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Frédéric Duhart

Frédéric Duhart

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Frédéric Duhart

Descriptif auteur

Frédéric Duhart est enseignant-chercheur. Il enseigne l’anthropologie de la nutrition dans le cadre du DU Clinique des troubles alimentaires : anorexie, boulimie et obésité (Sigmund Freud University–Paris, précédemment Université Denis Diderot-Paris VII) et collabore sur des questions de patrimoine alimentaire avec l’équipe du master en Gestion du tourisme régional durable du Collège de Tlaxcala (Coltlax, Tlaxcala, Mexique). Membre du Groupe de recherche consolidé VITISUNED (ex LEXVIN, UNED, Espagne) et du Centre de Recherches Appliquées en Linguistique et Etudes Culturelles Comparées (Université de Médecine et Pharmacie Victor Babeș, Timisoara, Roumanie). Secrétaire général de la Commission pour l'Anthropologie de l'Alimentation et de la Nutrition de l'IUAES (ICAF). Membre du conseil assesseur de la chaire UNESCO Alimentation, culture et développement de la UOC (Barcelone) et membre du conseil exécutif du World Gastronomy Institute (Madrid). De septembre 2012 à 2018, il a enseigné au sein de la faculté des sciences gastronomiques de l’Université de Mondragon et au Basque Culinary Center (Saint-Sébastien, Espagne).
Dans le cadre de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (2001-2005) puis dans celui de l'EHESS et de l'Université Autonome de Madrid (2006-2008), il a organisé des séminaires d'anthropologie du corps : Histoire, images et représentations, Corps, identité(s) et représentations, Corps en action & Corps humains, corps divins. Depuis 2009, il est coordinateur général de CORPUS Groupe International d’Etudes Culturelles sur le Corps (https://sites.google.com/view/corpus-studies-of-the-body/home).
Après s'être consacré principalement à l'étude historique de la culture matérielle et à celle des dynamiques de l'identité, il s'intéresse tout particulièrement à l'étude historique et ethnologique de l'alimentation et du corps. Ses recherches participent d'une approche bioculturelle et écosystémique des façons d'être au monde des groupes humains.

2001 Prix Eusko-Ikaskuntza Baiona Hiria
2018 Gourmand Award winner [UK Meat Free Food Culture]

2011 Gourmand Award [Spain Book in Wine Tourism] Lauréat comme co-auteur
2012 Gourmand Award [Best Book in the world in Wine Tourism 2011] Lauréat comme co-auteur
2020 Gourmand Award [Spain Book for Professionals] Lauréat comme co-auteur
2021 Gourmand Award [Best Book in the world for Professionals 2020] Lauréat comme co-auteur



2001: Premier ouvrage, Habiter et consommer à Bayonne au XVIIIe siècle, primé par l'Eusko Ikaskuntza.

2001-2008: Organisation de séminaires sur le corps dans le cadre de l'EHESS puis de l'EHESS et de l'Université Autonome de Madrid.

2009: Création de CORPUS International Group for the Cultural Studies of the Body:
https://sites.google.com/view/corpus-studies-of-the-body/home

2010: Organisation des premiers symposiums internationaux de CORPUS à Lisbonne, Moscou et Lima

2012-2018: Enseignant-chercheur à la faculté des sciences gastronomiques de l'Université de Mondragon/Basque Culinary Center

2015-2016: Enseigne l'anthropologie de la nutrition dans le cadre du DU "Clinique des troubles alimentaires: anorexie, boulimie et obésité" (Université Denis Diderot- Paris VII)

2016: Dans le cadre de Saint Sébastien Capitale Culturelle de l'Europe, premières représentations de l'oeuvre artistique collective Time Machine Soup à laquelle il a contribué par un travail de recherche et l'écriture de textes.

2018-2021: Collaboration régulière avec l'Université Interculturelle de l'Etat de Puebla (UIEP, Mexique)

2018...: Membre du conseil exécutif du World Gastronomy Institute (conseiller institutionnel pour les questions académiques)
Enseigne l'anthropologie de la nutrition dans le cadre du DU "Clinique des troubles alimentaires: anorexie, boulimie et obésité" (Sigmund Freud University - Paris)

Structure professionnelle : Sigmund Freud University-Paris

Titre(s), Diplôme(s) : Etudes doctorales d'anthropologie historique à l'EHESS ; titulaire d'un DEA d'histoire

Fonction(s) actuelle(s) : Anthropologue; Historien; Photo-ethnographe

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AUTRES PARUTIONS

Le chocolat au Pays Basque (XVIIe-XXIe siècle). De Bayonne à Oñati, Bayonne et Saint-Sébastien, Elkar, 2006, 169 pages [collection Terre et gens].

Carafes et alambics. Les mots du vin et autres boissons, Paris, Ed. Le Robert, 2007, 80 pages [collection Bouquet de mots].

Du monde à l'assiette. Mythologies alimentaires, Paris, Dilecta, 2007, 174 pages et un cahier photographique de 16 pages [collection Librairie de Montaigne].

De confits en foies gras. Une histoire des oies et des canards du Sud-Ouest, Bayonne et Saint-Sébastien, Elkar, 2009, 518 p. [collection Terre et gens].

