
Cikuru Batumike
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Descriptif auteur
Essayiste. Poète. Journaliste de formation. Collaborateur à diverses publications francophones (Suisse et France).
Cikuru Batumike est de nationalité suisse. Il est né à Bukavu (République démocratique du Congo) des parents congolais. Il est diplômé en relations publiques (Lausanne, Suisse) et en journalisme (Brunoy, France). Collaborateur de diverses publications (suisse et française), il a travaillé dans les années 1980 en qualité de journaliste à Radio Bukavu (Voix du Zaïre), puis à l'hebdomadaire JUA du Kivu (RD Congo) qu'il quitte après avoir connu les gêoles de la sécurité pour ses opinions. Cikuru Batumike vit et travaille en Suisse depuis 1984. Il est membre de l'Union internationale de la presse francophone (UPF), section suisse. Il est le correspodant en Suisse du magazine Amina.
Structure professionnelle
:
agence Médiatropiques
Oppligerstrasse 7
case postale 79
2501 Bienne-Suisse
Tél. +41 79 824 91 40
Titre(s), Diplôme(s) : Formations en Relations publiques (Lausanne-Suisse) et en journalisme (Brunoy-France)
Fonction(s) actuelle(s) : Correspondant de presse
Vous avez vu 11 livre(s) sur 7
AUTRES PARUTIONS
-Souffle, poèmes, éditions Saint-Germain-des-Prés, 1989, Paris
-Arrêt sur étroiture, poèmes, Editions des Ecrivains, 2007, Paris
-Lueurs enrhumées, poèmes, Editions Société des poètes français, 2011, Paris
-Noirs de Suisse, essai, Editions Ovadia, 2014, Nice.
LES CONTRIBUTIONS DE L’AUTEUR
LES ARTICLES DE L'AUTEUR
"Atelier d'écriture ? Le tour de la question en 90 points" de Françoise Neveu
Depuis 1996, l'ébéniste, poète et ethnologue française, Françoise Neveu enseigne son savoir-faire en matière d'écriture. Elle mène, pour des groupes restreints, des workshops d'écriture créative à Paris.
L'expression atelier d'écriture fait généralement penser à des techniques qui permettent aux amoureux de lettres de mieux s'entraîner à l'écriture pour en maîtriser les rouages et finalement, produire un texte. D'aucuns auteurs de romans, récits, nouvelles, théâtres, contes et autres poésies ont recouru et recourent à un atelier d'écriture pour acquérir des éléments théoriques propres à renforcer la naissance d'une uvre. Des ateliers d'écriture fonctionnent dans la majeure partie des régions francophones, aussi bien d'Europe, d'Afrique que d'Amérique. Les plus actifs, plus près de nous, sont à Paris et Genève. Ils récoltent des échos favorables, à tel point que quelques universités les proposent à leurs étudiants, dans leur offre culturelle. Des livres consacrés aux ateliers d'écriture et leurs différentes approches sont disponibles dans les rayons de librairies ou de bibliothèques nationales. Ils fournissent, clé à la main, des éléments pour la rédaction d'un texte littéraire.
Certes, mais rares sont des ouvrages qui cernent le travail de personnes appelées à diriger ces ateliers. Atelier d'écriture ? Le tour de la question en 90 points n'est ni un cours ni une série d'exercices adressés aux personnes en quête d'une méthode pour écrire. Il s'agit d'un clin d'il de l'auteur sur ce qu'est réellement un atelier d'écriture. Dans son fonctionnement, par le biais d'une structure qui englobe non seulement des règles de travail mais également le bien-fondé de ce genre d'écoles et de l'écriture.
L'auteur souligne, d'emblée, que mener un atelier d'écriture, c'est enseigner le travail d'écriture aux gens ; ce n'est pas animer ; c'est diriger, encadrer, accompagner, transmettre une expérience et ne pas imposer sa façon d'écrire. Démarche inconnue du grand public, les ateliers d'écriture remontent aux années 50 lorsque, en France, des instituteurs sollicités, pour intervenir dans des situations d'accompagnement des enfants en difficulté, devaient s'en servir comme outil pédagogique. []Le structuralisme donne toute sa valeur aux ateliers d'écriture par le biais d'une pensée critique de la littérature dans les années 60-80. Les ateliers d'écriture Elisabeth Bing seraient à l'origine, dès 1969, des Ateliers d'écriture littéraire en France.
Des règles
Un atelier d'écriture se construit sur des règles, sur ce qu'il faut faire et sur ce qu'il ne faut pas faire, dans la vue de favoriser des bonnes conditions de création. En général, insiste l'auteur, il n'y a pas de règles pour bien écrire, si ce n'est celle de se faire bien comprendre grâce à la maîtrise de la grammaire et de l'orthographe. Il faut compter avec le désir qui précède le travail, l'acte d'écrire. Pour l'auteur, l'atelier d'écriture est un laboratoire qui fait intervenir chaque membre du groupe par son implication, son écoute, sa production. Ici se croisent des textes issus d'essais, d'erreurs, d'expérimentations, de tentatives, mieux, de retours sur les textes. Dans une ambiance qui différencie l'auteur et sa personne. C'est un travail collectif dans lequel on découvre le singulier de chaque écriture, recherchant ce qui est différent et non ce qui se ressemble, se rapproche.
Dans la durée
L'auteur insiste sur le fait que l'atelier n'est pas une question de niveau mais d'apprentissage. Il y a présomption du possible : tout le monde peut écrire, peu importe sa condition, sa classe sociale, ses croyances. Chaque séance d'atelier dure environ trois heures. Une proposition d'écriture oriente et lance le désir d'écrire à travers une forme littéraire choisie, pour un groupe de six à douze personnes. L'auteur situe le travail de tout atelier d'écriture sur le court terme. Au minimum trois années correspondant à trois degrés : exploration, projet et création, qui s'appuient sur des textes d'auteurs connus ou inconnus. Exploration ou travail sur les textes ou ce va et vient entre lecture des textes des autres et ses propres textes ; apprendre à faire les retours avec ses propres mots. Projet ou écriture de fragments de textes qui embrassent tous les genres littéraires ; on passe de la fabrication à la construction du texte. Création ou la phase ultime du travail. Il y a la présomption du résultat une perle, un étonnement. On en arrive à constituer son propre atelier d'écriture. De procéder à la transmission de ses expériences.
Démarches complémentaires
Une expérience ça se renforce. L'idée, pour l'auteur, est de rester dans le domaine de l'écrit. En amont des ateliers d'écriture existe des entrées intensives. Il s'agit de stages qui portent sur le choix d'explorer davantage les différents genres littéraires. Il y a des stages d'exploration poétique, comme il existe des stages destinés à " creuser des sillons qui couvrent la facture d'un texte, sa structure, son architecture, les faits de la langue " ; il y a des stages appelés " Ecriture de nouvelles ". Toute une palette d'opportunité appelée à renforcer les connaissances de tout futur responsable d'atelier. Dont le rôle sera de faire respecter les règles, d'être à l'écoute, de mettre en route la machine à réfléchir, de donner des idées qui donnent des ouvertures et des suites, de contribuer à faire naître tout ce qui relève de la singularité d'un écrit.
Atelier d'écriture et écriture
Enfin,l'auteur souligne le bien-fondé d'un atelier d'écriture en termes d'enrichissement personnel. On n'écrit pas seulement par envie d'écrire soi-même, de remettre en question sa propre écriture ou sa vision de la littérature ; mais également pour être au fait de ses propres potentialités ; être conscient de ce qu'on peut projeter sur quelqu'un d'autre ; être capable d'imaginer d'autres possibles, d'expérimenter ce qu'on peut apporter à l'autre ; de vivre l'autre que soi. Au-delà de la singularité qui est sa spécificité (prise de distance personnelle, différenciation des mots et des choses, circulation des pensées, des émotions, des sensations dans son corps), l'écriture travaille l'universalité (l e rapport aux autres, par ses opinions, par la vie en commun, le partage, finalement sa propre relation à la vie).
" Atelier d'écriture ? Le tour de la question en 90 points " de Françoise Neveu est partie prenante d'un ensemble de volumes à venir, source de recherches dʼÉCLA(T), Laboratoire de Travail de lʼÉcriture, à Paris.
