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LOUIS ALBERT SERRUT

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LOUIS ALBERT SERRUT

Descriptif auteur

Louis-Albert Serrut est auteur et cinéaste. Chacune des pratiques lui permet d’explorer des relations intersubjectives en crise et leur dimension politique. Ses films traitent de l’expression musicale, du handicap, de la violence de l’entreprise, de la misogynie ordinaire, de la post-mémoire d’après Shoah.
Auteur d’une thèse, "Jean-Luc Godard, cinéaste acousticien" il démontre que les emplois et usages par le cinéaste de la matière sonore en font sa première matière d’expression, avant la matière iconique.

Ses essais explorent les mouvements qui travaillent la société et analysent leur dimension politique autant que philosophique,
Réalisateur :
De Bouaké à Plouha.
La rencontre par les arts. 15mn
Autour d’Adama Dramé, maître de Djembé. Films de la Rose. 2001.

Vie publique
Handicap et société. 22 mn.
Têtes à Claps Productions / Association ESCAPADE Liberté Mobilité. 2008.

Cercles.
La violence en entreprise. 22 mn.
Têtes à Claps Production. 2010

Coup de sang.
La misogynie ordinaire. 20 mn.
Les Films de la Rose. 2012.

Fred Bondi, l’homme chanceux.
Documentaire de témoignage. 90 mn.
Sélectionné au Festival du film juif de Vienne (Autriche).
Les Films de la Rose. 2014.

Notes
autour du film Fred Bondi l'homme chanceux
Éditions de la Rose Décembre 2017

Intervention publique :

M, une possibilité de réparation du soi ?
Commentaire sur le film M de Yolande Zauberman,
15 octobre 2020 au cinéma le Méliès, Montreuil (93)
Dans le cadre des Écrans philosophiques du Collège international de philosophie (CIPh).

Titre(s), Diplôme(s) : Doctorat de Sciences Humaines, sciences de l'Art, Paris 1 Panthéon Sorbonne

Fonction(s) actuelle(s) : Auteur - essayste

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AUTRES PARUTIONS

MONOGRAPHIES :

Naissance d’une dictature,
Collection Politique, éditions de la Différence, 2012

Commentaire sur ceux qui ne marchent pas à l’usage des marchants
Éditions de la Rose, 2015

De la citoyenneté
Collection Pensée. Éditions du Cygne. 2016

République et religions en France.
La double inconséquence.
Éditions du Cygne, 2018

L'élan suspendu de l'Union européenne
Collection Pensée
Éditions du Cygne, 2019

Lulu & Charles
Roman
Éditions de la Rose / Films de la Rose. 2019

FRACSTOUR
Recueil de textes poétiques.
Films de la Rose / Éditions de la Rose, 2021

Institution d'un État moderne.
Philosophie politique.
Films de la Rose / Éditions de la Rose, 2021

ARTICLES :

Pour le djihadiste, la vie est du temps perdu
Débats et analyses. Le Monde, mercredi 3 août 2016

A propos de la tribune de Kamel Daoud, la controverse.
Revue Cités n°67. PUF. Septembre 2016

Une nouvelle catégorie politique dans les pays de l’Est de l’UE
Revue Cités n°70. PUF. Mai 2017

Macron, une logique qui se confirme
Le Commercial CGT n°13 Janvier Février Mars 2018

Affaire de la crèche Baby-Loup : « La laïcité a été ignorée »
Lemonde.fr/ idees/article/2018/09/19/affaire-de-la-creche-baby-loup-la-laicite-a-ete-ignoree_5357450_3232.html?

Révisons les Traités
L'Humanité. lundi 22 octobre 2018
(Débats et controverses sur l'UE)

Révisons les traités.
Débats. L’Humanité, lundi 22 octobre 2018

Le salarié nu
Le Commercial CGT n°16 Octobre novembre décembre 2018

La marchandisation de la loi.
Les citoyens sont-ils prêts à abandonner leur souveraineté à la sphère marchande ?
L'Humanité, 8 février 2019

Le lien de subordination
Le Commercial CGT n°17 Mars 2019

Notre dame est un bien collectif, décidons collectivement de sa destination.
Débats.
L'Humanité, lundi 6 mai 2019

Une nouvelle et inquiétante doctrine d’ordre. Nous y voilà
Débats. L’Humanité, mardi 13 août 2019

Une comparaison explicite
Deux régimes de retraites pour deux sociétés opposées
Le Commercial CGT n°21 Janvier Février Mars 2020

Le devenir des retraites, simple réforme ou projet de société ?
UN ACTE DE DÉCIVILISATION par Louis-Albert Serrut, auteur et essayiste
L’Humanité. Tribunes. Lundi, 10 Février 2020
https://www.humanite.fr/le-devenir-des-retraites-simple-reforme-ou-projet-de-societe-684401
Avec le régime universel par points, le gouvernement évoque une simplification. Or, ce discours masque une logique ultralibérale. L’essayiste Louis-Albert Serrut et le psychanalyste Dominique Jacques Roth décryptent cette orientation destructrice.

La République menacée. «Sécurité globale» pour un contrôle total de la démocratie
L'Humanité. Vendredi 11 décembre 2020. En débat. P. 17.

Il y a 150 ans, la Commune de Paris
L’Humanité, lundi 29 mars 2021. Débats.

Gestion de la crise sanitaire. Le scandaleux échec d’Emmanuel Macron
L’Humanité, mercredi 31 mars 2021. Débats.

Une politique libérale contre la démocratie sociale. Macron et les syndicats de salariés ou le contrat déchiré
L’Humanité, jeudi 24 Juin 2021. Débats.

Vaccination et passe sanitaire : les manipulations d’Emmanuel Macron
L’Humanité, vendredi 3 septembre 2021. Débats.

Le raisonnement erroné des férus de la « réforme » de l’assurance-chômage
L’Humanité, vendredi 12 novembre 2021. Tribune libre.

La trajectoire Macron
L'Humanité, jeudi 10 février 2022
Tribune libre



LES CONTRIBUTIONS DE L’AUTEUR

Notes de lecture

LE CINÉMA DE JEAN-LUC GODARD ET LA PHILOSOPHIE

LES ARTICLES DE L'AUTEUR

Hommage à JLG

L'homme qui a décidé de son départ volontaire est demeuré dans sa fin identique à sa vie, qui elle-même se confond toute entière avec le cinématographe qu'il a servi et utilisé.
Il est difficile de définir ce cinéma qu'il a fait, contrefait, défait, refait de tant de manières. Il a accompli des cinémas qui s'accordent aux désirs (cf. l'incipit d'ouverture, Le Mépris) les plus divers, ou bien qui se désaccordent de la règle commune, l'habitus, soumis durant le temps de la trajectoire du cinéaste à normalisation par l'industrie et la finance. Sans cesse son travail a dénormé, contourné le sujet cinéma pour le dépasser, l'outrepasser en lui-même. En l'explorant, il lui a conquis sa dimension la plus aboutie, celle d'une constante recherche. Et de chercheur, il s'est mué en pédagogue dont l'enseignement atteint tous les âges et tous les continents, tous les talents et toutes les quêtes. Par quoi son travail atteint dès à présent à l'universel. Nombreux sont ceux qui ont enquêté sur ce travail, puisé dans sa contribution, d'autres poursuivront, dans une transmission qu'il aura assumée de continuer.

