On peut rêver, au beau milieu du sommeil le plus profond, qu’on ne dort pas. C’est même assez fréquent, paraît-il, et le chat de Geluck prétend que ce rêve paradoxal, c’est le cas de le dire, l’a réveillé. Mais qu’est-ce qu’un chat pourrait bien savoir de l’insomnie ? Et n’est-elle pas le lot de la seule condition humaine, pour certains un état enviable d’hyperéveil de la conscience de soi, pour d’autres un troisième œil, voire celui-là même qui, dans le poème de Hugo, regarde Caïn dans la tombe ?
Encore faudrait-il pouvoir s’entendre sur une définition satisfaisante de l’insomnie car on aura sans doute l’impression, à parcourir les textes rassemblés dans cette anthologie chronologique, qu’il en existe presque autant de formes que de sujets insomniaques.
Quant à savoir pourquoi les mots n’ont pas le même sens le jour et la nuit et par quelle aberration de sa vision du monde l’insomniaque, heureux durant le jour, succombe aux idées noires qui peuplent ses nuits blanches, ce n’est pas le moindre des mystères qui entoure encore l’insomnie.
Mais qui a dit qu’un troisième œil est toujours un mauvais œil ?