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Nikos Kalampalikis

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Nikos Kalampalikis

Descriptif auteur

Mes travaux s'inscrivent dans le champ de la pensée et des représentations sociales, des méthodologies qualitatives et de l'histoire de la psychologie sociale.
Nikos Kalampalikis, docteur en psychologie sociale de l'Ecole des hautes études en sciences sociales, est Professeur de psychologie sociale à l'Université Lumière Lyon 2 (UR GRePS).

Structure professionnelle : Univ. Lyon 2 - Institut de Psychologie - UR GRePS
5 avenue P. Mendès-France
69676 Bron cedex
France

Titre(s), Diplôme(s) : Doctorat en psychologie sociale (Ehess), HDR (Aix-Université)

Fonction(s) actuelle(s) : Professeur de Psychologie sociale

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AUTRES PARUTIONS

Autres ouvrages :

- Kalampalikis, N., Jodelet, D., Wieviorka, M., Moscovici, D., & Moscovici, P. (Eds.) (2019). Serge Moscovici : un regard sur les mondes communs. Paris, Éditions de la MSH.

- Kalampalikis, N. (Ed.)(2019). Serge Moscovici : Psychologie des représentations sociales (Textes rares et inédits). Paris, Editions des Archives Contemporaines.

- Jodelet, D. (2017). Representações sociais e mundos de vida (Edição de N. Kalampalikis). Curitiba, Ed. PUCPRess.

- Jodelet, D. (2015). Représentations sociales et mondes de vie (Textes édités par N. Kalampalikis). Paris, Éditions des Archives contemporaines.

- Moscovici, S. (2013). Le scandale de la pensée sociale (Textes inédits sur les représentations sociales réunis et préfacés par N. Kalampalikis). Paris, Editions de l’Ehess.

- Moscovici, S. (2012). Raison et cultures (Édition établie et présentée par N. Kalampalikis). Paris, Éditions de l’Ehess.

- Buschini F. & Kalampalikis N. (Eds) (2001). Penser la vie, le social, la nature. Mélanges en l'honneur de Serge Moscovici. Paris, Editions de la MSH.


LES CONTRIBUTIONS DE L’AUTEUR

Émission Radio

Alexandre le Grand

Articles de presse

Un travail exemplaire de psychologie sociale

Articles de presse

Un passo dal Kosovo

Articles de presse

Un apport précieux à l'étude des phénomènes nationalistes

LES ARTICLES DE L'AUTEUR

Compte-rendu par M.-L. Rouquette

Nikos KALAMPALIKIS : Les Grecs et le mythe d'Alexandre. Etude psychosociale d'un conflit symbolique à propos de la Macédoine. Paris: L'Harmattan, 2007.