Vinos de América y de Europa. Catorce miradas desde las ciencias del hombre, Paris, Le Manuscrit, 2010, 352 p. [Collection IBERVITIS Viticultura y ciencias sociales]. Ed. avec Sergio Antonio Corona Paez.

Alimentación sustentable en Chiapas: Hoy y mañana, Tuxtla Gutiérrez, UNICACH, 2016, 133 p. [Collection Montebello] Ed. avec Gabriela Palacios Pola, Adriana Caballero Roque et Trinidad Aleman Santillan.

Birds as Food: Anthropological and Cross-Disciplinary Perspectives, Enfield, ICAF UK, 2018, 328 pages [Collection ICAF Alimenta Populorum] Ed. avec Helen Macbeth.

Il était une f’oie dans le Sud-Ouest, Bordeaux, Sud-Ouest Editions, 2018, 93 p. Co-auteur avec les AFAMES

LES ARTICLES DE L'AUTEUR

L'histoire en cuisine

Les cinq textes que voici furent rédigés à la demande de la chaîne de télévision européenne ARTE pour être mis en ligne sur son site internet au moment de la première diffusion de la série documentaire L'histoire en cuisine (Michèle Barrière / Philippe Allante, BM Production) en octobre 2005. Ils demeurèrent longtemps accessibles par ce lien, aujourd'hui désactivé :
http://www.arte-tv.com/fr/connaissance-decouverte/L_27histoire_20en_20cuisine/

Ce sont les historiens qui découpent le passé en périodes, les hommes d'hier comme ceux d'aujourd'hui cuisinent et mangent dans un temps vécu. Quand nous parlons de cuisines de l'Antiquité, du Moyen Age, de la Renaissance, des Lumières ou du XIXe siècle, nous ne faisons que resituer des faits alimentaires dans un ordre du temps commode, facilement lisible. Cela est pratique, mais il ne faut jamais oublier que les choses de la table évoluent au cours du temps selon des rythmes qui leur sont propres. Il faut aussi toujours garder en mémoire qu'à une époque donnée, il existe des cuisines (celles des pauvres et des riches, celles des campagnes et des villes…) mais pas une cuisine.

I. Cuisines antiques

Cuisines grecques
Les cuisines de la Grèce classique nous rappellent, sans doute plus clairement que toutes les cuisines qui leur ont succédé sur le territoire européen, l'importance de la table dans nos systèmes culturels.
Les Grecs se sont nourris pour l'essentiel d'orge et de froment, qu'ils consommaient principalement sous la forme de bouillies et de galettes. La réalisation de cette cuisine quotidienne des céréales est l'affaire des femmes ou des esclaves, c'est-à-dire repose sur une organisation particulière de la société. Les principales cités étant incapables de produire tout le grain nécessaire à la population de leur territoire, la cuisine élémentaire des céréales est indissociable des développements, dans le monde grec, du commerce comme des impérialismes.
La majorité des Grecs de l'époque classique, ne mangent pas beaucoup de viande. Cependant, la cuisine de celle-ci installe la table au cœur de la civilisation, entre religion et politique. En effet, dans la Grèce classique, "l'alimentation carnée coïncide absolument avec la pratique sacrificielle; toute viande consommée est une victime animale égorgée rituellement" (M. Detienne). Alors même que le sacrifice s'inscrit dans tous les moments de la vie politique de la cité. Personnage essentiel dans ce rituel, le mageiros est tout à la fois le sacrificateur, le boucher qui partage la carcasse et le cuisinier qui prépare la viande.
Les sources matérielles ou littéraires nous permettent surtout de connaître les alimentations grecques, d'apprécier notamment des différences régionales, d'apprendre le nom de quelques produits renommés. Elles nous rappellent aussi que les Grecs n'oubliaient pas de prendre en compte les façons de manger parmi les traits culturels qui les distinguaient des Barbares. Grâce aux traités hippocratiques, qui ne manquent pas de fournir des détails sur les modes de préparations de certains aliments, notre connaissance de la cuisine grecque proprement dite se fait moins imprécise.

Cuisines romaines
Des recettes de l'époque romaine sont parvenues jusqu'à nous. Le De re coquinaria libri decem (les dix livres sur la cuisine) d'Apicius, vraisemblablement composé au premier siècle, en contient la majorité, mais il faut aussi compter avec celles qui apparaissent également dans certains traités de médecine, comme ceux de Galien ou d'Oribase. Les ingrédients qu'elles mettent en œuvre, comme leurs procédures révèlent une cuisine à l'inégal raffinement, qui ne saurait se retrouver toute entière dans le fabuleux festin offert par Trimalchion dans le Satiricon de Pétrone. En effet, la cuisine ordinaire de la majorité des citoyens romains demeure au cours de la longue domination romaine, beaucoup plus simple que la cuisine raffinée et coûteuse des élites que se plaît à offrir en surabondance cet affranchi dénué de bon goût.
La cuisine des masses citoyennes reste beaucoup plus simple, elle consiste en la préparation de bouillies (progressivement remplacées en de nombreux endroits par du pain de boulanger) et d'un plat accompagnement (pulmentarium) où les légumes secs occupent parfois une place importante. La viande, dont l'origine reste pendant un temps exclusivement sacrificielle, n'est pas goûtée souvent par tout le monde. Par ailleurs, celle qui vient améliorer l'ordinaire des ménages les plus modestes consiste en bas morceaux, en abats bien moins recherchés que les très estimées tétines de truie.
Devenu un vaste empire, le monde romain est un cadre où coexistent des cuisines marquées par des particularismes régionaux, par l'emploi de certaines spécialités locales dont la renommée finit parfois par rayonner jusqu'à des centaines de kilomètres de leur contrée d'origine, songeons aux fromages de Dalmatie ou des Gaules évoqués par Pline l'Ancien. Mais il est aussi, dans le même temps, un espace dans lequel, certains produits, à l'instar du garum, se chargent de conférer aux différentes cuisines quelques caractéristiques communes.

