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Nelly Lecomte

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Nelly Lecomte

Descriptif auteur

Nomade dans l'âme, ayant en horreur l'enfermement et la sédentarité, ancienne expatriée à Libreville et à Casablanca, l'autrice trouve sa source d'inspiration, au fil des rencontres, sur le terrain fertile du voyage et de l'altérité.
Originaire d’un village du  centre luxembourgeois, résidant en Belgique, polyglotte par ses multiples origines géographiques et linguistiques, parfois difficilement conciliables, l'autrice, après des études secondaires à Luxembourg-Ville et des études universitaires en France, a passé sa vie à enseigner le français et sa littérature dans tous ces pays européens et africains qui l'ont accueillie et qui composent sa Francophonie, s'adonnant en même temps, avec passion, au journalisme culturel.

Titre(s), Diplôme(s) : Dr en littérature française générale et comparée (littérature négro-africaine) et licenciée en ethnologie de l'Université de Strasbourg

Fonction(s) actuelle(s) : Professeure de français e.r., anc. journaliste-correspondante de presse écrite (critique d'art au Luxemburger Wort), traductrice

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AUTRES PARUTIONS

 



  • Un verre entre frères, roman, Le lys bleu, Paris, 2023


 



  • Au-delà des racines, roman, Le lys bleu, Paris, 2021


 



  • La griffe de l'ours, contes, Edilivre, Saint-Denis, 2015


 



  • Le langage de la Terre, poésie, Edilivre, Saint-Denis, 2013


 



  • La station s'appelait Terminus, nouvelles, Edilivre, Saint-Denis, 2013, réédité en janvier 2025 chez Le livre en papier, La Louvière, Belgique 


 



  • Nouvelles  du large, collectif, Amalthée, Nantes, 2009,  épuisé 


 



  • L’Androgyne, poésie, Saint-Germain-des-Prés, Paris, 1986, épuisé 

    Contributions dans des revues et livres collectifs:
    _________________________________







  • "Les structures familiales et leur évolution du village à la ville: F. Couchoro, S. Badian, A. Mabanckou", Norsud 20, 1 déc. 2022, (p.51-69), Université de Misrata, Libye. https://hal.science/hal-04095307


 



  • "L'oeuvre romanesque d'Aminata Sow Fall : La circulation des biens en milieu urbain", Norsud 18, 1 déc. 2021, (p.21-50), Université de Misrata, Libye. https://hal.science>hal-03558959


 



  • "La vie quotidienne, un véritable défi, dans le roman de Pius Ngandu et Angèle Rawiri: pauvreté, nature, magie." https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03527202, 15 janv. 2022


 



  • "Ecoutez parler le peuple gabonais: Le langage comme reflet d'une âme nationale", https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03505644, 31 déc. 2021


 



  • "Commerce and magic", (sur la pensée magique dans Allah n'est pas obligé d'Ahmadou Kourouma), Research in African Literatures, vol. 36, nbr 4, winter 2005, (p.198-204), Ohio State University, Indiana University Press, USA (traduction anglaise) (original en français dans la revue Galerie 2, Differdange, Luxembourg, 2012)


 



  • Radet (Jean-Baptiste), Barré (Pierre-Yves), La négresse: le pouvoir de la reconnaissance, L'Harmattan, Paris, 2021, compte-rendu in Etudes littéraires africaines 55, 2023 (p.229-230), Université de Lorraine, Metz. https://www.erudit.org>revues>ela


 



  • Royer (Louis-Charles), La maîtresse noire, L'Harmattan, Paris, 2020, compte-rendu in Etudes littéraires africaines 52, 2022, (p.222-224), Université de Lorraine, Metz. https://www.erudit.org>revues>ela


 



  • "Terrain et fiction", (sur La solution innovante d'Anatole Tokofai), Luxemburger Wort, 12 mars 2015, Ed. Saint-Paul, Luxembourg


 



  • "L'image de l'Afrique chez Pierre Loti dans Le roman d'un spahi: Un regard de Blanc sur l'Afrique coloniale du XIXe siècle", nos cahiers 2, 2010, Ed. Saint-Paul, Luxembourg


 



  • "Epousailles de l'Afrique et de l'Occident: Contes de l'auteur congolais Kama Kamanda", Luxemburger Wort,  22 avr. 2004, Ed. Saint-Paul, Luxembourg


