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L'esclave Furcy, une autre vie, un autre procès

L'histoire de l'esclave Furcy, qui poursuivit en justice son maître durant plus de 20 ans, tant en France qu'à l'Ile Bourbon, s'enrichit désormais de la connaissance de la vie de ce Libre de Couleur à l'Ile Maurice, lui-même propriétaire d'esclaves et qui réussit lors d'un ultime procès à être indemnisé par ses maîtres qui eux gagnèrent cependant symboliquement ce dernier acte judiciaire.

LA SECONDE AFFAIRE FURCY

En décembre 1843, l'esclave Furcy est reconnu être né Libre par la Cour d'Appel de Paris, suite à un épisode judiciaire entamé en 1817 à Bourbon.
Furcy, fils d'une esclave indienne ayant mis le pied sur le sol français, lutta pendant plus de 25 ans contre le système judiciaire colonial français et contre son maître, Joseph Lory, afin de faire reconnaître son statut d'homme libre.
L'histoire de cet esclave et de ses combats judiciaires a donné lieu depuis plusieurs années à des travaux de nature historique ou culturelle.
Les recherches de Mme S. Peabody, historienne américaine, font référence sur ce sujet. Des pièces de théâtre, un roman, bientôt sans doute un film d'animation, de nombreux articles, ont permis de faire connaître au grand public ce combat. L'identification d'un dossier d'archives important sur cette affaire, son dépôt désormais aux Archives de La Réunion, permet en particulier aux historiens d'analyser et d'interpréter le sens de cette longue lutte individuelle.
Les nouvelles données présentées ici ne contredisent nullement les travaux antérieurs mais les complètent. Elles doivent permettre également d'infirmer certaines spéculations comme la dénomination à La Réunion d'un lieu, l'îlet à Furcy, résultant du combat de cet homme. Le prénom Furcy est courant à l'époque de l'esclavage, tant parmi les esclaves que chez les maîtres.


A/ Furcy MADELEINE, un Libre de Couleur mauricien

Notre démarche, au hasard de contacts avec Mme Peabody, a été dans un premier temps d'identifier les alliances et choix matrimoniaux des descendants de Furcy et de sa famille. La problématique qui était alors la nôtre consistait à déceler à travers les pratiques d'unions le positionnement d'une famille de Libres de Couleur, ces esclaves affranchis avant l'émancipation générale de 1848.
Nous avions ainsi constaté que la sœur de Furcy, Constance, affranchie elle-même peu après sa naissance, s'était engagée dans une union avec un autre Libre de Couleur tandis que ses enfants, dans une démarche à notre point de vue de recherche de "blanchiment" s'étaient essentiellement tournés vers des alliances avec le monde des maîtres Blancs ou de leurs descendants.
Constance, arrêtée et interrogée dès 1817 pour son soutien à son frère en "rébellion" par la justice coloniale, aurait, selon l'instruction, tenté de soulever d'autres Libres de Couleur à ce moment-là.
Le combat de Furcy et de sa famille nous apparaissait alors comme celui d'un individu contre un système judiciaire foncièrement dominé par les maîtres et soumis donc à leur influence, et non comme un combat contre l'esclavage.
Les avocats de Furcy, en 1843, pour obtenir gain de cause, plaidèrent non pas contre le système esclavagiste mais contre la non application d'un édit royal ordonnant la liberté pour les esclaves ayant mis le pied sur le sol français, ce qui était le cas de Madeleine, la mère de Furcy. Ces mêmes avocats argumentèrent également sur l'impossibilité légale de tenir en esclavage des Indiens qui n'étaient pas des "nègres". L'esclave de la société coloniale française ne pouvait être qu'Africain.