II. Cuisines médiévales

Rencontres et métissages
Dans diverses régions d'Europe, les siècles commodément réunis sous l'appellation "Moyen Age", sont profondément marqués par des rencontres entre différentes civilisations, avec pour conséquence de véritables métissages culinaires.
Avec la pénétration des populations barbares dans un empire romain effondré, avec l'action des évangélisateurs au cœur des terres païennes, les premiers siècles du Moyen Age sont le théâtre d'un double échange: les anciens citoyens de l'empire occidental s'imprègnent de cultures culinaires où la viande, notamment celle de porc, et d'autres produits des terres non cultivées occupent la place d'honneur, tandis que les sociétés qui vivaient sur les marges du monde romain voient le pain et le vin s'imposer dans leur paysage alimentaire.
Au sud de l'Europe, l'établissement d'une domination arabe sur certains territoires ouvre les portes de l'Occident à de nouveaux produits. Ce n'est qu'avec l'installation des musulmans que la culture du riz s'enracine réellement en Espagne ou que celle de la canne à sucre débute en Sicile. Des cuisines métissées naissent dans ces contrées. Par exemple, la cuisine musulmane de l'Al-andalus se fonde sur les mêmes modes de cuisson et sur les mêmes combinaisons alimentaires que la cuisine orientale, cependant la palette d'ingrédients qu'elle utilise est différente: beaucoup moins variée, en dépit de l'intégration de quelques produits strictement européens.

Cultures culinaires
La majeure partie des Européens médiévaux mange dans un contexte chrétien, ce qui ne manque pas d'avoir des conséquences sur les façons de cuisiner. Les jours maigres succèdent aux jours gras, la cuisine à l'huile à celle au lard. Dans l'Europe orientale, byzantine, les contrastes entre l'ordinaire des jours de pénitence et celui du reste de l'année sont particulièrement marqués.
D'autres contraintes pèsent sur les cuisines en usage dans les communautés juives. Le respect du repos du shabbat conduit notamment à l'épanouissement d'une cuisine mijotée, dont l'un des plats emblématiques est le hamin, un très riche potage qui combine, en fonction des fortunes de chacun et des usages régionaux, divers légumes, viandes et condiments.
A l'échelle d'une même région, les contrastes observés entre les alimentations des riches et des pauvres comme entre celles des citadins et des ruraux se chargent de rappeler la diversité des cuisines quotidiennes médiévales. Sur de telles différences se fondent peu à peu de subtiles hiérarchisations alimentaires et une véritable "diététique sociale", qui associe au statut de chacun un certain nombre de denrées. Un imaginaire fécond de la cuisine naît parallèlement des fantasmes d'abondance populaire, dont Boccace nous offre notamment un aperçu, lorsqu'il décrit le fabuleux pays de Berlinzone, où l'on attache notamment les vignes avec des saucisses.

Goûts médiévaux
Le début du XIVe siècle constitue un moment important dans l'histoire de la cuisine en Europe occidentale. C'est alors que sont rédigés les premiers recueils de recettes produits dans cette partie du monde. Le premier traité de cuisine allemand, le Buch von guter Speise, remonte par exemple aux années 1345-1354. Grâce à ces ouvrages, nous pouvons mieux connaître certaines cuisines, aristocratiques ou bourgeoises, du Moyen Age, et conduire, prudemment, une réflexion sur les goûts alimentaires à cette époque.
La cuisine que nous présente les manuscrits occidentaux se caractérise par quelques traits essentiels. Elle utilise abondamment certaines épices (clou de girofle, noix de muscade, galanga, maniguette…), fait un usage assez discret des corps gras et privilégie les sauces acides ou aigres-douces. En outre, dans une société médiévale où les couleurs possèdent une importance symbolique considérable, cette cuisine recourt notablement à certains colorants.
Un examen détaillé du contenu des ouvrages montre que derrière une apparente homogénéité, les nuances régionales ne manquent pas jusque dans la cuisine la plus aristocratique et la plus pénétrée de cosmopolitisme. Alors que les Italiens font un usage conséquent de safran, les traités français lui préfèrent très largement le gingembre. De même tandis que l'acidité extrême du verjus est appréciée en France, les textes anglais ou catalans témoignent d'une plus grande sensibilité au sucré. Certains traités, comme le Fait de cuisine de Maître Chiquart (Savoie, premier tiers du XVe siècle), laissent même entrevoir quelques localismes dans une pratique fortement influencée par des modèles culinaires dominants, en l'occurrence les usages français et italiens.

