
Bachirou Oumarou
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Descriptif auteur
Structure professionnelle : 675633214 /698227468 (237), CAMEROUN, LYCEE CLASSIQUE DE FOUMBAN
Titre(s), Diplôme(s) : Dr en Sociologie/PLEG-PHILOSOPHIE
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LES CONTRIBUTIONS DE L’AUTEUR
LES ARTICLES DE L'AUTEUR
La régulation du rituel électoral au Cameroun
Les dimensions de l'Homme
La vie est un jeu dont il faut comprendre l'enjeu pour savoir comment vivre mieux.
Les dimensions de l'Homme
Il y a lieu de questionner et re-questionner les dimensions de l'Homme, être en proie à une existence consciente et parfois angoissé face au péril de sa vie. ce texte précise le problème de la relation de l'Homme à lui-même et apporte l'éclairage sur ses dimensions supposées ou réelles.
LES DIMENSIONS DE L'HOMME
"La raison gouverne le monde ". Ces propos de HEGEL se vérifient aujourd'hui au regard de multiples idéologies qui se déploient à travers le monde. L'individu sous diverses formes se présente à son semblable. Mais combien de formes ou dimensions peut-on attribuer à l'homme ? Sans aller trop loin dans l'historicité de ce sujet, nous nous attarderons sur l'analyse des trois dimensions évoquées ci-dessous : le physique, le moral, le spirituel ou la métaphysique.
A- La dimension physique
Quand on réfléchit à la condition humaine, à la manière dont les uns vivent à côté (ou ensemble avec) des autres, on risque de succomber de "crise cardiaque" ou sinon, un traumatisme violent nous menacerait. Car depuis le moment où il a été démontré que les relations humaines sont de simples mises en scène non par Dieu mais par les hommes eux-mêmes, tout effort à l'harmonie continue s'effrite de plus en plus au point que le physique devient le vecteur de ruine sociale. Cette dimension physique de l'homme est le siège de toutes les situations polémiques internes et externes de la vie sociale. Si rien ne change chez l'homme, le physique au moins change. Le corps que je possédais il y a une décennie n'est plus celui que je possède aujourd'hui et il ne sera pas celui que je posséderais deux décennies après. La première fois où je pris dégoût de toute existence terrestre, fut mon contact avec la pathologie dentaire. Mon corps tout entier gémissait sous cette terrible douleur dont les effets n'étaient pas de nature à négliger.
Par cette dimension physique, l'individu aborde son semblable et se révèle à lui comme telle. Dans le système de ségrégation raciale, c'est la peau qui apparait comme élément de ségrégation. Et que dire de tortures ? Toute personne a reçu au moins une fois dans sa vie, une sanction physique. Il vaut parfois mieux mourir que de vivre dans un corps voué perpétuellement à la torture. La sanction s'applique à toute personne à tout âge quand il commet un délit. Combien doit-on aux tortionnaires le mépris du corps humain ? La mythologie biblique de l'apocalypse du monde trouve sa confirmation dans des multiples guerres, famines, maladies qui assiègent le monde de cette ère de mondialisation. Ainsi, l'indignation et l'approbation deviennent relatives. On aurait plus pitié d'un corps physique qui témoigne de la noblesse, de timidité, d'inquiétude matérielle tandis que celui qui a un physique vif, ramifié et dur a plus de risque de solitarisme, de mépris, d'insouciance. C'est encore ce physique qui entre en contact avec les objets matériels de l'existence. Les limites d'un homme se mesurent d'abord à son physique avant d'être évaluées à ses autres dimensions. Un jeune de quinze ans et en bonne santé par exemple possède quel que soit son origine, ses conditions sociales, un corps tendre, vif bref apte à toute action sociale. Au sein même d'une entreprise, on recherche pour des travaux primaires, des corps de qualités saines, propres à la manuvre. Les maîtres des chantiers et des entreprises n'en démentiront pas.
Par ailleurs, le physique fut l'un des premiers critères du choix des esclaves lors de la "traite négrière" que ["blanchière"]. On choisissait parmi le peuple les personnes saines, vigoureuses pour les mettre en vente avant que celles-ci ne soient embarquées dans des bateaux sinistrés pour un voyage de dangers et de péril où leurs forces, leurs savoir-faire seraient employés dans les activités minières ou agricoles.
De même, c'est à travers son physique qu'une femme est avant tout appréciée. Nul homme ne marierait une femme dont le physique ne lui plairait a priori à moins que ce soit des cas comme des mariages forcés, de poursuite de fortune. La réciproque est vraie pour les femmes à propos du physique de l'homme. En effet, le physique cache beaucoup de choses. Au sein d'une société, les membres se reconnaissent mutuellement grâce à l'image physique des uns et des autres. C'est pour cette raison que celui dont le visage est inconnu de tous parait un étranger même s'il partage les mêmes valeurs que les autres. Combien de fois nous est-il déjà arrivé de faire face à des situations où notre physique nous fait défaut ? Dans les fêtes, les jeux, les voyages, les dangers etc., nous entrons en contact avec des nouvelles personnes. Ce qui généralement motive notre désir de nous connaitre mutuellement est fondé sur le physique de l'autre. Un homme qui par exemple présente un visage farouche, un corps exercé suscitera moins notre envie de lui adresser la parole, lui poser des questions, bref faire sa connaissance comme on le dit souvent, par contre, quand l'on se retrouve en face d'un être au visage souriant, nous sommes si vite poussés à faire sa connaissance.
Il faut ici entendre par physique non seulement la forme du corps mais aussi l'ensemble des éléments qui concourent à donner une allure évidente à toute personne. Cela peut être la couleur de la peau, l'état de la peau, les regards, la démarche etc. Si nous changeons l'un de ces éléments de notre physique, nous changerons également la façon donc les autres nous perçoivent. Nous savons par exemple que c'est par les manières de nous vêtir qu'on essaye de déterminer a priori notre appartenance sociale. Souvent les gens disent que tout ce que Dieu a fait est bon ; rien n'est à critiquer. Cela est vrai lorsqu'on considère ces choses dans leur ensemble. Mais il arrive tout de même qu'on dédaigne certains corps. Ceci ne concerne pas uniquement l'homme car même les choix des objets et des animaux domestiques notamment obéissent aux mêmes critères. On n'hésite pas par exemple à jeter un regard méprisant, railleur et par pudeur un regard de pitié sur un sujet dont le physique parait tout autre. Peut-être me direz-vous que cette perception est relative. Mais que dire des descriptions affreuses que nous faisons tous d'une même personne, d'un même objet ou d'un même animal. Pour dissiper ce point de vue jugé par les uns et les autres de pessimiste, les anthropologues et les sociologues parlent du rapport entre ce qui est nature et ce qui est culture.
Est-ce vrai que notre physique ne joue aucun rôle dans nos rapports avec les autres ? Si le physique parait l'élément premier de notre choix, que dire de la dimension morale de l'homme ?