La découverte en 2015 de nouveaux documents conservés aux Archives de La Réunion, à Maurice ainsi qu'à Aix-en-Provence permet de compléter l'histoire de Furcy. Il s'agit principalement de documents émanant de notaires, tant à La Réunion qu'à l'île Maurice ainsi que des attendus du dernier procès intenté par Furcy en 1844 afin d'obtenir une indemnisation pour ses années d'esclavage.
Ces nouvelles sources confirment d'abord le patronyme adopté par Furcy après son affranchissement par les Anglais. Comme bien d'autres Libres de Couleur, il prend le prénom de sa mère comme nouveau nom.
C'est donc Furcy Madeleine qui va vivre à l'île Maurice où il avait été envoyé par son ancien maître en 1817 et où les Anglais l'avaient affranchi vers 1828 en raison d'un vice de procédure lors de son arrivée. C'est avec ce patronyme de Madeleine qu'il est désigné dans les actes notariés qu'il signe dès 1834. Dans certains documents apparaît la dénomination "Furcy aussi appelé Furcy Madeleine".
C'est sous ce nom qu'il va être connu dans la société mauricienne, c'est sous ce nom, en particulier, qu'il va réaliser plusieurs investissements, c'est sous ce nom qu'il va intenter un nouveau procès à la famille Lory en 1844. C'est sous ce nom, enfin, que sa descendance sera connue.
La vie de Furcy à l'île Maurice va ressembler, sur bien des points, à celle des Libres de Couleur à Bourbon ; l'importance de la famille, la recherche d'une "honorabilité" et d'une reconnaissance de la société des Blancs mais également le choix de posséder de la terre et des esclaves.
A Bourbon, un affranchi d'avant 1848 était systématiquement doté par son ancien maître de moyens afin de ne pas vivre aux dépens de la société ; cela se concrétisait par l'attribution d'un lopin de terre et bien souvent de quelques esclaves.
Pour Furcy, reconnu Libre de droit à Maurice par le pouvoir anglais, cela ne semble pas avoir été le cas. Ce n'est pas Joseph Lory, son ancien maître, toujours opposé à son émancipation, qui allait lui fournir les moyens de vivre. Nous n'avons pas de documents concernant les premières années de la vie de Furcy Madeleine, Libre, à Maurice, entre 1827 et 1832.
Il semble que c'est uniquement par son travail que Furcy a pu vivre et prospérer. Car comme les documents notariés en attestent, son niveau de vie et sa fortune, vont dépasser de très loin ceux habituellement observés chez la plupart des Libres de Couleur.
Le nombre d'esclaves qu'il va posséder, deux, correspond à une moyenne dans ce groupe de personnes.
Le 13 octobre 1832, il achète à Mr Imbert, Victor Théophile, né en 1814 à Maurice ; le 15 septembre 1834, il fait l'acquisition de Chouchou Ladérouille, "créole de maurice" née en 1798, esclave de Charles Millien. Le premier de ces esclaves est défini dans la demande d'indemnisation faite en 1835 comme "inférior tradesman", la seconde comme "Head domestic servant".
Chacun de ces esclaves est estimé à 100 livres sterling par M° Bouic, notaire, qui gère les biens de Furcy pendant son absence. L'indemnisation accordée à Furcy sera globalement de 54 livres sterling qui lui ont été attribuées en 1837.
L'esclavage est aboli à l'île Maurice le 2 février 1835. A cette époque, Furcy était en France pour continuer sa lutte contre le système judiciaire et défendre sa cause par un procès en cassation.
Le premier acte notarié établi par Furcy Madeleine que nous ayons retrouvé est son testament, rédigé le 13 décembre 1834.
Devant quatre témoins dont trois artisans, menuisier, maréchal ferrant et cordonnier, ainsi que devant Mr Salesse, officier de marine marchande, Furcy a dicté :
"Au moment de partir pour France où mon séjour sera indéterminé et dans la crainte d'être surpris par la mort, j'ai voulu laisser aux personnes que j'affectionne la disposition de ma fortune comme il va suivre.
Je donne et lègue à Mademoiselle Zéline La Pombrée ma batterie de cuisine et tous les ustensiles qui composent mon attelier de patisserie. Je lui donne et lègue en outre le nommée Victor Théophile et la nommée chouchou La Derveuille, mes esclaves, tous mes meubles meublants et effets mobiliers étant à mon usage et garnissant ma maison. Enfin un quart de tout ce qui pourra m'appartenir… Quant au surplus de mes biens, je les donne et lègue à ma sœur, Mlle Constance, veuve avec des enfants de Mr Jean Baptiste…"
Ce testament est très important car d'une part, il n'évoque plus ses enfants laissés à Bourbon, comme il le faisait dans un courrier de 1826, et d'autre part, il signale l'existence d'une compagne, "qu'il affectionne" et qui devait partager sa vie et à qui il laisse l'essentiel de ses biens. Quant à sa sœur, elle n'a que l'usufruit des biens restant, la nue propriété allant aux enfants de cette dernière.
Quelques jours après, le 26 décembre 1834 devant M° Déroullède, il signe un second acte notarié par lequel "au moment de faire un voyage en France", sans doute en janvier 1835, il donne procuration à M° Bouic pour gérer et administrer ses biens et vendre à l'encan si nécessaire ses ustensiles de pâtisserie ainsi que ses esclaves.
Les informations du testament sont confirmées car il se dit "pâtissier" et qu'il habite "au coin des rues de l'Eglise et des limites" à Port Louis.
Dans des instructions particulières, il déclare en ce qui concerne son "fonds de patissier et bonbonnier avec deux esclaves … en laisser la jouissance à demoiselle Zéline Lapombrée". Il précise ensuite que si son entreprise venait à péricliter, M° Bouic serait autorisé à vendre les ustensiles de cuisine et les deux esclaves.
Après son retour de France, on ne trouve plus de mention de Zéline La Pombrée. On ne peut préciser la date de ce retour mais le 26 mars 1836, Furcy n'est pas encore revenu de France car M° Bouic, en son nom, signe un prêt de 904 Piastres au Marquis de St Gilles et à Virginie St Gilles Vve Mouilly ; Furcy est dit alors "actuellement absent de la colonie" ; 140 milliers de sucre, de la propriété Le Rocher gérée par Mr Féline sont la garantie de ce prêt.
Le troisième acte établi devant notaire et signé par Furcy, est celui passé devant M° Déroullède, à Port-Louis, le 13 octobre 1836, en présence de Furcy, bonbonnier demeurant toujours à Port-Louis, qui achète à Mr Clément Galdémar, "un terrain emplacement à Port-Louis, situé à l'angle des rues de l'église et des limites … compris dans la présente vente les maisons ou batiments et dépendances ensemble la prise d'eau du canal Bathurst existant … plus toutes les tablettes, comptoirs et autres objets quelconques attachés au batiment."
Ce bâtiment, situé l'arrière de l'ancien théâtre de Port-Louis, datait de 1817, année du grand incendie de la ville. Le prix est fixé à 5500 piastres. Ce lieu correspond à l'adresse que fournit Furcy dans les actes précédents ; il devait donc l'occuper en location ou bail. Le solde de l'achat, 1000 piastres, sera versé par Furcy 27 janvier 1837.
Le 11 avril 1838, Furcy revend cette propriété à Jean Daniel Richard, marchand confiseur. "Les étagères placées dans la boutique ainsi que trois cloisons dont deux au rez-de-chaussée et une à l'étage", sont comprises dans le prix de vente fixé à 7000 piastres. L'acte comprend également la mise à disposition pendant trois mois à Mrs Arlanda et Ferselvon qui louent l'emplacement.
A l'occasion de cette vente, il est précisé que "Mr Furcy déclare n'être et n'avoir jamais été marié ni chargé d'aucune tutelle de mineur."
Nous reviendrons sur ce point lors de l'approche des choix matrimoniaux et de la descendance de Furcy qui se mariera en octobre 1839.
Deux semaines plus tard, le 28 avril 1838, Furcy Madeleine achète à Jeanne Sollied, un terrain de 35 arpents, près de la baie de l'Arsenal, au quartier de Pamplemousses. L'achat comprend celui de "vingt bêtes à cornes", et ce pour un montant de 7000 piastres. Ce terrain sera revendu le 20 février 1841 pour la somme de 8700 piastres. Il faut retenir que cette vente est faite par Dioré et D'Hotman qui avaient reçu procuration le 22 juin 1840 de Furcy. Il est alors indiqué qu'à la date de la vente, Furcy est en France.
Cela constitue une nouvelle procuration établie par Furcy à l'occasion de son second voyage en France.
Les acquisitions vont se poursuivre et le 14 juin 1841, Furcy, propriétaire demeurant à Port-Louis, achète, devant le notaire Yves Isidor Jollivet de Port-Louis, une habitation de "trente neuf à quarante arpents", soit environ 16 hectares. Ce terrain, situé au quartier de Moka au lieu-dit Les Pailles, est
"borné d'un côté par le Grand Chemin de Moka, sur une face de quarante neuf perches, deux pieds, du côté du ……, partie par le les terrains ayant appartenu à Mr Wohrnitz et partie par celui de Mr Estèbe, la …, du troisième côté parles représentants de Mr Malherbe et du quatrième côté par ceux de Mr Sornay. Sont compris dans la présente vente les maisons, bâtiments et dépendances de toute nature construits et élevés sur le dit terrain plus le droit à une prise d'eau du canal de la rivière d'Ory."
La vendeuse est Mlle Marie Barry et le prix de vente est fixé à 6500 piastres payé le jour même.
Cet achat est réalisé conjointement avec son épouse.

