari) intervient deux fois dans des contextes maritaux (nuptialité et transfert de foyer).
La première intervention se situe à la première enfance, pendant les premiers jours de la naissance de l'enfant durant lesquels le sein maternel vient tout juste de remplacer le cordon ombilical. La personne la plus proche du nouveau-né est évidemment sa mère. Et les personnes les plus proches de la mère sur l'axe horizontal sont ses frères et surs, c'est-à-dire les oncles et tantes germains de l'enfant. Sans discuter sur la signification ou la valeur symbolique accordée au rasage du nouveau-né, disons que le rasage relevant généralement des activités de l'homme dans la communauté des Béri et que les oncles se situant à la proximité immédiate de la mère sur le plan collatérale, c'est à l'un d'eux que revenait ce premier acte de purification de son neveu.
La deuxième intervention se situe à la deuxième enfance ; l'enfant est déjà sortie de la "couvaison" de sa mère, avec une nouvelle dénomination (tènè bour) et une nouvelle façon d'arranger ses cheveux sur la tête. L'affection maternelle a cédé progressivement la place à l'autorité paternelle. La responsabilité de marquer cette étape dans l'évolution de l'enfant qui peut désormais être considérée comme une "future femelle" et non comme une simple enfant pour laquelle la vision du sexe n'apparaît encore de façon explicite que comme élément de la pudeur (et non comme élément de l'acte sexuel), revient donc au père, garant des bonnes murs sociales.
La troisième intervention se situe à l'adolescence, au moment où la fille exprime sa maturité par une autre dénomination (tombo), un nouveau arrangement des tresses (tresse maîtresse dirigée vers l'avant de la tête, au niveau de la fontanelle) et un changement d'habit ainsi que de comportement et d'attitude vis-à-vis des hommes. Elle n'est plus enfant, elle n'est plus fille, mais elle devient "femelle" c'est-à-dire le partenaire du mâle, le moyen de la procréation et de la pérennisation de l'espèce. C'est la responsabilité du père qui est encore impliquée.
La quatrième intervention est relative aux nuptialités et se situe aux premiers contacts physiques des partenaires, pendant les heures les plus intimes de la vie du couple. La fille feint alors l'inviolabilité de son intégrité physique et, pour céder, elle fait valoir un droit que le mari ne pourrait récuser.
La cinquième intervention est une sorte de marqueur de changement de statut. La fille étant devenue une femme, elle ne devrait plus se monter à son père comme elle le faisait avant. Le voile de la tête est une forme d'honneur familial et de respect envers son père. Le père doit contribuer à ce comportement par un don qui est, en fait, un droit tacite pour sa fille.
La sixième intervention est relative à un changement de famille ; à l'époque où le mariage n'était possible qu'en dehors de son propre village, le changement de famille était simultané à un changement de village. Lorsque la femme quitte son milieu et se rend dans la famille de ses beaux-parents, elle doit exiger un autre droit qui peut être qualifié de "droit de nuptialité" dont le mari devient redevable ; c'est une sorte d'enchérissement des liens conjugaux.
La dernière intervention, éventuelle, est liée à des circonstances et ne relève que d'une obligation d'assistance parentale.
Revenons un peu sur le droit de la fille à l'héritage. Le fait que la fille reçoive des biens au cours de sa vie est-il suffisant pour être écartée de l'héritage ? Examinons la valeur des différents biens qu'elle peut avoir (exception faite du séné-kobou). Posons sous forme d'équation les acquisitions de la fille, jusqu'à son entrée dans la famille du mari : soit A l'ensemble des biens reçus par la fille ; si X est la valeur moyenne d'un dromadaire, Y celle d'un bovin et Z celle d'un cheval, l'équation devient, pour l'ensemble des acquisitions :
A = X + Y + Z
En supposant, par exemple, que le dromadaire est évalué à 500.000 francs CFA, le buf à 300.000 frs et le cheval à 400.000 frs, les différents cas de figures sont :
a) A = 1X + 5Y + 0Z = 1 x 500.000 + 5 x 300.000 + 0 x 400.000 = 2.000.000 frs
b) A = 2X + 4Y + 1Z = 2 x 500.000 + 4 x 300.000 + 1 x 400.000 = 2.600.000 frs
c) A = 2X + 3Y + 2Z = 2 x 500.000 + 3 x 300.000 + 2 x 400.000 = 2.700.000 frs
d) A = 3X + 3Y + 0Z = 3 x 500.000 + 3 x 300.000 + 0 x 400.000 = 2.400.000 frs
e) A = 3X + 0Y + 3Z = 3 x 500.000 + 0 x 300.000 + 3 x 400.000 = 2.700.000 frs
f) A = 3X + 2Y + 1Z = 3 x 500.000 + 2 x 300.000 + 1 x 400.000 = 2.500.000 frs
g) A = 3X + 1Y + 2Z = 3 x 500.000 + 1 x 300.000 + 2 x 400.000 = 2.600.000 frs
h) A = 4X + 2Y + 0Z = 4 x 500.000 + 2 x 300.000 + 0 x 400.000 = 2.600.000 frs
i) A = 4X + 0Y + 2Z = 4 x 500.000 + 0 x 300.000 + 2 x 400.000 = 2.800.000 frs
j) A = 4X + 1Y +1Z = 4 x 500.000 + 1 x 300.000 +1 x 400.000 = 2.700.000 frs
k) A = 5X + 1Y + 0Z = 5 x 500.000 + 1 x 300.000 + 0 x 400.000 = 2.800.000 frs
l) A = 5X + 0Y + 1Z = 5 x 500.000 + 0 x 300.000 + 1 x 400.000 = 2.900.000 frs
m) A = 6X + 0Y + 0Z = 6 x 500.000 + 0 x 300.000 + 0 x 400.000 = 3.000.000 frs
n) A = 1Y + 5Z + 0X = 1 x 300.000 + 5 x 400.000 + 0 x 500.000 = 2.300.000 frs
o) A = 2Y + 4Z + 0X = 2 x 300.000 + 4 x 400.000 + 0 x 500.000 = 2.200.000 frs
p) A = 3Y + 3Z + 0X = 3 x 300.000 + 3 x 400.000 + 0 x 500.000 = 2.100.000 frs
q) A = 4Y + 2Z + 0X = 4 x 300.000 + 2 x 400.000 + 0 x 500.000 = 2.000.000 frs
r) A = 5Y + 1Z + 0Y = 5 x 300.000 + 1 x 400.000 + 0 x 300.000 = 1.900.000 frs
s) A = 6Y + 0Z + 0X = 6 x 300.000 + 0 x 400.000 + 0 x 500.000 = 1.800.000 frs
t) A = 6Z + 0Y + 0X = 6 x 400.000 + 0 x 300.000 + 0 x 500.000 = 2.400.000 frs