III. Cuisines de la Renaissance

Le grand tournant
En histoire de l'alimentation, le passage du XVe au XVIe siècle n'est pas une renaissance; c'est un tournant majeur. Avec la mise en relation de l'ancien et du nouveau monde, ce sont les conditions d'un bouleversement, à terme planétaire, des cultures alimentaires préexistantes qui se mettent en place. Ce tournant n'est pas la découverte de 1492, mais les décennies d'introduction puis d'acclimatation d'espèces et de transferts de techniques qui font suite au premier voyage de Christophe Colomb.
Certaines nouveautés américaines se diffusent rapidement dans de nombreux terroirs européens, à l'instar du dindon, présent en Pologne dès les années 1560. Longtemps, dans ce pays comme ailleurs sur le continent, il reste un mets réservé aux tables les plus prestigieuses. L'entrée en cuisine d'autres espèces, parmi lesquelles de nombreuses plantes, prend beaucoup plus de temps. Les premières utilisations culinaires européennes de la tomate sont attestées dès la seconde moitié du XVIe siècle en Italie et en Espagne, mais il lui faut beaucoup plus de temps pour prendre une place notable dans les diètes européennes, même méditerranéennes. Introduite dans les années 1570 en Espagne et vers 1590 dans les îles britanniques, la pomme de terre ne prend réellement de l'importance dans l'alimentation humaine de certaines régions européennes qu'au XVIIIe siècle, après avoir été durant quelques décennies une nourriture de substitution acceptée seulement par temps de famine.
Dans le même temps, une diffusion transatlantique de la culture alimentaire européenne s'opère: le porc, le bœuf, l'art de frire font partie des nombreux apports de la vieille Europe aux façons de manger du continent américain. A la faveur des dynamiques commerciales et des entreprises missionnaires, les Européens diffusent les espèces américaines et certaines de leurs techniques culinaires en Asie. Introducteur du piment dans le monde indien, les Portugais du XVIe siècle sont également à l'origine de la fameuse friture tempura japonaise.
Au final, le grand tournant alimentaire initié à la Renaissance conduit à une véritable première mondialisation culinaire, à l'entrée dans la modernité alimentaire.

Héritages et nouveautés
L'année 1485 est une date symbolique dans l'histoire de la cuisine européenne. En effet, elle voit paraître à Nuremberg, Küchenmeisterei, le premier livre de cuisine imprimé dans cette région du monde. De 1485 à 1620, l'Allemagne et l'Italie apparaissent comme les hauts lieux de l'édition culinaire, mais celle-ci se développe néanmoins dans de nombreux pays et dans diverses langues: un manuel en tchèque est publié en 1591, d'autres le sont en flamand, en catalan, en anglais, etc. En 1486, le Viandier est le premier livre de cuisine en français imprimé. Son titre et une partie de recettes sont un héritage médiéval, mais la plus grande partie des formules qu'il propose sont nouvelles. Jusque dans les livres, la cuisine de la Renaissance apparaît partagée entre héritages et nouveautés.
Des permanences sont nettement perceptibles dans la cuisine aristocratique de la Renaissance. La place accordée aux épices y reste importante, tandis que les sauces légères, l'acide et l'aigre-doux demeurent très largement en vogue. Quelques tendances nouvelles s'affirment cependant. L'attrait pour le sucré, déjà présent dans certaines cuisines médiévales, s'affirme considérablement, notamment en Italie. Dans toute l'Europe, en Flandre comme en Russie, l'ornementation en sucre atteint dans le même temps un extrême raffinement sur les tables dressées à l'occasion des banquets les plus prestigieux.
Fondée sur l'exploitation d'une très large gamme de denrées, comme le montrent à merveille les longues énumérations de comestibles proposées par François Rabelais dans Le Quart Livre (1552), la cuisine de la Renaissance se caractérise aussi par la redécouverte, de produits antiques tombés dans l'oubli au cours du Moyen Age. Le foie gras d'oie retrouve par exemple une place dans les cuisines pontificales avec Bartolomeo Scappi et dans celles de l'électeur de Mayence avec Marx Rumpolt. Sans parler des produits américains déjà évoqués, la cuisine de la Renaissance met aussi en œuvre quelques nouveaux aliments, à l'instar de l'artichaut introduit d'Afrique du Nord via le sud de l'Italie à la fin du XVe siècle.

IV. Cuisines des Lumières

Un paysage alimentaire remanié
Entre le XVIe et le XVIIIe siècle, plusieurs apports américains ont eu le temps de trouver réellement leur place dans les terroirs européens. Au Monténégro comme dans la vallée du Pô, le maïs est sorti des jardins pour conquérir les champs et devenir un élément essentiel de l'alimentation des classes populaires rurales. La pomme de terre s'impose comme une nourriture providentielle dans des contextes géographiques difficiles, tandis que le haricot et le potiron trouvent des usages dans les cuisines populaires de nombreuses régions.
Parallèlement, la culture à grande échelle de la canne dans les colonies américaines, largement appuyée sur l'exploitation d'une main d'œuvre servile, permet de disposer abondamment d'un sucre de moins en moins cher. La production de café connaît la même évolution, le café au lait devient une boisson du peuple de Paris, alors que l'essor du commerce avec les pays de l'Orient permet au thé de s'ancrer solidement dans les habitudes anglaises.