Voilà sans doute la bonne définition du cinéma de JLG, une pratique de recherche constante et exigeante. Si quelques philosophes l'ont intronisé dans la pensée et l'intellection, son discours cinématographique, proprement philosophique, se suffit à lui-même.

Louis Albert Serrut
13 septembre 2022

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Age après âge

Citation :
Cité dans le concours La différence - poésie - 2021

Age après âge


Age après âge, rythme des malheurs
Les hommes affrontent les temps des peurs
Sans différence d'un ressuage remontent les entrailles
Saisissent indistincts savants ou piétailles

Tous et chacun aux prétextes fongibles
Domination violence haine indifférence
Sentiments à l'air libre reviennent infrangibles
Museler l'esprit de chaînes d'irrévérence

Les instincts inlassables surmontent
Submergent démontent
Les sauvegardes immémoriales
Savoirs, toxiques mercuriales

Pulsions rebattages récurrents
Réapparaît la pensée ivre
Des tréfonds enfouis délivre
D'obscurs songes décurrents

Ces surgissements jamais n'apprennent
Ni du temps ni de la raison
Nourris d'eux-mêmes surviennent
Perfides avec le goût amer du poison



Paris
6 septembre 2021

Signature :
Louis Albert Serrut

Notes :
Texte cité au concours La Différence poésie 2021
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En réponse à Guillaume Farde, "Le maintien de l'ordre" dans Cités n°83

L'article en question, intitulé précisément "Le maintien de l'ordre dit "à la française" au défi des nouvelles formes de contestation" publié par la revue à dominante philosophique peut étonner par son thème autant que son propos. Il propose la description, souvent technique, des modes opératoires des forces de l'ordre sans véritablement analyser leurs sources ni les violences dont elles sont tenues responsables par différents secteurs et acteurs de la société. Les nouvelles formes de contestation sont réduites au seul mouvement des gilets jaunes et la conclusion en appelle au nécessaire renforcement des moyens des forces policières. Enfin, par les fonctions de son auteur(1), cet article semble bien être l'expression de la doctrine officielle du gouvernement en la matière, à l'heure même où la critique, déjà ancienne, de cette doctrine devient encore plus vive.
Cet article suscite pour le moins sa discussion, non pour la satisfaction du débat mais, exercice bien plus exigeant et nécessaire, le rétablissement des faits et la contestation d'analyses, d'affirmations et d'idées utilisées pour servir une démonstration dont l'objectivité est à confronter à d'autres appréciations. Nous reprendrons les quatre notions qui structurent l'article.

Sur la relation confiance-défiance entre les forces policières et la population.

Le point de départ de la dégradation de la relation est établi par Farde à 2015, après la série d'attentats. Ceux-ci, ressentis collectivement, ont permis de constater l'engagement des forces policières et de restaurer pour un temps leur perception par tous. Car le ressentiment est ancien s'il n'est atavique. Il n'est pas anodin que la référence de Farde à l'institution d'une force publique soit celle, tronquée, de l'article XII de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Cet article dit ceci : "La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée." Omettant le début qui expose la raison de cette institution - la garantie des droits - Farde ne conserve que l'usage de cette force pour le bénéfice de tous. La référence centrale supprimée, c'est l'intention des auteurs de la Déclaration qui est modifiée par une présentation orientée. Il s'agit là d'un procédé malhonnête destiné à conforter la thèse de fond du texte qui veut affirmer la violence physique légitime de la force publique. Constamment détourné par les détenteurs du pouvoir, cet usage orienté de la force a largement contribué à la rendre détestable par ceux qui subissent sa contrainte physique : les sans pouvoir, sans parole, sans protection d'aucune sorte, politique, économique ou sociale.
L'armée (2), puis la garde mobile ont laissé une trace profonde dans la mémoire ouvrière nationale. La force publique que nous nommerons au sens générique policière, le citoyen n'est pas toujours au fait de l'organisation et des divisions administratives, est marquée de longue date par sa complaisance avec les puissants. Les arrestations et les rafles des juifs en France pendant la seconde guerre mondiale, la garde des camps d'internement et de déportation de Beaune la Rolande, des Mille, Vénissieux, Drancy et autres, toutes opérations auxquelles les forces policières se sont prêtées, leur sont une souillure bien que l'Etat ait reconnu sa faute. Ce sont les policiers rebelles, les désobéissants, qui ont sauvé l'honneur de l'institution (3). Les ratonnades et les assassinats des manifestants algériens en 1961 à Paris (4), ont eux aussi marqué l'institution, tout comme à présent les mauvais traitements des migrants mois après mois à Calais, dans les Alpes maritimes, à Paris, lors de l'évacuation brutale en décembre 2020 de ceux qui, chassés de Saint Denis par les même forces policières, s'étaient installés place de la République.
La violence commandée aux forces policières et les moyens de sa mise en œuvre sont bien compris à présent. Il y aura fallu les centaines de blessés, mutilés et éborgnés gilets jaunes, les morts de Lamine Dieng, de Rémi Fraisse à Sivens, d'Adama Traoré, l'agression de Madame Legay à Nice, de Théo à Aulnay sous-bois, la mort de Zineb à Marseille, les enfants agenouillés à Mantes, les manifestants piégés à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière, l'attaque du défilé syndical du 1er mai 2019, le gazage des militants pacifistes sur le pont Neuf à Toulouse, sur le pont de Sully à Paris, la mort de Steve à Nantes, celle de Cédric Chouviat étouffé en dépit de ses suppliques, l'attaque de Michel Zecler dans son studio d'enregistrement à Paris pour révéler la pratique devenue ordinaire des forces policières. Relevées sur l'ensemble du territoire français, ces pratiques ne sont pas des accidents isolés mais bien le résultat d'une doctrine générale et d'une volonté de contraindre physiquement, à tout prix, fut-ce au mépris de leur vie, les individus pourtant tout autant citoyens.
L'oubli de l'homme et du citoyen constaté tout au long du texte confirme son caractère intentionnel. Si à divers endroits sont mentionnés des populations, des publics, des administrés, des mouvements, des activistes, en une seule occurrence est cité le citoyen, de surcroît dans une formulation digne de l'administration fiscale, "une large assiette de citoyens". L'omission du citoyen dans la relation police-population instaure une hiérarchie permettant de conforter la violence physique légitime que nous discuterons plus loin. Enfin, cette omission volontaire est le refus d'accepter que les confrontations aux forces policières expriment toujours une opposition aux gouvernements. La relation ne doit pas s'écrire "police-population" mais "citoyens-gouvernement".