Quand les mots dénoncent les maux
Dans l'antiquité, le philosophe grec Platon banissait la poésie et les poètes de sa république idéale. Il prenait les poètes pour des illusionnistes qu'il fallait chasser de la cité. De nos jours, cette injonction paraît être la règle, sous d'autres formes, dans certaines contrées du monde. Des poètes sont perçus comme la conscience du Mal, par une minorité au coeur du pouvoir politique qui décide ce qui est bon pour la majorité. Par une minorité qui veut du poétiquement correct, et l'éloignement, de la lumière, des empêcheurs de tourner en rond. En dépit de cette contrainte, des poètes continuent à cueillir la poésie, ce fruit défendu, pour créer leur langage et dénoncer le malaise de l'Etre. Un langage, selon la formule de l'écrivain portugais Fernando Pessoa, pour "éclairer la société en ce siècle de l'intranquillité". En effet, depuis la fin de la période romantique, la poésie est devenue partie prenante de la vie de la cité. En plus d'être vouée à l'expression des sentiments, la poésie est demeurée une voie utile au poète, non seulement pour sortir hors de soi, cet enfermement, cette sensation de subir et de voir la vie, mais également pour éveiller les consciences endormies. Le poète est placé à l'avant-garde du changement social, par son action et sa réaction face à la dépossession humaine. Où qu'elle se trouve aux quatre coins du monde, la poésie a pris ses quartiers dans les espaces aussi bien tranquilles que périlleux. Dans des espaces voués à la résistance aux injustices. Le poète impose ses mots pour se libérer et libérer les siens des carcans de la servitude.
Poètes et puissance d'évocation.
Mais, qu'est-ce que au juste la poésie ? Ce sont des mots qui habitent le poète pour exprimer ses préoccupations et celles de son environnement. Ce sont des déclics que produisent les mots auprès des lecteurs qui les lisent. De ce fait, le poème devient déclic donc action parce qu'il assure la transmutation des mots en valeur émotive. Le poème devient action après la substantiation qu'elle fait subir au réel. Comment reconnaître cette action, sinon dans une façon singulière qu'a le poète d'écrire?. En effet, le poète exprime des choses, des êtres et des faits, en utilisant ce qu'on appelle le langage poétique. Le langage poétique est cette forme d'écriture à l'ampleur saisissante de la vision et à la puissance d'évocation, enrichies de plusieurs éléments : détours d'expressions, codes, combinaisons, conventions, métaphores et autres altercations, dans une structure qui peut déroger aux règles littéraires de construction. Des mots écrits librement susceptibles de "renverser les montagnes qui cachent l'horizon" déclarait Liliane Wouters en septembre 2003, dans "Deux infinis pour un avenir", à l'occasion du 50e anniversaire de la Maison internationale de poésie à Liège. La poètesse disait, en substance, qu'il ne fallait pas se contenter des mots magiques pour dire qu'on a écrit un poème : "Ne pas réduire la poésie à des recherches verbales, des jeux intellectuels, des harmonies, des effets de style, des consignes d'écoles, des rites de chapelle. Se servir de ceux-ci pour atteindre autre chose." La poésie devient action et non plus une simple expression littéraire; elle devient, pour le poète un moyen de trouver son équilibre en temps de détresse. C'est ce que Reverdy appelle circonstance de la poésie, pour souligner l'importance donnée aux mots par le poète : "une main mise souveraine de l'homme sur les choses de la création : la poésie est dans le poète et non dans les choses." En définitive, la poésie est un langage qui diffère de l'usage linguistique commun, parce que, selon le poète Pierre Reverdy, elle porte la marque du poète. "Il n'existe pas de choses ni de mots plus poétiques les uns que les autres, mais toutes choses peuvent devenir poésie à l'aide des mots, quand le poète parvient à mettre son empreinte dessus.", écrivait-il dans une chronique de la Revue L'Arche, en 1946.
Mais comment s'assurer qu'un poème, une fois écrit, suscite l'intérêt d'un non-poète ? Par le déclic qu'il provoque chez le lecteur, disions-nous. C'est au lecteur qui le réceptionne de trouver la connotation qui convient à quelle dénotation. Autrement dit, la compréhension d'un poème est synonyme de la dialectique installée entre le poète et son lecteur. Ce dernier doit trouver entre les mots ceux qui facilitent sa quête du réel plutôt que des rêves; ceux qui le rapprochent de l'immédiateté plutôt que du passé et permettent une sortie de l'enlisement, des zones les plus inquiétantes; ceux qui sont la clé pour vivre.
Poètes dans la résistance.
Des mots pour vivre ! Des nombreux poètes s'en sont servis pour résister à une époque ou une autre de l'histoire tragique de l'humanité. On retrouve la trace de la résistance poétique dans les périodes épiques entre le 16ème et le 17ème siècle avec Agrippa d'Aubigné s'engageant dans la guerre contre les catholiques; à l'époque baroque, même siècle, avec Théophile de Viau, un libertin lyrique emprisonné pour avoir écrit des vers impies; dans la poésie classique au 17ème ou avec Jean de la Fontaine, qui par le biais de ses fables, utilisa toutes les ressources de la versification pour dénoncer les injustices et les abus de la société. Les vers du poète Alphonse de Lamartine raisonnent au 19e siècle pour condamner les dictatures et dénoncer la gloire des "hommes du mépris qu'il est méprisable d'encenser". Lamartine eut le mérite de ne pas se plier à aucune mesquinerie tacticienne de la politique qui avait intrigué, écrasé, emprisonné ou enfermé des poètes jusqu'à ce que folie et mort s'ensuivent. Les poèmes de Victor Hugo traduisirent ses opinions politiques à travers son recueil intitulé Les Châtiments (1853). Sa poésie engagée propulsa au devant de la scène, l'opposant qu'il devint à " Napoléon le petit". A ces périodes succédera, entre le 19ème et le 20ème siècle, celle de la libération du langage, le surréalisme avec Max Jacob emprisonné à la prison d'Orléans, puis déporté au camp de Drancy d'où partaient les convois vers l'Allemagne. Il y mourut après avoir laissé à la prospérité une importante oeuvre. Paul Eluard s'exprima dans Poésie et Vérité, par le biais du poème "Liberté", écrit lors de la période de Résistance, en 1942. La liste est longue des poètes qui n'ont pas été épargnés par la barbarie: Robert Desnos appela à la révolte contre le nazisme avant de mourir dans un camp allemand; Ion Caraion subit la censure et la prison en Roumanie. Auteur d'une vingtaine de recueils de poèmes, il passa onze années dans les geôles de son pays, pour s'être opposé à la dictature communiste. Il mourut en Suisse où il s'était exilé. Arthur Haulot, Grand résistant, arrêté lors d'une opération clandestine (1941) et incarcéré pendant 3 ans dans des camps de concentration, notamment à Dachau et à Mauthausen, ramena de sa captivité, un poignant recueil de poèmes intitulé Si lourd de sang (éd. Est-Ouest, La maison de poésie), dans lequel il écrivit en guise d'introduction, à Noël 1946, ces mots pleins de gravité : "Si mes poèmes de prison ne sont riches que d'angoisse, ceux qui les suivent ne sont lourds que de sang. ( ) Tels qu'ils sont, ils étaient dans ce carnet qu'un jour je fis clandestinement parvenir à ma femme, avec une lettre d'ultime adieu. Je devais être fusillé le lendemain matin."
On ne peut pas terminer ce petit chapitre sans évoquer le courage du poète cubain Armando Valladeres, qui passa 22 années en prison (1960-1982) pour ses convictions chrétiennes et politiques. Armando Valladeres a écrit des poèmes d'une haute portée contre la dépossession humaine. L'un de ses textes porte les couleurs de la résistance et mérite qu'on s'y arrête:
"Ils m'ont tout enlevé, les porte-plumes
les crayons, l'encre
car, eux,
ils n'aiment pas que j'écrive.
Et ils m'ont enfoui
dans cette cellule de châtiment
mais même ainsi
ils n'étoufferont pas ma révolte.
Ils m'ont tout enlevé
- enfin, presque tout -
car il me reste le sourire
l'orgueil de me sentir un homme libre ( )
Ils m'ont tout enlevé, les porte-plumes, les crayons.
Mais il me reste l'encre de la vie
- mon propre sang-
et avec lui,
j'écris encore des vers."
On retrouve d'autres poèmes aux couleurs de la résistance chez les femmes, qui on le sait, sont souvent effacées par des figures masculines plus connues. Elles ont donné, avec persistance, leur vie pour un idéal de liberté. Elles ont connu un itinéraire tragique pour avoir récolté et transmis des renseignements; pour avoir assuré le contact entre les résistants; pour avoir transporté le courrier, les journaux, les armes; pour avoir accueilli, caché, entretenu des combattants clandestins. Elles ont résisté en écrivant. C'est le cas de Marianne Cohn, fusillée le 8 juillet 1944 à l'âge de 23 ans:
"Je trahirai demain, pas aujourd'hui.