Nouvelles cuisines
Des goûts culinaires apparus dans le courant du XVIIe siècle triomphent au temps des Lumières. En France, l'œuvre de Menon (La cuisinière bourgeoise, 1746; La science du maître d'hôtel cuisinier, 1749…) est très représentative de cette nouvelle cuisine. Les sauces se font plus grasses. Le nombre d'épices exotiques employées se réduit alors que la place accordée aux herbes indigènes et aux champignons, parmi lesquels la truffe, augmente considérablement. Globalement, la nouvelle cuisine privilégie "l'harmonie des mets".
La nouvelle cuisine accorde une place particulière à divers légumes. A Paris, Menon s'intéresse notamment aux fonds d'artichauts, aux petits pois, aux jeunes fèves, aux haricots verts, aux asperges et aux brocolis. A Naples, Vincenzo Corrado consacre un traité tout entier, Del cibo pitagorico (1781), à la cuisine des légumes, des herbes et des champignons. Par la douzaine de recettes de tomate qu'il contient, cet ouvrage montre que celle-ci a déjà trouvé à cette époque une place dans certaines cuisines de l'Italie méridionale.
Les élites de l'Europe des Lumières apprécient très fortement le sucré. Les confiseries, les confitures, les pâtes de fruits, les massepains ou encore les sirops sont à la mode, notamment à Madrid où un Arte de Repostería est publié en 1786. L'attirance pour le sucre s'harmonise parfaitement avec le goût pour les boissons exotiques (café, chocolat, thé) car si celles-ci peuvent être parfois intrinsèquement amères, elles peuvent être abondamment sucrées.
Les apparences comptent beaucoup pour les élites de l'Europe des Lumières. Par conséquent, les grands repas d'apparat continuent d'être l'occasion de donner à voir une "cuisine pour le regard". Souvent, les tables prestigieuses continuent d'être parées de décors somptueux. Dans un monde germanique tardivement baroque, par exemple, la pâtisserie décorative continue d'émerveiller les convives par ses cerfs, ses dragons ou ses colombes dont Hagger Conrad livre les secrets dans Neues Saltzburgisches Koch-buch (1719).
L'influence du goût français est nettement perceptible dans diverses parties de l'Europe, à l'instar de l'Angleterre où elle n'empêche cependant pas l'émergence d'un nouveau discours culinaire local. Le livre de John Farley, The London Art of Cookery (1783), tout à la fois marqué par les savoir-faire français et profondément anglais, constitue un bel exemple de cette situation, qui pourrait se retrouver dans d'autres contrées, à l'instar du Piémont où nous trouvons à côté d'ouvrages d'inspiration directement française (Il cuoco piemontese perfezionato a Parigi, 1766) d'autres types de recueils de recettes.

Célébrations gourmandes
En marge des recettes, les références faites à la qualité des aliments, aux localités et aux régions censées produire les meilleurs produits se multiplient dans les ouvrages culinaires du XVIIIe siècle. Dans son Nuevo Arte de Cocina, Juan de Altamiras vante, par exemple, les navets d'un village aragonais. Même l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert regorge d'indications de ce type. Les riches amateurs de bonne chère n'hésitent pas à faire parvenir jusqu'à eux les produits à la mode: des pâtés et des dindons truffés sont ainsi expédiés depuis le sud-ouest de la France jusqu'à Versailles ou à Berlin. Libérée pour partie des contraintes posées par la diététique et la morale religieuse, la gourmandise s'épanouit dans certains cercles privilégiés.

V. Cuisines de "l'ère des révolutions"

Un siècle d'innovations techniques
Au cours du début du XIXe siècle, les cuisines européennes commencent à se dégager d'anciennes contraintes liées notamment à la conservation ou à la cuisson des aliments. L'exploitation et l'amélioration industrielles de la conserve mise au point par Nicolas Appert et l'intégration de ce savoir-faire aux pratiques ménagères constituent des innovations considérables. Non seulement elles modifient les conditions de préservation de nombreux aliments, mais elles changent aussi la situation de certains d'entre eux. C'est notamment grâce à la conserve que la tomate, occupe aujourd'hui la place qui est la sienne dans la cuisine hongroise ou dans celle d'autres pays d'Europe. Des recettes, songeons à celles des pâtés des grand-mères gasconnes d'aujourd'hui, sont nées de l'entrée de la technique de l'appertisation dans le cadre domestique. Une autre innovation du XIXe siècle mérite d'être mentionnée, même si elle n'entre véritablement en scène dans l'histoire de la cuisine européenne que quelques décennies plus tard: le froid artificiel. Les industries agro-alimentaires apportent quelques nouveautés sur les tables, notamment en perfectionnant la gélatine ou en mettant au point la margarine. Ce dernier produit est le témoin de la mise en place de nouveaux marchés alimentaires qui profitent aux produits coloniaux, parmi lesquels l'huile de palme ou d'arachide. Dans le même temps qu'ils apprennent à connaître ces denrées nouvelles, les habitants des villes, pour beaucoup arrivés des campagnes depuis peu, sont amenés à consommer des produits classiques mais sur la provenance et sur la qualité desquels, à titre individuel, ils ne disposent plus bien souvent d'aucunes certitudes: lait mouillé ou infecté, viande avariée et charcuteries falsifiées, vin trafiqué… les pratiques frauduleuses de certains commerçants et les angoisses de leurs clients prennent une importance nouvelle avec l'entrée dans la modernité alimentaire.
Des innovations surviennent aussi dans les façons de cuisiner. En France, les ustensiles en aluminium commencent à être produit industriellement à partir 1886, non sans que le nouveau matériau ne soulève des craintes. En ville, progressivement, la cuisine au gaz devient possible dans le courant de la seconde moitié du siècle. Des efforts sont faits un peu partout pour sensibiliser les ménagères à son utilité. Des conférences sont organisées, notamment en Belgique et des ouvrages sont publiés, tel La cocina por gas du grand gastronome espagnol Ángel Muro.