 



  • "Le roman négro-africain des années 80 à 90: La vie quotidienne, un triple défi", Pollen d'Azur no 15 et 17, 2002, Virton, Belgique


 



  • "Ce que cache la pensée magique", (sur Le tissu d'Anatole Tokofai), Luxemburger Wort, 20 sept. 2001, Ed. Saint-Paul, Luxembourg


 



  • "La régression dans l'oeuvre de Franz Kafka", Le langage et l'homme, vol. XXIX, n° 3-4 (p.303-311), Institut Libre Marie-Haps, De Boeck Université, Louvain-la-Neuve et Bruxelles, Belgique, 1994


 



  • "Individu contre Etat: Etude de la notion de pouvoir dans Le château de Franz Kafka", Dérapages no 28, (p. 99-119), Latresne (Bordeaux), France, 2000 et nos cahiers 3, 1997, Ed. Saint-Paul, Luxembourg


 



  • "La notion d'irréalité des personnages chez Raymond Queneau: Le personnage comme illusion passagère qui dure l'espace d'un roman", Le personnage dans l'oeuvre de Raymond Queneau, (p. 59-74), Presses de la Sorbonne Nouvelle, Paris 3, France, 2000 (sous la direction de Daniel Delbreil)


 



  • "The dwarf is an adult", Europe, Experience and Expectation, (p. 113-120), (à l'occasion de la remise du prix Erasme à Jacques Delors), Praemium Erasmianum Foundation, Amsterdam, Pays-Bas,1997 (traduction anglaise)


 


LES CONTRIBUTIONS DE L’AUTEUR

Articles de presse

Pâle frayeur de la nuit

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Ciel en éclats

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JT de TVlux: Salon du Livre de Wellin, 08/12/2017

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Temps et acculturation

Articles de presse

Le roman négro-africain, une étude de Nelly Lecomte

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Destinées africaines: "Le roman négro-africain des années 50 à 60"

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Le roman comme reflet de la réalité

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Une âme étrangère

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L'improbable bonheur

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Lecture vun heiheem RTL Luxembourg

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Regards sur la colonisation de l'Afrique et du Congo

LES ARTICLES DE L'AUTEUR

Ecoutez parler le peuple gabonais: Le langage comme reflet d'une âme nationale Etude ethno-linguistique de l'emploi de la langue française sur le sol gabonais Essai inédit

Citation :
La femme, par contre, trouve toute sa valeur érotique dans la forme de ses fesses, qui sont certainement aussi le symbole de sa fécondité, puisque l'acte sexuel est essentiellement accompli en Afrique dans le but de la procréation.... Plus une femme a de grosses fesses, plus elle est sexuellement attrayante. C'est ainsi que le terme de "fesse" revient dans de nombreuses expressions: "s'afesser" et "s'hémisphérer" pour "s'asseoir"...

Chez tous les peuples ayant adopté le français comme langue véhiculaire nationale, en coexistence avec des langues vernaculaires tout à fait vivaces, on constate des écarts de langage par rapport au français "orthodoxe", tel qu'il est pratiqué sur le sol français. Nous partons du principe que ces écarts reflètent à la fois la vie quotidienne du pays qui s'est emparé du français pour dépasser les clivages nationaux, et un état d'esprit des peuples qui se sont organisés en groupes.

Ecoutez parler le peuple gabonais :
Le langage comme reflet d'une âme nationale

Etude ethno-linguistique de l'emploi de la langue française sur le sol gabonais.