Sur les gilets jaunes et les nouvelles formes de mobilisation

L'argumentation du texte sur l'augmentation des violences lors de manifestations, avant de s'attacher aux gilets jaunes, rappelle celles contre la loi travail El Khomri, mais oublie les bonnets rouges. Déjà les affrontements des citoyens et des forces policières avaient été marqués par des violences. Déjà les origines de la contestation préfiguraient celles des gilets jaunes. L'auteur tente, pour disqualifier le mouvement des gilets jaunes, de le réduire à des comportements individuels erratiques. Assimilé à son accessoire vestimentaire, composé de publics bigarrés, sans revendication précise, Farde décrit un mouvement qui se mord la queue ("ouroborique"), sans autre finalité que son "auto-perpétuation". L'auteur, s'il épouse la thèse du déclassement et de la relégation comme lien entre les manifestants, n'apporte aucun élément permettant d'étayer son propos. Et s'il regrette qu' "aucune prise d'ascendant sur le mouvement n'ait fait émerger des personnalités", il lui fait crédit, seul point objectif, de son caractère inédit.
En effet, le mouvement des gilets jaunes est exemplaire des nouvelles formes de mobilisation par bien des traits qui échappent à Farde. Par son ampleur, sur l'ensemble du territoire, il est parvenu à rassembler sur des aires d'autoroute, des ronds-points ou des carrefours des personnes d'origines et de statut social divers qui se revendiquaient toutes avant tout comme "citoyen". Son organisation horizontale, refusant toute hiérarchie, a conféré au mouvement un caractère éminemment démocratique. La discussion et le débat entre égaux ont permis d'exprimer des manières de penser le monde, d'affirmer et de vivre leur exigence de liberté, d'égalité et de solidarité. S'il s'est constitué ainsi, c'est en partie par l'utilisation des nouveaux outils de communication que sont internet et les réseaux de mise en relation, instantanés et sans limite géographique. Leur maîtrise a facilité la diffusion des consignes autant que les arguments. Ils ont permis de réaliser la démocratie instantanée et critique immédiate, c'est-à-dire sans médiation d'aucune sorte.
Le mouvement des gilets jaunes, avec ses nombreuses références à la période révolutionnaire de 1789, s'inscrit non pas dans les nouvelles formes de contestation ainsi que l'écrit Farde, mais dans les nouvelles formes politiques qui depuis le début du XXIème siècle s'inventent partout dans le monde. C'est le mouvement des places qui, de Barcelone à New York, du Caire à Kiev, de Sofia à Paris, d'Athènes à Istambul, oppose au désordre étatique l'ordre populaire du principe démocratique ; oppose, à la hiérarchie verticale et la domination oligarchique, l'égalité. Le mouvement des gilets jaunes déploie une dynamique fondée sur un désir de justice sociale et de solidarité. Sa répression, un ministre a qualifié les gilets jaunes de "groupes séditieux", a paradoxalement conduit à la repolitisation de ceux qui s'étaient éloignés de la politique, avaient cessé de voter, de faire confiance à l'organisation de la société. Sur les ronds-points, les places et les carrefours, ils ont redécouvert les vertus de la discussion, de l'échange et du débat, ils ont vécu une réappropriation de leur soi-citoyen Le mouvement a été un éveil de la société tout entière. Enfin si le mouvement des gilets jaunes a vécu dans la durée, les forces policières, chargées par l'exécutif de détruire les lieux de rendez-vous installés partout en France, ont activement contribué à son étouffement. Elles ont exécuté leur mission avec parfois, là aussi, une brutalité inutile pour tenter de le réduire à l'inaction et au silence.
L'élément qui "amorce" le mouvement, ainsi que l'écrit Farde, serait la contestation de l'augmentation du prix des carburants due à celle d'une taxe composant ce prix, qui l'inscrirait dans "une tradition française de luttes sociales et fiscales". Effectivement, la précédente, celle des bonnets rouges, était mue de manière similaire par la contestation d'une décision identiquement technocratique imposée de manière tout aussi autoritaire, sans concertation ni discussion préalable. La "tradition" évoquée pourrait remonter loin, jusqu'aux jacqueries, protestations et révoltes populaires contre la faim et la misère (5). S'agissant du XXIème siècle, ce mouvement n'a rien de typiquement "français" et s'apparente très étroitement à la révolte chilienne d'octobre et novembre 2019, inaugurée par les lycéens protestant contre l'augmentation du prix du ticket de métro. Ou à celles contre l'augmentation du prix du pain ici et là, ou encore celles des retraités en Russie, des travailleurs en Chine, des places Tahrir au moyen orient ou à Alger, qui débouchent toutes sur des revendications politiques. Car les prémisses de ces mouvements sont bien évidemment politiques, en ce sens qu'ils émergent dans un contexte où se sont accumulés les refus, férocement réprimés, d'adhérer à une raison économique contraire à la justice sociale et productrice d'inégalités sans cesse accrues dans tous les domaines de la société, éducation, santé, logement, transport. Au bout du processus, ou à sa source, apparaît une demande, inextinguible à terme, de dignité, celle qu'aucune force de "l'ordre" ne peut combattre ni réprimer.
Le refus des gouvernements successifs, et récemment ceux de Macron, à considérer la légitimité démocratique des voix qui contestent les choix socio-économiques, celles d'organisations, de syndicats de salariés ou de collectifs qui sont les corps intermédiaires, l'obstination à ne pas les écouter, reconnaître leur réalité et leur rôle, a eu pour conséquences de contraindre les citoyens à exercer différemment leur droit d'exprimer leurs désaccords par des manifestations de rue. Les violences policières qui en ont résulté sont de la responsabilité des gouvernements et des instigateurs de leur conduite, les présidents de la République. Chacun d'eux est responsable du double empêchement de parler et se parler dans un régime qui fonctionne par la seule discussion rationnelle : entre citoyens d'une part ; entre citoyens et leurs représentants d'autre part. Ce double empêchement de (se) parler est une faute majeure.