Aujourd'hui arrachez-moi les ongles.
Je ne trahirai pas.
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
Moi je sais."
C'est le cas de Micheline Maurel déportée ou de Charlotte Delbo incarcérée à la prison de la Santé à Paris, puis, déportée à Auschwitz en 1943 dans le convoi de 230 femmes dont elle racontera le destin, après la guerre. Elle perdit son mari, exécuté à la prison de la Santé. Elle est l'une des 49 femmes rescapées de ce convoi, libérée par la Croix-Rouge le 23 avril 1945, avant d'être rapatriée en France. Dans Auschwitz et après, Une connaissance inutile, elle doute quant à sa réelle libération des affres de la guerre.
( ) "dites-moi suis-je revenue
de l'autre monde?
Pour moi
je suis encore là-bas
et je meurs là-bas
chaque jour un peu plus
je remeurs
la mort de tous ceux qui sont morts
et je ne sais plus quel est le vrai
de ce monde-là
de l'autre monde là-bas
maintenant je ne sais plus
quand je rêve
et quand
je ne rêve pas."
Parmi les femmes poètes engagées de notre temps, on retiendra la québecoise Madeleine Gagnon qui, non seulement écrit (recueil de poèmes Rêve de pierre chez VLB éditeur en 1999), mais également capte la mémoire douloureuse des femmes diminuées dans d'autres situations, conséquences du colonialisme, de guerres, d'occupations, du néo-colonialisme voire de l'oppression née du patriarcat. Des femmes qui essaient de transmettre des messages d'action avec en filigrane le combat pour la liberté, valeur qui ne peut pas nous être ôtée, valeur inaliénable, sens même de l'existence.
Poètes résistants du monde noir.
Des mots pour vivre, sont ceux qui nous vinrent des poètes résistants du monde noir. Ils naissaient à la suite de leur rencontre avec l'esclavagisme et la figure de la colonisation. Des écrivains noirs se firent connaître grâce aux essais sociologiques sur la condition des esclaves africains envoyés de force en Amérique. Des descendants d'esclaves déportés entre le XVe et le XIXe siècles se sont servis de la poésie pour décrire leur condition de vie outre-Antlantique, dans les deux Amériques du Nord et du Sud, ainsi que dans les Antilles, les îles de la mer des Caraïbes. En publiant Âmes noires en 1903 aux États-Unis d'Amérique, Dr William DuBois demande plus de dignité pour ses congénères. Sa démarche s'accompagne d'un mouvement plus purement littéraire, la Négro-Renaissance dont la grande période ira de 1918 à 1928. Il sera rejoint par d'autres poètes parmi lesquels Langston Hugues ("Poèmes"). Ce mouvement est surtout marqué par la publication des romans et essais qui remettent en cause, avec fermeté, la question de la mission civilisatrice de l'Occident et le bien fondé de la colonisation. Cette littérature de réaction se manifeste aux Antilles (École haïtienne : 1928-1932) par l'apport des poètes de leur dimension de vie locale. Dans les années 30, les poètes déplacent leur point d'attraction à Paris, où Langston Hugues devient l'ami de Léon Gontran Damas. Leurs écrits sont vifs voire agressifs. Le poète Léon Gontran Damas nous en donne le ton, devant une situation intolérable, dans son poème Si souvent (recueil Pigments et Névralgies : Ed.Présence africaine, poésie, 1972) :
"Si souvent mon sentiment de race m'effraie
autant qu'un chien aboyant la nuit.
Une mort prochaine quelconque.
Je me sens prêt à écumer toujours de rage
contre ce qui m'entoure
contre ce qui m'empêche
à jamais d'être un homme
Et rien ne saurait autant calmer ma haine
qu'une belle mare de sang
faite de ces coutelas tranchants
qui mettent à nu les mornes à rhum."
Ensemble, ils se joignent à un autre groupe d'étudiants noirs pour fonder le Mouvement de la négritude. Quelques poètes sont au rendez-vous d'une flambée lyrique de la Négritude naissante pour imposer l'idée du droit d'existence d'une culture noire, qui n'a pas besoin qu'on lui substitue une autre, fût-ce d'un monde civilisé. Deux éléments ont créé l'unité d'ensemble de la poésie du monde noir, à savoir : la poétique et l'inspiration. La poétique s'est débarrassée des contraintes formelles pour rendre le message on ne peut plus accessible au grand nombre. "A quoi bon ces syllabes, ces rythmes dérisoires, ces minables combinaisons de vocables morbides ?" écrivit Grégoire de Narek, poète du Xe siècle pour qui la poésie devait être libre pour libérer la voix intérieure. L'inspiration, quant à elle, a été caractérisée par trois axes : la négritude, l'esclavage et l'anticolonialisme. On retiendra de cette période des noms illustres tant en Martinique qu'en Afrique. : Léopold Sédar Senghor, Alioune Diop, Jacques Rabemananjara et Aimé Césaire. Ils ont mis à nue certaines pratiques malveillantes de la colonisation, dans un système raciste où il était de bon ton d'entendre dire : "On est Blanc comme on est riche, on est beau comme on est intelligent". La vitalité de cette poésie de résistance se poursuivra dans les années antérieures aux indépendances africaines, les années 1960. Des poètes adoptent un ton nationaliste, militant et agressif dans leurs écrits, insistant sur la nécessité d'un retour aux valeurs africaines méprisées par le colon. Ils expriment une certaine révolte contre l'ordre établi. David Diop en fait écho dans son recueil "Coups de pilon" (éd.Présence africaine). Au fil de leurs poèmes s'enregistrent des thèmes de déchirement, de mise en relief des difficultés dans le contact des cultures, le choc des traditions et le modernisme.
Poètes sous l'apartheid.
Des mots pour vivre sont ceux qui ont marqué la sinistre histoire de l'apartheid dont ont été victimes des populations noires d'Afrique du sud. Cette période affiche une production littéraire abondante faite par un florilège des poètes qui connurent l'emprisonnement, l'assassinat ou le chemin de l'exil. Les années 1960 ont été marquées par la création des bantoustans, territoires réservés aux populations noires; l'imposition du laissez-passer (pass); l'interdiction du Congrès national africain et les massacres de Sharpeville. Les poètes ont résisté à leur condition d'enfermement par des textes engagés. D'autres joindront leurs voix à cette résistance après la naissance du Black Consciousness Movement. Cette période sera marquée par l'emprisonnement des poètes tels Breyten Breytenbach et Mogane Wally Serote, Dennis Brutus, Sipho Sempala, Lewis Nkosi et l'exil d'un plus grand nombre d'entre eux. De la moitié des années 1970 au début des années 1980 la révolte des enfants de Soweto inspira les poètes. Mêmement la ségrégation qui vit, entre 1980-1990, l'instauration d'un Parlement à trois Chambres (pour les Blancs, les métis et les Indiens). Des émeutes, des grèves et des funérailles ont toujours mobilisé la détermination des poètes d'en découdre avec l'apartheid. Des poètes mais aussi des poètesses. Ne l'oublions pas, la lutte contre l'apartheid n'était pas qu'affaire d'hommes. Des femmes s'y sont également impliquées, à l'instar de leurs poèmes nés dans la douleur. Ils sont une traduction de la physionomie de la société africaine martyrisée par l'apartheid. Elles ont mobilisé des forces face aux multiples et répétitifs cas d'oppression raciale, tribale ou de classe dont elles furent l'objet. Avec une dizaine de femmes de son pays, Lindiwe Mabuza est coauteur des poèmes rassemblés sous le titre évocateur Malibongwe (Louons les femmes) traduits en allemand et publiés, en 1987, aux éditions Pahl-Rugenstein de Bonn (Allemagne).Le livre a été publié à une période où la liberté d'expression des Noirs n'était pas reconnue en Afrique du Sud. Malibongwe est un condensé significatif des textes qui nous plongent dans les situations vécues par les femmes activistes de différents mouvements de la résistance sud-africaine face à la violence de l'apartheid. La fin de cet état honteux marquera l'apparition d'une nouvelle génération de poètes plus tournés vers une conscience politique qu'aux souvenirs d'un passé cauchemardesque. Dès que l'ennemi commun disparaissait, le chant poétique de résistance prenait les larges. Poésie de circonstance dirait Goethe parce qu'il "s'éteint et meurt quand s'évanouissent les circonstances mais renaît et prend forme quand celles-ci se répètent."
Poètes dans la cité.