Chez tous les peuples ayant adopté le français comme langue véhiculaire nationale, en coexistence avec des langues vernaculaires tout à fait vivaces, on constate des écarts de langage par rapport au français "orthodoxe", tel qu'il est pratiqué sur le sol français. Nous partons du principe que ces écarts reflètent à la fois la vie quotidienne du pays qui s'est emparé du français pour dépasser les clivages nationaux, et un état d'esprit des peuples qui se sont organisés en groupes.
En l'occurrence, le français de France est censé fournir le modèle, doté de fonctions normatives, à imiter et à respecter et doit servir de base à partir de laquelle on s'invente son propre langage, d'un côté par méconnaissance de ce langage de base, d'un autre côté par insuffisance pour refléter fidèlement les réalités d'un terrain qui diffère de son terrain d'origine.
Ces écarts de langage, se distinguant par leur récurrence, correspondent donc à des "tics de langage", se répandant par mimétisme, et devraient révéler donc les préoccupations d'un peuple, ses réalités quotidiennes, ses obsessions, son histoire, ses valeurs et sa vie sociale.
Remarquons que les observations et les déductions qui vont suivre ont été relevées lors d'un séjour de deux ans au Gabon, entre 1984 et 1986, au titre de la coopération luxembourgeoise.
Ecoutons donc parler le peuple gabonais !
On verra ici la créativité des gens, la capacité d'inventivité d'un peuple dont la première langue n'est pas le français. Cet essai touche à la fois à des aspects sémantiques, lexicaux, phonétiques et syntaxiques.

1) Le marché

Certaines de ces expressions nous montrent quelques-unes des préoccupations principales de la vie quotidienne. L'expression "faire du marché" (pour "faire des achats"), qui remonte en France à des temps anciens où on faisait essentiellement ses courses au marché, et d'ailleurs le marché reste toujours une tradition française avec ses halles, montre l'importance que le marché a gardée au Gabon, comme ailleurs en Afrique noire, parce que le marché, avec son troc, est aussi une tradition africaine. Chaque ville, chaque quartier a son marché. Les villageoises s'y rendent régulièrement, avec de lourdes hottes sur le dos, pour écouler leur marchandise. C'est là que la ménagère se procure les denrées nécessaires pour sa famille nombreuse, demandant au marchand notamment une "main de bananes", par comparaison avec une main humaine. Cette expression métaphorique est d'ailleurs également utilisée en France, mais présente une plus grande occurrence au Gabon, vu que le Gabon produit beaucoup de bananes. Une simple banane, par contre, est alors appelée "un doigt" par une métaphore filée. C'est dans les rapports entre les marchands et ses clients que s'est forgée l'expression "de cette qualité-là" pour dire par exemple "de cette sorte-là", comme si on voulait rehausser la valeur de la moindre marchandise. Si le marchand dispose de la marchandise demandée, il dit " y en a", omettant, par ellipse ou apocope, le "il" et faisant une pause entre le "y" et le "en". D'où l'orthographe, souvent rencontrée chez nos élèves. Si le marchand a écoulé toute sa marchandise, il dit "c'est fini". Mais la femme coquette peut aussi s'y acheter, contre des F CFA, des "cheveux rapportés" qu'elle noue dans ses nattes ou ses tresses. On y trouve toutes sortes de choses, aussi des vêtements et chaussures, neufs ou usagers, au marché de Mont Bouët.

2) Le ménage et le manger

L'expression "faire les travaux de ménage", pour "faire le ménage", fait allusion à des tâches rudes et laborieuses, faisant penser aux travaux de Hercule. La fille y est habituée dès sa tendre enfance. Au village, la femme doit se lever tôt pour balayer la case. Elle va chercher de l'eau, et doit parfois marcher très loin, en tongs ou pieds nus, en portant la jarre vide ou pleine sur sa tête. Pour ramasser du bois, elle doit également parcourir des kilomètres, et, le soir, vers six heures, elle rentre au village, au crépuscule, c'est-à-dire dès 6 heures du soir, en longeant les routes de campagne, portant le bois dans une hotte sur le dos. Puis elle doit préparer le repas, et ce n'est pas seulement pour son mari et ses deux ou trois à six enfants (en moyenne), mais souvent elle doit aussi nourrir des parents célibataires qui continuent à faire partie de son ménage.
De l'importance du repas témoigne le vocable tout simple, tout dépouillé, "préparer". On a laissé tomber le complément d'objet direct de ce verbe transitif direct. Ce verbe met l'accent sur les longues procédures de préparations préliminaires de la cuisine africaine. Si le Gabonais de la ville ne veut pas manger à la maison, il va au restaurant, et il dit : "Donne-moi la viande". Il faut entendre par là la viande de bœuf, souvent importée du Cameroun. Ou bien il se rend au stand du Malien d'à côté chercher du "coupé-coupé". C'est ainsi qu'on appelle la viande de bœuf ou de mouton coupée en petits morceaux et qu'on a fait griller. Elle doit son nom sans doute à la répétition du geste coupant la viande, dont le fumet va remplir l'air des bas quartiers à la tombée de la nuit et au son de la musique congolaise. On rencontre alors un homme dans la rue en train de fumer et on lui demande "un bâton", par allusion à la forme de la cigarette. Ce vocable se rencontre également en Côte-d'Ivoire et au Togo.