B- La dimension morale
Agir selon la morale, c'est agir selon un certain nombre de principes. Pour le sociologue français Émile DURKHEIM, "quand notre conscience parle, c'est la société qui parle en nous ". C'est dire que les sociologues en général réduisent la dimension morale aux principes des sociétés. Faisons d'entrée de jeu la différence qui s'impose entre les deux homophones : moral et morale. Le "moral" est l'état de la conscience d'une âme par rapport à une situation donnée. S'agissant de la "morale", le mot est défini suivant les disciplines. Les philosophes quant à eux donnent une signification autre que les religieux à la notion de "morale". Selon le Lexique des sciences sociales de Madeleine GRAWITZ, "le moral est l'état d'esprit d'un groupe. " En dehors du groupe, le "moral" est une question d'ordre personnel c'est-à-dire qui caractérise l'individu en situation x ou y. Le "moral" est psychologique tandis que la morale est psychosociale. Dans cette perspective, Ralph SHALLIS, un théologien expérimenté stipule dans l'annexe de son ouvrage Si tu veux aller loin... que "Face aux merveilles de la création [ ] qu'il faut plus de foi pour être athée que chrétien". Peut-on en effet qualifier de foi l'attitude athée d'un homme ? Au lieu de parler dans ce cas de foi, il est préférable de parler de raison car il faut plus de raisons pour parvenir à adopter une attitude athée. Or dans la chrétienté, les adeptes du christianisme confondent très souvent foi, morale et raison. Autant il existe des sociétés, autant il existe des morales. La foi est une question individuelle liée aux dogmes ; elle est synonyme de courage inspirée par quelque chose et qui vous donne la raison de croire que vous atteindrez le but. Du principe de la foi découle celui de la raison d'espérer et du principe de la raison d'espérer découle celui de la morale de vie. Toutes société aspire à un mieux-être en éditant des lois morales pouvant garantir cet idéal de vivre ensemble. La dimension morale est très importante pour justifier la raison d'être de notre existence ; elle relève du droit implicite édictée par la réalité de notre milieux social. Une personne immorale est aussi asociale et immorale. Il semble avoir perdu tout repère de l'existence humainement digne. Il est égaré au milieu des valeurs dont il n'a ni connaissance et auxquelles il n'a ni foi. Bref, les évidences de son existence lui sont inconnues au sens où il ne sait pas pourquoi il vit et pourquoi il devrait respecter la morale générale et celle de la foi qui conduit à l'absolu. Partagée entre la vie brute et la vie l'incertitude de sa vie spirituelle, il tourne en rond et finit par mourir de ses propres turpitudes. Par contre l'individu qui a établi ses évidences de l'existence, tente de donner sens à son existence par des lois morales avec la ferme conviction que son existence a un sens et ne doit subir le hasard de l'histoire. Il n'est surpris ni par l'échec ni par la victoire. Au contraire, il les anticipe en trouvant des justificatifs préalables à chacune des situations sans nécessairement accuser l'absolu ou joué au fataliste. Par une conscience plus ou moins claire, il croit à l'idéal de l'existence au-delà du monde actuel. Le sens de la justice est très élevé chez lui, sens qui justifie d'ailleurs son altruisme ou son masochisme. Il sait la différence entre les morales.
Est-ce que ces morales sont conçues et définies de la même façon ?
En jetant un regard seulement dans l'histoire de tous les peuples, on est ahuri de la multiplicité et de la complexité des valeurs et normes de chacun d'eux. Mêmes les véritables chrétiens de différentes sociétés ne peuvent se réclamer des mêmes valeurs chrétiennes. Dans l'une on a des éléments en plus alors que dans l'autre on en trouve moins. Qu'est-ce qui fait problème ? C'est précisément le fondement de la morale.
Je me suis achoppé à cette complexité lorsqu'un soir du 06 mai 2005, je regardais jouer les étudiants au volley Ball dans l'enceinte de notre université (Université de Yaoundé I au Cameroun, pays de l'Afrique centrale). Pendant que nous étions là à regarder le jeu, une paire de personnes s'approcha pour nous parler de Jésus. Chacun sait en effet combien ce sujet choque les gens aujourd'hui quand on considère que cela fait l'objet de séduction des âmes au profit des sectes dangereuses qui propagent leurs idéologies. Notons ici que l'idéologie est une expression sur de la morale tout comme la mythologie qui est définie selon les Marxistes comme étant une cosmogonie qui permet de comprendre le monde et de le dominer. Le christianisme est donc une idéologie du Christ nécessaire à la constitution de la morale chrétienne. Cette morale est au fond celle qui fait le socle de toute société humaine. "Tu ne tueras point", "Tu aimeras ton prochain comme toi-même", "Tu ne..." n'ont rien de reprochable comme morale humaine. Toutes les sociétés l'approuvent. Les stoïciens post socratiques de l'Antiquité l'avaient déjà évoquée et Paul l'apôtre de Jésus l'a repris dans ses lettres aux chrétiens au début du Moyen-âge de l'empire romain. Mais les nuances de la morale chrétienne comme celles de l'islam montrent que la dimension morale de l'homme ne saurait faire l'unité des cultures. Les changements introduits par les hommes modifient certains fondamentaux de ces morales. Prêcher Christ à tort et à travers serait faire une navigation à vue de la propagation de la morale chrétienne. De même, prêcher Mohamed de l'islam serait faire une navigation à vue de la morale islamique. Dans l'une et l'autre morale, il y a des vérités évidentes et des vérités construites de toutes pièces par d'autres hommes relativement à l'évidence de leurs existences. Certaines maximes tirées de l'expérience personnelle des hommes sont érigées en lois morales générales alors que l'application et la compréhension nécessitent la même expérience vécue par ceux qui l'ont énoncées. Ainsi une morale est générale à condition que ses lois ne soient pas déduites des expériences personnelles mais des évidences de l'existence commune à tous les hommes. Ces lois sont liées aux questions métaphysiques kantiennes :
Qui suis-je ?
Que m'est-il permis de connaître ?
Qua m'est-il permis d'espérer ?
Qu'est-ce que l'homme ?
Ces questions nous les résumons à celle de :
Pourquoi je suis ?
Pourquoi je serai ?
Qui détermine ma vie ?
Une tentative de réponses par chacun le conduira à découvrir les évidences de son existence. Autrement dit, chacun peut par ces réponses toucher à la racine de son être et de celle de l'humanité en général. Ces racines sont les fondements de la vie qui expliquent l'avant et l'après de notre existence. C'est en quelque sorte le retour à la vérité de l'être au sens heideggérien du terme. La conscience n'est plus en ce moment endormie ni surprise par les surprises. Elle n'est non plus ballotée par le déterminisme inconscient naturel et culturel. Si quelque chose la détermine c'est de manière avertie que cette conscience gère ce déterminisme, ;'accepte et y croit. C'est comme on vivrait avec une maladie dont on connaît les causes et les symptômes. Le plus dangereux c'est de ne pas connaître les évidences de son existence et de respecter la morale par suivisme moutonnier dans le but de plaire à soi ou à autrui dans la manière extérieure.