Abdellatif Laâbi
Dans le passé, les poètes marqués par la négro-renaissance, la négritude et ceux de l'époque de l'apartheid avaient les colons et les esclavagistes pour "ennemis". Aujourd'hui, le combat semble avoir changé de cible. Les poètes africains écrivent pour stigmatiser les erreurs et les égarements de leurs dirigeants, à la base des guerres civiles, des conflits armés et des génocides. Difficile d'écrire, sous Mobutu ou Eyadema et d'espérer un droit à la liberté d'expression sans se voir serrer la nuque. Être ou ne pas être. On est arrêté ou détenu au Soudan, pour être né du mauvais côté. Ailleurs, rien, rien d'autre que le silence imposé. On est interdit de se mettre debout sur ses peurs. Devant cet état de faits l'urgence s'impose que les poètes occupent leur place, celle des éclaireurs de leur temps. Leurs plumes où qu'ils se trouvent, doivent se ranger parmi les instruments qui servent de baromètres aux réalités de leur espace de vie. Ils doivent avoir droit de cité dans leurs pays et apporter leur contribution à l'édification des Nations réellement libres. Dans des lointaines périodes difficiles de leur vie, d'aucuns poètes ont trouvé en la poésie leur équilibre. Ils ont heurté les pouvoirs politiques de front au lieu de jouer des rôles stabilisateurs. Pourquoi ne le feraient-ils pas aujourd'hui ? Il est dommage qu'aujourd'hui, dans certains régimes politiques, certains "poètes" entretiennent des relations très particulières avec le pouvoir dans la vue de s'octroyer des privilèges. Ceux qui trahissent l'histoire par leurs écrits font-ils encore partie de la famille des poètes ? Rencontré dans une précédente Biennale de poésie à Liège, le poète Carrère Charles en appelait à la responsabilité d'aucuns : "L'écrivain est un citoyen. Il appartient à sa cité et comme tout citoyen, il a droit à l'expression. En tant qu'écrivain, il a encore plus que cela dans la mesure où il se veut un parolier, un parolier de la lumière. Ce que nous appelons chez nous le griot. Ce dernier a une connotation tellement péjorative que je préfère dire de l'écrivain un parolier de la lumière. Celui qui parle, qui doit éclairer. ( ) Si politique veut dire organisation de la cité, le droit de dire ce qu'on pense de cette organisation, le droit de dire comment on voit cette organisation, le droit de dire ce qu'on croit être beau, ce qu'on croit ne pas l'être, alors, l'écrivain a une place privilégiée dans sa société. Aujourd'hui, il est indispensable que l'écrivain reprenne la parole. Pour être crédible, il doit se passer de la politique politicienne, des petits amalgames et se placer au-dessus de la mêlée, sans pour cela se prendre pour le nombril du monde."
Poètes debouts.
Face à l'arbitraire, la brutalité et les injustices banalisés dans certaines sociétés, les poètes portent la lourde responsabilité de rester vigilants et de dénoncer les causes piétinées. "Rien n'est défendu de ce qui peut servir notre cause", écrivait Albert Camus dans Les justes. Les mots des poètes ne sont pas un fruit défendu. Ils sont un moyen sujette à ouverture, c'est-à-dire, des mots plurivoques, des mots porteurs de plusieurs sens et dont les lecteurs doivent s'approprier le fond. En plus d'être intemporels, les poèmes sont des véritables barrages au courant de mépris que soulèvent, à chaque fois, le pouvoir, d'où qu'il s'exerce. A l'occasion du 50e anniversaire de la Maison internationale de poésie, en 2003, à Liège, Arthur Haulot réconfortait les poètes du monde entier à suivre son exemple : "Depuis mon retour des camps, je suis et reste un homme engagé, du fond de ses tripes, de son cerveau, dans la lutte pour la dignité humaine, dans le combat jamais inachevé contre les dictatures, qu'elles soient politiques, économiques ou spirituelles".
Ces propos nous poussent d'opérer un rapprochement avec ceux du poète juif Claude Vigée, interviewé par Alain Veinstein, dans l'émission Surpris pour la nuit, sur France Culture, le 10 mars 2003 et repris dans les colonnes de la revue des Ecrivains israéliens de langue française, Continuum : "Un poète n'a pas à être témoin. Il doit être fidèle à sa condition de créature, et les mots pour le dire doivent être vécus, entendus, et pas seulement dessinés."
Cikuru Batumike
P.S. Ce texte est tiré de mon livre de correspondance "Lettre à(de) l'amie qui me veut du bien", 88 pages aux Editions Baudelaire, avril 2009. ISBN : 9782355081170
Ghislaine Sathoud : de l'écriture au réseau québécois d'action féminine.
Ghislaine Sathoud quitte son pays, le Congo-Brazzaville, en 1995. Elle poursuit ses études en France, puis au Canada. Elle obtient successivement une maîtrise en relations internationales (France) et une maîtrise en Sciences politiques (Université de Québec, Montréal). Devenue citoyenne canadienne, elle se passionne, aujourd'hui pour l'écriture et la recherche en milieux ethnoculturels.
Un grand nombre de femmes d'origine africaine se destinent à l'écriture. Ghislaine Sathoud en fait partie. Elle a joué, à 17 ans, à Pointe-Noire (Congo-Brazzaville) dans une jeune troupe de théâtre. Elle a publié, à 18 ans, Poèmes de ma jeunesse, son premier recueil (Pointe-Noire : Éditions I.C.A., 1988), à une période où il n'était pas habituel de témoigner de sa sensibilité aux choses de l'esprit, ni de s'engager dans l'exercice proprement d'écriture. Avec le recul, force est de constater que c'est à l'adolescence qu'elle a forgé son goût pour l'écrit. Assurément, à cet âge, elle a réussi à expérimenter, à pratiquer l'écriture créative. En dehors ou à l'intérieur du cadre scolaire. Seule ou dans une dynamique de groupe.
Le premier recueil de poèmes de Ghislaine Sathoud traduit ce constat. En effet, Poèmes de ma jeunesse est un titre annonciateur. Au fil du temps, l'auteur prend goût à l'écriture, à la lecture et à d'autres formes d'expression. Des manuscrits voient le jour. Des manuscrits sont en attente ; gardés jalousement au fond d'un tiroir. Ils sont timidement publiés.
Entre l'écriture et la lecture permanente, Ghislaine Sathoud observe les réalités de son temps. Celles qui la touchent directement ou indirectement. Dans la foulée, ses idées mûrissent. Son inspiration reste en éveil. Ils s'ensuivent des romans, des contes, des nouvelles et des pièces de théâtre. Ses textes se succèdent et ne se ressemblent pas. Dans une variété des genres, l'auteur s'inspire des conditions associées à l'identité féminine africaine. De ce qui la blesse ou l'étouffe. Tout, chez l'auteur, s'articule autour du thème de la femme. Tout, chez elle, traduit une préoccupation humaine profonde. La manifestation d'une certaine révolte. Une démarche qu'aime emprunter toute féministe qui sait que le monde dans lequel évolue la femme est plein d'injustices et de leurres. Ghislaine Sathoud dénonce ces situations. Avec sa plume. Il n'est pas rare de retrouver dans ses textes le thème lié à l'enfance, la vie de la femme et son évolution.
On a envie de replonger dans L'amour en migration (Paris: Menaibuc, 2007, 178 p.), ce clin d'il au travail abattu par la femme de son pays, en dépit des difficultés quotidiennes, de la guerre. Et de relire Hymne à la tolérance (Québec: Editions Melonic, 2004, 76 p.) un roman qui décrit le parcours d'une jeune Africaine piégée par le monde du mensonge. Jeune Africaine donc, studieuse, pleine d'espoir et vouée à un bel avenir. Comme toutes les filles de son âge, elle rêve de réussir sa vie grâce aux études. La bonté d'une bienfaitrice du dimanche lui ouvre d'autres portes. Une opportunité de quitter son pays, de s'engouffrer dans la brèche d'un exil inespéré, d'aller parachever ses études en Occident. Mais ce qui devait être le bonheur éternel se transforme en cauchemar de tous les instants. En effet, une fois en terre d'exil, l'héroïne se heurte aux comportements et aux attitudes imprévisibles de sa bienfaitrice. Au lieu d'en faire une élève modèle, elle la précipite dans l'enfer des travaux domestiques où se mêlent solitude pesante, mépris, haine et esclavage. On retrouve la même tonalité dans la pièce de théâtre Ici, ce n'est pas pareil, chérie ! (adaptée en version DVD et vidéocassette par la Compagnie Théâtre Parminou en collaboration avec les productions Jean Benoît avec le soutien de Condition féminine Canada, 2005) qui témoigne de l'inquiétude constante de l'auteur face à la montée des violences familiales au sein des communautés ethnoculturelles. Les maux du silence (Maison culturelle Les Ancêtres, Canada, 2000), autre pièce de théâtre, s'inscrit dans la même démarche : poser la question de l'identité en exil. Une identité qui se métamorphose, chez la majeure partie des immigrés, une fois leur patrie éloignée. On ne peut oublier sa nouvelle La veuve de la rue Batatou, publiée dans Arcade numéro 61 aux éditions du même nom (Montréal), qui nous glisse dans l'imaginaire africain. Une veuve a perdu la tête et relance le débat sur les rites du veuvage.