Sur la violence

Quelques événements particuliers, en ce qu'ils reproduisent d'autres événements particuliers analogues, nous autorisent à considérer leur répétition et à décrire ceux-là comme événements-type pour les qualifier tous, à les appréhender comme significatifs des circonstances qui les ont produits, une "phénoménologie de la violence décrivant qui exerce la violence, comment, contre quoi ou contre qui et pour quel motif " (6)nécessaire pour en éclairer les conditions et le sens. Nous proposons de retenir trois sortes d'événements-type.
1) Ainsi, Farida, infirmière, mère de famille, a été inculpée de violence, rébellion et outrage envers ou à l'égard d'agents dépositaires de l'autorité publique pour des faits survenus alors qu'elle manifestait avec les personnels de santé le 16 juin 2020 à Paris, au sortir de la première crise épidémique du Coronavirus. Les motifs d'inculpation n'ont pas varié depuis Fourmies (cf. note2). La violence tout d'abord, qui aurait été commise lors de la manifestation, en particulier par l'infirmière Farida, envers les forces de l'ordre. Dans celles-ci, les individus, hommes et femmes, sont équipés d'un casque à visière et d'un protège nuque ; les épaules, les bras, les cuisses, les genoux, les jambes, le dos des agents sont couverts par des éléments de protection qui font carapace et leurs mains sont protégées par des gants renforcés. Les troupes sont de surcroît dotées de boucliers ; d'armes diverses, matraques, bombes de gaz, lanceurs de balles ou de grenades qui composent leur artillerie d'attaque des civils ; de grilles déployées par des véhicules ; de véhicules pour se déplacer.
La violence dont est accusée l'infirmière est celle qu'une femme de 50 ans, mesurant 1,55m (7), en blouse, tête et mains nues, aurait commise envers les hommes suréquipés et entraînés des forces de l'ordre. Cette accusation portée contre une femme, révoltée d'être gazée, brutalement terrassée c'est-à-dire mise à terre par trois hommes, tirée par les cheveux, malmenée, blessée, choquée, cette accusation inverse la réalité des faits : les gestes de Farida, crier, cracher, ne sont pas violents, c'est-à-dire brutaux et usant de la force, ils sont de protestation. Ils sont l'aveu de sa faiblesse face à la force. Les gestes et les actes des hommes qui l'ont saisie et molestée ont quant à eux tous les caractères de la violence : force très supérieure délibérément utilisée avec brutalité, sans motif réel ou sérieux, en disproportion avec les circonstances et les faits.
L'infirmière, comme ses collègues, conteste les conditions professionnelles que lui imposent l'administration et le gouvernement, elle est mue par la nécessité, vitale en période d'épidémie mortelle, d'être protégée dans l'exercice de son métier. Alors qu'elle plaide pour sa reconnaissance, son statut lui est dénié par les forces de l'ordre qui, pour seule réponse à ses protestations la gazent et la malmènent. L'inculpation de Farida pour violence est davantage qu'un mensonge, elle est un outrage, c'est-à-dire une offense : elle trompe, fait injure à l'intelligence commune en ce qu'elle manipule et inverse les éléments de la réalité.
La rébellion ensuite. Elle est constituée par le fait d'opposer une résistance violente aux personnes dépositaires de l'autorité publique. Nous revenons aux violences de l'interpellation de l'infirmière, imaginaires pour ce qui la concerne parce qu'impossibles, mais réelles pour celles de la force policière. Ce délit est destiné à interdire toute critique, contradiction ou contestation par un citoyen de l'action des agents de la force publique et le contraindre à l'obéissance. Ce délit impose en contrepartie que ces agents aient la juste appréciation juridique des situations dans lesquelles ils interviennent, que leurs injonctions soient toujours fondées, appropriées et justifiées, qu'ils aient un raisonnement robuste et une considération objective des événements. Cela n'est pas le cas, jamais, et la distance entre les faits et le recours à la force s'en trouve réduit à rien.
Le délit de rébellion est un palliatif à l'absence de motif réel et sérieux d'interpellation. Très fréquemment utilisé par les forces de l'ordre, il est un aveu d'échec, ou d'incompétence. L'usage de la force alors libéré de cadre éthique s'impose comme la seule voie possible. Les poursuites fondées sur le délit de rébellion y associent fréquemment celui d'outrage. Souvent injustifiées, elles visent à couvrir les fautes ou manquements commis par les forces de l'ordre et aggraver le sort du prévenu par la dissymétrie entre la parole du citoyen et celle de l'agent dépositaire de l'autorité. Le processus, qui menace le citoyen de poursuites pénales, est intrinsèquement inégalitaire, introduit l'iniquité. Le délit de rébellion ainsi utilisé, nouvelle inversion, est un outrage au civisme et à l'égalité démocratique.
L'outrage, enfin, dont l'infirmière est accusée porterait sur le fait qu'à cracher, elle aurait lancé des projectiles sur les agents des forces de l'ordre. Les crachats seraient donc des projectiles, voire des armes. Leur dangerosité est nulle pour les agents de l'ordre, surprotégés, et insignifiants en réponse à ceux qu'ils lancent, qui blessent et tuent parfois. Le geste de l'infirmière envers ceux qui gazaient les manifestants, les asphyxiaient, les agressaient et les contraignaient dans leur libre expression de protestation, son geste a été de refus et de défense, réflexe instinctif contre l'agression massive subie. Est-elle allée au-delà de la règle, c'est le sens de l'outrage qui est de passer outre, ultra latin, a-t-elle manqué de mesure, quand elle a crié, craché peut-être sur les forces de l'ordre ? Ce sont bien plutôt les signes de son impuissance et sa réplique, dérisoire et vaine à une attaque par le gaz, son refus du déni de son action, de sa parole, de sa revendication, de sa citoyenneté.
L'outrage, tout comme la rébellion, relève du code pénal. L'assemblage de ces accusations par les forces de l'ordre est un matraquage invisible, processus psychologique visant à assommer les citoyens sous des procédures longues et lourdes de conséquences. Il contraint le citoyen à devoir justifier ses actes et ses dires, sa parole est a priori mise en doute. Il revient aussi à déporter la responsabilité des violences des forces de l'ordre sur les magistrats. Une fois encore, la charge est inversée, la contrainte systématique de ceux qui expriment des avis, des demandes, des revendications, est un vice dans l'usage de l'autorité.