C- La dimension spirituelle ou métaphysique
L'homme est une dualité composée du corps et de l'âme ou de l'esprit. L'esprit est le domaine de l'invisible. L'esprit ou l'âme se rapporte aussi au souffle. La dimension spirituelle peut se manifester de deux manières distinctes : par la communion spirituelle sociale et par la communion spirituelle méta sociale. La première manifestation est de l'ordre du visible et relève de la vie spirituelle en groupe. L'âme spirituelle du groupe qui sous-tend cette vie est ce qu'Emile Durkheim appelle dans son ouvrage Les formes élémentaires de la vie religieuse la "mana". Cette spiritualité donne le sentiment d'un attachement très fort au groupe spirituel social au point où beaucoup de gens s'oublient en tant qu'entité spirituelle à part entière. On chante, on prie, on danse, on jeûne et on communie ensemble comme si la spiritualité de notre être se trouvait dans l'autre. Les règles de sanction y sont strictes comme celles de la justice ordinaire. Un membre qui commet un délit social spirituel est mis à l'écart, sanctionné physiquement comme de la loi de talion ou de la charia chez les musulmans, pour qu'il éprouve de la honte ou qu'il se sente méprisé par les autres encore "saints". Cette spiritualité éveille et développe en l'homme ce que nous appelons les "dons mécaniques" comme chanter, jouer aux instruments de musique, danser en choriste, orateur, prédicateur... Les esprits peu avertis se perdent souvent dans cette spiritualité parce qu'ils ignorent l'évidence de leur existence réelle. Mais la vraie spiritualité se situe au-delà du social ; elle est méta-sociale c'est-à-dire est communion avec soi-même et avec l'absolu. La communion avec soi-même permet d'explorer son tréfond intérieur au sens de Socrate du "Connais-toi, toi-même". C'est elle qui nous permet d'établir les évidences de l'existence, de distinguer les bonnes de mauvaises et de solliciter une révolution interne de son être au sens de développement personnel. La communion avec soi-même est discrète et nous plonge dans l'univers d'abord de notre propre absolu en tant qu'âme et ensuite dans celui de Dieu en tant que "l'Absolu des absolus". La vraie foi dont recherche tout être humain sur terre est à ce niveau. Le voyage spirituel est alors possible dès le moment où nous réussissons à établir ces évidences spirituelles. On évolue ainsi de la croyance fictive à la croyance réelle, de la spiritualité du groupe à la spiritualité individuée. D'où il faut comprendre le sens des lois qui déterminent les sentiments, la passion ou le dénouement des relations socialement construites. De ces lois, nous en avons établis trois catégories.
La loi de coprésence
Les individus qui se côtoient, se fréquentent, entretiennent entre eux des relations sociales profondes, et ont l'un de l'autre une image, une représentation mentale, sociale de leur existence. Cette coprésence crée une certaine affinité, vision de la vie future de ceux avec qui on est constamment en contact. Dans ces situations, les individus n'imaginent pas un instant qu'ils peuvent être séparés l'un de l'autre. C'est ce qu'illustrent les relations intimes, la fréquentation amoureuse, affective des personnes dont la dissolution voulue ou non cause de graves douleurs affectives aux concernés. On est de ce fait, complètement obsédé voire aveuglé par la lumière apparente qui permet d'être momentanément en interactions ou en inter agissement. Le lien social, l'identité, communauté d'appartenance sont les dérivées de cette loi.
La loi de l'éloignement
L'absence, l'éloignement, les entraves, modifient progressivement la perception qu'on a de ses proches connaissances d'enfance, d'adolescence ou d'adulte. Cette absence laisse un vide, une idée vague dans la mémoire humaine en raison de la présence vivante de l'individu. La conscience humaine a besoin, pour maintenir sa vitalité, son espoir, son affectivité, la présence d'un corps vivant animé par quelque chose que ce soit : ici l'esprit joue un rôle essentiel. C'est dire que l'esprit qui anime un corps lui donne un sens, une existence. Les traces vives que laisse une personne dans la mémoire humaine s'effacent ou se détériorent au fur et à mesure que s'éloigne, s'absente ou disparait le partenaire de coopération. L'homme peut donc en tout temps et en tout lieu se faire et refaire des nouvelles connaissances, restructurer son univers mental, psychique car l'esprit apparait très flexible, toujours prêt à tout oublier et à tout réapprendre, recommencer : le premier facteur de cette modification est l'environnement, autrement dit le biotope physique et social et l'abime moral et social s'installent. La société moderne contemporaine est plongée dans cet effet de l'éloignement physique si on considère l'impact des nouvelles technologies et de la communication. Consultation médicale à distance, comparution judiciaire à distance, téléconférence et même "faire l'amour" à distance. Un dilemme de la présence et de l'éloignement qui ne rend pas compte de la manière dont l'Homme veut régler la suppression des inconvénients de chaque loi pour en conserver les avantages.
La loi de L'abime moral et spirituel
Il existe un abime moral entre l'individu et sa société. C'est ce qui l'empêche de manifester les déviances même quand cela le suffoque.
Exister, c'est précisément avoir un corps, une forme visible du "dedans" et du "dehors", mais l'existence des êtres vivants et des hommes en particulier reste déterminée par le souffle qui est dans le cordon ombilical entre l'âme, l'esprit et le corps. Tant que le corps est présent avec l'âme, l'individu inspire encore une indignation, un respect. Ce n'est qu'en l'absence de l'un des trois éléments que l'existence cesse d'être significative, sérieuse du moins pour les êtres terrestres. Il serait vain de nous étendre ici sur des explications métaphysiques car maints ouvrages ont été consacrés à ce sujet, tant par les philosophes, les hommes de sciences que par des hommes de foi ou de religion. L'abime est l'obstacle de vide profond qui sépare deux êtres de même nature. L'image de l'homme riche en enfer séparée de son jadis serviteur pauvre Lazare au paradis après leurs morts sur terre illustre parfaitement cette définition. Car que disent les écritures : "L'homme riche apercevant de loin Lazare se réjouir dans le sein d'Abraham demanda avec supplication qu'on lui apporta de l'eau à boire pour étancher sa grande soif. Mais Abraham répondit qu'il y a entre toi et nous un grand abime ; personne ne peut passer d'un camp à l'autre." Cette illustration nous montre que l'abime est créé indépendamment de l'homme car c'est le facteur temps et espace qui le détermine. De même l'individu et la société sont séparés par un abime moral dont la meilleure compréhension des déterminants se trouve dans la théorie freudienne de l'inconscient. Le ça et le surmoi sont en rapport dans un langage sourd parce que séparés l'un de l'autre par un vide qu'on nomme tantôt abime moral, tantôt censure ; bref il y a division dans la conscience, division imposée par la venue de l'individu au monde et de son intégration au groupe social. Son autonomie d'agir est fractionnée parce que le ça jadis directement lié au moi est séparé de celui-ci par les lois morales de la société qui commencent avec l'interdiction de l'inceste comme l'a si bien dit Lévi-Strauss dans l'Anthropologie structurale. L'individu brise cette barrière mais non sans risques ; il ne peut échapper à ces risques que si et seulement si, il se trouve en dernier ressort dans l'obligation de choisir entre lui-même (moi) et le surmoi. D'où l'ambivalence de sentiment qu'on observe entre l'homme animal et l'homme divin. L'animal pur par contre ne connaît pas cet abime ; il dispose de son ça entièrement sans être conscient au sens divin ni sans être censuré par les siens. En effet, c'est au moment où l'harmattan, vent sec symbolisant pour nous les turpitudes de la vie, souffle sur l'existence d'un adulte qu'il prend conscience de connaître et de lutter contre les contradictions de son existence. Ce qui lui permet de trier les lois morales compatibles à son existence et à son épanouissement. On aura beau lui dire de ne pas aimer le sexe, de mentir, de tuer entre autres, il le fera nécessairement dans une situation où il doit sauver sa peau ou chercher son bonheur évident. Voilà pourquoi il est impossible d'enrayer l'immoralité parmi les hommes. On ne peut que faire semblant de suivre ou d'obéir à certaines lois morales de la société. À défaut on baigne dans l'inconscient moral ou immoral.