Jusqu'à son décès à l'âge de 72 ans environ, le 13 mars 1856 aux Pailles, à Moka, nous ne trouvons plus trace d'achat de terrain par Furcy, seulement une vente de deux arpents au Moka, le 27 juin 1849 à Mr Volpériore, pour 350 piastres.
La même année, le 18 avril, devant Maître Lamusse, il signe avec son épouse une "obligation " à Mlle Chilcéric Maulgué d'un montant de 8000 piastres et à cette occasion, hypothèque sa propriété des Pailles. Si le 30 juin, on relève une mainlevée de cette obligation, c'est-à-dire son versement, curieusement, le 4 avril 1867, on trouve une quittance de 8000 piastres versée à la même personne par la Veuve Furcy Madeleine, qui signe ZulméeMaulgué.

Plusieurs questions demeurent à la lecture de ces documents sur la vie de Furcy, en particulier quelle fut son activité une fois installé à Moka, en 1841, à près de 60 ans. Il semble probable qu'il ait été alors "propriétaire".
Si Furcy est connu essentiellement aujourd'hui pour son long combat contre la justice et Joseph Lory, on peut également penser qu'après son décès, les problèmes persistèrent car la réalisation du partage de ses biens entre sa veuve et ses enfants, semble n'être réglé que près de trente ans plus tard.
Entre 1836 et 1856, Furcy fera appel à de nombreux notaires : Bouic, Déroullède, Jollivet, Giblot, Lamusse, Icéry et Barry mais également Desrieux à Bourbon qui s'occupera de la partie de l'indemnité versée par la famille Lory à Furcy Madeleine, à l'occasion d'un nouveau procès.
Cette diversité des notaires, qui rend difficile la recherche, se poursuivra après son décès à l'occasion des actes impliquant sa famille mauricienne qui vendra, louera ou mettra en bail plusieurs portions du terrain des Pailles

Furcy MADELEINE et sa famille
Peut-être devrions-nous dire "ses familles" puisqu'une de nos hypothèses attribue à Furcy une première famille à Bourbon, une seconde à Maurice.

C'est le 22 novembre 1817 que le conflit entre Furcy et Lory avait éclaté. La requête déposée par Furcy pour obtenir sa liberté fut rejetée par la Cour de Première Instance de Saint-Denis.
S. Peabody envisage que ce soit à l'occasion de l'arrivée de nouveaux magistrats à Bourbon que Furcy ait pu décider de revendiquer sa liberté. Il est possible également qu'un autre élément ait pu déclencher cette révolte mais cela reste à confirmer.
Selon les archives, Furcy fut arrêté comme marron au domicile d'une Libre de Couleur, Célerine chez qui il s'était réfugié.
Nous avons retrouvé une Célerine, créole née vers 1774, ancienne esclave de Desblottières et Rathier, propriétaires originaires également de Pondichéry, comme ceux de Madeleine. Cette Libre de Couleur avait de nombreux enfants. Elle ne semble pas avoir été la concubine de Furcy mais il semble plutôt que l'une de ses filles, Virginie ait pu remplir ce rôle. Cette jeune femme, née vers1797, eût deux enfants ; la première, Marie Anne Nelcine était née le 28 juillet 1815, la seconde, Olympe Joséphine Augustine, naquit le 27 juillet 1817, peu de temps avant la revendication par Furcy de son état de Libre.
Si Célerine, affranchie avec ses nombreux enfants en 1811, par des colons ayant vécu également à Pondichéry, prendra le patronyme de Duverger en 1827, quelques-unes de ses filles et son fils, prendront celui de Béga, dont Célerine se dit affranchie en 1817 alors que l'acte d'affranchissement indique Méder et Duverger.
On note une Virginie Béga qui prend le bateau en 1821 à destination de la France ; en 1827, Célerine, sa mère, la signale comme décédée sur son recensement. La même année, une autre de ses filles, Annecy, prend également le bateau pour la France. Une de nos hypothèses, car les voyages de Libres de Couleur vers la France à cette époque sont très rares est que soit ces jeunes femmes partaient poursuivre le combat de Furcy en France, soit elles profitaient d'un éventuel passage du bateau par Maurice pour y amener les filles de Furcy.
Célerine, la grand-mère, déposa en septembre 1826 une requête pour la régularisation de ces deux enfants nées de Virginie, décédée. Le 7 novembre 1826, cette requête est acceptée et les deux filles de Virginie sont inscrites à l'état civil par leur grand-mère.
Dans sa lettre à Boucher du 3 novembre 1826, expédiée depuis l'Ile Maurice, Furcy écrit :
"Depuis sept ans je suis à Maurice éloigné de mes enfants".
Il ne parle pas de la mère de ces dernières car elle est sans doute décédée, accréditant l'hypothèse de Virginie, concubine de Furcy au moment de son arrestation.
Cette hypothèse de filiation est renforcée par la présence dans la descendance de Furcy à Maurice, du prénom "Anne Marie Nelcie". Je n'ai pas trouvé trace de ces deux filles à Bourbon, en particulier dans les recensements avant 1836 ; Le testament rédigé en 1835 ne mentionne pourtant aucune descendance ni à Maurice ni à Bourbon et une des hypothèses possibles est le décès de ces deux enfants avant 1835.
Si cette hypothèse se vérifiait, cela impliquerait qu'il faudrait envisager l'histoire des femmes dans la vie de Furcy. Leur rôle serait alors déterminant ; depuis Madeleine, la mère, jusqu'à Zulmée la seconde conjointe en passant par Constance, très présente dans le combat de son frère, et par Virginie, voire Annecy ainsi que Zéline La Pombrée. Cela signifierait que durant toutes ses années de lutte contre le système judiciaire colonial, il s'est appuyé sur de nombreuses femmes, elles-mêmes très impliquées.