Aujourd'hui, Ghislaine Sathoud tire sa légitimité d'écrivain de la croisée des genres littéraires qu'elle maîtrise. De son travail de conteuse, de nouvelliste, de dramaturge et de romancière. Écrivain, poète et dramaturge (il manque à sa panoplie un scénario de film), Ghislaine Sathoud rattache son travail d'écriture à différents genres. Rares sont les femmes écrivains dans sa situation. À l'exception de l'incontournable Werewere Liking, son amie, qui sait repousser les frontières entre les genres littéraires. Prolixe, elle l'est et elle publie ses livres à un rythme soutenu. Avec deux avantages. D'un côté, la capacité de renouvellement de l'auteur confirme sa place dans le canon des lettres africaines. De l'autre, son regain d'inspiration donne une impulsion non négligeable à la création féminine dans la littérature africaine. Il s'agit, certes, d'un pari possible lorsqu'on porte en soi l'amour des lettres. Mais, le caractère déterminant de sa fonction d'écrivain n'est pas tant dans l'aspect prolixe de l'exercice. Il est dans sa capacité à réaliser un travail structuré d'une qualité esthétique certaine. Ghislaine Sathoud y parvient grâce à une écriture simple, accessible, non hermétique et non sophistiquée au niveau de la structure narrative et de la langue. Un travail amélioré au fil des années. Un travail basé sur la cohérence et la pertinence, les deux mamelles d'une bonne construction littéraire. Sur ce rapport interne de différents éléments d'une uvre. Sur ce rapport de l'uvre à la réalité. La réalité du lien de l'auteur au continent qui l'a vue naître: on découvre son talent par le biais des contes, ces richesses infinies de l'oralité africaine. La réalité du lien de l'auteur à l'espace dans lequel elle vit : le Canada devenu un lieu d'inspiration, d'écriture et de négociation littéraire. Dans cette passionnante aventure, il y a l'essentiel : un lectorat qui suit et des signes de reconnaissance. Membre de l'Association des Écrivains de langue française, Ghislaine Sathoud a été nominée au Gala de Reconnaissance communautaire, catégorie Encouragement littéraire, en 2001. Elle est parmi les lauréats du prix littéraire Naji Naaman 2008, prix de la créativité, pour son recueil de nouvelles Les trésors du terroir. Finalement, Ghislaine Sathoud compte dans le tableau littéraire féminin de notre temps. On y trouve ses compatriotes Marie-Léontine Tsibinda, Jeannette Balou-Tchichelle, Calissa Ikala, Marie-Louise Abia, Amélia Nene, Mambou Aimée Gnali et plusieurs autres voix féminines. Des noms phares qui assurent une visibilité sûre de la littérature africaine en Afrique et en dehors du continent.
Ghislaine Sathoud consacre son temps à une écriture qui formule différents enjeux : politique, économique, sociétale, migratoire, moderne, voire une remise en question de certaines traditions. La fragile ou irréaliste condition de la femme y a la part belle. L'autre versant des défis de l'écrivain est d'entraîner ses lectrices et ses lecteurs dans des terrains de réflexion connus : des articles de presse, des essais individuels ou collectifs. Oui, la forme d'expression change. Mais le fond reste le même. Il s'agit d'appels aussi pressants qu'émouvants dans lesquels elle stigmatise toute sorte de souffrance que subit la femme en général, celle du Congo en particulier. Avec des mots simples qui nous atteignent, nous interpellent. Allez lire son essai Le combat des femmes au Congo Brazzaville (Paris: L'Harmattan, 2007) pour déceler des brins d'amour, des larmes et des lynchages, une violence qui explose. Lisez Les femmes d'Afrique centrale au Québec (Paris, L'Harmattan, 2006), vous y retrouverez ces questions liées à l'immigration, plus précisément aux causes de l'immigration africaine au Canada, les questions d'identité et d'intégration, la situation des femmes avant et après la période migratoire ; l'impact des cultures d'origine, la violence faite aux femmes. Dénoncer et encore dénoncer. Plus près des coutumes, son essai L'Art de la maternité chez les Lumbu du Congo, Musonfi (Paris: L'Harmattan, 2007) est plus qu'une expérience personnelle. C'est celle des femmes confrontées à une période cruciale de leur vie. L'initiation avant et après la maternité. Avec moult contraintes l'auteur évoque l'expérience de Munsofi, qui consiste à soigner la maman selon les traditions congolaises connues, tels l'usage de l'eau chaude, le massage des parties intimes et autres pratiques assurées par une sage-femme expérimentée, formée sur le tas. Ce rituel se trouve à des années lumières de l'Umuwali, autre pratique laborieuse appelée "société sécrète". Une façon de faire que désapprouvaient les colons, les écoles catholiques et les paroisses au temps des colonies. Ils la prenaient pour du féminisme subversif à interdire à tout prix. L'Umuwali concernait les filles nubiles avant leur mariage. Il était question d'un apprentissage méthodique physique de la sexualité; la préparation morale de la jeune fille aux obligations et devoirs conjugaux.
Ghislaine Sathoud essaie d'abolir la frontière entre les genres littéraires. Elle explore les problèmes de société, les spécificités du discours féminin voire féministe. Non seulement elle écrit, mais également elle se passionne pour les recherches, participant à des activités sur les questions féminines ou de cohabitation (violence en milieu ethnoculturel). C'est non sans surprise que sa nouvelle, La marche de l'espoir, a été gravée sur un CD par l'Organisation du Baccalauréat International (IBO), basée à Genève, dans le cadre de ses programmes éducatifs. Ghislaine Sathoud est une femme qui parle de femmes aux femmes ; elle raconte leur histoire et leur vécu. Elle reste leur recours, qu'elles portent l'étiquette de femmes en mouvement ou celle de femmes qui n'ont pas l'opportunité de s'exprimer. En 2013, elle était élue présidente générale de la Société des écrivains francophones d'Amérique. Détentrice de plusieurs diplômes, dont une maîtrise en sciences politiques obtenue au Québec, elle a travaillé pour la Fédération des femmes du Québec, le Réseau québécois d'action pour la santé des femmes, le Comité priorité violence conjugale et le cran des femmes.
Des femmes auteures publiées chez l'Harmattan s'affirment.
Différents genres étoffent les collections que dirige Denis Pryen, Directeur général, depuis la création de la maison en 1975 à Paris. L'Harmattan connait une évolution substantielle par le nombre des représentations actives dans plusieurs pays francophones. Harmattan Burkina Faso, Brazzaville, Kinshasa, Guinée, Togo, Sénégal, Côte d'Ivoire, Mauritanie et Cameroun facilitent une bonne diffusion auprès du public des lecteurs et cultive une proximité avec d'éventuels auteurs. Plus actuelle est la mise en place de l'Harmathèque, qui donne aux bibliothèques l'accès en e-books, moyennant une formule d'abonnement, sur une base mensuelle, trimestrielle ou annuelle. L'Harmattan c'est, en chiffre, 879 collections actuellement répertoriées, d'auteurs venus d'horizons divers, de thèmes sociétaux. Créée au départ sous forme d'une petite librairie dans laquelle un fonds de livres sur l'Afrique noire et l'Asie était réalisé, la maison a innové, dans le temps, successivement par la mise en place d'un partenariat avec des imprimeries et la création d'une structure d'édition, à Paris. Aujourd'hui, la bonne place qu'elle tient dans le monde de l'édition, ne se dément pas. La maison est, sur le millier d'éditeurs français, au 1er rang de l'édition française en nombre de titres publiés. Les femmes y ont toute leur place.
Les femmes s'affirment.