Par le socio-philosophe BACHIROU Oumarou.
L'urgence des soins médicaux et la vie en Afrique noire : l'exemple du Cameroun
Résumé
Le contenu de cette étude participe d'une contribution modeste à la compréhension des questions liées au développement de la médecine et de la santé publique dans le contexte africain en général et celui du Cameroun en particulier. En effet, on peut s'offusquer de cette incursion audacieuse du sociologue dans un champ qui lui semble a priori étrange. Mais l'activité sociologique est par essence sans rivage et, par ce principe, le sociologue peut devenir aussi spécialiste des questions de santé considérées comme un fait social au même titre que d'autres. A partir de l'investigation sur l'activité médicale au Cameroun, on peut inférer sur la forme et le rythme de développement impulsé par les forces sociales. Cela permet d'ouvrir des perspectives sur la dite problématique. Ce travail est logiquement subdivisé en trois parties distinctes : la précision du cadre théorique, l'analyse du lien entre santé et maladie et les considérations liées à ces dernières. Si l'Afrique est plurielle dans sa culture, l'extrapolation des résultats du cas camerounais aux autres pays africains doit être prise comme une intention intellectuelle de généralisation "hâtive" dont seule la multiplication des investigations comparées permettrait de nuancer. De toute façon, c'est une fenêtre expressément laisser entr'ouverte pour que la continuité des recherches soit possible.
Abstract
The main objective of this study consists to give some understanding elements about the medical sciences development and the public health in the Africa or Cameroonian context particularly. Actually, we can be astonished that the sociologies give attention to medical field which a priori is situated out of his fundamental domain. But we should know that the sociology activity is not limited only to some categories of social fact. Every social activity can be studied as a thing. The link between biological and social fact is possible. In the same way, sociology and medical science are two domains compatible. That is why our investigation is focused on the social aspects of medical sciences in Cameroon. It has tree main parties. If we supposed Africa have several types of cultures, we should be careful about generalization of the result of our analysis, so every society has his own reality. Actually, only investigation comparison could be confirm or infirm this intention. The first party consists to define the conceptual domain of problematic, the second is analysis the link between health and pathologies and the third examine the socio-anthropological factors of the representations on the medical activities.
L'exercice de la médecine, vieille des millénaires s'est progressivement modernisé suivant la courbe de civilisation des peuples. La médecine a donc une histoire universelle mais aussi une histoire singulière au fur et à mesure qu'on se déplace d'une société à une autre, d'une période à une autre. Aussi sacrée et importante qu'elle puisse paraître, la médecine nous plonge au cur de la relation de l'homme à la vie, de l'effort contre le mystère de la mort. C'est pourquoi elle a joué et continue de jouer un rôle fondamental dans l'existence humaine. En Afrique noire, les soins de santé apparaissent comme une urgence sociale aux ressorts mercantilistes et extravertis. Mais un tel constat mérite d'être questionné dans ses différents aspects essentiels. En effet, comment les sciences médicales se déploient-elles et quelles perspectives d'innovation suscitent-elles pour les sociétés africaines ? Autrement dit, quel regard socio-anthropologique est-on en droit de porter sur l'effort des sciences médicales dans l'amélioration des soins et du bien être en Afrique ? Pour mieux comprendre l'éclairage socio-anthropologique que nous apportons à ce sujet, il convient de présenter suivant l'approche structuro-fonctionnaliste, d'abord quelques généralités sur le cadre conceptuel pour aborder ensuite tour à tour le rapport entre la maladie et la santé, enfin d'analyser les considérations socio-anthropologiques auxquelles elles (maladie et santé) se rapportent.
I- Les généralités sur la science et la problématique des soins de santé
Trois points ont été retenus ici pour présenter les généralités sur la science. Cette dernière est considérée comme l'une des révolutions générales de l'histoire moderne de l'humanité. Elle se rapporte à la connaissance rationnelle ou formelle. En effet, la médecine se définit d'abord comme une science et par conséquent elle ne saurait se soustraire aux piliers de celle-ci.
1- Les trois piliers de la science de l'homme
La science se définit selon trois critères fondamentaux : l'objet, la méthode et le système de concepts.
L'objet : contrairement à la philosophie et à la religion qui prétendent expliquer et comprendre tout, la science telle qu'elle est définie au 19ème siècle est restreinte à un objet précis, palpable. C'est la raison pour laquelle toute science raisonne à partir d'un objet distinct par sa forme et son contenu. De brillants auteurs comme René Descartes, Gaston Bachelard, Karl Popper, ont posé les jalons de la pratique scientifique en la distinguant clairement des démarches philosophiques ou théologiques. L'objet a l'avantage de permettre l'expérimentation, l'observation, la description empirique, le raisonnement logique, et l'administration de la preuve. L'objet est donc distinct du sujet c'est-à-dire de ce qui relève du jugement subjectif, de valeur. De l'explication philosophique ou théologique à l'explication scientifique de la vie, il n'ya qu'un pas à franchir en effectuant le déclic entre l'objet et le sujet. C'est la raison pour laquelle la science grâce à la précision de l'objet d'étude admet la rupture épistémologique d'avec les obstacles épistémologiques (sentiment, préjugé, subjectivité, dogme, croyance, la spéculation ), (BACHELARD 1970 : 13-14).
Nous n'avons pas voulu aborder ici le débat sur le rapport entre sujet et objet en science, débat que nous considérons suffisamment traité dans les manuels d'épistémologie et dont l'apport nous est peu utile. De toute façon, toute science qui se veut autonome doit justifier l'autonomie de son objet et son statut épistémologique. Ce qui explique d'ailleurs la multiplicité des sciences apparues au 19ème siècle, multiplicité qui marque la rupture avec une forme de connaissance et ouvre la voie de pandore à toute forme d'expérimentation au nom de la science. Dans cette logique, la médecine se situant au confluent ou au carrefour des sciences réalise les expériences médicales les plus spectaculaires donnants lieux à ce qu'on va appeler le progrès du savoir médical (ADAM et al. 1994 :5). Cette révolution scientifique va favoriser l'accès de la majorité de la population aux soins de santé et améliorer les conditions de vie. D'où le boom démographique observé dans le monde dont la courbe sera croissante.