En valeur numéraire, ce que la fille peut recevoir varie entre trois millions (3.000.000) valeur maximale, et un million huit-cent (1.800.000), valeur minimale ; avec une moyenne de deux millions quatre-cent-cinquante (2.450.000) francs. Théoriquement, l'écart entre 23.661.111,11111111 francs qu'elle aurait dû avoir par exemple sur un héritage de 100.000.000 francs selon le principe de l'Islam et la moyenne de 2.450.000 frs sur les biens acquis conformément au droit traditionnel, apparaît bien énorme. Seulement, les choses ne se passent pas comme cela, car les animaux croissent et le nombre de bêtes augmente considérablement si l'entretien et les conditions d'élevage sont satisfaisants. En effet, si les conditions sont idéales, la chamelle met bas tous les deux ans, la vache et la jument chaque année. Autrement dit, si on considère que l'espérance de vie de la femme africaine est de 45 ans et qu'elle ait reçu de ses parents des animaux mâles et femelles adultes, pour une fille mariée à 20 ans (qui a encore plus de 20 ans à vivre conformément à son espérance de vie), le décompte donnera ce qui suit, en supposant que la fille ait obtenu à sa naissance, au moment de l'indi-koudou, une chamelle de 4 ans ; à son ossigo, une génisse de 2 ans ; à son ogoï, une jument de 1,5 an ; à son hidi-kergo, un dromadaire mâle ; à son tà-sougo, un taureau ; et à son adiya, un cheval adulte. Si nous voulons nous adonner à cet exercice, le tableau ci-après nous fournit des données approximatives qui nous permettent d'établir nos calculs, cas par cas :
Nom de l'animal Durée de vie Age de reproduction Durée de gestation Intervalle de mise bas
Chamelle 40 4 ans 12 mois 2 ans
Vache 15 2 ans 9 mois 1 an
Jument 30 ans 1,5 an 12,5 mois 1 an
Le cas de la première chamelle :
Nous venons de dire qu'une chamelle a une espérance de vie de 40 ans environ. Elle est apte à produire à partir de 4 ans après sa "mise bas" (sa naissance) ; elle a une durée de gestation d'un an et un intervalle de "mise bas" de 2 ans. Supposons que la première chamelle que la fille a reçue de son père vive jusqu'à 20 ans et faisons les calculs sur cet espace de temps :
1 - Elle concevra le premier chamelon à partir de 4 ans (âge de reproduction) et aura une période de gestation de 1 an (durée de la gestation) avant de mettre bas. Donc le premier chamelon ne viendra qu'après l'âge de 5 ans dans les meilleures des conditions.
2 - Elle aura un second chamelon après deux ans, c'est-à-dire à l'âge de : 5 ans + 2 ans = 7 ans, toujours si les conditions sont idéales.
3 - Le troisième chamelon à l'âge de : 7 ans + 2 ans = 9 ans ;
4 - Le quatrième chamelon à l'âge de : 9 ans + 2 ans = 11 ans ;
5 - Le cinquième chamelon à l'âge de : 11 ans + 2 ans = 13 ans ;
6 - Le sixième chamelon à l'âge de : 13 ans + 2 ans = 15 ans ;
7 - Le septième chamelon à l'âge de : 15 ans + 2 ans = 17 ans ;
8 - Le huitième chamelon à l'âge de : 17 ans + 2 ans = 19 ans ;
Si cette première chamelle ne mourait pas et si aucun incident (manque de gravidité à temps, avortement, maladie, perte, vol, etc.) ou aucune circonstance (vente, immolation, don, etc.) n'interviennent, la fille aura alors après 20 années de la vie de sa chamelle, un troupeau de 9 dromadaires, et ceci si on admet que toute la descendance de la chamelle (les 8 chamelons) est constituée uniquement de mâles, sinon le nombre sera encore plus grand car chaque chamelon femelle commencera à être productive à son tour à partir de 4 ans.
Le cas de la génisse :
Une vache a une espérance de vie de 15 ans environ. Elle est apte à vêler 2 ans après sa "mise bas" (sa naissance) ; elle a une durée de gestation de 9 mois et un intervalle de "mise bas" de 1 an. Si cette vache vit jusqu'à 13 ans, elle donnera plusieurs petits :
1 - Elle concevra le premier veau à partir de 2 ans (âge de reproduction) et aura une période de gestation de 9 mois (durée de la gestation) avant de mettre bas. Donc le premier veau ne viendra qu'après l'âge de 24 + 9 = 33 mois dans les meilleures des conditions.
2 - Elle aura un second veau après une année, à l'âge de : 33 mois + 12 mois = 45 mois
3 - Un troisième veau à l'âge de : 45 mois + 12 mois = 57 mois ;
4 - Un quatrième veau à l'âge de : 57 mois + 12 mois = 69 mois ;
5 - Un cinquième veau à l'âge de : 69 mois + 12 mois = 81 mois ;
6 - Un sixième veau à l'âge de : 81 mois + 12 mois = 93 mois ;
7 - Un septième veau à l'âge de : 93 mois + 12 mois = 105 mois ;
8 - Un huitième veau à l'âge de : 105 mois + 12 mois = 117 mois ;
9 - Un neuvième veau à l'âge de : 117 mois + 12 mois = 129 mois ;
10 - Un dixième veau à l'âge de : 129 mois + 12 mois = 141 mois ;
11 - Le onzième veau à l'âge de : 141 mois + 12 mois = 153 mois.
Comme pour la chamelle, si la vache ne mourait pas et si aucun incident (manque de gravidité à temps, avortement, maladie, etc.) ou aucune circonstance (vente, immolation, don, etc.) n'intervenaient, la fille aura alors après 13 années de vie de sa génisse, un troupeau de 12 bovins, et ceci si on admet que toute la descendance de la génisse (les 11 veaux) est constituée uniquement de mâles, sison chaque veau femelle deviendra productive à son tour à partir de deux ans.
Le cas de la jument :
Une jument a une espérance de vie de 30 ans environ. Elle est apte à produire à 18 mois après sa "mise bas" (sa naissance) ; elle a une durée de gestation de 12,5 mois et un intervalle de "mise bas" de 1 an. Si cette jument vit jusqu'à 19 ans, elle donnera plusieurs poulains :
1 - Elle concevra le premier poulain à partir de 18 mois (âge de reproduction) et aura une période de gestation de 12,5 mois (durée de la gestation) avant de mettre bas. Donc le premier poulain ne viendra qu'après l'âge de (18 + 12,5) = 30,5 mois dans les meilleures des conditions.