La vie à Maurice de Furcy va, sur le plan personnel, se caractériser d'abord par une cohabitation fort probable avec Zéline puis par un mariage en 1839 avec Amélie Virginie Maulgué, née vers 1807 et décédée après 1883. Cette femme, avec qui il s'unit, semble être également une descendante de Libres de Couleur. Dans le contrat de mariage, il est indiqué que Furcy réside à Pamplemousse, au lieu-dit l'Arsenal, et son épouse à Port-Louis.
"Les futurs époux déclarent se soumettre au régime de la communauté ainsi qu'il est établi par le code civil des français, en vigueur dans cette colonie."
Seule modification, les dettes au jour du mariage ou pendant, resteront individuelles.
Les biens du futur époux consistent dans le terrain de 35 arpents de Pamplemousses et dans une créance de 4000 piastres, solde dû par Richard pour l'achat de l'emplacement de Port-Louis ainsi qu'une somme de 1000 piastres "en biens de commerce."
Comme dans de nombreux contrats de mariage, il déclare, sans les estimer, "les linges, hardes et bijoux à son usage personnel." Cela correspond également aux seuls biens que déclare la future épouse.
Dans ce contrat, rien n'indique l'existence ou non d'enfants propres à Furcy.
Des documents de 1878 et 1883, plus de vingt ans le décès de Furcy, permettent d'appréhender sa nombreuse descendance sur le sol mauricien et ailleurs.
Le premier fils, Jean Furcy, naît en 1840 à Moka. Il se marie en 1864 avec Eline Janvier, sans doute une Libre de couleur également La profession de Jean est indiquée parfois comme charron mais également, à son décès en 1898, comme ingénieur. Ils auront au moins une fille, Anne Marie Nelcy (même prénom que la fille de Virginie). Celle-ci, née vers 1883, décèdera en 1913 ainsi que son premier fils issu de son mariage avec un Mr Delard, lors de l'épidémie de grippe espagnole qui touchera l'île.
Elle aura une fille, née en 1812, peu avant son décès, et qui, grâce à une union avec une personne du groupe des mauriciens musulmans, aura une descendance très nombreuse, 11 enfants. Ceux-ci, et leurs enfants et petits-enfants, sont toujours présents à l'île Maurice. Après le décès d'Eline janvier en 1893, Jean Furcy Madeleine, se remariera avec Françoise Thomas ; nous ignorons tout d'une éventuelle descendance.
Le deuxième enfant de Furcy est une fille, Euridice, née vers 1841 et décédée vers 1878. Elle se mariera en 1863 à un nommé Pierre Polynice Félix, commerçant. Le contrat de mariage signé à cette époque, indique qu'Euridice conservera comme bien propres "le linge à la marque de la future épouse, l'argenterie portant son chiffre ou celui de sa famille et les effets, bijoux… tous les biens non liquidés dans la succession de son père."
Ces notes, issues de la terminologie notariale, donnent un aperçu de l'importance des biens de Furcy car elles ne figurent pas dans la plupart des contrats de mariage. Elles confirment également que sept ans après sa mort, la succession n'a pu encore être établi.
Il convient de noter que l'ancêtre des Félix, un indien, venait également de Pondichéry. Il s'agit là, de manière symbolique, d'un retour des descendants de Furcy vers l'Inde de Madeleine.
Euridice aura cinq enfants avant son décès. Leurs descendants actuels se retrouvent à Maurice, en Angleterre et en France
Le troisième enfant, Louise, épousera Télescourt Félix, frère de Pierre Polynice et divorcé de Telcide Maulgué, pour laquelle nous n'avons pu établir de lien direct avec la femme de Furcy. Elle aura également une descendance dont certains membres sont installés aujourd'hui à Maurice et en France
Pour trois autres enfants de Furcy et Zulmée Maulgué, Joseph, Nelci et Juliana, nous ne disposons d'aucune information si ce n'est qu'ils sont majeurs en 1878, que le garçon est charron et les filles propriétaires.
Il ressort de l'étude de la famille de Furcy qu'en aucun cas un retour définitif vers Bourbon, La Réunion, ne semble avoir eu lieu. Furcy Madeleine et ses enfants sont des Mauriciens.
Cela n'exclut cependant en aucune manière que Furcy n'ait, à un moment donné, soit après sa victoire en justice en 1843, soit après l'abolition de l'esclavage à Bourbon en 1848, effectué un séjour à La Réunion.
Furcy avait une sœur, Constance, qui l'a vivement défendu dès 1817, étant même inquiétée pour cela par la justice. Constance, de son côté, va également adopter les comportements habituels des Libres de Couleur à Bourbon. Elle possédera des terres, des esclaves, et ses enfants ou petits-enfants s'engageront dans des unions matrimoniales caractéristiques des descendants de Libre de Couleur, c'est-à-dire avec une propension très nette à rechercher le "blanchiment" et à s'unir soit à d'autres Libres de Couleur soit à des descendants de propriétaires "blancs".
Constance vivra à Champ Borne à Saint André, ses nombreux descendants y sont pour la plupart encore aujourd'hui.
Enfin, on peut également noter que le fils de Célerine s'installera également en ce quartier de Saint-André, signifiant sans doute les liens entre les deux.