L'enjeu scientifique de ce travail est parfaitement caractérisé par son auteur à la fin de l'ouvrage : essayer de saisir "le plus fidèlement possible, le reflet d'une histoire en train de se faire dans la conscience de ceux qui la vivent dans le présent" (p. 248, souligné par l'A.). On le conçoit, une telle ambition ne peut trouver de sens que si on l'applique à un cas particulier, étudié dans un cadre théorique et méthodologique strict. A l'opposé de la curiosité anecdotique et de la description instantanée, il s'agit de mettre au jour l'universel dans le particulier et, ce faisant, montrer comment ce particulier n'acquiert de consistance propre qu' à partir de son inscription dans un réseau de concepts et de règles.
En l'occurrence, le cas retenu par N. Kalampalikis est celui de l'affaire macédonienne. Après la dislocation de la fédération yougoslave, la "République de Macédoine" accède à l'indépendance sous ce nom en 1991, avec pour capitale Skopje. Immédiatement la Grèce réagit en considérant que cette appellation constitue une usurpation d'une part essentielle de son identité. De nombreuses manifestations sont organisées, ayant comme slogan principal : Il n'y a qu'une Macédoine et elle est grecque. La presse joue évidemment son rôle dans la partition. Une suite diplomatique complexe, et parfois confuse, aboutit en 1995 à la signature d'un accord intérimaire. Durant toute la période d'agitation, la figure d'Alexandre le Grand prend une saillance particulière.
Il se trouve que l'un des précurseurs de la psychologie sociale, Alfred Fouillée, a précisément consacré un article à la question identitaire grecque : "Le peuple grec. Esquisse psychologique" (Revue des Deux Mondes, tome 147, 1898, p. 46-76). On y trouve une étonnante préscience de nos conceptions actuelles en matière de groupes nationaux, de politique et de représentations. Par exemple : "un peuple est avant tout un ensemble d'hommes qui se regardent comme un peuple ; "œuvre spirituelle de ceux qui la créent incessamment", son essence est dans sa conscience et dans son vouloir-vivre" (p. 76). Soulignons : cette essence n'est pas ailleurs, dans les gènes, dans la distribution des terres, la simple communauté d'intérêts, les textes constitutionnels ou même dans l'emphase lyrique des campagnes électorales. Fouillée notait encore, plus généralement : "Dans l'histoire des peuples, une fois qu'on a fait la part des races, des milieux, des individualités, tout s'explique par des lois de psychologie et de sociologie qui sont toujours en action" (p. 46). Nous voici donc à pied d'œuvre : l'articulation des dites "lois de psychologie et de sociologie", l'interprétation éventuelle des unes comme étant les transformées des autres, constitue ce que nous appelons la psychologie sociale. A cet égard, le livre de N. Kalampalikis est un travail exemplaire de psychologie sociale.



LA DENOMINATION

Commençons par une ligne directrice majeure : "L'affaire macédonienne est, entre autres, l'aventure d'un nom qui, doté de significations identitaires capitales dans la mémoire et l'histoire de deux peuples, devient objet de désir, de disputes et de revendications" (p. 124).
Il ne saurait être question de revenir longuement ici sur la question de la dénomination, qui a donné lieu à d'innombrables publications depuis l'Antiquité. Tout au plus peut-on se risquer à quelques remarques suggérées par le livre de Kalampalikis.
Et tout d'abord celle-ci, qui peut sembler la plus fondamentale. On s'est beaucoup préoccupé dans diverses disciplines de savoir à quoi sert le nom, quel est pour ainsi dire son régime cognitif et quels sont ses effets. Mais il est sans doute plus intéressant et plus concret de se demander comment sont réglés les usages du nom à propos d'un objet particulier, dans une société et à un moment donnés. C'est là un observatoire privilégié pour saisir comment se manifestent, se renforcent et occasionnellement se transforment les croyances, les valeurs et les rapports de pouvoir. Or ce que met particulièrement bien en évidence l'affaire macédonienne, c'est l'introduction du droit, à tout le moins de la référence juridique, dans la définition des usages du nom : "Je ne vous reconnais pas le droit d'utiliser ce terme pour désigner ceci." Ou encore : "J'ai sur vous un droit d'antériorité dans l'emploi de ce terme". Les prohibitions imposées aujourd'hui par la political correctness, et la véritable "police du nom" qui en découle, nous ont habitués à pareille éthique procédurière. Toutefois, cette rencontre de la dénomination et du droit, cette assimilation du vouloir-dire au pouvoir-faire (et naturellement, à terme, du pouvoir-dire au vouloir-faire) est une conjoncture récente. Son périmètre se trouve à la la fois daté et défini par les conditions mêmes de l'existence de masse. On ne conçoit pas de telles revendications, avec une telle intensité, aux 17e et 18e siècles européens par exemple. C'est précisément ce qui en fait tout l'intérêt anthropologique, lequel ne se réduit évidemment pas à une simple question de controverse sémantique passagère ou de fantaisie politique. Le changement des règles appartient à l'histoire sociale, il en procède et il l'engage. Ainsi les usages publics et licites du nom posent-ils des problèmes de frontières et de droit des frontières. A cet égard, le plus fascinant dans l'affaire macédonienne est qu'on y voit clairement s'opèrer, chez nombre de Grecs interrogés et dans leurs médias nationaux, une superposition des territoires physiques, des territoires sociaux et des territoires mentaux.
Un autre point touchant à la dénomination peut appeler quelques commentaires généraux. "Macédoine" : voici un terme qui ne signifie à peu près rien à force de vouloir signifier trop (il y a saturation de sa valence, comme nous dirions dans le jargon du modèle SCB) ; voici un terme aussi qui ne saurait avoir d'équivalent admissible, qui suscite une émotion sacrée et qui mobilise les foules. On a affaire à un typique effet de nexus, comme celui qui a pu être attaché à "Patrie" ou à "Révolution" par exemple, en d'autres lieux et d'autres contextes : termes noués sur leur propre tautologie ("La Macédoine, c'est la Macédoine"), dont la seule évocation a valeur d'argument et qui suffisent à fournir par eux-mêmes la signature d'une connivence. Il s'agit là de représentations sociales très particulières, à tout le moins d'états très particuliers d'une représentation, anté-dialectiques si l'on peut dire (alors que la plupart du temps, les représentations fournissent des "théories naïves" plutôt généreuses en ressources dialogiques). Ainsi la dénomination renvoie-t-elle selon les cas à des modes d'intellection et de réquisition des groupes très différents. Il est difficile dans ces conditions d'en faire une théorie générale et la psychologie sociale a de ce point de vue beaucoup de champ encore devant elle.