3) La vie sociale

La vie quotidienne est régie par des valeurs sociales. Les Européens restent indifférents à l'égard de la plupart des gens. Ils s'entourent d'un nombre restreint d'amis. Les Africains, par contre, ont tendance à classer les gens, de façon manichéenne, en référence à la pensée magique sans doute et à la sorcellerie, en bons et en mauvais, en gentils et en méchants. Est "gentil" celui qui est ouvert, accueillant, en un mot qui se comporte bien dans les relations humaines. Est "méchant" celui qui est renfermé, intransigeant, qui n'est pas disponible pour autrui. "Mauvais" est également employé dans le sens de "méchant" par influence peut-être du vieux français : "faire mauvais visage" pour dire qu'on est "peu accueillant", par opposition à l'expression du moyen-âge : "faire bonne chère" qui signifie "faire bon accueil". On peut se demander aussi si le langage populaire ne fait pas une relation avec le "mauvais œil" (evur ou evum en fang) qui jette de mauvais sorts. On peut en effet supposer que l'homme de la rue assimile le mauvais au sorcier, car le "mauvais", c'est aussi celui qui "fait des combines". Les termes se référant à cette dichotomie sont légion. On appelle "amis" tous ceux avec qui on a des contacts plus ou moins approfondis, ceux qu'on fréquente, ceux avec qui on va prendre une Régab, ceux qui ont de bonnes intentions à votre égard. Ceux à qui on veut du bien, on les appelle, par assimilation avec les frères et sœurs naturels, "mon frère" ou "ma sœur". L'effort est ainsi fait d'intégrer l'étranger dans les liens de parenté. C'est-à-dire qu'on les met sur un pied d'égalité avec les membres de sa propre famille ou les membres de son clan. De la même façon, toute personne âgée, à qui on doit du respect, comme à son propre père ou sa propre mère, on l'appelle "papa" ou "maman" ou encore "mama". A quelqu'un à qui on veut demander un service, on donne le titre honorifique d' "ancien" pour lui faire comprendre qu'il a des pouvoirs, tout comme le vieux, le notable du village. On voit donc là la perpétuation des structures familiales traditionnelles dans le monde moderne. Depuis que les Français ont introduit le titre de "Madame", à l'époque de la décolonisation, on appelle "Madame" même la jeune fille non mariée. De l'autre côté de la rue, le passant crie : "Madame, bonjour", au lieu de dire : "Bonjour, Madame", comme pour insister sur le titre de politesse ou pour attirer d'abord l'attention sur soi. Pour les mauvaises personnes, on dit "pygmée", faisant référence aux pygmées de la forêt gabonaise, qui passent encore pour des sauvages. Ce terme de mépris désigne à la fois une personne de petite taille et non civilisée. Le terme de "sauvage", relique des temps coloniaux, a à peu près la même acception. La phrase "Tu n'as pas été à l'école ?" qui fait allusion à l'analphabétisme d'une certaine partie de la population, va également dans ce sens-là. "Maboul", terme arabe que le français de France a emprunté en 1830, a cours au Gabon depuis très longtemps, mais semble avoir perdu son sens plein de "sot, fou, inconscient" (Larousse). On traite de "maboul" tout simplement quelqu'un avec qui on n'est pas d'accord, contre qui on a un grief. De même, le pronom démonstratif "celle-là" a quasiment perdu sa valeur péjorative et se substitue, par simplification, au groupe nominal "cette femme-là". Par contre, "la femme-là" a pris la valeur péjorative de "celle-là" ; alors que "le Blanc-là" semble avoir pris un sens positif à cause de l'association de "là" avec "blanc". Contrairement à cela, "Albinos" est un terme de mépris, d'injure, qui s'adresse au Blanc. "Fatigué", par glissement de sens, est un adjectif qualificatif ironique désignant quelqu'un qui a abusé de consommation d'alcool.
De même, les répliques peuvent traduire soit de bons, soit de mauvais rapports avec une personne. Comme signe de protestation, on dit : "C'est comment ?", "C'est quoi ?". Ces locutions n'ont pas de véritable signification. Elles ont surtout une valeur émotive. Ce sont des questions rhétoriques qu'on pose volontiers pour assommer l'interlocuteur, dont on n'attend pas de réponse. Pour témoigner son mépris à quelqu'un, on dit : "Tu es qui ?" ou "Tu es quoi ?", et on le chosifie. "Ah ! vraiment !" traduit une sorte d'exaspération. "Reste tranquille !" est une menace. "Ah ! ça !" signifie qu'on ne veut pas continuer à parler. "Quoi c'est ?" se dit quand on n'a pas bien compris quelque chose.