Furcy, l'autre procès

Après son achat de terrain en juin 1841, Furcy retourne devant le même notaire, le 24 juillet de la même année,
"Furcy Madeleine, commerçant, demeurant au Port-Louis… a fait et constitué pour son mandataire général et spécial Mr Pierre Labeuil Toussaint de Quièvrecourt, avocat demeurant à St Denis auquel il donne pouvoir de pour lui et en son nom, suivre le recouvrement, par tous les moyens et voies de droit, d'une créance ou indemnité à lui due par la famille Lory de Bourbon."
Ce pouvoir est donné à l'avocat afin qu'il poursuive sans relâche la famille Lory afin de faire reconnaitre son droit à indemnité. Il précise :
"En tout état de cause, traiter, composer, transiger, sur tous points, mais toujours de manière à ce que la créance du constituant lui produise au moins dix mille piastres, franche et libre de tous frais de procédure et autres."
L'authenticité de ce document est certifiée par Eugène d'Arvois, consul de France à Port-Louis, le 26 juillet 1841. Il sera enregistré à Saint-Denis, le 1er décembre 1845.
L'avocat désigné par Furcy ne sera pas celui qui le défendra à Paris. Cela signifie qu'ayant eu connaissance de la décision judiciaire de la cour de Cassation du 6 mai 1840 annulant l'arrêt de la Cour de Bourbon du 12 février 1818, Furcy entama les démarches pour une plainte à la Chambre Civile de la Cour Royale de Saint-Denis, sans doute vers novembre 1844, alors que le procès en appel à Paris était terminé depuis décembre 1843 et avait aboutit à la reconnaissance de son statut de Libre. Son avocat était alors Me Thureau. L'arrêt de la Cour royale de Saint-Denis, en sa chambre civile, est daté du 30 août 1845.
Furcy avait donc gagné ses deux derniers procès et bénéficia d'une réparation financière pour ses années d'esclavage.

La décision de la Cour de Saint-Denis de 1818 avait été attaquée en 1835 par Furcy devant la Cour de Cassation de Paris qui le 6 mai 1840 l'invalida. Le nouveau procès se tint alors en décembre 1843 devant la Cour royale.
A cette occasion il est important de noter que l'avocat de Furcy est bien Edouard Thureau, que celui des Lory est Alphonse Paillet. La décision de la Cour, selon S. Peabody,
" était une victoire mais non un triomphe sans mélange. Si la cour condamnait les héritiers de Lory à payer les frais du procès et rejetait leur demande de dommages et intérêts, rien n'indique que Furcy ait reçu la moindre compensation pour les quarante et une années de sa vie qu'il avait vécues en esclavage. Il n'y avait pas réparation."
De nouvelles découvertes de documents permettent d'affirmer qu'il y a bien eu réparation mais cela s'est joué à l'occasion d'un second procès, à Bourbon.

C'est à l'occasion de la succession de Joseph Lory, décédé en 1839, que sa femme et ses enfants détaillent le 21 février 1848 les frais de "l'affaire Furcy Madeleine".
"Montant des condamnations, frais et honoraires payés comme suit :
1er 15 0000 francs pour la condamnation cas principal, au profit de Furcy payés selon acte contenant quittance, rapporté par Me Desrieux, l'un des notaires soussignés et son collègue le 29 décembre 1845….
2ème 1076 francs 25 centimes intérêts de la somme ci-dessus quittancés par le même.
3ème 596 francs 50 centimes payés à Julienne avoué suivant état de frais…
4ème 3590 francs 40 centimes payés à Dutrevous, avoué, suivant état de frais…
5ème 1398 francs 60 centimes payés à Lanoy, avoué, suivant état de frais…
6ème 1447 francs 35 centimes à Graulu, avoué, suivant état de frais …
7ème 2500 francs payés à Mr de Saint-Georges, avocat, pour honoraires
8ème 2500 francs payés Mr Delabarre de Nanteuil, avocat pour honoraires
9ème 50 francs 50 centimes remboursés à Monsieur Gachet et compagnie, négociant à Maurice, pour autant payé au consul français concernant Furcy.
10ème 125 francs pour une expédition de l'arrêt de la Cour royale du trente avril 1845 et autres pièces envoyées en France pour le pourvoi en cassation
11ème 110 francs 45 centimes payés à Mr Desrieux, pour déboursés en honoraires de la quittance Furcy Madeleine
12ème 33 francs 25 centimes payés à Mr Desrieux pour déboursés et honoraires d'une procuration envoyée à Mr Tureau, avocat, pour suivre l'affaire Furcy Madeleine
13ème 1000 francs payés à Mr Caillé, avocat, pour honoraires
Total 28 944 francs 35 centimes"

Il ressort de ce document que Furcy a donc poursuivi la famille Lory pour obtenir des indemnités, que celles-ci, intérêts inclus, sont de 16 076 francs et vingt cinq centimes.
Il apparaît que lors de ce second procès, la famille Lory fut à nouveau condamnée à payer les frais de procès et qu'elle fit appel à des avocats locaux, en particulier le célèbre Delabarre de Nanteuil mais également Mr de Saint-Georges.
L'étude des archives du notaire Desrieux permet de préciser les informations sur ce second procès.
En effet, la quittance de ce dernier, citée plus haut, date du 29 décembre 1845. Elle est signée par un des neveux de la veuve Lory et par l'avocat Quiévrecourt que Furcy avait mandaté pour agir en son nom à Bourbon. C'est donc ce dernier qui défendit devant la Cour Royale de Bourbon les intérêts de Furcy.
La somme obtenue par Furcy dépasse nettement celle qu'il envisageait en 1841, 10000 piastres, quand il avait donné procuration.
Le principal procès se termine en décembre 1843 à Paris. La nouvelle une fois arrivée à Maurice et à Bourbon, une plainte fut déposée et la demande d'indemnité est datée du 27 novembre 1844, date à laquelle ont commencé à courir les intérêts de la condamnation.
L'arrêt de la Cour Royale de Bourbon est rendu du 30 août 1845. Il n'y aura pas d'appel et la famille Lory paiera sa dette très rapidement.
Il est précisé dans la quittance que cette indemnité correspond à:
"la somme montant des condamnations prononcés au profit de Mr Furcy Madeleine contre Mme Veuve Lory et la succession de feu Mr Lory son mari."
L'avocat Quièvrecourt ne consentira
"la présente quittance que sous la réserve de tous les droits de Mr Furcy et notamment d'un pourvoi en cassation (s'il le juge convenable) contre le dit arrêté."
Il recevra l'indemnité ce jour là, en l'étude du notaire :
"en espèces métalliques ayant cours de monnaie comptées et délivrées sous la vue des notaires."