2) Ainsi des stratégies déployées dans l'usage de la force publique par les autorités, la hiérarchie administrative, les préfets, le ministre. Les forces de l'ordre agissent en groupes organisés et répondent aux ordres qu'elles reçoivent directement d'un supérieur sur place ou à distance par radio ou téléphone. Elles sont dans l'exercice de leur fonction pour laquelle elles sont formées et rémunérées, de laquelle elles n'ont pas à interroger l'organisation ni la finalité, elles ont devoir d'obéissance et de silence. Chacun des membres est apprécié par son groupe qui constitue son environnement, proche et prégnant, il est aussi évalué et noté par sa hiérarchie. L'individu y est anonymisé et son autonomie de citoyen est restreinte, sinon éteinte, sous les contraintes et obligations réglementaires. Ainsi ses actes en service commandé lui sont-ils dictés et imposés sans qu'il ait la possibilité de s'y soustraire ou d'y réfléchir. Les actes qu'il commet alors ne lui sont pas redevables, ils lui sont extérieurs et s'inscrivent dans une technologie répressive de masse (8).
La technique est prépondérante dans la stratégie, elle en est l'instrument tout autant que l'origine. La technique des objets est exogène à l'humain, elle lui est supplémentaire et ses processus traduisent des savoir-faire. Lorsqu'elle sépare l'homme du vivant, la technique devient antihumaine. Dans le cas d'espèce, la technique sépare des hommes semblablement concitoyens réduits à leur appareillage. Les uns usent d'objets techniques (protections, boucliers-remparts, équipements de communication, de captation d'images), de projection d'instruments techniques contondants (matraques, eau, gaz, balles, grenades), les autres d'objets techniques pour s'en protéger (masques, lunettes, casques) néanmoins interdits, de communication, de captation d'images. L'abondance technique fait la supériorité d'un groupe sur l'autre, poursuivi, rejeté, réduit à un déchet.
Les forces de l'ordre ont adopté pour stratégie d'escorter, enfermer et isoler les citoyens qui défilent dans un cordon continu d'hommes armés, de les accompagner en les surveillant et les contrôlant, de les photographier et les filmer. Leur omniprésence et leur attitude hostile sont angoissantes, elles créent la menace latente de l'usage de la force. La violence est d'abord celle-là, que des citoyens-policiers, dépositaires de l'autorité publique, exercent à l'encontre de leurs concitoyens, pour autant légitimes à s'exprimer et agir. Les diverses stratégies d'encerclement, de pression, d'encagement, de nasse sont des dispositifs déployés pour gêner, contraindre, oppresser les citoyens dans leur liberté de manifester (9). Les recours à l'usage de techniques ou d'armes parfois létales contre des citoyens désarmés et empêchés de se défendre sont d'autres stratégies répressives. La technique ne produit rien par elle-même, ici elle isole, interdit toute relation et efface toute humanité.
Il devient constant que les déploiements massifs de forces policières provoquent en retour la confluence de groupes divers unis par l'idée d'"autodéfense populaire" pour occuper la tête des cortèges (10). Si l'appellation blacks blocs vaut pour leur stratégie et leur tenue vestimentaire, ces groupes sont connus, nul besoin de services de renseignements ou de fichage pour les identifier. Ce sont des militants de l'antifascisme, de l'anarchisme, de l'autonomie auxquels se joignent des supporteurs de football confrontés régulièrement aux CRS et gendarmes mobiles et aguerris à leur faire face. Nul besoin de renseignement pour connaître l'option politique majoritaire dans les forces de police. L'analyse des résultats électoraux indique une prépondérance pour l'extrême droite dans les bureaux où votent les résidents des casernes de police et de gendarmerie (11). Les affrontements sont la conséquence de la mise en présence de ces deux extrêmes. La technique policière exacerbe les tensions et son omniprésence, excès ostentatoire, suscite les groupes qui s'y opposent pour ce qu'elle est, une technique d'humiliation.
La pratique devenue habituelle de l'exercice de l'autorité, surveiller et contrôler les citoyens autonomes et responsables, est une dérive et un abus de pouvoir (12). Cet abus ne peut se résoudre que par la soumission ou la révolte. L'excès d'autorité provoque l'enchaînement prévisible, voire souhaité : le contrôle abusif entraîne son refus - la liberté refuse d'être confisquée -, la provocation suscite sa réponse, alibi à la violence de la force policière, violence qui devient illégale car ne pouvant se justifier. La provocation comme stratégie des forces de l'ordre, citoyens injuriés, molestés, gazés, asphyxiés, frappés, blessés, éborgnés, estropiés, aveuglés, cernés, nassés, produit leurs réactions qui deviennent prétextes à la charge, un seul face à trois, cinq, dix policiers sans plus aucune retenue (13) ni respect des règlements (14). Une nouveau mode opératoire apparu lors des manifestations contre la loi de sécurité globale, les 5 et 12 décembre 2020, organise une double action. L'intrusion des agents des forces de l'ordre dans le cortège des manifestants pour arrêter sa marche, le disloquer et rendre impossible la poursuite de la manifestation ; la brutalisation des manifestants et leur arrestation au hasard, sans justification ni motif (15). Cette pratique, qui s'apparente à une forme de terreur, est en contradiction avec la responsabilité du gouvernement de préserver ("garantir" selon l'article de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen) les citoyens et les droits de ceux-ci.

3) Ainsi enfin, autre sorte d'événement-type, les multiples actions accomplies dans le non-respect des principes et règles d'intervention, les contrôles indus, abusifs ou arbitraires. Il s'agit de tous ces actes "ordinaires" dont seuls les plus médiatisés, ceux qui ont fait l'objet de plaintes, poursuites ou recours, sont portés à la connaissance de tous (16). Car il y a tous ceux, anonymes, que rapportent et décrivent des témoins, des victimes ou des journalistes (17), des réalisateurs de documentaires ou de fictions proches du reportage (18). Ces faits sont réels mais leur nombre demeure inconnu car non recensé par aucune entité ou administration. Ce sont tous ces incidents plus ou moins importants, plus ou moins graves, que subissent au quotidien les populations précaires, pauvres, marginalisées, soumises dans l'anonymat à des agents des forces policières non ou mal encadrés et peu formés, qui nourrissent un sentiment d'injustice et sont, eux aussi, à l'origine de la défiance des forces de police.
"La défiance d'un nombre croissant de citoyens dont les habitants des quartiers populaires à l'égard des forces de l'ordre. Depuis les années1990, la question de la sécurité est instrumentalisée dans les différentes joutes électorales sans amélioration sur le terrain pour les habitants des quartiers populaires et les représentants de la force publique. Les "émeutes" de 2005 avaient déjà envoyé un signal fort de la part de jeunes qui ne supportaient ni la marginalisation grandissante de leurs banlieues, ni l'usage disproportionné de la force et des armes par les forces de l'ordre. "(19)