2 - Elle aura un second poulain après une année, c'est-à-dire à l'âge de : 30,5 mois + 12 mois = 42,5 mois
3 - Un troisième poulain à l'âge de : 42,5 mois + 12 mois = 54,5 mois ;
4 - Un quatrième poulain après une année, c'est-à-dire à l'âge de : 54,5 mois + 12 mois = 66,5 mois
5 - Un cinquième poulain à l'âge de : 66,5 mois + 12 mois = 78,5 mois ;
6 - Un sixième poulain à l'âge de : 78,5 mois + 12 mois = 90,5 mois ;
7 - Un septième poulain à l'âge de : 90,5 mois + 12 mois = 102,5 mois ;
8 - Un huitième poulain à l'âge de : 102,5 mois + 12 mois = 114,5 mois ;
9 - Un neuvième poulain à l'âge de : 114,5 mois + 12 mois = 126,5 mois ;
10 - Un dixième poulain à l'âge de : 126,5 mois + 12 mois = 138,5 mois ;
11 - Un onzième poulain à l'âge de : 138,5 mois + 12 mois = 150,5 mois ;
12 - Un douzième poulain à l'âge de : 150,5 mois + 12 mois = 162,5 mois ;
13 - Un treizième poulain à l'âge de : 162,5 mois + 12 mois = 174,5 mois ;
14 - Un quatorzième poulain à l'âge de : 174,5 mois + 12 mois = 186,5 mois ;
15 - Un quinzième poulain à l'âge de : 186,5 mois + 12 mois = 198,5 mois ;
16 - Un seizième poulain à l'âge de : 198,5 mois + 12 mois = 210,5 mois ;
17 - Un dix-septième poulain à l'âge de : 210,5 mois + 12 mois = 222,5 mois ;
De même que pour les cas précédents, si la jument ne mourait pas et si aucun incident (manque de gravidité à temps, avortement, maladie, perte, vol, etc.) ou aucune circonstance (vente, don, etc.) n'intervenaient, la fille aura alors après 19 années de vie de sa jument, un troupeau de 18 chevaux, et ceci dans l'hypothèse que toute la descendance de la jument (les 17 poulains) est constituée uniquement de mâles, sinon chaque pouliche commencera à produire à partir de 18 mois.
Le cas des autres animaux acquis : le dromadaire mâle, le taureau et le cheval
Ces mâles ne connaîtront pas de croît mais ils se retrouveront dans le troupeau qui fera finalement : 9 dromadaires (première chamelle et ses descendants) + 12 bovins (première génisse et ses descendants) + 18 chevaux (première jument et ses descendants) + 1 dromadaire + 1 taureau + 1 cheval ; ce qui donne un troupeau de 42 têtes de meilleures bêtes que l'on puisse posséder au pays des Béri. Ces bêtes ne seraient peut-être pas toutes réunies à la fois dans un même troupeau mais elles auraient servi à subvenir aux besoins propres de la fille durant toute sa vie ainsi qu'aux besoins de sa famille.
Ainsi, si la fille entrait dans l'héritage, elle n'aurait jamais acquis des biens à cette hauteur. Même si nous nuançons les choses en disant qu'il peut avoir beaucoup d'aléas dans la reproduction du cheptel (sécheresse, épidémies, maladies ou improductivité naturelle, vente, immolation, perte, vol, etc.), la valeur de ces biens ne pourrait être diminuée de moitié au maximum, ce qui mettrait toujours les filles au-dessus des garçons, quand on sait qu'il existe aussi des circonstances avantageuses pour la reproduction animale, comme les cas de prolificité par exemple.
Evidemment ces calculs sont purement théoriques, mais ils reflètent dans tous les cas la position de privilège dans laquelle la fille se trouve, contrairement à l'idée d'injustice que son exclusion de l'héritage pourrait bien faire penser.
Lire plus
N. Hagen (Pathologie de la reproduction) et V. Gayrard (Physiologie de la production), novembre 2005, Mémento des critères numériques de reproduction des mammifères domestiques, Ecole Nationale Vétérinaire - Toulouse.
Zakaria Fadoul Khidir, 2016, Anthropologie des Populations Tchadiennes. Les Béri du Tchad, L'Harmattan, Paris.
Site web : www.assorti.com, Judaïsme, Halakha (Loi juive), statut des femmes Moderne, article de Yeshaya Dalsace, Inégalité juive devant l'héritage (consulté en 2015).
Site web : www.najaf.org/french/book/6/19.htm, L'héritage de la femme en Iran à l'époque sassanide (consulté en 2015).
Site web : www.sunnite.net, L'héritage en Islam : Lois, Partage des biens, 15 avril 2015, Sunnite (consulté en 2015)
Résumé
La condition de la femme et les responsabilités de celle-ci au sein de la société sont devenues actuellement des problèmes majeurs dans le monde entier. La femme dans la communauté des Béri apparaît souvent comme un bien précieux, uniquement au service de l'homme : on meurt pour la conserver ou pour sauver son honneur mais elle reste totalement soumise à son mari et à la famille de celui-ci ; elle fait des enfants qui se rangent sur la lignée de leur père ; elle est l'objet du lévirat, souvent contre son gré ; elle entre dans le troupeau de la diya en remplacement de 25 têtes de bêtes et elle était, jadis, exclue de l'héritage sur les biens de son père lorsque celui-ci décède. Nous avons voulu décrire le cas le moins connu de ces problèmes, c'est-à-dire l'héritage dans les anciens temps, à l'époque où l'Islam n'avait pas encore changé les pratiques ancestrales dans cette communauté. L'analyse des faits montre, contrairement à ce qu'on est tenté de croire, que la fille n'est nullement défavorisée par son exclusion de l'héritage, par rapport au garçon. La communauté avait établi un code bien précis au cours de l'évolution de l'enfant et ce code fait acquérir à la fille des biens qu'elle n'aurait jamais eu autant, par le biais de l'héritage édicté par l'Islam.
Mots clés :
Fille, garçon, héritage, droit, âge, Islam, tradition ancestrale.
Summary
The status of women and the responsibilities of the latter in the company now became major problems in the world. The woman in the Beri community often appears as a precious, only in the service of man: one dies to preserve or to save her honor but it is totally submissive to her husband and family of it ; it is the children who line up on the line of their father; it is the subject of wife inheritance, often against their will; she enters the herd of diya replace 25 cattle heads and was formerly excluded from the inheritance of the property of his father when he dies. We wanted to describe the known cases the least of these problems is to say, the heritage in ancient times to the time when Islam had not changed traditional practices in this community. The analysis of the facts shows, contrary to what one is tempted to believe that the girl is not disadvantaged by its exclusion from inheritance, compared to the boy. The community had established a specific code during the development of the child and this code is to acquire goods daughter she never had as much through inheritance enacted by Islam.
Keywords
Girl, boy, inheritance law, age, Islam, ancestral tradition.