MYTHOLOGIE POLITIQUE

Au fil d'une vaste entreprise biographique, Benoist-Méchin plaçait naguère dans la même série Alexandre, Julien l'Apostat, Frédéric de Hohenstaufen, Lyautey et Lawrence d'Arabie. Il y ajoutait même, il me semble, Bonaparte d'Egypte. On a envie de chercher l'intrus et on le trouve tout de suite pourvu qu'on se sente un peu Grec. C'est Alexandre, bien sûr. Comment peut-on "sérialiser" le héros avec un empereur finalement sans gloire, un prince féodal un peu fou et quelques militaires ? Ce que Benoist-Méchin prenait pour critère (le fait d'avoir œuvré et rêvé à l'union de l'Orient et de l'Occident) n'a que peu de pertinence dans l'affaire macédonienne. Un tel critère se situe même à l'exact opposé des arguments nourrissant cette affaire, tout comme l'ouverture au grand large des continents et des cultures s'oppose à l'enfermement le plus conservateur et le plus chauvin.
Que le même personnage historique puisse servir à l'illustration de pôles thématiques opposés ne montre pas simplement l'emprise des représentations, ce qui serait après tout assez trivial. Qui oserait soutenir aujourd'hui que les objets sociaux (Alexandre et la Macédoine sont des objets parmi d'autres) s'imposent indépendamment de l'idée que les gens s'en font ? La question est donc plutôt de de savoir comment cette idée se forme : par quelles ressources de bricolage cognitif, selon quels apports hérités, moyennant quels réseaux de transmission. On se retrouve à nouveau ici à la jonction de l'universel et du particulier, de la contingence et de la nécessité. Le cas grec sur lequel s'est penché Nikos Kalampalikis est à n'en pas douter un bon choix tactique de ce point de vue. Et c'est très légitimement que l'auteur se situe au niveau du concept même : "Nous considérons le mythe comme une production mentale sociale qui a son historicité, sa fonctionnalité et son symbolisme. (…) Le mythe nous intéresse du point de vue de la psychologie sociale comme forme symbolique du savoir culturel faisant partie de nos représentations et soutenant des pratiques communes" (p. 147).
Sans doute aurait-on pu souhaiter une attention plus grande portée au processus de production qu'au produit lui-même : une fois décrit et analysé, celui-ci laisse une impression de déjà-là, de "ready made", de "donné" qui s'accorde assez mal avec la perspective de l'historicité. On aimerait mieux savoir, au fond, quand, comment et pourquoi un groupe vient à avoir besoin d'un mythe politique personnel. Corrélativement (car cela aussi peut être éclairant sur la production des contenus de la pensée sociale), l'esquisse d'une typologie de ces mythes ne serait pas inutile : quelles peuvent être les raisons de mettre ou de ne pas mettre ensemble, en synchronie ou en diachronie, Jeanne d'Arc, Saladin, Arminius, Alexandre ? Encore un chantier d'avenir.