De la légitimité de la violence

Farde affirme la légitimité du monopole de la violence sur le seul argument d'une formule admise, sans interroger sa pertinence ni sa validité. La légitimité se fonde en droit, en justice et en équité pour susciter le consentement le plus large. Les trois y sont nécessaires, et toute action assise en droit, si elle est injuste ou inéquitable, ne peut prétendre à la qualité légitime. Les polices des régimes autoritaires ou dictatoriaux le démontrent, elles sont légales sans pour autant être légitimes. Le mouvement Black Lives Matter aux Etats-Unis interroge la légitimité des actions des polices locales.
La violence des forces de l'ordre ne peut s'envisager hors des causes de celle-ci et leur monopole ne suffit pas en lui-même à la rendre légitime. Les gouvernements considèrent les mouvements sociaux comme des épiphénomènes perturbateurs à traiter par la technique du maintien de l'ordre. L'analyse ne va pas au-delà de la surface des faits, indifférente aux causes socio-économiques qu'elle ne questionne pas, pas plus que les choix politiques qui pourraient les expliquer. Le ministre de l'intérieur qualifiait les gilets jaunes de "mouvement séditieux" et à l'Assemblée nationale exigeait des parlementaires que "Les élus de la République devaient se montrer à la hauteur de ce que font les forces de l'ordre". Il a été conforté par le chef de l'Etat qui le 14 juin 2020, au lendemain du mouvement de la jeunesse pour l'égalité des droits et la démocratie, manifestait son hostilité à ce mouvement en l'accusant de séparatisme (20). Cette indifférence a été confirmée à nouveau au lendemain de la décision du Conseil d'Etat de rétablir le droit de manifester, liberté fondamentale inscrite dans la Constitution, quand le chef de l'Etat signait un autre décret pour le restreindre une fois encore (21). Et dans sa déclaration télévisée, il garantissait aux forces policières son soutien (22), identifiant l'ordre à la violence policière et le désordre à la manifestation civique, encourageant ainsi de manière irresponsable la confrontation mortifère.
L'Etat républicain est un état de droit qui repose sur le respect des libertés individuelles et le consentement des citoyens. Voici que le président de la République et son gouvernement revendiquent la légitimité du monopole de la violence physique. Les gilets jaunes ont été surpris aux premiers jours d'être traités avec tant de violence et de mépris par les forces de l'ordre. Le mouvement ne cherchait pas la satisfaction d'intérêts particuliers mais contestait dans l'intérêt général la manière technocratique de prise d'une décision qui les ignorait alors qu'elle les concernait directement. Légalistes, ils n'ont jamais contesté l'autorité publique, ils se sont adaptés aux stratégies des forces de l'ordre.
La liberté de manifester est une liberté réelle, personnelle et intersubjective. Elle est au premier chef celle d'aller et venir dans l'espace public avec et parmi d'autres, sans autre restriction que la liberté des autres ; elle est celle d'exercer sa volonté de participer ; d'exprimer un avis, une opinion, une conviction ; celle de partager avec un groupe et d'y trouver une place ; de se compter parmi ceux en action ; de communiquer et échanger, discuter et débattre. La liberté de manifester est éminemment démocratique, elle est au fondement de ce régime de débat et de discussion rationnelle. Restreindre ou entraver cette liberté est une restriction de la démocratie à laquelle chacun peut et doit résister. Le droit de résistance à l'oppression est un parti constant des penseurs de la philosophie politique, de Hobbes à Rousseau, pour lesquels il est indissociable du régime démocratique (23). L'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (24) en fait un droit imprescriptible, c'est-à-dire qui ne peut avoir de fin et ne peut être supprimé d'aucune façon.
Les événements-type exposent une discordance de légitimité entre les citoyens, selon qu'ils sont dépositaires de l'autorité publique ou dépositaires de la souveraineté. L'une est attestée par l'engagement dans un corps public, l'autre, de droit, est inhérente à la citoyenneté, l'une est dotée d'un uniforme, l'autre est attachée de manière imprescriptible au citoyen anonyme et la discorde nait de l'ignorance de la seconde par la première. Mais l'inconséquence de la confrontation tient avant tout à la méconnaissance du concept lui-même qui le fait appréhender différemment. Les forces de l'ordre s'en réclament par la légalité de leur fonction, les citoyens par leur droit et leur exigence de justice. Ainsi, les trois inculpations récurrentes, violence, rébellion, outrage, sont l'expression d'un principe d'autorité pensé comme incontestable. Pourtant, sa contestation n'est pas son refus, elle est l'opposition à son excès qui se réalise dans l'exercice du droit de résistance. Les événements-type confrontent la citoyenneté à l'empêchement de son exercice. Les membres des forces policières, eux-mêmes citoyens en charge d'une mission que leur ont confiée la collectivité des citoyens, peuvent-ils s'extraire du collectif commun et réprimer le droit de manifester d'une partie de ce collectif sans se délégitimer ?
La violence des forces de l'ordre est injuste car aveugle, et inéquitable car disproportionnée. Les moyens déployés visent sans doute à impressionner, effrayer même, tant ils sont considérables et hautement techniques. Mais ils sont utilisés surtout pour s'assurer de l'efficacité des captures à tout prix, par tous les moyens. Ce sont elles, nommées interpellations, communiquées ensuite à la population via les médias, qui établissent l'efficacité - le rendement - des forces de l'ordre. Ce n'est donc plus la réalité des troubles, exactions, infractions ou agressions qui justifie les captures de citoyens, mais l'impératif du rendement. Ce compte des prises est à usage politique, le ministre ne manque jamais de les mentionner devant les médias et les parlementaires pour rendre compte de son action. Il est utile aussi à des fins internes aux forces de l'ordre, pour les féliciter et les honorer. La politique du chiffre dévoie la mission des forces de l'ordre dont les objectifs corporatistes, à l'opposé de l'intérêt général, compromettent leur légitimité.
La prétention à la légitimité en quelque domaine qui soit pose des principes et des limites. Ceux des forces de l'ordre sont internes, sa déontologie (obéissance, service public, intérêt général), ses principes d'organisation et de fonctionnement, sa discipline et ses moyens de les respecter, c'est-à-dire leur contrôle. Principes et limites sont aussi externes. Par choix institutionnel ils sont dévolus aux pouvoirs législatif et judiciaire. Le contrôle interne par les inspections générales de la police et de la gendarmerie, voire celle de l'administration ne fournit aucune garantie d'indépendance dont doit se prévaloir tout contrôle. L'impunité a été maintes fois démontrée, constatée et avérée d'agents des forces de l'ordre qui, soumis aux enquêtes de leur collègues, sont toujours exonérés de toute responsabilité. Les décisions de justice, lorsqu'elle est saisie, mettent en évidence l'écart, quand elles ne les contredisent pas, avec celles des contrôles internes.
La formule de Max Weber, le "monopole de la violence physique légitime", est un axiome sociologique énoncé au début du XX° siècle (25) explicatif d'un constat. Le terme important en est la légitimité, acquise par l'effet de la tradition, du charisme d'un chef ou accordée par ses citoyens à l'État. Cette légitimité a perdu depuis un siècle de sa valeur à mesure que l'institution et le personnel qui s'en réclame, celui qui peut user de la violence pour maintenir l'ordre, a failli dans sa mission. En France, en Europe, la validité de l'axiome s'est épuisée durant la première puis la seconde guerre mondiale (quelle légitimité reconnaître aux SA et SS allemands, à la phalange espagnole de Franco, aux polices de Pétain et Laval, à celles des colonies ?). Le postulat de la légitimité est devenu largement inefficient. Elle cesse, la légitimité de la force publique, dès lors que la force publique est utilisée par ceux qui en ont la responsabilité à des fins particulières, partisanes ou idéologiques.
Quel ordre public les agents des forces de l'ordre préservent-ils ? Prolétaires de l'Etat, ils sont malmenés et exploités pour imposer aux citoyens un ordre économique et social dont ils sont eux-mêmes, parmi d'autres, les victimes (26). Les citoyens-policiers sont tenus à l'écart de la société, séparés des autres citoyens dont ils sont pourtant concitoyens, empêchés de tout débat. La militarisation des interventions contribue à faire des civils leurs ennemis. Opposer les citoyens, c'est les empêcher de se parler, de communiquer en êtres de raison et d'agir par des actes de parole. C'est faire outrage au principe démocratique, régime de la discussion et du débat rationnel. Ces conditions sont l'expression d'une tendance totalitaire à contrôler les relations entre individus et altérer les consciences civiques, où l'ordre public à protéger est celui de la domination.
En dépit de leur appellation, les lois règlant la relation entre employeurs et salariés sont, sous des titres mensongers, toutes univoques et défavorables à ces derniers (27). Les présidents de la République successifs ont aussi beaucoup gouverné par ordonnances. Procédure législative déléguée, l'ordonnance écarte le pouvoir législatif, elle sape la légitimité de qui l'utilise. Macron n'a pas dérogé à cette habitude, il l'a amplifiée en introduisant, avec les Accords collectifs de performance (APC) le chantage comme mode de négociation (28). Ses premières ordonnances en septembre 2017 restreignaient la représentation des salariés, et le dialogue avec les autres instances de la société. Sarkozy, Hollande et Macron ont tous, par ordonnances, contribué à l'affaiblissement de la parole des salariés, des sans-emplois, des précaires, ils ont tous augmenté le nombre des "sans voix". La capacité d'agir par les actes de parole leur a été ôtée sans débat, les critiques syndicales et sociales de ces lois et ordonnances n'ont jamais été entendues.
En réponse à ce déni constant de la discussion, les citoyens n'ont d'autre choix que contester les décisions que Macron, à la suite de ses prédécesseurs, continue à imposer, contre le sens même de la démocratie. Et depuis l'état d'urgence sanitaire, le gouvernement n'a plus à être habilité par le Parlement pour prendre une ordonnance, et celle-ci n'a plus de délai pour être ratifiée par le parlement et entrer en vigueur. Les premières ordonnances publiées dans ce cadre ont été encore un peu plus loin dans la remise en cause des droits de base des salariés, ceux du repos hebdomadaire, des congés, des limitations d'horaires, et les suivantes ont multiplié les restrictions des libertés et les déréglementations.