4) Les salutations

Par ailleurs, si on se rencontre dans la rue, on se salue en disant "ça va ?". Cette formule est généralisée parmi les Africains de toutes nationalités. Il s'agit là d'une traduction littérale de certaines langues vernaculaires, comme du kirundi du Burundi. Ce ne peut, cependant, pas être une traduction de la formule courante "mbôlô(h)" (fang), utilisée également dans les ethnies autres que fang, comme chez les Bapounous. Cette formule de salutation correspondait à l'origine, en galwa, à un vœu de longévité. Elle n'a pas perdu, comme en France, où elle n'exige plus guère de réponse sincère en retour, son sens plein, malgré son usage fréquent. Elle est censée introduire une longue litanie de salutations amenant l'interlocuteur à raconter la tranche de sa vie qui s'est écoulée depuis la dernière entrevue et à partager ses joies et ses peines. On entend souvent répondre "ça va un peu". Cette réponse-là est également connue de Birago Diop du Sénégal (Contes d'Amadou Koumba). Quand on se quitte, on se dit au Gabon : "à plus". Le Gabonais, dans la situation de rencontre, nie le départ. On se quitte pour se revoir. Puis on ajoute : "On fait comme ça." Cela signifie qu'on s'est bien entretenus et qu'on se quitte en de bons termes. L'expression courante "pas de problème" qu'on entend souvent dans la bouche de celui à qui on a demandé des services, montre une constante disponibilité pour autrui. On a là une traduction de l'anglais d'Amérique "no problem". L'influence des Américains au Gabon date de la venue des missionnaires protestants américains qui ont fondé la première mission évangélique dans le quartier Baraka à Libreville. Il se peut également que les Fang l'aient amené du Cameroun. Par sa formule "Il faut comprendre les problèmes des autres" on prend la défense des autres. "Toi-si" pour "toi aussi", par apocope, est une expression affective, par laquelle on fait un clin d'œil à l'interlocuteur. On termine un récit en ces termes : "C'est comme ça."
Si un Gabonais ou un autre Africain n'emploie jamais "mère" ni "père" à la place de "maman" ou "papa", c'est qu'il est très attaché à ses parents. Il a beau être adulte ou âgé, il dira toujours "mon papa" ou "ma maman". Cette affection qu'il éprouve pour ses parents naturels est transférée sur les personnes qui sont en âge d'être parents.

5) La femme

La femme, par contre, trouve sa valeur érotique dans la forme de ses fesses, qui sont certainement aussi le symbole de la fécondité, puisque l'acte sexuel est essentiellement accompli en Afrique dans le but de la procréation. Encore plus que dans d'autres pays d'Afrique, les enfants constituent, au Gabon, la richesse de la famille. Plus une femme a de grosses fesses, plus elle est sexuellement attrayante. C'est ainsi que le terme de "fesse" revient dans de nombreuses expressions : "s'afesser" (par déformation de "s'affaisser" dont elle est homonymique homophone) et "s'hémisphérer", une métaphore pour "s'asseoir". "Amène tes fesses ici" pour "viens ici". "Tire tes fesses" pour "tire-toi". La Blanche trop maigre, c'est une "sans-fesse". Le physique de la femme est purement utilitaire. Au Zaïre, on ne dit jamais "C'est une belle femme !" mais : "c'est une bonne femme !" pour une femme solide. Plus une femme est forte, plus on est convaincu qu'elle est capable de mettre au monde des enfants en bonne santé. La femme est donc considérée essentiellement sous le rapport de la fécondité. Au Gabon, on dit rarement qu'une femme est enceinte ; on dit plus noblement qu'elle "est en grossesse". Dans cette expression, on lit une sorte de respect pour l'état dans lequel elle se trouve.