Le catalogue de l'Harmattan compte un riche répertoire de femmes auteures. Leurs uvres répondent aux exigences d'une ligne éditoriale, en sus des principales disciplines littéraires qu'assurent les éditions : romans, récits, témoignages et nouvelles. C'est le rendez-vous des voix sûres déclinées dans des thèmes variés, d'une littérature du monde noir en perpétuel mouvement. Elles s'appellent Philomène Ohin-Lucaud, Aissatou Foret Diallo, Mariama Ndoye, Edna Merey-Apinda, Juliana Diallo, Elise Nathalie Nyemb, Marie-Jeanne Tshilolo Kabika, Angeline Solange Bonono, Sylvie Ntsame, Alice Toulaye Sow, Anne Piette, Virginie Mouanda, Oumou Cathy Bèye et Francine Ngo Iboum pour ne citer que quelques-unes. Elles ont eu l'opportunité et le mérite de figurer dans les collections consacrées à la littérature, telles "Encres noires" ou "Ecrire l'Afrique", des éditions l'Harmattan. Au travers de leurs écrits, elles peignent différents tableaux : rupture d'identités ; réalités des pays en mutation ; appropriation d'autres cultures née du phénomène migratoire ; fragments de vie personnels ; remise en question de certaines traditions, etc.
Sept merveilles à lire absolument.
Dans leur majeure partie, ces uvres décrivent des réalités sociétales propres au monde noir. En plus d'être des narratrices, ces passeuses d'une âme, d'une réalité écrivent dans des mots qui coïncident avec ce dont on parle réellement chez elles. Des messages pluriels :
"Ce soir, je fermerai la porte" d'Edna Merey-Apinda (Gabon). Ce roman plonge le lecteur dans une de ces scènes banalisées dans les sociétés : l'écart d'âge entre deux prétendants à la vie commune. Il a l'âge de son père, mais elle l'aime. Ses parents s'opposent à cette union contre nature. Conflit de génération et union par intérêt ? La relation mère-fille est une question sensible, source des problèmes familiaux dans des nombreuses familles. A l'actif de l'auteure, des thèmes inspirés dans la vie d'enfance : "Les aventures d'Imya, petite fille du Gabon" l'Harmattan, Collection Jeunesse, 2004 ; "Garde le sourire", roman jeunesse, Editions le Manuscrit, 2007 ; "Des contes pour la lune", Saint-Maur-des Fossés et Editions Jets d'encre, 2010 et "Ce reflet dans le miroir", Nouvelles aux éd. Saint-Maur-des Fossés et Jets d'Encre, 2011.
"Femmes sans avenir" de Hanane Keita (Mali). Roman. Un plaidoyer aux allures d'un féminisme combattant ; sur la condition de la femme. Publié par les Editions La Sahélienne en partenariat avec L'Harmattan, ce livre décortique des aspects destructeurs de la polygamie. Les personnes lésées, principalement les femmes, n'hésitent pas à afficher des intentions de vengeance. Les hommes qui choisissent ce mode de vie s'exposent aux risques inattendus. Pour sauver son honneur, une épouse meurtrie est prête à tout. Au-delà de la désespérance qui peut habiter la femme lésée, de la blessure que celle-ci subit dans son orgueil et dans sa féminité, de la vengeance qui peut en découler, l'auteur aborde d'autres sujets. Elle porte une réflexion générale sur l'autre tare qui mine sa société : le respect à tout prix aux traditions même les plus dépassées, respect fondé sur des raisons parfois fallacieuses (le cas de la stérilité). La polygamie ? Une habitude ancrée dans une mentalité difficile à changer. Ce roman a été primé "Meilleure plume féminine" lors de l'édition 2012 de la Rentrée littéraire au Mali.
"Malédiction" de Sylvie Ntsame (Gabon). Roman. L'auteure revient sur une incessante et indéboulonnable tradition sur laquelle se sont bâties plusieurs générations d'Africains : le mariage imposé. Une habitude chronique entrée dans les murs et qui ne paraît plus être une contradiction à la morale. Un père marie son fils à la fille de son ami, sous prétexte de perpétuer la coutume. Sylvie Ntsame est la plus prolifique des femmes publiées dans la collection "Ecrire l'Afrique" avec, à ce jour, trois ouvrages. Ses thématiques puisent dans les relations hommes/femmes : "La fille du komo" (roman, 2004) et "Mon amante, la femme de mon père" (roman, 2007). Sous d'autres cieux, elle a publié deux livres : "Femme libérée battue", roman et "Le soir autour du feu", recueil de contes, aux éditions Ntsame, Libreville, 2010.
"Marie-France l'orpailleuse" d'Angéline Solange Bonono (Cameroun). L'auteure surprend par un récit qui sort du registre proprement dit des réalités du pays. Elle plonge son regard dans un moule fait d'illusions. Le personnage principal de son histoire se retrouve dans la peau d'une sans-papiers, qui débarque, confiante, en France. Son parcours ne tarde pas d'être semé d'embûches et cerné de mauvaises surprises. Elle se retrouve esclave, contre son gré, après l'accueil qui lui est fait par sa cousine mariée à un Français. Elle mène une vie dans l'anonymat pour mieux affronter la honte, la descente aux enfers, à défaut de faire le choix du retour au pays. Une belle écriture pour cette auteure qui n'en est pas à son premier essai. Elle a publié un recueil de poèmes, "Soif Azur", Editions de la Ronde, suivi de son premier roman "Bouillons de vie" aux Presses Universitaires de Yaoundé, 2005, puis d'un deuxième sur le mariage forcé "Le Journal intime d'une épouse" à Yaoundé : Sopecam, 2007.
"La fileuse d'amour et autres récits de vie" de Diagne Andrée-Marie (Sénégal). Nouvelles. Une somme de textes, hommage fait à la femme à travers son vécu. Huit nouvelles en tout pour décliner le mot amour qu'il soit réel ou fantasmé ; envers les siens, envers le prochain. Certes, les récits du recueil de l'auteur se font échos. Mais, à chaque nouvelle, un thème pour parler, au-delà de l'amour, de ce qui lie ou sépare les gens d'une communauté : valeur de solidarité entre musulmans et chrétiens ; amour à l'épreuve de l'émigration ou des difficultés de couple ; l'exode rural né de contraintes diverses, etc. dans un style fluide, riche et plein d'humanité.
"Les cauris de grand-mère" d'Aissatou Foret Diallo (Guinée). Roman. L'auteure se penche sur un mariage moderne, qui est loin de faire l'unanimité des défenseurs des coutumes et des traditions. Ces derniers voient de mauvais il le choix d'union opéré par deux jeunes gens, parce qu'ils sont séparés par leur appartenance ethnique. L'occasion, par l'auteur, de se livrer à une fine analyse de la démocratie naissante, de l'impact des libéralisations tous azimuts en Afrique et des droits de la femme au sein de la famille. Une peinture sans concession de la société guinéenne, dans un style accessible.
"Matricide" de Marie-Jeanne Tshilolo Kabika (Lubumbashi, au Congo-Kinshasa). Roman à cheval entre deux périodes de l'histoire de l'ancienne colonie belge, le Congo. Il y a un avant et un après l'accession du pays à son indépendance. L'auteure se saisit des péripéties de vie de son héroïne tiraillée entre son pays, les influences subies quant au respect strict des traditions et la nécessité de s'ouvrir au monde pour vivre sa liberté. Ecartelée entre deux modes de vie, elle parvient à opérer un choix de vie clair. Elle opte pour une rupture radicale avec la tradition s'étant auparavant imprégnée de l'histoire de vie conjugale de sa propre mère. Autre publication de l'auteure : "Le Pilier du chef et autres contes", Kinshasa, Pavillon des écrivains, 1986.
Au tableau de bord des merveilles de la littérature publiées chez l'Harmattan on peut aussi compter sur le dynamisme des femmes des Caraïbes. Elles ont une place de choix dans le catalogue des éditions. Connues ou inconnues, elles déroulent des histoires issues du terroir, riches en contenu. Les illusions et les espérances de leurs héros se côtoient dans "Chronique naïve d'Haïti" Récits d'enfance de la belgo-haïtienne Marie-Lou Nazaire, "Tézin, le poisson amoureux" Contes d'Haïti de la jeune Rose-Esther Guignard, "Il faut sauver Elisabeth", roman de Mireille Sylvain-David et "Tézin, le poisson d'eau douce", conte haïtien de la regrettée Mimi Barthelemy.
Trois femmes du monde des lettres en Afrique anglophone
Elles nous offrent des rêves ou analysent les sujets existentiels sans égards à la langue usitée. En effet, qu'il s'agisse de la littérature négro-africaine d'expression française ou anglaise, la vitalité reste la même. Elles adoptent la même démarche par le fond et le rôle d'amorce aux débats sur leur existence et l'usage qu'on en fait. Elles décortiquent des situations semblables, celles d'une Afrique de rêve, d'une Afrique en perdition ou en progrès. En effet, les écrits des femmes africaines dépassent le simple cadre traditionnel de la langue pour s'inscrire dans les thématiques traitées: réhabilitation de la femme, remise en question certaines valeurs jugées caduques, rêves, conditions de l'humain, etc..