L'arrêt, rendu le 30 août 1845 fut expédié au Bureau des Chartes des Colonies en France.
Ce document est exceptionnel car il situe exactement la position de la justice de la colonie, peu avant l'abolition de l'esclavage.
La découverte du jugement de la Cour de Bourbon de 1845 donne donc accès à des informations importantes, sur le fonctionnement de la justice, mais également sur la vie de Furcy à l'île Maurice.
Dans les attendus de la décision des juges de la Cour Royale de Bourbon, Furcy devient en quelque sorte l'accusé et la famille Lory les victimes.
A de nombreuses reprises, les juges mentionnent la bonne foi de Joseph Lory et la négligence de Furcy qu'ils rendent d'une certaine manière responsable et coupable d'être resté en esclavage.
Comme dans tant autres affaires de justice concernant des esclaves, ceux-ci sont forcément, presque par nature, coupables.
Dans plusieurs de ses attendus, la Cour dédouane Joseph Lory de toute responsabilité quant au maintien en esclavage de Furcy, revenant ainsi sur les motifs reçus par la Cour royale de Paris. Il est ainsi mentionné que Joseph Lory n'est pas responsable du non-affranchissement de Madeleine, la mère de Furcy, prévu pourtant vers 1773. Il ne devient propriétaire de l'esclave Furcy que suite au partage en 1812 après le décès de la Veuve Routier. Cet argument semble assez fallacieux puisque c'est en tant que gendre de cette veuve qu'il est concerné par cette affaire au même titre que son épouse ; c'est d'ailleurs elle et les héritiers qui seront condamnés puisque Joseph Lory décède en 1839. Cet argument servira pourtant à calculer au minimum l'indemnité à laquelle pouvait prétendre Furcy et que la Cour de Bourbon ne prendra en compte qu'à partir de 1812.
On apprend également, selon l'avocat des Lory, élément repris par les juges, que c'est Furcy qui avait demandé à être attribué lors du partage à Joseph Lory et à son épouse :
"Furcy qui préférait servir le sieur Lory et demeurer en ville …. Plutôt que de rester à la campagne chez le sieur Routier auquel il était échu en partagé, a prié le sieur Lory de l'acheter … fut exécuté selon ses vœux et avec sa participation… Attendu qu'en présence de semblables faits plaidés et non niés à l'audience, Furcy qui avait déjà 25 ans ne peut demander de bonne foi au sieur Lory en vertu de quel titre …comme son esclave puisque c'est sur sa propre demande et son consentement qu'il a passé de la possession du sieur Routier à celle du sieur Lory.
Attendu que jusqu'en 1817, Furcy n'a fait aucune réclamation et s'est considéré lui-même comme l'esclave du sieur Lory, que dès lors on peut raisonnablement lui imputer le dommage dont il se plaint."
Coupable, forcément coupable !
Dans le décompte établi par la Cour pour évaluer le préjudice de Furcy, il est comptabilisé les années à Maurice, de 1818 à 1827, année de son affranchissement par les Anglais :
"dans l'appréhension d'avoir encore à remettre Furcy parmi les autres esclaves, le sieur Lory préfère ne plus le recenser comme son esclave et le laisser ainsi jouir d'une liberté de fait qui fut la cause que Furcy dès qu'il en fit la demande au gouvernement anglais obtint son affranchissement légalement sans la moindre opposition de la part de son maître qui par le fait de sa déposition volontaire et de l'état de manumission dans lequel il avait placé Furcy à l'île Maurice dès 1818, avait à l'avance acquiescé et même rendu le dit Furcy apte à l'affranchissement."
Coupable, forcément coupable de ne pas avoir réclamé plus tôt son affranchissement.
Le décompte se poursuit avec une exonération d'office d'indemnité pour la période courant de l'affranchissement par les Anglais au jour du procès.
"On ne saurait non plus rendre le sieur Joseph Lory responsable de cette inaction insouciante ou calculée dont Furcy comme seul auteur, doit seul supporter les conséquences."
L'esclave est toujours coupable et, de plus, insouciant.
Les attendus de la Cour sont de plus en plus consternants :
"Attendu que de 1812 à 1817, la possession du sieur Lory est entachée d'erreur, il est impossible de ne pas reconnaître que cette erreur étant partagée par Furcy lui-même, qui a, en quelque sorte, forcé le Sieur Lory à l'acheter et à le posséder comme esclave, il en ressort la preuve la plus éclatante de la bonne foi du Sieur Lory…"
L'attendu suivant indique que c'est grâce au service de Lory que Furcy a pu apprendre le métier de confiseur.
Toutefois, la Cour Royale de Paris a déclaré Furcy Libre, en état d'ingénuité et la justice de Bourbon ne peut pas ne pas en tenir compte ; il faut donc entrer en condamnation, même si il apparaît que les juges auraient préféré condamner Furcy pour sa négligence, son insouciance et son manque de reconnaissance envers ses bons maîtres.
"Il y a lieu d'allouer au dit Furcy des dommages et intérêts."
Le minimum de durée qui est donc retenu pour calculer les dommages est celui de cinq années entre 1812 et 1817 ainsi que dix ans entre 1818 et 1827, "possession fictive" selon les juges.
"Attendu que cette évaluation de trois cent francs par an alors que Furcy était d'ailleurs entretenu et nourri aux frais de son maître Mr Lory pendant les années qui ont précédé sa réclamation et pendant que le dit Furcy était en état de manumission à l'ile Maurice est assez élevé pour comprendre le manque à gagner et la contrainte morale que Furcy a pu éprouver pendant qu'il était au service du sieur Lory et pendant le temps qu'il lui a plu de ne pas faire régulariser sa position à l'île Maurice."
Coupable, définitivement coupable, et en plus nourri-logé !
Il faut noter qu'à Maurice, où l'esclavage avait été aboli en 1835, la location mensuelle d'un cultivateur s'élevait entre 60 et 100 francs.
Lors des débats en 1842 sur l'affranchissement général des esclaves, le maîtres réclamaient une moyenne de 1600 francs par esclave. La valeur d'un enfant esclave était alors évaluée à 300 francs.
La famille Lory ayant offert de régler 5000 francs à Furcy en janvier 1845 mais n'ayant pas consigné la somme, la Cour condamne la Veuve Lory et les héritiers Lory à payer la somme de 5000 francs avec les intérêts. Les frais du procès sont également à leur charge.
Nous ne pouvons expliquer, pour le moment, le fait que c'est une somme de 15 000 francs qui va être versé à Furcy Madeleine plus les intérêts. Nous n'avons pas trouvé traces d'autres procédures juridiques, ni en France, ni à Bourbon.
Si sur le plan financier, il commence à obtenir "réparation", sur le plan moral, il est évident qu'il est jugé responsable de sa situation passée d'esclave.
Sur ce même plan, c'est une sorte de revanche prise par les juges de Bourbon ; cela leur permet de remettre en cause la décision de la Cour de Paris et de confirmer, d'une certaine manière, le bien fondé des décisions judiciaires locales de 1817 et 1818.
C'est également l'affirmation d'une certaine "autonomie" des juges coloniaux par rapport à un pouvoir central. C'est surtout, à notre avis, l'affirmation d'une justice coloniale pour qui l'intérêt des grands propriétaires est prédominant.