La méthode : il ne fait aucun doute que la science en général est l'une des voies d'accès à la connaissance. Ce qui fait sa particularité, c'est justement sa méthode. Les sciences procèdent par une démarche hypothético déductive. Si la nature est muette, il faut la forcer au dialogue en émettant des hypothèses dont seule l'expérience permet de vérifier. On voit qu'ici la raison est reine dans la mesure où le raisonnement scientifique ne saurait s'écarter des principes de la logique. Ainsi la méthode englobe à la fois la démarche théorique et pratique du scientifique. Quand elle est théorique, elle permet de poser des principes a priori de la connaissance ; elle est expérimentale quand elle permet de passer du jugement a priori à l'expérience. D'où pour Karl Popper de constater que la méthode scientifique n'est pas dogmatique mais falsifiable à l'épreuve des faits. Il écrit, "( ) tant qu'une théorie résiste à des tests systématiques et rigoureux et qu'une autre ne la remplace pas avantageusement dans le cours de la progression scientifique, nous pouvons dire que cette théorie a "fait ses preuves" ou qu'elle est "corroborée"" (POPPER 1995 : 29-30).
Mais il ne faut pas perdre de vue que, la méthode scientifique, quoique identique dans ses ambitions demeure plurielle en raison de la multiplicité des disciplines scientifiques aussi différentes les unes que les autres.
Le système de concepts : il convient de souligner brièvement que le système de concepts est aussi l'un des piliers de la science car il permet de distinguer le savoir constitué d'une discipline à une autre. Les concepts scientifiques sont travaillés dans leur forme et contenu. Ainsi en médecine, le langage consacre une fois de plus la spécificité de celle-ci, langage dont seule l'interprétation par un initié permet au vulgaire de comprendre sensiblement le contenu. Comme la méthode, le système de concepts est dynamique et pluriel.
Au regard de ce qui précède, il faut comprendre que les connaissances scientifiques au rang desquelles la médecine est un construit social, une situation dont l'effort humain peut contribuer à la modifier consciemment. Cette précision est importante car elle nous sert de postulat et de propédeutique pour expliquer et comprendre notre problématique principale évoquée à l'introduction. Ce postulat nous allons l'examiner plus profondément dans le titre suivant.
2- Les formes des sciences et la question de l'anthropocentrisme de l'homme
La science se décline en plusieurs disciplines importantes les unes que les autres. Dans un premier temps, une distinction peut être établie à partir de grands ensembles disciplinaires et deuxièmement à partir des sous ensembles à l'intérieur des grands ensembles. En effet, les données épistémologiques nous renseignent que le champ scientifique se subdivise en deux grandes tendances ou formes. D'une part nous avons les sciences de la matière encore appelées sciences dures, exactes (la physique, la chimie, la biologie, la biochimie ) et d'autre part les sciences humaines encore appelées les sciences de l'homme ou sociales (sociologie, anthropologie, l'histoire, la psychologie, la géographie, le droit, l'économie ). Les sous éléments de chaque ensemble précités constituent une science à part entière dont les ramifications sont appelées spécialités ou branches sous disciplinaires. A côté de ces formes distinctes classées soit suivant les caractéristiques globales de l'objet (allusion faite aux phénomènes physiques, à la matière en tant que chose naturelle) soit suivant la spécificité de l'objet ou d'une partie de l'objet (cas de différence entre la chimie et la biochimie ou entre l'anthropologie et la psychologie) existent d'autres formes de science ou de disciplines scientifiques appelés les sciences appliquées. C'est à ce titre et à ce nom que se réclament par exemple la médecine, l'architecture, la communication, l'informatique, la démographie, l'agronomie, l'art. En réalité, cette dernière catégorie n'est pas une science au sens propre du terme car elle ne saurait affirmer l'autonomie de leur objet et de leur méthode. C'est des disciplines qui empruntent aux premières catégories de disciplines scientifiques dites fondamentales (indispensables pour constituer les sciences dites appliquées). Si on peut leur reconnaître un caractère épistémique en raison de leur démarche claire, observable, vérifiable, en revanche, elles s'éloignent de l'esprit pur de la science en se constituant en champ d'activité sociale ou en phénomène social susceptible d'être étudié au même titre que d'autres phénomènes tels l'agriculture, l'artisanat, le mariage, la prostitution dont les caractéristiques n'ont rien à y voir avec la définition de la science comme procédé objectif de connaissance. Toutes ces démonstrations nous plongent au cur de l'anthropocentrisme (de l'homme) car dans l'un ou l'autre cas, c'est l'homme qui est au centre de construction de la connaissance et en même temps bénéficiaire des productions scientifiques. Mais laissons de côté ces considérations préliminaires et intéressons-nous à une forme de science : la biologie dont le lien avec la médecine semble antérieur et prépondérant par rapport aux autres disciplines scientifiques citées. Le pouvoir grandissant des biologistes s'est affirmée dès le début du 18ème siècle. La biologie n'est devenue elle-même une science à part entière qu'au 19ème siècle. Parce que les études des être vivants et plus particulièrement des êtres humains se sont longtemps heurtés à des interdits moraux (influence considérable de la religion et de la philosophie), la biologie connaîtra une reconnaissance scientifique tardive aux mêmes titres que la plupart des disciplines scientifiques de notoriété aujourd'hui. Mais face aux prouesses de cette discipline notamment sur le plan de la reproduction humaine, la communauté scientifique sera unanime à faire d'elle l'une des disciplines fondamentales de la médecine. Même si le mystère de la vie n'est pas totalement élucidé aujourd'hui, la biologie a contribué néanmoins à approfondir la connaissance anatomique et physiologique de l'être vivant ainsi que du rapport de ce dernier à son milieu. Du coup, l'effort de la médecine à retarder la mort de l'homme ou à le ramener à la vie devient ambigu. Que ce soit la médecine occulte ou rationnelle, le savoir médical se constitue et doit se préserver comme un secret culturel d'un peuple dont seule la nécessité permet de le rendre accessible et utile. Ainsi on peut être d'accord avec Claude Bernard qui affirme :
Quand nous voyons, dans les phénomènes naturels, l'enchaînement qui existe de telle façon que les choses semblent faites dans des buts de prévision, comme l'il, l'estomac, etc., qui se forment en vue d'aliment, de lumières futurs, etc., nous ne pouvons nous empêcher de supposer que ces choses sont faites intentionnellement, dans un but déterminé (BERNARD 1965 : 58-59).
Ce constat confirme l'ambigüité scientifique de la médecine en général. En Afrique subsaharienne notamment, quand on parle de médecine, deux conceptions apparaissent à l'entendement : la médecine conventionnelle considérée comme ayant des ressorts exogènes et la médecine traditionnelle considérée comme ayant des ressorts endogènes. Cette division n'est pas théorique. Elle correspond effectivement aux faits pratiques et il n'existe aux yeux des populations une hiérarchisation en tant que telle de ces deux dimensions des sciences médicales. Mais ce qui fait justement problème, c'est le statut scientifique n'est pas accordée aux deux au même titre. Or le but recherché par chacune des médecines est le même : redonner la santé ou prolonger le vécu de l'homme sur terre. D'où la nécessité d'examiner le passage de la "para science" à la médecine proprement dite.