Qu'il s'agisse des aspects matrimoniaux, des conditions de vie, de la succession ou de l'héritage, les problèmes de la femme ont traversé des siècles et préoccupé des communautés. Par exemple, le statut juridique et social de la femme dans la communauté arabe préislamique paraissait abominable. Plusieurs prétextes dont le fait qu'elle n'était pas apte d'aller au combat et de pouvoir rapporter du butin, avaient conduit à l'exclure de l'héritage. Mais pire encore, non seulement qu'elle ne pouvait prétendre à l'héritage, elle devenait par ailleurs un élément parmi les biens de son mari si celui-ci venait de mourir : elle revenait alors au fils ainé de ce mari lors du partage de l'héritage et ne pouvait se libérer de lui que par un rachat. Par ailleurs, pendant la période sassanide (ex-empire iranien), un homme avait le devoir de trouver à sa fille un mari à sa convenance dès qu'elle atteignait l'âge de la puberté. Le mariage d'une fille était donc conçu par son père et le contrat ainsi établi était considéré comme légal car la fille n'avait pas le droit de choisir elle-même son mari. Une fois mariée, la fille perdait le droit à l'héritage sur les biens de son père. Mais si le père n'arrivait pas à lui trouver un mari à temps, elle pouvait alors outrepasser la volonté de son père et contracter elle-même un mariage qualifié d'illégal. De toute façon, du moment où la fille est mariée, légalement ou illégalement, elle perdait le droit à l'héritage sur les biens de son père. Le droit à l'héritage pour une fille était donc lié, non pas à la légalité de son union mais à son statut de mariée ou non. Enfin, la littérature religieuse nous apprend par ailleurs que la loi hébraïque ne reconnaissait pas à la fille le droit d'hériter de son père. En effet, dans les anciennes communautés juives, la fille ne pouvait hériter de son père si celui-ci avait un enfant mâle. Notons aussi que l'on y accordait à l'ainé des enfants le droit d'avoir une part double sur l'héritage du père tandis que ce privilège n'était pas reconnu aux filles. De même, une femme ne pouvait pas hériter de son mari alors que celui-ci le faisait quand sa femme décédait.
Ces différents aspects du problème m'ont conduit à examiner, dans la communauté des Béri, ce que représente la part de la fille sur les biens laissés par le père après sa mort. Il faut rappeler que les Béri constituent une communauté linguistique, culturelle et religieuse vivant aux confins des deux Républiques, le Tchad et le Soudan. La première remarque que l'on peut faire, c'est qu'il n'existe pas dans cette communauté de terme pour désigner l'héritage. A l'origine, il s'agissait de partage, inégal et variable parce que l'âge des bénéficiaires et d'autres considérations intervenaient pour influer sur les situations. Mais même dans cette inégalité, il n'existait aucune règle pour fixer la part de chacun. Font partie des héritiers les frères et demi-frères ainsi que les surs et demi-surs du défunt, ses fils et, selon les circonstances, d'autres parents et même ses amis intimes (ceux qui avaient acquis les mêmes droits que les frères). Dans certaines circonstances, si le frère d'un défunt se trouvait en position de force, il pouvait s'accaparer non seulement des femmes du défunt mais aussi de l'ensemble de ses biens. Si le fils aîné, à défaut d'oncle paternel digne d'autorité, se trouvait aussi dans la même situation, il pouvait lui aussi s'accaparer de tous les biens de son père et mettre à ses dépens tous ceux qui étaient sous la tutelle de ce père. Le mot weris que l'on utilise actuellement dans la communauté pour désigner l'héritage est d'origine arabe et est venu avec l'Islam ; celui-ci avait supplanté, il y a plus de quatre cents ans, le système traditionnel en place. Les Béri pratiquaient le droit d'ainesse avant l'Islam ; ils accordaient des privilèges liés à l'âge et excluaient de l'héritage les filles et les garçons déjà mariés.
1 - Le droit d'ainesse
On distingue deux cas de figures, celui où l'héritage se fait dans une famille de chef et celui où l'héritage concerne une famille du peuple. Dans le cas d'une famille de chef, lorsque celui-ci meurt, le titre du pouvoir, le sabre et le cheval du chef ainsi que tous les autres insignes d'autorité revenaient d'office à l'ainé des enfants mâles ou bour-sou [bυr-sυ]. Ces effets ne font donc pas l'objet de partage lors de l'héritage. Quant à la terre, on n'en faisait pas cas car son sort était déjà connu : la terre et les hommes qui y habitent appartenant au chef, ils revenaient aussi à son successeur, en tant qu'attributs du pouvoir.
L'ainé des enfants, qu'il soit issu d'une famille de chef ou non, a la priorité sur les biens dans la famille lors d'un partage, que ces biens soient des cadeaux, des dons ou des biens quelconques. Le statut d'ainé apparaît comme un privilège et conduit aussi à des responsabilités particulières dans toute situation, avantageuse ou difficile. L'ainé se met toujours au-devant de la scène. Même si le bour-sou mourait, ses enfants continueraient, d'une certaine manière, à assumer les fonctions d'ainesse de leur père.
Les filles, bien qu'exclues de l'héritage, avaient aussi leurs parts dans les autres cas de partage de biens ; les ainées étaient également avantagées par rapport aux plus jeunes. Elles jouissaient aussi du droit d'ainesse et avaient toutes les faveurs reconnues par ce statut ; mais il existait des cas où elles perdaient ce droit : par exemple, il arrivait qu'à la demande des parents d'une personne assassinée, la famille de la victime posât comme condition préalable au règlement de la diya, l'insertion dans cette diya d'une sur du meurtrier, en remplacement de 25 têtes de bêtes. Si c'est l'ainée des filles qui était désignée pour faire partie de la diya mais qu'elle refusait de l'accepter, elle perdait son droit d'ainesse par conséquent. Ce droit revenait alors à sa petite sur qui la seconde directement et qui devait désormais assurer la fonction de bour sou si toutefois elle acceptait, elle aussi, d'entrer dans la diya.
2 - Les exclus de l'héritage
Actuellement les Béri sont tous de confession musulmane et sont soumis aux principes d'héritage établis par le Coran et la Sunna. Donnons un exemple d'illustration, en prenant une famille nucléaire composée de la grand-mère, du père, de la mère et de deux enfants (un garçon et une fille) et voyons les différents cas de figure. Nous ne parlons pas ici du décès de la mère qui n'est pas gérante des biens (troupeau et autres) de la famille mais qui peut avoir aussi des animaux propres à elle.