Par le contenu, la forme et la fonction même de cette écriture féminine, il s'effectue, de plus en plus, une évolution dont le résultat est une façon ou de percevoir ou de questionner l'Afrique. Elles écrivent des livres aux sujets qui vont du simple au compliqué: l'enfance, l'âge adulte, luttes collectives, sociales ou politiques dans les villes, l'exil et autres textes engagés ou contestataires dans l'expression de la société
contemporaine.
Buchi Emecheta: une voix africaine au Royaume-Uni
Sociologue nigériane née à Lagos en 1944, Buchi Emecheta compte à son actif une vingtaine de romans, une dizaine de livres pour enfants, des pièces de théâtre à l'usage de la télévision et des pièces radiophoniques. Elle quitte assez tôt son pays natal pour rejoindre son époux qui vit en Angleterre. Après des études de sociologie, elle regagne le Nigeria pour assurer les fonctions de professeur de littérature anglaise à l'Université de Calabar. A la suite des événements inattendus, elle abrège son séjour et quitte provisoirement le Nigeria. Buchi Emecheta s'installe à Londres où elle consacrera son temps exclusivement à l'écriture. Sa renommée est acquise après la publication, en 1974, du roman autobiographique "Second Class-Citizen" (Citoyen de seconde zone, traduit de l'anglais par Maurice Pagnoux, 267 pp. connaîtra en 1994 une seconde édition chez Gaïa). L'héroïne de son roman est une femme de couleur, qui, en privée, croule sous le poids de l'autorité maritale et subit, dans l'espace public, le racisme et ses méfaits. Ce sujet sera suivi, en 1979 aux éditions des femmes à Munich, du roman "The Joys of Motherhood" (Les Enfants sont une bénédiction, traduit. de l'anglais par Maurice Pagnoux, 328 p. sera publié par les éditions Gaïa en 1994). Un thème construit autour d'un sujet actuel: le mariage forcé. Il s'agit du récit de la situation d'une héroïne contrainte de mener des activités parallèles pour nourrir ses enfants jusqu'à leur autonomie. Elle en sort épuisée et vieille avant de mourir sur une route de campagne. Auteur prolifique, Buchi Emecheta a fait traduire en français plusieurs ouvrages, à l'instar des romans: La Cité de la dèche; La dot et Le Corps à corps. Actuellement,Buchi Emecheta habite à Londres.
Françoise Ugochukwu : expériences d'exil
Françoise Ugochukwu est née en 1949 à Valence (France). Elle a séjourné au Nigeria de 1972 à 1995 où elle a enseigné le français à l'Université de Nsukka. La situation politique incertaine rencontrée par ce pays, à cette époque, la contraint à s'exiler, avec sa famille, en Angleterre. Avant de se rendre au Nigeria, elle fait un passage remarqué à l'Université de Grenoble où elle obtient successivement une licence de lettres classiques en 1970, une licence d'anglais et une maîtrise de littérature française en 1971, un doctorat de 3e cycle en 1974. Elle a passé trois années à Londres où elle a enseigné à l'Open University. En 1997, elle occupait un poste à l'Université du Central Lancashire, Preston. Françoise Ugochukwu fait partie des auteurs intéressées par la "promotion" et la compréhension de l'oralité africaine par le biais de l'écriture. En transcrivant la littérature orale de son pays en langue anglaise, elle la met au carrefour des cultures, à la portée de tous. On le sait, les contes, les récits, les épiques, les proverbes et les légendes sont cette matière qui au départ est uniforme à une entité sociale déterminée (dans l'espace géographique), et, a priori, une propriété collective. Écrits, ils deviennent des textes. Françoise Ugochukwu s'est surtout distinguée dans la transcription des contes oraux recueillis sur le terrain,. Elle est restée fidèle aux codes essentiels d'une tradition, qui tout en distrayant remplit une fonction didactique. De son oeuvre, on retiendra : La Source interdite, contes, nouvelles aux éditions NEA-Edicef jeunesse, Dakar 1984. Des enfants d'un village frappé par la sécheresse découvrent, un jour au hasard, une source d'eau dont l'accès fut longtemps interdit à la suite de l'animosité entretenue par leurs parents respectifs. Cette découverte va-t-elle substituer l'animosité en l'entente qui préexistait dans leur environnement ? Françoise Ugochukwu a écrit: Contes igbos du Nigeria, de la brousse à la rivière (Paris: Karthala, 1992, 351p.); Une Poussière d'or (Paris: EDICEF, 1987, 79p.) Parmi ses romans destinés à la jeunesse, retenons: Le retour des chauve-souris (Paris: EDICEF, 1993, 144p.) Françoise Ugochukwu collabore à des nombreuses publications de vulgarisation autour des thèmes liés à la culture Igbo. Elle publiait récemment une étude sur Le désert et ses épreuves dans la cosmogonie igbo, Nigeria (L'Homme, revue française d'anthropologie, numéro 163. 2002), une recherche sur la notion d'espace et de temps dans la culture igbo à partir des mots de la langue. Elle révèle entre autre l'emprise du surnaturel sur la vie quotidienne et la littérature igbo.
Lindiwe Mabuza : de la diplomatie et de la poésie
Cette poète devenue diplomate exerce les fonctions de Haut commissaire d'Afrique du Sud en Grande-Bretagne. Lindiwe Mabuza est de la génération des femmes écrivains les plus lues d'Afrique du Sud. Nés dans la douleur, ses écrits sont une traduction de la physionomie de la société africaine martyrisée, à une époque de son histoire, par l'apartheid. Lindiwe Mabuza est l'expression de la lutte de toute une communauté, sans exclusif du sexe. En effet, au même titre que l'homme, la femme sud-africaine a mobilisé ses forces face aux multiples et répétitifs cas d'oppression raciale, tribale ou de classe dont elle fut l'objet. Avec une dizaine de femmes de son pays, elle est coauteur des poèmes rassemblés sous le titre évocateur Malibongwe (Louons les femmes) traduits en allemand et publiés, en 1987, aux éditions Pahl-Rugenstein de Bonn (Allemagne). Le livre a été publié à une période où la liberté d'expression des Noirs n'était pas reconnue en Afrique du Sud. Malibongwe est un condensé significatif des textes qui nous plongent dans les situations vécues par les femmes activistes de différents mouvements de la résistance sud-africaine face à la violence de l'apartheid.
La résistance décrite est celle de l'ANC créée en janvier 1912 et de sa branche armée Umkhonto we Sizwe (lance de la nation). Les personnes mises sous surveillance et les exilés en sont les héroïnes ou les héros. A l'exemple du leader noir Nelson Mandela, de Vuyisile Mini ou de Dorothy Nyembe (la femme qui a connu la plus longue peine de prison politique en Afrique du Sud: 15 ans). Les poèmes Malibongwe sont aussi bien l'expression de la dénonciation d'un système politique imposé à la majorité, des souffrances incommensurables que de la description des moments de protestation et de résistance qui ont récemment conduit toute une nation à sa libération. Décrite sous forme des petits tableaux, la souffrance des femmes sud africaines est passée par l'incarcération d'un frère; la torture d'un mari; les condamnations à la prison -et à répétition- d'une soeur; les exécutions ou des simulacres d'exécution sur la personne des proches et la poussée sur le chemin d'exil des milliers de jeunes combattants politiques. C'était ça la vie dans les Bantoustans, ces dépôts, ces ghettos noirs des mains d'oeuvre bon marché (femmes, enfants, vieux, malades ou faibles). Les poèmes Malibongwe restent un moment de l'histoire et de la vie en Afrique du Sud. Des vrais cris de colère qui témoignent d'une maturité politique certaine des auteurs. Aujourd'hui, la littérature sud-africaine n'est plus inscrite, à quelques exceptions près, dans une démarche visant à dévoiler dans une perspective de combat, le caractère raciste d'un système. Elle est dorénavant faite d'une thématique tournée plus vers la tolérance et l'ouverture d'esprit, ces éléments qui peuvent grandir n'importe quelle nation au monde.