Des conclusions convenues

Farde fait dans son article une démonstration qui entend confirmer le modèle existant du maintien de l'ordre sans s'interroger sur sa légitimité. Son propos, sélectif dans son argumentation, convenu dans ses propositions, le rend fragile et contestable. Tout d'abord, il ne prend pas la mesure ou refuse de considérer la réalité du mouvement des gilets jaunes, sa profonde inscription dans la société française et ses conséquences durables, au-delà de la loi répressive de circonstance (Loi anticasseurs). Puis, inscrit lui-même dans la logique qui prévaut au sein de l'institution, il reprend les demandes des syndicats policiers pour davantage de renseignement, plus de moyens financiers et techniques pour accroître la répression. Enfin, silencieux sur les causes récurrentes des situations conflictuelles, il refuse d'envisager de repenser la formule de la violence légitime alors qu'elle est contestée par une large partie de la société.
Depuis un siècle, les conditions des citoyens ont changé, ils sont plus éduqués, plus informés, le niveau socio-économique est plus élevé et l'exigence démocratique est plus forte. Néanmoins, Farde confirme le statu quo sans interroger la pertinence de ses fondements : statut de la force en démocratie, modalités et techniques d'intervention, militarisation de la force policière, définition des missions (maintien de l'ordre ou contrôle des populations), légitimité de la surveillance, etc. La loi de sécurité globale ainsi que les décrets portant extension des données recueillies dans les fichiers de sécurité publique, publiés depuis la rédaction de son article, vont au-devant de ses propositions.
Néanmoins, la satisfaction des demandes policières ne peut ignorer longtemps celles de la démocratie. En effet, quand Farde ne la refuse pas, il déplace la discussion et opère un glissement sémantique qui est pour le moins problématique. Ainsi, il défend la stratégie quand il s'agit de droits, explique la technique alors que les principes sont en cause et il argumente sur les moyens pour ne pas aller au fond de l'interrogation, la justification démocratique du monopole de la violence.
Les procédures techniques de violence déployées pour empêcher les discussions ou se substituer à elles sont bien évidemment antidémocratiques en ce qu'elles créent l'antagonisme plutôt que la discussion. Mais elles sont aussi illégales dans un régime de droit, comme de nombreuses décisions de justice l'ont affirmé. Il est flagrant que le monopole de la violence physique ne suffit plus à la rendre légitime.

Signature :
Louis Albert Serrut. 22 décembre 2020.