Prenons un exemple concret pour notre illustration. A supposer que le père décède en laissant un héritage de 100.000.000 francs à sa famille et qu'il n'avait aucune obligations au moment de son décès (dettes, promesses de cadeaux ou de dons, etc.) ; la somme (appelons-la A) sera alors répartie de la manière suivante entre sa femme et ses fils (les oncles, tantes et autres parents ou amis ne pouvant pas se prévaloir comme héritiers dans ce cas) :
1/6 de A revient à la maman du défunt, soit 16.666.666,66666667 frs ;
1/8 de A revient à l'épouse du défunt, soit 12.500.000 frs
Le reste revient aux enfants, soit A - (A/6 + A/8) = 100.000.000 frs - (16.666.666,66666667+12.500.000) = 70.833.333,33333333 frs
Les 70.833.333,33333333 francs seront distribués entre les deux enfants, sur la base du principe islamique qui veut que la part du garçon équivaille à deux parts de la fille ; autrement dit, le garçon aura 2/3 de la somme restante tandis que la fille n'en aura que le 1/3, soit :
Pour le garçon : 47.222.222,22222222 francs
Pour la fille : 23.661.111,11111111 francs
Ces calculs se basent sur des principes de l'Islam, mais les choses se présentaient autrement dans les anciens temps chez les Béri puisque la tradition excluait de l'héritage les garçons mariés et les filles quel que soit leur statut matrimonial (mariées ou non). Cela s'explique pourtant par un certain nombre de raisons que nous verrons dans les lignes qui suivent.
2.1 - Les garçons mariés
Le souci principal pour les parents dans un couple, c'est de pouvoir marier ses enfants et l'une des principales destinations du troupeau de la famille était ce but par conséquent. Il faut rappeler que dans la famille chez les Béri, le gros du troupeau (exception faite des acquis spécifiques de chaque membre) constituait un bien commun et géré par le père qui y prélève la dot pour marier chaque garçon. En principe, le mariage des enfants, garçons ou filles, se faisait par ordre d'âge. Il n'était pas autorisé, sauf cas d'exception, qu'un enfant fût marié avant son ainé. Celui-ci avait le droit d'être marié le premier puis viendrait le second et ainsi de suite, jusqu'au benjamin qui serait le dernier à fonder un foyer. Le droit de chaque garçon sur les animaux de la famille (ou biens communs) cesse avec son mariage, le reste des animaux devant désormais constituer la dot pour les cadets non encore mariés.
Pour les ayant-droits (ceux qui sont concernés par l'héritage c'est-à-dire les garçons non mariés), le partage des biens du père défunt se faisait en principe en fonction de l'âge. Ainsi, le plus âgé des garçons devrait avoir la plus grosse part, le second un peu moins que son ainé et le troisième moins que le second et ainsi de suite, mais sans qu'il y ait un calcul préétabli sur les attributions. Rappelons que maintenant, il est une obligation musulmane de mettre tous les garçons sur le même pied d'égalité quel que soit leur âge.
La logique de cette tradition chez les Béri s'interprétait ainsi : l'ainé avait mis plus de temps à entretenir le troupeau que ses cadets, le second plus de temps que le troisième, celui-ci plus de temps que le quatrième, etc. Il était donc normal (sans qu'il y ait une quantification mathématiquement proportionnelle) que la part de l'héritage fût relative à la peine consentie à l'élevage des animaux de la famille. S'il arrivait que l'ainé soit déjà marié au moment du décès du père, il n'aurait plus droit à l'héritage exception faite, dans le cas d'une famille de chef, de ceux que ce chef utilisait dans l'exercice de son pouvoir (les bêtes de monture par exemple) et qui ne devraient pas faire l'objet de partage dans l'héritage, comme nous l'avons déjà mentionné plus haut.
2.2 - Les filles (mariées et non mariées)
Toutes les filles sont exclues de l'héritage pour le fait qu'elles ont un certain nombre d'avantages matériels qui, généralement, ne sont pas reconnus aux garçons. Ces avantages sont :
2.2.1 - Le droit de l'indi-koudou : [ιndι-kυdυ] signifie littéralement "pour le rasage de la tête" : Au 7ème ou 14ème ou 21ème jour, on doit raser la tête du nouveau-né. C'est l'oncle germain qui le fait et donne à son neveu, au moment de cet acte, ce qu'on appelle l'indi-koudou qui consiste en un teguiri [tègìri]. Un tegiri est exclusivement choisi parmi les plus gros mammifères domestiques, un dromadaire, un cheval ou un bovin. S'il y a plusieurs oncles germains, c'est celui qui avait eu droit à une part dans la dot de leur sur (la mère du bébé) qui sera concerné. Remarquons que ce don est fait aussi au bébé garçon, mais c'est la maman qui désigne celui qui doit raser la tête de son bébé sans que ce soit forcément l'oncle maternel.
2.2.2 - Le droit de l'ossigo [òsìgò] : ce terme signifie "la fusion des cheveux". Jusque vers l'âge de 14 ans environ, la petite fille se rase les tempes à l'exception du reste de la tête. Pendant cette période on l'appelle sarfu-tadou [sυrfυ-tadυ], ce qui peut se traduire par "(fille) aux tempes rasées". Après cet âge, elle laisse pousser les cheveux sur ses deux tempes et toute sa tête sera alors couverte de tresses. C'est l'âge de l'ossigo [òsìgò] qu'on peut traduire par "l'âge de la fusion ou de l'alliance (des cheveux)". Elle reçoit alors de son père (ou de son tuteur à défaut du père), un teguiri (dromadaire, cheval ou bovin). Ce don et tous ceux qui suivent sont exclusivement donnés à la fille.
2.2.3 - Le droit de l'ogoï [ɔgɔι]. Vers l'âge de la puberté, la fille abandonne le cache-sexe au profit d'un pagne qu'elle noue autour des reins, c'est l'âge de l'ogoï ; ce terme se traduit par "attachement" ou "pour l'attachement" ou "qui sert à attacher". Elle reçoit alors de son père un teguiri (dromadaire, cheval ou bovin).
2.2.4 - Le droit de hidi-kergo [hidi-kεrgɔ] : ce terme peut se traduire par : "pour le tour du lit". On utilise aussi un terme emprunté à l'arabe, chort [ʃɔrt] : au moment des nuptialités, le mari ne peut toucher sa femme qu'après lui avoir donné le hidi-kergo ou chort, consistant toujours en un teguiri (dromadaire, cheval ou bovin).
2.2.5 - Le droit de tà-sougo [tà-sugo] dont la traduction est "(pour le) voile de la tête" : après les nuptialités organisées auprès de ses parents, la femme reste avec sa mère des années pendant lesquelles elle peut avoir un, deux et même trois enfants avant de regagner le foyer de son mari. Durant tout ce temps, le père ne peut rencontrer sa fille qu'après lui avoir donné son droit, le tà-sougo consistant en un téguiri (dromadaire, cheval ou bovin).