La naissance du restaurant moderne et l'affirmation du cuisinier
En France, la Révolution joue un rôle décisif dans l'émergence du restaurant moderne, en conduisant un grand nombre de cuisiniers employés auparavant par les aristocrates et les prélats à monter leurs propres affaires. Au cours du XIXe siècle, ce modèle d'établissement se répand largement en Europe. Séville l'adopte après Bilbao, Barcelone et Madrid, la Norvège le découvre en 1857. Dans le même temps, les cuisiniers, notamment en France, s'organisent afin d'obtenir un véritable statut professionnel. Le XIXe siècle voit ainsi s'opérer une profonde mutation de la profession même de cuisinier.

Internationalisme, régionalisme
Tout au long du XIXe siècle, depuis l'arrivée d'Antonin Carême en Russie jusqu'au moment où Escoffier se retire de Londres, l'influence culinaire de la France est particulièrement forte dans de nombreux pays d'Europe. Quand les menus des restaurants prestigieux ne sont pas entièrement écrits en français, ils apparaissent bien souvent truffés de formules écrites dans cette langue. Si la cuisine internationale des palaces est fondamentalement française, le goût français est perceptible jusque dans les traités de cuisine bourgeoise à petits prix. Le Manual del cocinero publié à Madrid en 1837 n'est pas autre chose qu'une traduction adaptée d'un ouvrage parisien. Les emprunts à la cuisine française sont également importants dans la plupart des premiers livres publiés en langue nationale par les états indépendants depuis peu ou en lutte pour le devenir, ainsi la Grèce ou la Roumanie.
Au cours du XIXe siècle, des traités de cuisine sont publiés dans des contextes locaux, parfois en langue régionale comme le premier livre de cuisine en basque, Escualdun Cocinera (1864). Si quelques-uns de ces ouvrages sont porteurs d'une affirmation identitaire, la majorité d'entre eux sont des ouvrages de cuisine bourgeoise produits dans un contexte local. Fréquemment, à l'instar de la Cuciniera Bolognese, ils proposent dans l'ensemble des recettes fort classiques.

Le temps des gastronomes
Préfigurée par le discours gourmand des Lumières, la gastronomie naît au tout début du XIXe siècle. Les spécialités régionales sont cartographiées pour la première fois par Cadet de Gassicourt et largement évoquées par Grimod de la Reynière. Un peu plus tard, Brillat-Savarin développe une gastronomie d'un style fort différent. De nombreux auteurs les suivent en France mais aussi dans les pays voisins. Le discours sur la cuisine devient, au cours du XIXe siècle, un art bourgeois à part entière.

V. Pistes de lecture

Approches globales
• F. Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme XVe et XVIIIe siècle, t. 1: Les structures du quotidien (1979), Paris, Le Livre de Poche, 1993.
• M. Bruegel et B. Laurioux (dir.), Histoire et identités alimentaires en Europe, Paris, Hachette, 2002.
• A. Capatti et M. Montanari, La cucina italiana. Storia di una cultura, Rome et Bari, Laterza, 1999.
• A. Davidson, The Oxford Companion to Food, Oxford, Oxford University Press, 1999.
• J.-L. Flandrin et M. Montanari (dir.), Histoire de l'alimentation, Paris, Fayard, 1996.
• J.-L. Flandrin et J. Cobbi (dir.) Tables d'hier, tables d'ailleurs, Paris, Odile Jacob, 1999.
• K. F. Kiple et K. Coneè Ornelas (dir.), The Cambridge World History of Food, Cambridge, Cambridge University Press, 2000.
• S. Mennell, All Manners of Food (Eating and Taste in England and France from the Middles Ages to the Present), Oxford, B. Blackwell Ltd, 1985.
• M. Montanari, La faim et l'abondance. Histoire de l'alimentation en Europe, Paris, Seuil, 1995.
• A. Rowley, A table! La fête gastronomique, Paris, Gallimard, 1994.
• A. Toaff, Mangiare alla giudia, Bologne, Il Mulino, 2000.

Cuisines antiques
• J. André, L'Alimentation et la cuisine à Rome, Paris, Les Belles Lettres, 1981.
• N. Blanc et N. Nercessian, La cuisine romaine antique, Grenoble, Glénat, 1992.
• M. Detienne et J.-P. Vernant, La cuisine du sacrifice en pays grec, Paris, Gallimard, 1979.
• A. Villegas Becerril, Gastronomía romana y dieta mediterránea. El recetario de Apicio, Cordoue, U. de Córdoba, 2001.