COMMENT PEUT-ON ETRE GREC ?

La question nous saisit chaque fois que nous faisons l'expérience, non de l'altérité pure (après tout, peu de choses nous étonneraient de la part d'un extra-terrestre puisque l'étrangeté lui serait en quelque sorte immanente), mais de cette combinaison de similitude et d'altérité qui nous déconcerte comme à plaisir : nous nous retrouvons soudain là où nous croyions devoir nous séparer et nous nous offusquons tout à coup de voir se brouiller des miroirs que nous pensions fidèles. Pourquoi ces foules et cette déraison ? L'extravagance des choix ou l'excès des passions (à nos yeux, bien sûr) nous laissent presque sans voix : "coup de folie", "crise identitaire", "délire", "contagion", "manipulation". Pauvres explications si l'on y réfléchit bien, entre stéréotypes et inanité. Il va de soi que l'auteur ne s'y laisse pas prendre.
Alors, comment rendre compte de cette "fureur macédonienne" ? Pour Kalampalikis, cela tient avant tout aux différences, et donc aux spécificités, de mémoire, qu'il présente étagées en strates : "Tout d'abord, ancrage dans le passé culturellement originel du groupe, l'histoire ancienne et ses récits, Alexandre le Grand en tête (…) Ensuite, ancrage dans la mémoire historique des défaites nationales (…) Puis, ancrage dans son passé récent (…) Enfin, ancrage dans la mémoire générationnelle des jeunes Grecs" (p. 254-255, souligné par l'A.)
L'identité n'est donc pas une espèce d'essence métaphysique de laquelle chaque membre d'une communauté participerait à sa manière ou une sorte d'Idéal du Moi Social auquel chacun aspirerait plus ou moins à se conformer et dont la violation ou la dégradation s'apparenteraient à un crime. Il faut sortir résolument des fictions. Et quoi qu'en pensent les psychologues (telle est du moins mon interprétation), l'identité n'est pas plus une construction individuelle que l'Etat n'est définissable par les motivations de ses représentants ou de ses fonctionnaires. Cela n'empêche pas les processus individuels d'exister éventuellement et de se décliner au fil des situations, en fonction de variables indépendantes manipulées expérimentalement si l'on veut. Mais c'est alors à titre de sous-produits ou d'effets secondaires. En bref, l'articulation des "lois de psychologie et de sociologie" invoquées par Fouillée est orientée. Dans une société ou un groupe donnés, l'identité constitue d'abord un dispositif, au sens récemment précisé par Giorgio Agamben : "J'appelle dispositif tout ce qui a, d'une manière ou d'une autre, la capacité de capturer, d'orienter, de déterminer, d'intercepter, de modeler, de contrôler et d'assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants" (Qu'est-ce qu'un dispositif ? Payot-Rivages, 2007, p. 31). De ce point de vue, la seule description des conduites et des discours, quelle que soit la finesse qu'on y mette, ne suffit pas à rendre raison de ce qu'on enregistre. L'étude des variations situationnelles et de leurs effets immédiats, quel que soit l'appareil statistique qu'on y déploie, ne réussit pas davantage, faute de perspective et d'ampleur, à rendre compte de l'historicité constitutive des rapports humains.

Voici à part entière un ouvrage de sciences sociales. Il parle du monde qui nous est contemporain sans oublier que ce monde est tissé d'histoire, hanté de fidélités obligées et toujours animé de conflits. A l'opposé d'un maniérisme technique assez répandu aujourd'hui en psychologie sociale, cette recherche ne définit pas ses lignes d'investigation en fonction de parti-pris méthodologiques, mais elle sait garder le cap en utilisant à bon escient les moyens du bord. Enfin, les réflexions épistémologiques qu'elle peut susciter vont très au-delà de son objet propre. C'est toujours très bon signe.

Michel-Louis ROUQUETTE
Professeur de Psychologie Sociale
Université Paris V - René Descartes

Notes :
Bulletin de Psychologie, nov. 2007
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