2.2.6 - Le droit de l'adiya [adιya] qui signifie "(pour la) cachette" mais c'est une expression qui renvoie vaguement à l'idée de la pudeur : le fait de se montrer pour la première fois à ses beaux-parents constitue pour la jeune mariée une sorte de comportement impudique, qui fait référence à la perte de sa virginité. Le préjudice (défloration) que le mâle a fait subir à la femelle demande une réparation, c'est pourquoi à l'arrivée dans le foyer de son mari, la jeune mariée se cache dans sa case et refuse de se montrer au monde et de pratiquer les travaux ménagers hors de sa demeure, tant que son mari ou le tuteur de celui-ci n'aura pas donné son droit à l'adiya qui consiste en un téguiri (dromadaire, cheval ou bovin). Toutefois, ce droit se perd au cas où la fille ne serait plus vierge au moment du premier acte sexuel avec son mari. Celui-ci annonce alors le déshonneur en faisant sortir le fer d'une lance à travers le toit de sa case. Le caractère insolite du percement du toit symbolise et exprime l'anomalie mieux qu'un langage articulé. Les femmes renchérissent à leur tour ce message en envoyant sur la place publique un repas couvert d'un van troué au milieu. Il ne sera rien dit en public par des mots. Rien ne sera non plus dit, ni à la fille elle-même ni à ses parents. Dans la tradition, la fille débauchée (déflorée hors mariage) n'était pas renvoyée dans sa famille avec restitution de la dot, comme on le fait souvent à nos jours dans certains milieux musulmans. Le mari gardait sa femme mais celle-ci perdait son droit à l'adiya et le problème était ainsi résolu.
2.2.7 - Le droit de séné-kobou [sεnε-kɔbυ] : ce terme veut dire littéralement "manger pour survivre" ou "le droit à la vie". En cas de sécheresse, d'épidémie ou de tout autre événement qui aurait décimé son troupeau, la femme revenait alors auprès de ses parents pour réclamer de son père ou du tuteur, un autre droit, le sènè-kobou qui lui permettra de surmonter les moments difficiles. La valeur du sene-kobou, même si elle est tacitement obligatoire, n'est pas préétablie comme dans les autres cas.
Récapitulons les biens ainsi acquis par la fille dans un tableau :
Biens acquis Désignation de l'acquis
Valeur du bien acquis Donateur
1 indi-koudou Tèguiri 1 dromadaire, 1 cheval ou 1 bovin Oncle maternel
2 Osìgò Tèguiri 1 dromadaire, 1 cheval ou 1 bovin Père
3 Ogoï Tèguiri 1 dromadaire, 1 cheval ou 1 bovin Père
4 hidi-kergo ou chort Tèguiri 1 dromadaire, 1 cheval ou 1 bovin Mari
5 tà-sougo Tèguiri 1 dromadaire, 1 cheval ou 1 bovin Père
6 Adiya Tèguiri 1 dromadaire, 1 cheval ou 1 bovin Mari
7 séné-kobou Non précisé préalablement ; variable Père
La fille recevait donc au cours de sa vie des animaux de valeur appelés téguiri, non cumulatifs : soit un dromadaire soit un cheval soit un bovin. L'un de ces animaux est offert par son oncle germain, tandis que 4 par son père et 2 par son mari. Ces biens lui revenaient de droit et elle ne pouvait plus encore prétendre à une part d'héritage sur les biens laissés par son père.
Il faut noter ici que les trois acteurs qui interviennent le font dans des contextes différents : le premier (oncle germain) intervient une seule fois au moment du rasage du nouveau-né (moment où l'enfant dépend exclusivement de sa mère), le second (père) intervient quatre fois aux différentes étapes de l'évolution de son enfant, tandis que le troisième (mari) intervient deux fois dans des contextes maritaux (nuptialité et transfert de foyer).
La première intervention se situe à la première enfance, pendant les premiers jours de la naissance de l'enfant durant lesquels le sein maternel vient tout juste de remplacer le cordon ombilical. La personne la plus proche du nouveau-né est évidemment sa mère. Et les personnes les plus proches de la mère sur l'axe horizontal sont ses frères et surs, c'est-à-dire les oncles et tantes germains de l'enfant. Sans discuter sur la signification ou la valeur symbolique accordée au rasage du nouveau-né, disons que le rasage relevant généralement des activités de l'homme dans la communauté des Béri et que les oncles se situant à la proximité immédiate de la mère sur le plan collatérale, c'est à l'un d'eux que revenait ce premier acte de purification de son neveu.
La deuxième intervention se situe à la deuxième enfance ; l'enfant est déjà sortie de la "couvaison" de sa mère, avec une nouvelle dénomination (tènè bour) et une nouvelle façon d'arranger ses cheveux sur la tête. L'affection maternelle a cédé progressivement la place à l'autorité paternelle. La responsabilité de marquer cette étape dans l'évolution de l'enfant qui peut désormais être considérée comme une "future femelle" et non comme une simple enfant pour laquelle la vision du sexe n'apparaît encore de façon explicite que comme élément de la pudeur (et non comme élément de l'acte sexuel), revient donc au père, garant des bonnes murs sociales.
La troisième intervention se situe à l'adolescence, au moment où la fille exprime sa maturité par une autre dénomination (tombo), un nouveau arrangement des tresses (tresse maîtresse dirigée vers l'avant de la tête, au niveau de la fontanelle) et un changement d'habit ainsi que de comportement et d'attitude vis-à-vis des hommes. Elle n'est plus enfant, elle n'est plus fille, mais elle devient "femelle" c'est-à-dire le partenaire du mâle, le moyen de la procréation et de la pérennisation de l'espèce. C'est la responsabilité du père qui est encore impliquée.
La quatrième intervention est relative aux nuptialités et se situe aux premiers contacts physiques des partenaires, pendant les heures les plus intimes de la vie du couple. La fille feint alors l'inviolabilité de son intégrité physique et, pour céder, elle fait valoir un droit que le mari ne pourrait récuser.
La cinquième intervention est une sorte de marqueur de changement de statut. La fille étant devenue une femme, elle ne devrait plus se monter à son père comme elle le faisait avant. Le voile de la tête est une forme d'honneur familial et de respect envers son père. Le père doit contribuer à ce comportement par un don qui est, en fait, un droit tacite pour sa fille.
La sixième intervention est relative à un changement de famille ; à l'époque où le mariage n'était possible qu'en dehors de son propre village, le changement de famille était simultané à un changement de village. Lorsque la femme quitte son milieu et se rend dans la famille de ses beaux-parents, elle doit exiger un autre droit qui peut être qualifié de "droit de nuptialité" dont le mari devient redevable ; c'est une sorte d'enchérissement des liens conjugaux.
La dernière intervention, éventuelle, est liée à des circonstances et ne relève que d'une obligation d'assistance parentale.