3- La tradi-médecine ou la médecine de tradition ?
Un malentendu semble s'installer dès que l'on aborde des questions touchant à la pharmacopée traditionnelle africaine (particulièrement celle d'Afrique noir subsaharienne). La tradi-médecine est reléguée au rang des médecines occultes, tabous, mal élaborées, mal structurée pour pouvoir suffisamment s'accorder avec "l'épistémè" moderne de la médecine. En effet, doit-on parler de l'ethnomédecine ou de la tradi-médecine ? La question apparaît bien ambigüe. Mais pour Jean-Pierre Willem (WILLEM et al. 2006 : 10, le terme ethnomédecine désigne une pratique de soin se voulant une synthèse entre l'art médical occidental et les thérapeutiques traditionnelles des populations des pays non occidentaux. Il est à souligner que l'anthropologie médicale trouve ses origines dans les travaux des premiers ethnographes tels W.H.R. Rivers (1864-1922), qui compilaient, nous dit-on, de l'information sur les systèmes médicaux à travers leur travail ethnographique sur le terrain. Au cours du siècle dernier, l'anthropologie médicale s'est concentrée sur différents sujets, dont l'ethnomédecine (les médecines traditionnelles). Parallèlement la sociologie de la santé à travers le sociologue Talcott Parsons se développera pour tenter d'appréhender la définition sociologique de la santé et les itinéraires thérapeutiques des individus. A cette préoccupation principale se sont ajoutées d'autres sur la santé tels les rapports entre la nutrition, la santé et les pratiques culturelles. La tradi-médecine est donc une médecine dite indigène et sous cette bannière l'Afrique semble avoir pris conscience de l'importance de sa pharmacopée traditionnelle et des savoirs faire des tradi-patriciens dont les méthodes restent occultes. Par exemple, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) célèbre chaque 31 août, la Journée Africaine de la Médecine Traditionnelle. Au Mali, la Fédération Malienne des Thérapeutes traditionnels et Herboristes, en partenariat avec l'ONG AIDEMET, a organisé une conférence de presse pour définir le rôle de la société civile, relatif à la prise en compte de la Médecine Traditionnelle dans la santé communautaire et le développement. La création de l'ordre des tradi-praticiens de santé du Mali par exemple, pourrait jouer un rôle catalyseur dans la mobilisation de la société civile autour des objectifs de réhabilitation des savoirs endogènes thérapeutiques. C'est à ce titre qu'elle a pu célébrer la journée africaine (7ème édition) de médecine africaine le 31août et 01 juin 2009 à Yaoundé (Cameroun).Y-aurait-il des maladies typiquement africaines ethnoculturelles ? Si oui, le traitement obéirait-il au même schéma thérapeutique ? Ce qui est vrai, il existe des maladies propres à un environnement et des traitements spécifiques comme c'est le cas d'ailleurs de chaque maladie. En Aftrique, au moins 80% des personnes font recours à la médecine traditionnelle. Il existe de nombreuses maladies taxées souvent à tort ou à raison (voir le type de rationalité à partir duquel on juge) de mystiques qui pousseraient les uns et les autres à se diriger tout droit vers les tradi-thérapeutes. On peut évoquer aussi au rang de ces maladies l'épilepsie dont le traitement traditionnel chez certains groupes ethniques transcende les lois morales et implique des interdits tant alimentaires que comportementaux en contradiction avec les prescriptions médicales. Une autre raison qui amènerait les camerounais à se rendre chez les tradi-praticiens, c'est les nombreux témoignages que les "abonnés" de cette médecine font à propos, sur des guérisons qui avaient dépassés tous les médecins. Ce qui entretient justement le flou et l'irrationnel autour de la tradi médecine africaine, c'est son inorganisation, sa codification et sa commercialisation à l'échelle mondiale. Cette inorganisation laisse libre cours aux contre thérapeutes ou aux escrocs dans le domaine de la médecine dite indigène. En définitive, il convient de relever que la pharmacopée africaine profondément ancrée dans les pratiques culturelles est une preuve de l'existence de la médecine africaine qui a encore tout à prouver et les moyens pour le faire ne manquent pas pour y parvenir car à chaque étape de la civilisation d'un peuple, on apprend à s'organiser, à réfléchir, à perfectionner, à évoluer et à moderniser les méthodes de survie.
II- La maladie et la santé : deux cycles permanents de la vie de l'homme
L'homme est-il condamné à vivre entre le spectre de la maladie et l'espoir de santé ? Certainement, car aucun homme n'est à l'abri de la maladie et la santé est pour chacun un état passager. Ce cycle infernal de vie mérite d'être interrogé.
1- La fragilité extrême du corps humain face à la maladie
"L'homme est le roseau le plus faible de la nature mais c'est un roseau pensant", a reconnu le mathématicien et philosophe Blaise Pascal quand il était en proie à la souffrance extrême causée par la maladie. Une simple fièvre rend ridicule le plus fort des hommes. La maladie attaque du dedans et du dehors l'homme et les conséquences sont désastreuses même s'il faut reconnaître qu'il ya parfois de graves pathologies indolores devant lesquelles l'homme éprouve plutôt des sensations de joie. Mais qu'est ce qui est maladie et qu'est ce qui ne l'est pas ? Toutes les douleurs, souffrances ressenties sont-elles maladies ?
Dans l'histoire de l'anthropologie médicale, la maladie est un élément de désagrégation de l'unité du corps dont la gravité et la durée peuvent entrainer le déséquilibre social. Des observations récurrentes complétées par quelques entretiens auprès des malades internés dans les hôpitaux nous ont permis de forger une idée claire du rapport entre maladie et souffrance d'une part, et, entre maladie et société d'autre part. A cela il faut ajouter notre propre expérience de la maladie. En effet, tout homme est une masse de matière dont il ignore les composantes les plus atomiques. La définition de la maladie se traduit d'abord en une description des manifestations des symptômes, des douleurs ressenties. Le rapport de l'homme à la maladie est donc singulier. Philippe Adam et al. Pensent que "la maladie est un état affectant le corps d'un individu. La médecine a pour fonction de la décrire en termes objectifs pour tenter de la traiter.". Toute sa vie l'homme est donc appelé à lutter contre la maladie, son ennemie permanente. Finalement la maladie devient une situation avec laquelle l'homme est obligé de composer. D'où l'effort de rétablir la santé par des méthodes multiples. Mais les perceptions de la maladie et de la santé varient d'un individu à un autre, d'une société à un autre. Dans certaines situations, la maladie au même titre que la mort par suicide et l'euthanasie permet à l'homme d'échapper à un rôle social qui étouffe son individualité.