Cuisines médiévales
• J. Cruz Cruz, Dietética medieval, Huesca, La Val de Onsera, 1997.
• J.-L. Flandrin et C. Lambert, Fêtes gourmandes au Moyen Age, Paris, Imprimerie nationale, 1998.
• B. Laurioux, Le règne de Taillevent. Livres et pratiques culinaires à la fin du Moyen Age, Paris, Publications de la Sorbonne, 1997.
• B. Laurioux, Manger au Moyen Age, Paris, Hachette, 2002.
• M. Montanari, L'alimentazione contadina nell'alto Medievo, Naples, Liguori Editore, 1979.
• Manger et boire au Moyen Age. Actes du colloque de Nice, Paris, Les belles lettres, 1983 et 1984.
• Médiévales, 33: Cultures et nourritures de l'occident musulman, 1987.

Cuisines de la Renaissance
• F. Duhart et J. Dumanowski, "Pour une histoire du dindon en Europe: le cas polonais (XVIe-XVIIIe siècles)", http://museum.agropolis.fr/pages/savoirs/canard/complements2.htm
• M. A. Fabbri Dall'Oglio, Il trionfo dell'effimero. Lo sfarzo e il lusso dei banchetti nella cornice fastosa della Roma barocca. Viaggio nell'evoluzione del gusto e della tavola nell'Italia fra Sei e Settecento, Roma, Ricciardi & Associati, 2002.
• A. C. Fiorato et A. Fontes Barrato, La table et ses dessous. Culture, alimentation et convivialité en Italie (XIVe - XVIe siècles), Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1999.
• A. Garrido Aranda (éd.), Los sabores de España y América, Huesca, La Val de Onsera, 1999.
• J.-C. Margolin et R. Sauzet (dir.), Pratiques et discours alimentaires à la Renaissance, Paris, Maisonneuve et Larose, 1982.
• F. Sabban et S. Serventi, La gastronomie à la Renaissance, Paris, Stock, 1997.
• M. Viallon-Schoneveld (éd.), Le boire et le manger au XVIe siècle, Saint-Etienne, Publications de l'Université de Saint-Etienne, 2004.

Cuisines des Lumières
• R. Abad, Le grand marché. L'approvisionnement alimentaire de Paris sous l'Ancien Régime, Paris, Fayard, 2002.
• P. Camporesi, Il brodo indiano. Edonismo e esotismo nel Settecento, Milan, Garzanti, 1990.
• B. Fink, Les liaisons savoureuses. Réflexions et pratiques culinaires au Dix-huitième siècle, Saint-Etienne, Publications de l'Université de Saint-Etienne, 1995.
• S. L. Kaplan, Le meilleur pain du monde. Les boulangers de Paris au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1996.
• Dix-huitième siècle, 29: Aliments et cuisine, 1983.
• Papilles, 10-11: Livres et recettes de cuisine en Europe du XIVe au milieu du XIXe siècle, 1996.

Cuisines de "l'ère des révolutions"
• J.-P. Aron, Le mangeur du XIXe siècle (1973), Paris, Payot, 1989.
• A. Capatti, Le goût du nouveau. Origines de la modernité alimentaire, Paris, Albin Michel, 1989.
• A. Drouard, Histoire des cuisiniers en France XIXe-XXe siècle, Paris, CNRS, 2004.
• M. Jacobs et P. Scholliers (éd.), Eating out in Europe, Oxford, Berg, 2003.
• I. González Turmo, Sevilla. Banquetes, tapas, cartas y menús 1863-1995, Séville, Area de Cultura del Ayuntamiento de Sevilla, 1996
• P. Lysaght (dir.), Changing Tastes. Food Culture and the Processes of Industrialization, Bâle, Verlag der Schweizerischen Gesellschaft für Volkskunde, 2004.
• I. M. R. Mendes Drumond Braga, Portugal à mesa. Alimentação, etiqueta e sociabilidade 1800-1850, Lisbonne, Hugin, 2000.
• P. Ory, Le discours gastronomique français des origines à nos jours, Paris, Gallimard, 1998.
• A. Stanziani, Histoire de la qualité alimentaire, XIXe- XXe siècle, Paris, Seuil, 2005.
• Cahiers François Viète, 1: L'agro-alimentaire : histoire et modernité. Actes du colloque de Nantes, 1997, 1999.
• Ethnozootechnie Hors Série, 4: Du lait pour Paris, 2003.

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12 soupes, 12 histoires

Citation :
A la soupe!

Ces douze petits essais sur la soupe sont nés dans le cadre d'un projet artistique de Santos Bregaña : la Time Machine Soup. Cette machine à remonter le temps fonctionna pour la première fois en février 2016, dans le cadre de la programmation de Saint-Sébastien Capitale Culturelle de l'Europe. La Time Machine Soup mobilisa de nombreuses formes d'expression artistique et de perception sensorielle pour inviter ceux qui participèrent aux représentations à prendre le temps de penser le monde et le devenir de l'humanité. Douze étapes dans le temps, douze soupes ; en commençant logiquement dans notre monde contemporain.
La Time Machine Soup était une proposition artistique et en rien une expérience de gastronomie historique ou une tentative d'intellectualisation de la cuisine. Entrer dans le jeu proposé par Santos fut donc un exercice d'écriture très stimulant, bientôt pimenté par la créativité débordante d'Iñigo Cojo, le chef qui cisela les recettes des soupes chargées de provoquer les sens au cours des représentations.
Sans les lumières, la musique, les projections d'images, les chorégraphies et, bien sûr, sans les soupes d'Iñigo, ces textes sont incapables de produire le même effet que lorsqu'ils étaient embarqués dans la Time Machine Soup. Au mieux, peuvent-ils être une invitation à penser la soupe ou mieux à penser par la soupe !