Revenons un peu sur le droit de la fille à l'héritage. Le fait que la fille reçoive des biens au cours de sa vie est-il suffisant pour être écartée de l'héritage ? Examinons la valeur des différents biens qu'elle peut avoir (exception faite du séné-kobou). Posons sous forme d'équation les acquisitions de la fille, jusqu'à son entrée dans la famille du mari : soit A l'ensemble des biens reçus par la fille ; si X est la valeur moyenne d'un dromadaire, Y celle d'un bovin et Z celle d'un cheval, l'équation devient, pour l'ensemble des acquisitions :
A = X + Y + Z
En supposant, par exemple, que le dromadaire est évalué à 500.000 francs CFA, le buf à 300.000 frs et le cheval à 400.000 frs, les différents cas de figures sont :
a) A = 1X + 5Y + 0Z = 1 x 500.000 + 5 x 300.000 + 0 x 400.000 = 2.000.000 frs
b) A = 2X + 4Y + 1Z = 2 x 500.000 + 4 x 300.000 + 1 x 400.000 = 2.600.000 frs
c) A = 2X + 3Y + 2Z = 2 x 500.000 + 3 x 300.000 + 2 x 400.000 = 2.700.000 frs
d) A = 3X + 3Y + 0Z = 3 x 500.000 + 3 x 300.000 + 0 x 400.000 = 2.400.000 frs
e) A = 3X + 0Y + 3Z = 3 x 500.000 + 0 x 300.000 + 3 x 400.000 = 2.700.000 frs
f) A = 3X + 2Y + 1Z = 3 x 500.000 + 2 x 300.000 + 1 x 400.000 = 2.500.000 frs
g) A = 3X + 1Y + 2Z = 3 x 500.000 + 1 x 300.000 + 2 x 400.000 = 2.600.000 frs
h) A = 4X + 2Y + 0Z = 4 x 500.000 + 2 x 300.000 + 0 x 400.000 = 2.600.000 frs
i) A = 4X + 0Y + 2Z = 4 x 500.000 + 0 x 300.000 + 2 x 400.000 = 2.800.000 frs
j) A = 4X + 1Y +1Z = 4 x 500.000 + 1 x 300.000 +1 x 400.000 = 2.700.000 frs
k) A = 5X + 1Y + 0Z = 5 x 500.000 + 1 x 300.000 + 0 x 400.000 = 2.800.000 frs
l) A = 5X + 0Y + 1Z = 5 x 500.000 + 0 x 300.000 + 1 x 400.000 = 2.900.000 frs
m) A = 6X + 0Y + 0Z = 6 x 500.000 + 0 x 300.000 + 0 x 400.000 = 3.000.000 frs
n) A = 1Y + 5Z + 0X = 1 x 300.000 + 5 x 400.000 + 0 x 500.000 = 2.300.000 frs
o) A = 2Y + 4Z + 0X = 2 x 300.000 + 4 x 400.000 + 0 x 500.000 = 2.200.000 frs
p) A = 3Y + 3Z + 0X = 3 x 300.000 + 3 x 400.000 + 0 x 500.000 = 2.100.000 frs
q) A = 4Y + 2Z + 0X = 4 x 300.000 + 2 x 400.000 + 0 x 500.000 = 2.000.000 frs
r) A = 5Y + 1Z + 0Y = 5 x 300.000 + 1 x 400.000 + 0 x 300.000 = 1.900.000 frs
s) A = 6Y + 0Z + 0X = 6 x 300.000 + 0 x 400.000 + 0 x 500.000 = 1.800.000 frs
t) A = 6Z + 0Y + 0X = 6 x 400.000 + 0 x 300.000 + 0 x 500.000 = 2.400.000 frs
En valeur numéraire, ce que la fille peut recevoir varie entre trois millions (3.000.000) valeur maximale, et un million huit-cent (1.800.000), valeur minimale ; avec une moyenne de deux millions quatre-cent-cinquante (2.450.000) francs. Théoriquement, l'écart entre 23.661.111,11111111 francs qu'elle aurait dû avoir par exemple sur un héritage de 100.000.000 francs selon le principe de l'Islam et la moyenne de 2.450.000 frs sur les biens acquis conformément au droit traditionnel, apparaît bien énorme. Seulement, les choses ne se passent pas comme cela, car les animaux croissent et le nombre de bêtes augmente considérablement si l'entretien et les conditions d'élevage sont satisfaisants. En effet, si les conditions sont idéales, la chamelle met bas tous les deux ans, la vache et la jument chaque année. Autrement dit, si on considère que l'espérance de vie de la femme africaine est de 45 ans et qu'elle ait reçu de ses parents des animaux mâles et femelles adultes, pour une fille mariée à 20 ans (qui a encore plus de 20 ans à vivre conformément à son espérance de vie), le décompte donnera ce qui suit, en supposant que la fille ait obtenu à sa naissance, au moment de l'indi-koudou, une chamelle de 4 ans ; à son ossigo, une génisse de 2 ans ; à son ogoï, une jument de 1,5 an ; à son hidi-kergo, un dromadaire mâle ; à son tà-sougo, un taureau ; et à son adiya, un cheval adulte. Si nous voulons nous adonner à cet exercice, le tableau ci-après nous fournit des données approximatives qui nous permettent d'établir nos calculs, cas par cas :
Nom de l'animal Durée de vie Age de reproduction Durée de gestation Intervalle de mise bas
Chamelle 40 4 ans 12 mois 2 ans
Vache 15 2 ans 9 mois 1 an
Jument 30 ans 1,5 an 12,5 mois 1 an
Le cas de la première chamelle :
Nous venons de dire qu'une chamelle a une espérance de vie de 40 ans environ. Elle est apte à produire à partir de 4 ans après sa "mise bas" (sa naissance) ; elle a une durée de gestation d'un an et un intervalle de "mise bas" de 2 ans. Supposons que la première chamelle que la fille a reçue de son père vive jusqu'à 20 ans et faisons les calculs sur cet espace de temps :
1 - Elle concevra le premier chamelon à partir de 4 ans (âge de reproduction) et aura une période de gestation de 1 an (durée de la gestation) avant de mettre bas. Donc le premier chamelon ne viendra qu'après l'âge de 5 ans dans les meilleures des conditions.
2 - Elle aura un second chamelon après deux ans, c'est-à-dire à l'âge de : 5 ans + 2 ans = 7 ans, toujours si les conditions sont idéales.
3 - Le troisième chamelon à l'âge de : 7 ans + 2 ans = 9 ans ;
4 - Le quatrième chamelon à l'âge de : 9 ans + 2 ans = 11 ans ;
5 - Le cinquième chamelon à l'âge de : 11 ans + 2 ans = 13 ans ;
6 - Le sixième chamelon à l'âge de : 13 ans + 2 ans = 15 ans ;
7 - Le septième chamelon à l'âge de : 15 ans + 2 ans = 17 ans ;
8 - Le huitième chamelon à l'âge de : 17 ans + 2 ans = 19 ans ;
Si cette première chamelle ne mourait pas et si aucun incident (manque de gravidité à temps, avortement, maladie, perte, vol, etc.) ou aucune circonstance (vente, immolation, don, etc.) n'interviennent, la fille aura alors après 20 années de la vie de sa chamelle, un troupeau de 9 dromadaires, et ceci si on admet que toute la descendance de la chamelle (les 8 chamelons) est constituée uniquement de mâles, sinon le nombre sera encore plus grand car chaque chamelon femelle commencera à être productive à son tour à partir de 4 ans.