Gilles GERARD ; Octobre 2015





Remerciements à Mme Sue Peabody, Mr Patrick Drack ainsi qu'au personnel des Archives Nationales de Maurice.

Signature :
Gilles GERARD

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LA FAMILLE ESCLAVE A BOURBON, PRINCIPALE SOURCE DU PEUPLEMENT DE L'ILE ? Colloque international du 350ème anniversaire du Peuplement de La Réunion 31 mai 2013 ; Saint-Paul de La Réunion Organisé par le Conseil Régional de La Réunion

Durant près de deux siècles, la question du peuplement de l'île fut le souci principal du pouvoir colonial. Passées les premières décennies de l'occupation de cet espace, sa mise en valeur par la transition d'une société d'habitation à une société de plantation a impliqué des mouvements migratoires importants vers Bourbon. Dans une société divisée par le statut différent de ses habitants, Libre et Esclave, le choix fut en permanence de privilégier un peuplement par des apports extérieurs au détriment d'une croissance naturelle reposant sur les naissances.
Cela concernera les Blancs ou Libres dont les arrivées furent longtemps celles d'hommes originaires essentiellement de l'Europe et plus particulièrement de la France. Des quelques femmes Libres arrivées sur l'île découleront très vite de multiples unions dont la descendance féminine sera alors à son tour, dès les débuts de la puberté, unie à ces colons venus souvent de l'extérieur.
Le développement de cette partie de la population se fera progressivement au sein du groupe des Créoles Libres.
L'autre partie de la population, celle dite esclave, est l'objet de cette communication. Si sa genèse fait uniquement appel à des apports extérieurs, Malgaches, Africains et Indiens, sa consolidation et son développement vont en permanence et jusque vers 1835, être réalisé grâce à deux sources distinctes. La Traite, légale jusqu'en 1817, puis illégale durant près de deux décennies, est la source privilégiée de façon quasi ininterrompue par les pouvoirs économiques et politiques. A ce peuplement exogène, va se confronter en permanence un peuplement directement issu des familles d'esclaves établies, telles qu'elles voudront et pourront se constituer, cela à travers des formes d'organisations spécifiques. Celles-ci, hormis durant les premières décennies de la colonisation, seront systématiquement niées et dévalorisées par les pouvoirs esclavagistes.