Notes :
(1) Dans la notice des auteurs de la revue, Guillaume Farde est présenté comme un spécialiste de sécurité-défense et référent du ministère de l'intérieur.
(2) Le 1er mai 1891 à Fourmies, la troupe met fin à une manifestation festive revendiquant la journée de huit heures. Dix morts dont deux enfants et trente-cinq blessés. Les forces de l'ordre sont mises en cause mais neuf manifestants sont condamnés à des peines de prison pour outrage, violence à agent et rébellion.
(3) Vladimir Jankélévitch a délimité l'imprescriptibilité des crimes nazis, il reste à le faire pour la complicité, souvent active, à ces crimes dont se sont rendues coupables les forces de police française. Il faudrait enfin ne pas omettre de caractériser leur implication dans l'empire colonial, jusqu'à la fin de la décolonisation.
(4) Le 17 octobre 1961, plus de 20 000 Algériens de France descendent dans la rue pour s'opposer à la guerre d'Algérie. Ce rassemblement pacifique est réprimé dans le sang par la police. En Europe, aucune manifestation n'avait été traitée aussi violemment par un État depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui encore, la France peine à reconnaître ce massacre et le nombre exact de victimes reste inconnu. http://site.ldh-france.org/paris/ https://www.arte.tv/fr/videos/086127-011-A/quand-l-histoire-fait-dates/
(5) Karl Marx. Le Capital, 1867. Flammarion, 1985. Dans le livre premier, chapitre III, partie III, la monnaie ou l'argent, Karl Marx écrit "La misère énorme de la population agricole en France sous Louis XIV, dénoncée avec tant d'éloquence par Boisguilbert, le maréchal Vauban, etc., ne provenait pas seulement de l'élévation de l'impôt, mais aussi de la substitution de sa forme monétaire à sa forme naturelle."
(6) Eric Pommier. La révolte chilienne (octobre-novembre 2019). Cités n°83, septembre 2020.
(7) Informations ouvrières n°609, du 18 au 24 juin 2020, p.3. Commentaire posté par la fille de Farida sur les réseaux sociaux "Cette femme (photo ci-dessus), c'est ma mère, 50 ans, infirmière, elle a bossé pendant trois mois entre douze et quatorze heures par jour. Elle a eu le Covid. Aujourd'hui elle manifestait pour qu'on revalorise son salaire. Elle est asthmatique. Elle avait sa blouse. Elle fait 1m55."
(8) "Que les punitions en général et que les prisons relèvent d'une technologie politique du corps…" Introduction à Surveiller et punir, Michel Foucault. Gallimard, 1975.
(9) Le Défenseur des droits considère que la technique de la nasse ou de l'encagement, "qui consiste à priver plusieurs personnes de leur liberté de se mouvoir au sein d'une manifestation ou à proximité immédiate de celle-ci, au moyen d'un encerclement par les forces de l'ordre qui vise à les empêcher de se rendre ou de sortir du périmètre ainsi défini", fait partie des pratiques "illégales, et par voie de conséquence, constitutives de manquements à la déontologie". Rapport annuel d'activité 2019.
(10) Abel Mestre. L'alliance violente des "ultras" et des black blocs. Le monde, 19 décembre 2020. "La multiplication des affaires de violence policières, aussi bien pendant les manifestations qu'en dehors, joue ainsi un rôle de ciment pour des contestations protéiformes qui dépassent les structures traditionnelles syndicales et partidaires."
(11) Louise Couvelaire. Le tropisme lepéniste des militaires dans les urnes. Le Monde, 16 juillet 2019. "Les militaires accordent très largement leur suffrage au RN." C'est ce que montre l'étude de l'IFOP "Pour qui votent les casernes."
(12) Emmanuelle Anizon. Deux gilets jaunes portent plainte contre Didier Lallement. L'Obs, 19 juin 2020. Les gilets jaunes Priscillia Ludosky et Faouzi Lellouche, soutenus par la Ligue des droits de l'homme, portent plainte contre le préfet Didier Lallement et contre X après une manifestation qui a dégénéré en novembre 2019. "Cette histoire est un triste condensé de ce que nous avons vécu pendant tout le mouvement, et illustre des dérives d'une politique du maintien de l'ordre du Préfet Lallement". Cette plainte concerne une manifestation organisée le 16 novembre 2019, place d'Italie à Paris, à l'occasion des un an du mouvement. La manifestation avait été interdite in extremis, au moment même où elle devait démarrer. Les manifestants, nassés par les forces de police, avaient été interdits de partir en cortège mais aussi de sortir de la place. L'anniversaire s'est transformé en terrain de guerre, où les tirs ont fait de nombreux blessés. L'observatoire parisien des libertés publiques, émanation de la Ligue des Droits de l'homme, a produit un rapport spécifique sur cette manifestation, sur lequel s'appuie la plainte contre le préfet.
Dans une Note du 12 septembre 2020, la LDH rappelle que "le droit de manifester n'est pas conditionné par la loi à une déclaration de l'événement en préfecture, et que la participation à une manifestation non déclarée ne constitue aucune infraction." http://site.ldh-france.org/paris/observatoires-pratiques-policieres-de-ldh
(13) L'absurde de cette stratégie a été mis en évidence lorsque des pompiers qui manifestaient pour leurs conditions de travail se sont trouvés mis en situation d'affronter les forces de l'ordre.
(14) Le journal Le Monde a publié plusieurs enquêtes où sont analysées des vidéos rendant compte des circonstances et de la manière dont les agents des forces de l'ordre ont utilisé, hors toute règle et règlement, leurs armes (gaz, lanceurs de balles de défense, grenades de divers types) qui ont blessé, mutilé, voire tué des citoyens lors de manifestations.
(15) Communiqué du collectif stop loi sécurité globale. 60 000 manifestant·e·s contre les textes liberticides en France, des interpellations arbitraires à Paris, 13 décembre 2020. Extrait : "La manifestation parisienne, dûment déclarée par un collectif d'organisations et autorisée par la préfecture de police, s'est transformée en souricière. Nombre d'observateurs ont constaté ce samedi 12 décembre dans la capitale des dérives inadmissibles liées à un déploiement policier et militaire brutalisant et attentatoire au droit de manifester : interpellations en masse, charges infondées faisant éclater le cortège, retenues sans motif légitime au-delà du délai légal, gardes à vue notifiées à la chaîne sur la base d'infractions pénales dévoyées, refus de contacter l'avocat désigné par les gardés à vue... Une fois encore, journalistes comme manifestant·e·s ont été pris pour cibles. Le pouvoir exécutif a donné à voir sa détermination à mater toute contestation."
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(16) Voir la liste des victimes au chapitre "défiance", infra.
(17) Valentin Gendrot. Dans la peau d'un "flic": récit d'un journaliste infiltré dans la police. Goutte d'or, 2020.
(18) Ladj Ly. Les misérables. Film de long métrage, SRAB Films - Rectangle Productions - Lyly films, 2019. Prix du jury à Cannes.
(19) L'Humanité. Pourquoi la doctrine du "maintien de l'ordre" est-elle en question ? Mercredi 16 décembre 2020. p. 12, En débat.
(20) Etienne Balibar, Achille Mbembe, Sandra Laugier et onze autres signataires. Emmanuel Macron engage le combat non contre le racisme, mais contre l'antiracisme. Le Monde, mardi 23 juin 2020.
(21) Jean-Baptiste Jacquin. Liberté de manifester : nouveau recours devant le Conseil d'Etat. Le Monde, mercredi 1er juillet 2020. Le second projet prévoyait de soumettre toute manifestation à autorisation préalable. Les recours ont été introduits par les syndicats de salariés CGT, Solidaires, FSU, F.O, l'association Droit au logement, le syndicat étudiant UNEF, le syndicat de la magistrature, le syndicat des avocats de France, SOS Racisme et La Ligue des droits de l'homme.
(22) Emmanuel Macron. Allocution télévisée du 14 juin 2020. Le chef de l'Etat garantit aux policiers et aux gendarmes, de manière inconditionnelle, "le soutien de la puissance publique et la reconnaissance de la nation."
(23) Selon Thomas Hobbes, Leviathan (1651), le droit de se préserver soi-même ne peut se transmettre au souverain. Le pacte entre le souverain et le peuple est rompu lorsque le souverain ne respecte pas ses engagements de préservation. Les individus peuvent alors reprendre les droits qu'ils lui ont cédés. Jean-Jacques Rousseau précise dans son traité Du contrat social (1762), "Dès l'instant que le gouvernement usurpe la souveraineté, le pacte social est rompu, et tous les simples citoyens, rentrés de droit dans leur liberté naturelle, sont forcés mais non pas obligés d'obéir."
(24) Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, article 2 : Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression.
(25) Max Weber. Le savant et le politique. 1919.
(26) Une commission d'enquête dénonce la situation dégradée des forces de l'ordre. AFP, rapport du 9 juillet 2019.
(27) Travail, emploi, pouvoir d'achat (TEPA), Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), Loi (dite El Khomri) relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, Loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, etc,
(28) Raphaëlle Besse Desmoulières et Bertrand Bissuel. Réforme du code du travail : le risque de "moins-disant social". Le Monde, jeudi 30 juillet 2020. Rapport du comité d'experts chargés d'évaluer les réformes du code du travail de septembre 2017. Sur les APC, le comité s'interroge "s'agira-t-il d'un accord équilibré ?" ainsi que sur "la loyauté des négociations".
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