6) Autres aspects purement linguistiques
D'autres locutions proviennent des interférences avec les langues vernaculaires, pour lesquelles on dit si élégamment "parler en langue". Il y en a plus de quatre-vingts au Gabon. Dans la vie courante, le Gabonais ne connaît pratiquement pas l'article partitif. Il dit "Tu as le sucre ?" pour "Tu as du sucre ?" Ou encore : "Il n'y a pas le sucre." pour "Il n'y a pas de sucre." Dans sa langue vernaculaire, il semble ignorer également le -e- muet, car à l'écrit il a tendance à mettre des accents aigus sur les -e- muets. Exemples : "ténez !" ou "régardez" ou encore "éffectivement". L'influence des langues maternelles est aussi sensible dans la recherche de rythmes. Les expressions "et tout et tout" et "tout tout tout" sont fortement rythmées : /u/u/u/ pour la première, et /'''/ pour la deuxième. Dans l'expression "C'est comment ?", avec le /k/ au début de "comment", en plus des accents, traduit l'irritation. Là où il peut, le Gabonais ajoute "là" : "tout ça là", "la fille-là", "donne le livre là", "j'étais là-bas là", "ça là", comme s'il avait besoin de mettre des points en parlant, de marquer des arrêts rythmiques. La contradiction sémantique que contient l'expression "ici là", formant un oxymore, montre clairement que "là" n'est guère considéré comme un sème, mais est utilisé uniquement dans sa valeur phonétique.
Dans l'abus de l'utilisation de "là", l'influence du parler parisien, est sensible, importé par les étudiants africains ayant fait un séjour en France. Ce parler permet à l'homme gabonais de s'exprimer aussi vite que dans ses langues maternelles, en avalant des phonèmes : /ga/ pour "gars" ; "ouie-ouie" prononcé rapidement pour un "oui" long, ou "non non non" prononcé rapidement et de façon relâchée. "Dis don" pour "dis donc" est une formule très couramment employée, dans laquelle on avale le /k/. Paris est en effet le pôle d'attraction, le centre du monde pour de nombreux Gabonais, la métropole de référence, la ville qu'il faut avoir vue au moins une fois dans sa vie.

7) La valeur de la monnaie
La conjoncture sociale, le développement historique du pays ont leur part de responsabilité dans la formation des gabonismes. Avec le boum pétrolier, la valeur de l'argent a pris un impact grandissant. Les expressions suivantes en témoignent : "Donne-moi cent francs", "Cent francs" demandent les élèves aux professeurs, "Donne l'argent" dit-on dans les nombreuses boutiques tenues par des Maliens, des Béninois, des Sénégalais, "Donne" est souvent utilisé sans complément d'objet direct, "J'ai l'argent", "Tu as l'argent ?" "Tu aimes trop l'argent" reproche-t-on à celui qui aime trop garder son argent. Le verbe "aimer" a d'ailleurs une connotation péjorative dans de nombreuses locutions. C'est ainsi qu'on dit d'un bagarreur qu' "il aime trop se bagarrer". "Se payer quelque chose", pour : "s'acheter quelque chose" souligne le fait que dans cette transaction on allonge de l'argent. La possession de l'argent rend possibles de nombreuses fêtes : "faire l'ambiance", "suivre l'ambiance" signifient "faire la fête dans les boîtes de nuit ou à des soirées dansantes". La fête est considérée comme un objet qu'on crée ou auquel on se soumet. La valeur de l'argent a également donné naissance à un emploi fréquent du terme de "bandit" : "Oah ! C'est un bandit !". Ce terme a subi un affaiblissement de sens et désigne en quelque sorte un boute-en-train. Dans l'expression "le professeur est cher en notes" ou "j'ai gagné mon bac", les notes et le bac sont comparés à une marchandise qu'on achète.