2- Les maladies du corps et les maladies de l'âme
Très souvent les perceptions se cristallisent autour des maladies touchant uniquement le corps. Les douleurs et souffrances liées à la maladie de l'âme ne reçoivent pas la même attention que celles liées directement au corps. Nous précisons que nous ferons dans cette partie une sorte d'analyse socio-philosophique de la question du rapport de la maladie à l'homme car cela mérite d'être abordé ainsi. Par âme, il faut entendre la substance qui vivifie le corps. Cela implique aussi la santé car il s'agit de la vigueur qui confirme le caractère vivant de l'être. Le postulat de la constitution de l'homme en matière (corps) et en immatériel (âme) existe depuis fort longtemps dans les cosmogonies les plus reculées de l'histoire. Il sous-entend la possibilité pour l'homme d'appartenir au monde sensible et à celui dit intelligible. C'est ce qui apparaît implicitement dans cette affirmation d'Empédocle : "Pour l'âme qui vient du ciel la naissance est une nouvelle mort". Il convient de noter qu'Empédocle situe le lieu où l'âme provient à savoir le "ciel". Cette indication sous-entend que l'homme est dans un rapport transcendantal avec quelque chose de supérieur que lui. L'âme qui descend du ciel doit prendre une forme dans un corps dont les constituants biologiques sont destructibles c'es-à-dire supposés être rongés par les maladies ou autres causes. Cette mort supposerait donc la déchéance de ce corps. Mais qu'advient-t-il de l'âme ? La mort du corps la concerne-t-elle ? Au regard de ce qui précède, il ya lieu de souligner que l'affirmation d'Empédocle a le mérite de nous introduire dans l'effort de rationalisation par la philosophie des questionnements sur l'abstrait absolu où parfois on du mal à définir le rapport entre la santé et la maladie car l'une et l'autre reste latente en chacun de nous.
3- Quelques précisions succinctes sur l'apport de l'anthropologie, la sociologie et la psychologie médicales
Les sciences sociales appliquées au champ de la médecine développent leurs recherches à partir des données qualitatives et quantitatives. Dans cette perspective, elles ont réussi à inscrire la maladie et la santé dans le registre culturel qui est leur stock commun de connaissance. Mais la sociologie, l'anthropologie et la psychologie ont eu un apport considérable plus que d'autres sciences sociales dans le développement de la pratique de la médecine. Elles peuvent désormais réclamer leur appartenance au panthéon des sciences expérimentales et appliquées. Mais ces trois sciences se doivent d'améliorer leurs rapports à la médecine en intégrant au cours des investigations des préoccupations non seulement abstraites mais aussi concrètes de la médecine.
III- Les considérations socio-anthropologiques des sciences médicales et l'antériorité des modèles étiologiques
Les considérations socio-anthropologiques renvoient à ici à la manière dont les sociétés produisent et reproduisent les savoirs, les savoir-faire et les perceptions par rapport à un phénomène. La médecine représente tout un pan culturel d'un peuple et constitue un élément de l'identité culturelle. Cependant, certains peuples plus que d'autres ont réalisé pendant très longtemps leur unité politique, sociale et culturelle pour suffisamment avoir le temps de définir leur trajectoire scientifique en étiologie et en thérapie. Parmi ces vieilles civilisations, nous avons retenu l'Egypte pharaonique. Berceau de civilisations, l'Egypte est intéressantes du point de vue de ses connaissances sur la médecine. Son exemple va servir à définir et à expliquer ce que c'est le développement de la médecine aux couleurs continentales africaines et aux couleurs nationales camerounaises.
1- Perceptions et traitements des maladies dans l'Egypte pharaonique
La pratique de la médecine dans la société égyptienne est vieille des millénaires. L'abondante littérature sur l'Egypte pharaonique (ANTA DIOP 1981 : 360-361) permet de se rendre compte de cette évidence. En effet, grâce au support d'écriture (cuir, papyrus ), on sait que les Egyptiens ont pris soin de codifier et de réguler la pratique de la médecine dans leur espace socioculturel. Selon les sources de ces écrits, il existe à ce jour une quinzaine d'écrits médicaux de la société égyptienne ancienne. On sait également que les Egyptiens ont mis sur pied une écriture appelée hiéroglyphique, écriture grâce à laquelle ils ont pu consigner, conserver et transmis leur savoir et savoir faire en général. Dans le domaine de la médecine particulièrement, les écrits les plus anciens des égyptiens sont faits en hiératique (du grec hiéro qui veut dire sacré). C'est dire que les égyptiens avaient bien compris que la médecine est un domaine sacré dont les connaissances doivent être jalousement conservées. Accéder à la pharmacopée d'un peuple c'est accéder au secret de leur univers médical. Il convient de présenter ici quelques grands moments et sources de cette médecine égyptienne ancienne que nous allons comparer à d'autres pour en mesurer la pertinence, l'influence dans la pratique médicale contemporaine en Afrique.
a) Le papyrus d'Ebers : il date de 1- 550 avant Jésus Christ. Il comporte des passages recopiés remontant au début du 3ème millénaire avant Jésus Christ (2670-2160). On y retrouve les trois formules magiques de protection du médecin de cette période, la préparation des médicaments pour toutes les parties du corps. Les deux premières formules dit-on sont destinées à protéger le médecin qui pénètre dans l'ambiance dangereuse entourant la maladie ou ses sécrétions pathologiques de toute nature ; la dernière concerne les soins au médecin malade ou susceptible d'être victime d'une vengeance des démons qu'il combat. C'est le plus ancien semble-t-il des traités scientifiques connus. En tant que livre médical modèle, il contient des notions d'anatomie, un exposé de cas de pathologie et les traitements correspondants ainsi que 700 recettes de médicaments.
b) Le papyrus hearst : il est conservé à Californie aux Etats-Unis d'Amérique et date d'environ 1500 avant Jésus Christ.
c) Le papyrus médical de Berlin de Heinrich Brugsch en Allemagne et date de la XIXème dynastie pharaonique.
d) Le papyrus médical de Kahun : il date de la XIIème dynastie soit 1850 avant Jésus Christ. Il s'agit d'un précis de gynécologie(spécialité médicale consacrée à l'organisme de la femme et à son appareil génital) et mentionne une maladie qui dévore les tissus : le cancer, maladie qui peut atteindre tous les organes et tous les tissus car c'est un ensemble des cellules indifférenciées qui échappent au contrôle de l'organisme et se multiple indéfiniment, envahissant par là les tissus voisins en les détruisant et se répandant dans l'organisme en métastases (foyer pathologique secondaire) d'où émergera la tumeur.
e) Les fragments de papyrus médicaux. Ils sont au nombre de 08 :
- Le papyrus médical de Londres en Angleterre datant de 1350 avant Jésus Christ
- Le papyrus médical d'Edwin Smith conservé à New York aux Etats-Unis. C'est le traité de pathologie interne et de chirurgie osseuse. Il recense 48 cas de blessures et de lésions ainsi que les thérapeutiques y afférentes.
- Le papyrus de Brooklin datant de XXX ème dynastie (380-330 av. J.C.)
- Enfin nous avons le papyrus de chassinat daté du IX ème av. J.C.