Le cas de la génisse :
Une vache a une espérance de vie de 15 ans environ. Elle est apte à vêler 2 ans après sa "mise bas" (sa naissance) ; elle a une durée de gestation de 9 mois et un intervalle de "mise bas" de 1 an. Si cette vache vit jusqu'à 13 ans, elle donnera plusieurs petits :
1 - Elle concevra le premier veau à partir de 2 ans (âge de reproduction) et aura une période de gestation de 9 mois (durée de la gestation) avant de mettre bas. Donc le premier veau ne viendra qu'après l'âge de 24 + 9 = 33 mois dans les meilleures des conditions.
2 - Elle aura un second veau après une année, à l'âge de : 33 mois + 12 mois = 45 mois
3 - Un troisième veau à l'âge de : 45 mois + 12 mois = 57 mois ;
4 - Un quatrième veau à l'âge de : 57 mois + 12 mois = 69 mois ;
5 - Un cinquième veau à l'âge de : 69 mois + 12 mois = 81 mois ;
6 - Un sixième veau à l'âge de : 81 mois + 12 mois = 93 mois ;
7 - Un septième veau à l'âge de : 93 mois + 12 mois = 105 mois ;
8 - Un huitième veau à l'âge de : 105 mois + 12 mois = 117 mois ;
9 - Un neuvième veau à l'âge de : 117 mois + 12 mois = 129 mois ;
10 - Un dixième veau à l'âge de : 129 mois + 12 mois = 141 mois ;
11 - Le onzième veau à l'âge de : 141 mois + 12 mois = 153 mois.
Comme pour la chamelle, si la vache ne mourait pas et si aucun incident (manque de gravidité à temps, avortement, maladie, etc.) ou aucune circonstance (vente, immolation, don, etc.) n'intervenaient, la fille aura alors après 13 années de vie de sa génisse, un troupeau de 12 bovins, et ceci si on admet que toute la descendance de la génisse (les 11 veaux) est constituée uniquement de mâles, sison chaque veau femelle deviendra productive à son tour à partir de deux ans.
Le cas de la jument :
Une jument a une espérance de vie de 30 ans environ. Elle est apte à produire à 18 mois après sa "mise bas" (sa naissance) ; elle a une durée de gestation de 12,5 mois et un intervalle de "mise bas" de 1 an. Si cette jument vit jusqu'à 19 ans, elle donnera plusieurs poulains :
1 - Elle concevra le premier poulain à partir de 18 mois (âge de reproduction) et aura une période de gestation de 12,5 mois (durée de la gestation) avant de mettre bas. Donc le premier poulain ne viendra qu'après l'âge de (18 + 12,5) = 30,5 mois dans les meilleures des conditions.
2 - Elle aura un second poulain après une année, c'est-à-dire à l'âge de : 30,5 mois + 12 mois = 42,5 mois
3 - Un troisième poulain à l'âge de : 42,5 mois + 12 mois = 54,5 mois ;
4 - Un quatrième poulain après une année, c'est-à-dire à l'âge de : 54,5 mois + 12 mois = 66,5 mois
5 - Un cinquième poulain à l'âge de : 66,5 mois + 12 mois = 78,5 mois ;
6 - Un sixième poulain à l'âge de : 78,5 mois + 12 mois = 90,5 mois ;
7 - Un septième poulain à l'âge de : 90,5 mois + 12 mois = 102,5 mois ;
8 - Un huitième poulain à l'âge de : 102,5 mois + 12 mois = 114,5 mois ;
9 - Un neuvième poulain à l'âge de : 114,5 mois + 12 mois = 126,5 mois ;
10 - Un dixième poulain à l'âge de : 126,5 mois + 12 mois = 138,5 mois ;
11 - Un onzième poulain à l'âge de : 138,5 mois + 12 mois = 150,5 mois ;
12 - Un douzième poulain à l'âge de : 150,5 mois + 12 mois = 162,5 mois ;
13 - Un treizième poulain à l'âge de : 162,5 mois + 12 mois = 174,5 mois ;
14 - Un quatorzième poulain à l'âge de : 174,5 mois + 12 mois = 186,5 mois ;
15 - Un quinzième poulain à l'âge de : 186,5 mois + 12 mois = 198,5 mois ;
16 - Un seizième poulain à l'âge de : 198,5 mois + 12 mois = 210,5 mois ;
17 - Un dix-septième poulain à l'âge de : 210,5 mois + 12 mois = 222,5 mois ;
De même que pour les cas précédents, si la jument ne mourait pas et si aucun incident (manque de gravidité à temps, avortement, maladie, perte, vol, etc.) ou aucune circonstance (vente, don, etc.) n'intervenaient, la fille aura alors après 19 années de vie de sa jument, un troupeau de 18 chevaux, et ceci dans l'hypothèse que toute la descendance de la jument (les 17 poulains) est constituée uniquement de mâles, sinon chaque pouliche commencera à produire à partir de 18 mois.
Le cas des autres animaux acquis : le dromadaire mâle, le taureau et le cheval
Ces mâles ne connaîtront pas de croît mais ils se retrouveront dans le troupeau qui fera finalement : 9 dromadaires (première chamelle et ses descendants) + 12 bovins (première génisse et ses descendants) + 18 chevaux (première jument et ses descendants) + 1 dromadaire + 1 taureau + 1 cheval ; ce qui donne un troupeau de 42 têtes de meilleures bêtes que l'on puisse posséder au pays des Béri. Ces bêtes ne seraient peut-être pas toutes réunies à la fois dans un même troupeau mais elles auraient servi à subvenir aux besoins propres de la fille durant toute sa vie ainsi qu'aux besoins de sa famille.
Ainsi, si la fille entrait dans l'héritage, elle n'aurait jamais acquis des biens à cette hauteur. Même si nous nuançons les choses en disant qu'il peut avoir beaucoup d'aléas dans la reproduction du cheptel (sécheresse, épidémies, maladies ou improductivité naturelle, vente, immolation, perte, vol, etc.), la valeur de ces biens ne pourrait être diminuée de moitié au maximum, ce qui mettrait toujours les filles au-dessus des garçons, quand on sait qu'il existe aussi des circonstances avantageuses pour la reproduction animale, comme les cas de prolificité par exemple.
Evidemment ces calculs sont purement théoriques, mais ils reflètent dans tous les cas la position de privilège dans laquelle la fille se trouve, contrairement à l'idée d'injustice que son exclusion de l'héritage pourrait bien faire penser.