8) Les déplacements
L'obsession du départ et du déplacement dans l'espace ne peut que dater du temps de la migration des peuples. Le Gabon a été formé par des peuplades qui venaient de pays voisins. Les Bakotas et les Bapounous sont venus de l'actuel Congo, chassant les peuples déjà installés dans le nord riche en terres fertiles. Chassés par des peuplades voisines, par les maladies, par la traite des Noirs, les peuples se sont déplacés à l'intérieur même du pays. "Partir" est ainsi employé à toute occasion à la place d'autres synonymes. Il en est de même du verbe "quitter" qui se retrouve sans complément d'objet direct : "Je quitte" "Je sors de la maison" ; "Quitte là" pour : "tire-toi de là". Par le syntagme "viens d'abord" on cherche à entrer en contact avec une personne. "Marcher avec quelqu'un" pour "fréquenter quelqu'un", est une traduction littérale de certaines langues africaines, comme du lingala. "Il a voyagé" est employé pour "il a fait un voyage", et "je vais sortir une fille" pour "je sors une fille". De ces migrations datent également les termes de "Makaya" et de "Matiti". Ce sont là des termes congolais-zaïrois. "Makaya", qui désigne le Gabonais moyen, signifie étymologiquement, en lingala, au pluriel, le tabac, et, par métonymie, les feuilles sèches. On y voit l'influence de la culture du tabac dans ces pays. Matiti, comme on appelle les bas-quartiers improvisés, dépourvus de toute planification et peu salubres, désigne à l'origine les hautes herbes qui poussent dans ces quartiers. Ces termes ont subi un glissement métonymique de sens.

9) L'alphabétisation
Dans d'autres expressions, l'école coloniale laisse ses traces. La première langue qui y était enseignée, c'est évidemment le français. La tournure "savoir parler" nous révèle l'importance qu'a encore aujourd'hui la langue française. Elle est demeurée la clef d'accès aux postes élevés. Alors seul sait parler celui qui parle français. Le souci typiquement africain du bien-parler (il est bien connu chez les Fang), combiné au français littéraire qu'on apprend à l'école et à une absence de contact avec le français argotique de France a fait survivre dans le langage courant des expressions souvent archaïques telles que : "j'ai eu à faire" pour : " je devais faire" ; "et j'en passe" ; "donc" utilisé en-dehors de toute relation logique ; "sinon" qui a perdu son plein sens et qui est utilisé seulement pour faire bonne impression ; "à cet effet" ; "de petits problèmes qui nous gênent". "Mal poli" pour : "impoli" peut être une malformation par contamination avec des adjectifs comme "malpropre", "maladroit", soit une formation archaïque de la négation de l'adjectif. Ainsi on rencontre encore dans la fable Le coq et le renard de La Fontaine, dans le français du dix-septième siècle, l'adjectif "mal content" pour "mécontent". L'influence du surdéveloppement de l'administration est sensible dans les locutions très fréquentes "au niveau de" et "être en mission". "Aviation" prétend être une formation savante désignant l'aéroport. Ce terme est également utilisé avec le même sens au Sénégal.