Ces papyrus et autres documents ont concouru à la transmission du savoir médical égyptien de génération en génération. Mais l'Egypte ancienne n'a point séparé science et religion, la pratique médicale des divinations, le réel du mythe. D'où les multiples divinités invoquées pour la santé de l'homme. La médecine s'est détachée peu à peu de la religion en devenant une profession libérale. Le "Saou" qui représentait le magicien ou le sorcier guérisseur se distinguait clairement du "Sinou", médecin tirant ses connaissances des livres et de l'exercice empirique sur le terrain c'est-à-dire auprès des malades. Les formules incantatoires de guérison commençaient à disparaitre des pratiques médicales de l'Egypte au fur et à mesure que l'esprit humain se développait. Ainsi, de l'examen du patient (prise du pouls, l'auscultation ) à la proposition de thérapie en passant par le diagnostic clinique des maladies, l'activité de la médecine s'est détachée des avatars de la religion pour adopter le raisonnement scientifique conforme. Les connaissances pathologiques et curatives aussi sommaires qu'elles paraissaient se conformaient de plus en plus à la logique objective ou scientifique moderne. La grande partie des connaissances thérapeutiques est d'origine végétale (acacia, noix, ail, ) et les modes d'administration sont davantage externes. Toute chose qui prouve la convergence de la médecine vers la science moderne. L'essentiel pour nous n'est pas de présenter ou décrire ici toute la médecine grecque antique, mais de pouvoir poser et démontrer le principe d'une médecine traditionnelle afin de voir quelle est la perspective qui permet de la valoriser, perfectionner préserver ou protéger ses secrets de toute concurrence ou extermination. Car à travers la médecine, on peut reconstruire également la culture d'un peuple et valoriser ses savoirs et savoirs faire. C'est une démarche qui se veut constructive et engagée dont le seul intérêt principal est de favoriser l'accès du plus grand nombre aux soins de santé et à l'épanouissement de l'être. En effet, la santé au même titre que la nutrition absorbe le plus grand budget familial. Si la technologie des minerais nous échappe encore quelque peu, celle des plantes médicinales cependant est fort maîtrisée de manière endogène. Car la médecine sous quelque forme que ce soit est toujours l'espoir de l'humanité pour sa survie. Là où la médecine échoue, la vie fane et les percerions du bien être change ou s'amenuisent.
2- Effets du développement de la médecine sur les représentations des individus de la santé, la maladie, la vie et la mort
Le mythe du cycle de la végétation (processus de la mort à la vie) existe dans toutes les sociétés et à toutes les périodes du cycle historique de l'homme. Il est à l'origine des croyances en la toute puissance de la médecine qui serait un don de Dieu. Dans l'Egypte ancienne et la Grèce antique dont les data nous sont transmis par la littérature et l'histoire, il existe une multitude de divinités correspondant à une situation précise de besoin de l'homme sur terre. S'agissant de l'Egypte précisément, neuf principales divinités font autorités sur les hommes. Nous avons :
- Rê, dieu soleil dont la légende relate qu'il se lia à Horus, fils d'Osiris (défini aussi comme un dieu). Celui-ci permet au médecin de se placer sous sa protection directe pour ne pas être victime des puissances du mal risquant de le mettre en danger de contamination des maladies.
- Thoth, dieu de la sagesse et de la science, il est le patron des scribes et greffier du jugement des morts. Il guiderait le médecin dans l'interprétation des écrits.
- Horus, dieu protecteur, premier pharaon devenu mythique.
- Sethmet, déesse à tête de lionne répand les maladies ou les retient selon ses humeurs. Elle est compétente en gynécologie. Sa colère se déchaine les 05 derniers jours de l'année.
- Min, dieu de la fertilité guérit et ranime.
- Amon, dieu souvent travaillant en associé avec Rê chasse la maladie sans user de remèdes.
- Ptath, dieu de Memphis, considéré comme créateur de toutes choses.
- Thouéris ou Taourèt, dieu protégeant la mère et l'enfant lors des accouchements.
- Bès, dieu de la fertilité, du mariage et de grossesse.
De l'Egypte antique à nos jours, il un grand fossé de civilisation. Mais il est tout de même nécessaire de faire ce détour historique non seulement pour comprendre que les pratiques et perceptions en matière de santé restent fortement liées aux instituant méta-sociaux, mais aussi qu'elles évoluent suivant les considérations socio-anthropologiques des peuples.
3- Champ de formation en sciences médicales et perspectives d'innovation thérapeutique au Cameroun contemporain
Le Cameroun aujourd'hui une dynamique du paysage de formation en sciences médicales. Les médecins expliquent cela par le souci de diversifier l'offre de santé afin de mettre au standard international le ratio entre population et personnels de santé qualifiés. C'est pourquoi selon le rapport final de la commission d'évaluation des facultés et instituts privés d'enseignement supérieur de formation médicale au Cameroun rendu public le 18 avril 2013 (Journal le jour N°1419), la libéralisation de la formation médicale au Cameroun fut autorisée au début des années 2000. Cette perche tendue fut bien saisie par les promoteurs d'établissement en matière de santé. Par conséquent, on se retrouve avec une kyrielle d'instituts et de faculté des sciences médicales ou de santé si on s'en tient aux formes de dénominations que ceux-ci prennent. Mais le rapport relève également les insuffisances de cette extension de la formation en sciences médicales, insuffisances qui appellent à une intervention d'ordre régulateur et infrastructurel. De cette galaxie de champ de formation en sciences de santé, nous en déduisons non seulement la crise d'organisation mais aussi des perspectives d'innovation dans ce domaine. Lorsque nous parlons de perspective d'innovation, nous voulons signifier le fait la possibilité pour le Cameroun de se détacher progressivement de la dépendance de certaines importations en médicaments par le développent de ses propres structures pharmaceutiques. De telles perspectives paraissent certes difficiles, mais une mise en synergie des forces vives des chercheurs peut permettre leur atteinte à court ou à moyen termes.
Au demeurant, il est à retenir que les sciences et les pratique médicales peuvent être saisies comme des réalités sociales complexes et variées. L'Afrique est un trésor des connaissances et des plantes médicinales. De même, elle connaît une dynamique en matière de formation et d'extension des infrastructures de santé. Mais elle gagnerait davantage à explorer son trésor humain et naturel en définissant les ressorts d'organisation et de régulation qui lui sont propres. Des besoins de soins de santé résultent les défis et les perspectives d'innovation technologiques dont seule une bonne articulation des forces sociales permettrait d'en résorber rapidement et durablement.
Bibliographie
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1994 Sociologie de la maladie et de la médecine, Paris, sous la direction de François de SINGLY, Edition Nathan, 5 p.
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"La médecine traditionnelle et l'évolution de la santé au Cameroun: le cas de l'aire culturelle Fang-Béti Boulou, 1924-2003", thèse de doctorat PH.D., en Histoire, Université de Yaoundé, 2010-2011, 65 p.
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1999 Discours de la méthode, Edition Hatier, 23-26 pp.
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1988 Fondements de la métaphysique des murs, Paris, Editions Bordas, traduction revue et commentaire (par Jacques MUGLIONI), 1 p. préface.
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1995 La logique de la découverte scientifique, Edition Payot, traduction N. Thyssen-Rutten et P. Devaux, 29-30. Pp.
Journal "le jour", N°1419 du 18 avril 2013 "Formation des médecins au Cameroun : Le rapport qui dérange" 3-10 pp.