Cikuru Batumike
Moussia Haulot et les poètes
Bruxelloise née de parents russes émigrés, Moussia Haulot a plusieurs cordes à son arc. Peintre et dessinatrice reconnue par ses pairs, elle n'en demeure pas moins une passionnée de musique tzigane et de la danse. Aujourd'hui, la poésie reste au confluent de ces disciplines pour lesquelles elle a gardé un dynamisme intact. Epouse et compagne des grands voyages et des grandes aventures du poète et résistant Arthur Haulot, elle est à la base de la création de la Journée Mondiale Poésie-Enfance, en conclusion de la Biennale Internationale de Poésie 1972 consacrée au thème de l'Enfant et la Poésie. Cette action lui a valu l'attribution de la médaille d'or du Prix Schweitzer pour l'an 2000. En 2004, Moussia Haulot obtenait le Prix de la Réconciliation à travers les Arts, remis par l'ONG Search for Common Ground, qui travaille à la résolution pacifique des conflits dans le monde.
-Vous êtes à la tête de la Maison Internationale de la Poésie - Arthur Haulot, à Bruxelles, qui englobe différentes activités autour des poètes et des poèmes. Quel bilan tirez-vous des années de votre présidence ?
M.H.: Il y a près de deux ans que j'ai eu le privilège d'avoir été élue présidente de la MIP et de pouvoir ainsi continuer l'oeuvre d'un homme aussi exceptionnel qu'Arthur Haulot. Il est vrai que j'ai eu l'immense plaisir d'avoir collaboré à toutes ses réalisations dans le domaine poétique pendant 36 ans. Aujourd'hui, je ne pense pas avoir déçu ses "adeptes" car les activités de la MIP se poursuivent avec un très grand succès. Il suffit de voir le Journal des Poètes, les Tribunes poétiques, la JMPE qui a lieu tous les ans, et à laquelle participent des dizaines de milliers d'enfants dans 33 pays, et cette XXVème Biennale Internationale de Poésie, qui se déroulait sur le thème interpellant "Poésie fruit défendu", et qui rassemblait des poètes de 45 pays.
Est-il difficile, en tant que femme, de diriger une aussi grande institution rassemblant en majorité des hommes?
M.H.: J'espère ne pas trop vous décevoir en vous révélant que notre équipe n'est pas pléthorique. Pour le travail quotidien permanent, mon équipe et moi-même nous sommes six, mais mes collaborateurs sont très motivés et je reconnais que si je devais travailler avec des gens "normaux", il me faudrait au moins 15 personnes pour réaliser nos actions. Je voudrais ajouter que cette équipe de base est composée de deux hommes et de quatre femmes. Est-ce pour cela que cela marche si bien ? En dehors de notre équipe quotidienne, nous sommes accompagnés par un Comité et par une Assemblée générale, composés de poètes reconnus dans le monde national et international.
Dans son exposé fait à la 25ème Biennale de Poésie, Kenneth White milite pour l'existence d'une "géopoétique", sorte d'espace culturel ouvert et susceptible de réunir les poètes du monde entier. N'est-ce pas là la mission que poursuit, depuis des nombreuses années, la Maison Internationale de la Poésie-Arthur Haulot, mais sous d'autres appellations?
M.H.: C'est effectivement la mission que nous poursuivons depuis 1952. Et c'est là la raison pour laquelle nous avons été ravis que Kenneth White accepte de présider cette XXVème Biennale. Sa pensée et sa poésie visent ce partage universel qui est effectivement notre but permanent depuis la création de notre congrès. Je voudrais ajouter que nous avons été enchantés par la sensibilité et l'énorme générosité de Kenneth White.
La multiplicité des écrans technologiques coupe l'individu des réalités qu'il devient perméable à la manipulation, souligniez-vous dans votre discours d'ouverture de la 25ème Biennale. Le poète a-t-il les moyens de résister à ce phénomène dans une société dont la valeur est de plus en plus marchande ?
M.H.: Le poète est certainement capable de résister au formatage "intimé" par la technologie. Soyons clairs, si je suis émerveillée par toutes les possibilités offertes aujourd'hui par la technologie, nul ne doit ignorer qu'elle est comme la langue d'Esope, la meilleure et la pire des choses. La technologie est là non pas pour nous asservir, et c'est hélas ce qui se passe trop souvent, mais pour nous accompagner. Le poète qui a reçu ce don d'exprimer par les mots la rencontre de son subconscient et de son conscient, accède à son être le plus profond. Grâce à ce don, il ne sera jamais asservi et continuera à être cet homme rebelle, cet insoumis qui interpelle.
Quelle est la place que les successives Biennales de poésie ont donné à la femme ?
M.H.: Il y a toujours eu de nombreuses poétesses aux BIP, et la Biennale 1984 a été présidée par la poétesse égyptienne Andrée Chedid. Arthur Haulot a toujours incorporé des femmes dans toutes ses actions. D'ailleurs, quand il a été Commissaire général au tourisme de Belgique, plusieurs de ses bureaux à l'étranger ont été dirigés par des femmes, notamment à Tokyo, New York ou Rome, qui étaient des postes de première importance. Je pourrais vous citer de nombreux noms de poétesses qui ont été invitées à la Biennale et qui y ont pris la parole, certaines avec beaucoup de fougue d'ailleurs. Et je vous signale que le Grand Prix des Biennales a été décerné en 1994 à la poétesse danoise Inger Christensen, et en 1998 à la poétesse autrichienne Ilse Aichinger.
Abordera-t-on, un jour, à Liège, la thématique du rapport de la femme à la poésie, pour lui donner la possibilité de la conscience d'un "je" libre d'écrire, de créer ou d'exprimer à vive voix une esthétique personnelle ?
M.H.:Je ne vous cacherai pas que votre question rejoint l'une de mes préoccupations. D'autant plus que la Biennale n'a jamais cantonné la femme dans un rôle de muse, et il serait bon pour la Biennale d'attirer de manière particulière l'attention du monde sur tant de femmes qui n'ont pas eu droit à l'éducation qui leur permettrait d'exprimer leur "moi" profond.
Le combat ou l'itinéraire de la femme poète n'est-il pas de plus en plus effacé par celui des figures masculines ? Comment équilibrer la tendance en terme de perception de l'image et de la présence de la femme dans le monde poétique ? M.H.:Personnellement, à travers tout ce qui apparaît aujourd'hui, je trouve au contraire que la femme poète prend de plus en plus de place, et que de grands noms du monde poétique sont portés par des femmes : Vénus Khoury Ghata, Hélène Dorion, Zoé Valdes, Liliane Wouters, et tant d'autres. Pour ma part, j'affirme que la femme a plus que jamais, et heureusement, sa place dans le monde de la poésie mondiale.
Quel appui recevez-vous des autorités belges ou d'ailleurs pour la vie de la Maison de la poésie ? Est-il suffisant ?
M.H.:Nous recevons une subvention annuelle de la Communauté française, du Commissariat général aux relations internationales de la Communauté française, de la région de Bruxelles-Capitale, et d'autres. Je vous ai énuméré toutes nos activités lors de la première question. Vous me demandez si ce que nous recevons nous suffit. Il faut savoir que quand on est ambitieux pour ses buts, les subventions accordées sont rarement suffisantes ! Je voudrais de toute façon insister sur le fait que nos actions sont à la fois poétiques, humanistes et politiques, dans le sens le plus noble du terme, et ceci au plus haut niveau, et que notre but est à la fois de provoquer des rencontres entre un maximum de poètes et d'offrir la poésie à un maximum d'individus dans le monde.
Comment voyez-vous l'avenir des Biennales de Poésie de Liège et quelle action souhaiteriez-vous mener pour leur insuffler une nouvelle dynamique pour les années à venir?
M.H.:Vous me posez une question dont la réponse aujourd'hui est délicate. En fonction de quelques réactions du Cabinet de la ministre de la Culture, actuellement l'avenir de la MIP semble incertain. Pour notre part, les idées et les projets on en a toujours plein.
Avez-vous été marquée par des souvenirs précis nés de la participation des poètes du Sud, dont l'Afrique et les Antilles, aux Biennales de Poésie de Liège ? Lesquels ?
M.H.:Quelle vaste question ! Depuis les premières Biennales, des poètes africains étaient avec nous. Quelques noms :Lamine Diakhate, Félix Tchicaya, Florette Morand, Paulin Joachim, Edouard Glissant, et bien d'autres. Il est évident que le plus grand pour moi est Léopold Sédar Senghor. Ce somptueux poète est venu plusieurs fois aux Biennales et les a présidées en 1972 et en 1986. En 1970, alors qu'il était Président du Sénégal, il a reçu le Grand Prix des Biennales. Ce Prix lui a été remis à Bruxelles au Palais royal par Arthur Haulot. A cette occasion, nous l'avons reçu chez nous, et ce fut un moment inoubliable pour nous et nos nombreux invités. Léopold Sédar Senghor était un homme authentique, d'une simplicité déroutante, d'une culture éblouissante.
Signature :
Propos recueillis par Cikuru Batumike