10) Méconnaissance de la langue française
D'un autre côté, certaines expressions viennent tout simplement d'une méconnaissance de la langue française qui doit révolter les linguistes normatifs. Une bonne part de la population (les villageois, les marchands africains venant d'autres pays) a appris le français en la pratiquant dans la rue. Ce sont en quelque sorte les produits d'un certain taux d'analphabétisme, assez réduit dans sa forme absolue, il est vrai, au Gabon, et contre lequel la lutte acharnée a été menée depuis les indépendances de 1961. Les femmes étaient restées, au début, un peu à la traîne. Des parents, les habitudes langagières ont été transmises aux enfants. La protection contre la contamination linguistique est extrêmement difficile, si on ne dispose pas d'instruments qui pourraient servir à la correction, comme les mass media. Or, la pénétration de la télévision dans les foyers modestes est faible. Sont ainsi véhiculés à l'intérieur du pays des termes tels que "chercher" pour "chahuter". Par ellipse, on a laissé tomber l'objet "comment troubler le cours". Dans la langue parlée on simplifie beaucoup. Ces simplifications témoignent en même temps d'un sens développé du concret et de l'espace. "Le haut" désigne le vêtement qu'on porte en haut, que ce soit un pull, une veste, un T-shirt, ou autre chose. De même, "le bas" désigne le vêtement qu'on met en bas, que ce soit un pantalon ou une jupe. Ces termes sont d'ailleurs également utilisés en France, mais ont une plus grande occurrence sur le sol gabonais. "Je vais là-bas" pour "je vais à telle ou telle destination". "Il est là-bas" pour "il est à tel ou tel endroit". "Je fais ça" dit le chauffeur de taxi en faisant comprendre d'un geste qu'il ne passe pas par là. On dit "faire l'école" pour "aller à l'école" ; et "apprendre" pour "faire des études" ; "fréquenter au lycée" pour "fréquenter le lycée". "Connaître" est souvent employé à la place de "savoir", "connaître faire" pour "savoir faire". "Attentionner" pour "faire attention" a été formé par verbalisation du substantif, dérivation inhabituelle. On dit "c'est sonné" pour "on a sonné" et "rendre les feuilles (de devoir)" pour "rendre les copies". Certaines constructions, qui sont fausses par rapport au français orthodoxe, on les utilise pour plus d'expressivité. On note souvent un cumul antonymique d'adverbes : "un peu beaucoup", "tellement beaucoup", "trop beaucoup". Une même accumulation se rencontre dans le syntagme "voyez voir", par déformation de "venez voir". Dans l'interrogation indirecte, on emploie "qu'est-ce que" de l'interrogation directe à la place de "ce que". Exemple : "Je vois qu'est-ce que tu fais" au lieu de "Je vois ce que tu fais", erreur syntaxique d'ailleurs aussi commise sur le sol français. Les pronoms interrogatifs sont placés à la fin des phrases. Exemples : "Tu veux quoi ?" pour "Qu'est-ce que tu veux ?" ou "Tu cherches qui ?" pour "Qui est-ce que tu cherches ?" Le tutoiement des personnes, même de celles qu'on ne connaît pas personnellement, s'explique sans aucun doute par la méconnaissance du vouvoiement dans les langues africaines.

De cette étude il ressort que le langage populaire est un langage elliptique, qui procède par simplifications, imaginatif, qui procède par comparaisons, fautif par rapport à la grammaire normative, qui procède par glissements de sens, par dérivation erronée et par contamination langagière. Ce langage est greffé sur une réalité socio-économique et touche à des faits réels auxquels la population a continuellement affaire dans la vie quotidienne. Ces gabonismes, qui ne découlent pas ici d'une étude étendue sur les occurrences, mais d'observations de fréquence faites sur le terrain entre 1984 et 1986, s'insèrent dans le cadre d'une déformation générale du français propre à l'Afrique noire qui commence à élaborer ses règles. Ils accusent une interférence avec ce qu'on a appelé de manière plus générale les africanismes. Le mélange des peuples a fait en sorte que des africanismes ont été importés sur la terre gabonaise et que les expatriés occidentaux en ont emportés vers leur métropole, mais les enrichissements se font à double sens.

Nelly Lecomte
Libreville, 1984-1986

Signature :
Cette étude est le fruit de phénomènes linguistiques relevés sur le terrain gabonais entre 1984 et 1986. Nelly Lecomte

De cette étude il ressort que le langage populaire est un langage elliptique, qui procède par comparaisons, fautif par rapport à la grammaire normative, qui procède par glissements de sens, par dérivation erronée et par contamination langagière. Ce langage est greffé sur une réalité socio-économique et touche à des faits réels auxquels la population a continuellement affaire dans la vie quotidienne. Ces gabonismes, qui ne découlent pas ici d'une étude étendue sur les occurrences, mais d'observations de fréquence faites sur le terrain entre 1984 et 1986, s'insèrent dans le cadre d'une déformation générale du français propre à l'Afrique noire qui commence à élaborer ses règles. Ils accusent une interférence avec ce qu'on a appelé de manière plus générale les africanismes. Le mélange des peuples a fait en sorte que des africanismes ont été importés sur la terre gabonaise et que les expatriés occidentaux en ont emportés vers leur métropole, mais les enrichissements se font à double sens.

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Collaboration à titre bénévole avec le CNRS : le français en Afrique Noire

Dépouillement du quotidien gabonais L'Union, en vue de l'élaboration du "Lexique français du Gabon: Entre tradition et modernité", 415 pages, par Suzanne Lafage et Karine Boucher, in: Le français en Afrique: Revue du Réseau des Observatoires du français contemporain en Afrique, n° 14, 2000.
Institut de linguistique française - CNRS
UMR 6039 - Nice
ISBN 2-910897-99-0