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Une tenue de festayre. Corps en fêtes (de Bayonne)

Ces trois petits textes montèrent à Paris pour raconter une tenue des fêtes de Bayonne et une gourde de peau prêtées aux commissaires de l'exposition Couleurs sur corps. Quand les couleurs habillent le corps (CNRS, Nivea et Mairie de Paris), Jardins du Trocadéro, 24/10 au 09/11/2008. Ils parlent d'un temps aujourd'hui révolu où la fête bayonnaise se vivait pleinement jusqu'au petit matin.

HABIT DE FETE… Cette tenue fatiguée par une nuit au cœur de la liesse populaire nous donne déjà assez de matière pour esquisser une réflexion sur les fêtes de Bayonne ou plutôt sur ceux et celles qui les font car elles n'existent que dans l'action.

A Bayonne, en effet, la fête se vit, elle ne se donne pas à voir. C'est pour cela que vous n'entendrez jamais un festayre qualifier ses habits blancs et rouges de "déguisement". Cette tenue n'appartient véritablement qu'à une seule tradition: celle des fêtes de Bayonne contemporaines. Les premiers qui la portèrent ici l'empruntèrent au folklore des Sanfermines pour affirmer une expérience de ces mythiques festivités pamplonaises: faire la fête est un art qui passe par une initiation. Dans les années 1990, ceux qui agirent pour que la tenue blanche devînt la norme incontournable qu'elle est aujourd'hui le firent en espérant que sa blancheur inviterait à "la tenue morale". L'adoption d'un costume unique apparut aussi comme un moyen de gommer les différences au sein de la fête, de créer une éphémère communauté festayre vêtue de blanc et rouge où les différences sociales et les rapports de domination étaient suspendus.

L'ambiance étrange qui se ressent dans certaines rues, à certains moments rappelle que le propos était moins utopiste qu'il pourrait le paraître. Mais il y a habit blanc et habit blanc. La chemise que voici n'est pas de grande marque, elle n'est pas même de coton… Elle n'a pas été achetée, elle est un trophée ramené d'une course qui fut localement fameuse en son temps… Dans la blancheur de la nuit chaque tenue raconte un peu celui qui la porte, qu'il le veuille ou non…

LA FETE… TACHE A TACHE Cette chemise à la blancheur devenue douteuse après une nuit dans la fête nous invite à penser la tache et la relativité de la souillure. Après quelques bousculades qui la baptisèrent de vin rosé, après le frottement de la gourde de peau…Elle fut indéniablement maculée dans l'action de la fête.

Pourtant elle ne devint sale que sur le chemin du retour… En effet, la nature des taches qu'elle portait comme son degré de salissure restèrent totalement dans la norme acceptée au sein du groupe de festayres dans lequel évolua celui qui la portait. Le seuil de tolérance dépassé, la tache se fait stigmate d'un comportement excessif, déviant même. Bien sûr, les degrés d'acceptation de la tache varient considérablement d'un groupe à l'autre et rappellent que la fête est fondamentalement diversité dans son unité.

Par ses taches ou ses autocollants pareils à celui que cette chemise se vit apposer dans une peña altermondialiste, chaque tenue des fêtes raconte un itinéraire individuel. Avant d'être souillure, la tache est dans la rue bayonnaise un reste d'action fossilisé. Trace laissée par une chute durant la course de vaches, marques de rouge à lèvres… elle peut se faire trophée fièrement exhibé; reste de vomi, sang coulé lors d'une rixe… elle peut marquer durant toute une nuit celui qui franchit les limites acceptées par le plus grand nombre.

XAHAKOA Quand Bayonne festoie, Bayonne boit… Dans une culture festive où les sociabilités éthyliques jouent un rôle essentiel, une gourde de peau ("xahako" en basque, "guite" en gascon) a gagné une fonction pratique et une valeur symbolique importantes.

Peinte sur les affiches officielles, photographiée dans des mains de stars, chantée sur des airs connus de tous… la gourde est même devenue un véritable emblème de l'art de faire la fête à la bayonnaise.

Porté en bandoulière sur une tenue blanche, un xahako pareil à celui-ci fait littéralement couleur locale. Il présuppose en outre l'acquisition d'un certain degré dans la pratique de la fête par deux détails qui ne sont évidemment perceptibles qu'à des personnes déjà initiées: il s'agit d'un Las tres zetas fabriqué à Pampelune et le grain de son cuir indique une gourde en usage depuis plusieurs années. La chose sera vite vérifiée au moment de boire: un buveur rompu à l'usage du xahako ne se tache pas en buvant. Pour le novice qui ne sait pas encore adapter sa pression sur la gourde à sa capacité d'absorption, en revanche, les marques d'apprentissage sur la chemise sont presque assurées. Elles sont les témoins d'un boire associé à une certaine idée de la fête car l'intérieur goudronné de la gourde ne peut accueillir que certains types de boissons (vin, sangria) auxquelles il ne manque pas de conférer une subtile saveur bitumée… qu'il faut aussi apprendre à supporter sinon à apprécier!

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