La créolisation d'un peuple
Une des grandes questions qui se posent au système esclavagiste, en particulier dans les sociétés de plantation, est celle de la reproduction des esclaves. Il ne s'agit pas de la reproduction sociale de ce groupe mais bien entendu de sa reproduction en tant que force de travail. Deux options sont dès lors possibles : soit le recours à la Traite pour renouveler le "cheptel" soit la reproduction biologique.
"Un de mes étonnements, écrivait en 1764 le gouverneur de la Martinique, Fénélon, a toujours été que la population de cette espèce n'ait pas produit, depuis que les colonies sont fondées, non pas de quoi se passer absolument des envois de la côte d'Afrique, mais au moins de quoi former un fond, dont la reproduction continuelle n'exposerait pas à être toujours à la merci de ces envois."
La non croissance naturelle de la population servile a longtemps été explicitée par un fort taux de mortalité chez les esclaves, en raison soit de l'inadaptation au climat soit par les effets désastreux d'épidémies. D'après les études de H.S. Klein, pour la Traite transatlantique, c'est la méconnaissance que :
"L'âge et le rapport inégal entre les sexes de ces Africains constituaient le facteur déterminant de la croissance négative de la force de travail servile … lorsque les arrivées nouvelles d'Africains déportés par la Traite cessèrent d'influencer la répartition par sexe et par âge de la population résidente, il devint possible pour la population esclave de commencer à augmenter par croît naturel."
Pour O. Patterson, de nombreuses sociétés à esclaves ont compté sur un accroissement naturel des populations serviles pour se maintenir et se développer. Celles ayant recours régulièrement à la Traite devaient donc, soit avoir choisi pour des raisons économiques de privilégier cette forme de maintien de la main d'œuvre servile, soit être confrontées à un problème d'impossibilité de la population esclave à se reproduire biologiquement.
"Dans toutes les sociétés où l'institution [l'esclavage] persista plus que le temps de deux ou trois générations, la naissance devint la seule source véritablement importante d'esclaves."
Aux Etats-Unis, selon O. Pétré-Grenouilleau:
"entre cette période [1820] et le début de la guerre de Sécession, la population servile fut multipliée par trois, essentiellement par accroissement naturel."
A Bourbon, dès la fin du 17ème siècle, on enregistre de nombreuses naissances d'enfants dits créoles, c'est-à-dire nés sur l'île. Cela est concomitant avec l'utilisation du terme d'esclave pour désigner les premières victimes de la Traite.
Les parents sont, à cette époque, principalement des Malgaches. Jacques Lamboutique, fils de deux Malgaches, baptisé en 1672 à Bourbon, épousera en 1692 Marianne Lahératchy, créole née en 1679 dont les deux ascendants étaient également malgaches. Ce premier couple d'esclaves créoles aura une nombreuse descendance : treize enfants. Si lors du baptême de leur premier enfant le 6 février 1694, il n'est pas fait mention de leur statut d'esclave, cela n'est plus le cas, dès le 29 août 1697 lors de la naissance de leur fils Jean. Ils sont dits : "tous deux noirs et esclaves de Monsieur Launay."
En 1735, on relèvera une dizaine d'enfants créoles de la troisième génération issus de ce premier couple. A cette époque, plus de 22% de la population de Bourbon est née sur l'île.
Les unions religieuses nombreuses et les baptêmes systématiques des enfants durant la Période de la Compagnie des Indes nous fournissent la preuve de l'existence et de la fertilité des couples esclaves.
H. Gerbeau signale que :
"Les registres paroissiaux de Saint-Paul montrent par exemple que, de 1735 à 1756, 80 à 100 % des enfants esclaves qui naissent sont de père connus et que près de la moitié des naissances serviles du quartier sont légitimes, c'est-à-dire se produisent dans des foyers d'esclaves mariés."
Cela indique bien la présence forte de familles d'esclaves, comprenant donc des enfants créoles et des parents. Cela ne dit rien sur le fonctionnement de ces familles mais démontrent leur existence. Les mariages privilégiant l'endogamie d'habitation, c'est donc sur le même espace que vivent les membres de ces familles. Le nombre important d'enfants "illégitimes", plus de 50%, indique l'existence de familles d'esclaves "maron", c'est-à-dire non reconnues par les pouvoirs politiques et religieux.
A l'accroissement naturel de la population créole correspond un accroissement artificiel de la popu-lation esclave par l'arrivée, à la même période, de très nombreux esclaves malgaches et africains. Ceux-ci, composant également des familles et générant des enfants créoles, il est impossible de calculer le moindre taux de croissance naturelle de la population esclave dans son ensemble. Seul, le suivi des familles pourrait permettre "d'isoler" la composante créole mais l'état des archives, en particulier les recensements après 1735, ne le permet pas de façon sérieuse. On ne peut que constater l'accroissement de la population créole sur le plan quantitatif : de 113 en 1690 à 119 en 1704, puis 538 en 1714 et à 1503 en 1735 et 8420 en 1765. En 1848, ils seront plus de 40 000.
Dans la première moitié du XVIIIème siècle, la Traite organisée par la Compagnie des Indes, depuis Madagascar vers les Mascareignes, demandait aux capitaines négriers de :
"longer la côte du 20° au 26° pour trouver le choix de nègres et de négresses … bien faits et de corporance, qui indique de la force et de l'âge."
S'il est difficile, voire inutile, de chiffrer avec précision les esclaves traités depuis Madagascar, selon le sexe, on constatera cependant la diversité des "cargaisons". Des bateaux tels que l'Athalante, en 1735, ramène :
"48 testes d'esclaves noirs et négresses traittés de Madasgacar" répartis en "23 noirs pièces d'Inde, 11 négresses, 11 négrillons et 3 négrittes.", soit 70 % d'esclaves masculins.
La même année, la frégate L'Astrée introduit 117 esclaves dont 54 femmes, deux ayant un enfant "à la mamelle", soit plus de 46 % d'éléments féminins.
Quelques années plus tôt, en 1729, "la vente et la distribution de Noirs de Madagascar de la seconde traite du vaisseau La Sirenne" concernent 348 esclaves dont 231 seront affectés à Saint-Paul. Cette Traite comprend 56 % d'esclaves féminines.
En 1735, on dénombre 1601 Créoles parmi les7171 esclaves, soit 22.3%. Parmi eux, l'équilibre du sex-ratio est quasiment obtenu tant chez les adultes (145 hommes et 148 femmes) que chez les enfants de moins de 15 ans (633 garçons et 675 filles).
On recense également 3839 esclaves malgaches, soit plus de 53% des esclaves, dont 1405 hommes, 1681 femmes, 462 garçons et 291 filles. Globalement on recense 1867 éléments masculins contre 1972 éléments féminins C'est donc essentiellement dans le groupe des Africains et des Indiens, 10.3%.et 6.5%, que l'on note un déséquilibre important du sex-ratio au profit des hommes. Toutes origines confondues, on recense 3444 hommes et 3199 femmes.
En 1779, cet équilibre semble largement rompu puisqu'on estime à 14369 le nombre d'esclaves masculins et à 9259 celui des femmes. L'âge et l'appartenance ethnique ne sont pas précisés dans les archives mais l'accroissement considérable de la Traite en est une des principales raisons.
Par la suite, on enregistrera globalement entre 60 et 65 % d'esclaves masculins. La poursuite de la Traite, après 1817, se caractérise par la jeunesse des esclaves importés et par un sex ratio toujours déséquilibré. Lors des saisies en 1827 sur l'Oiseau ou en 1830 à Etang-Salé, près de la moitié des esclaves est âgée entre 7 et 14 ans.
Avant l'abolition, l'analyse des propriétés permet d'affirmer que parmi les esclaves non-natifs, plus de 15% sont arrivés après 1817. Si on inclut ceux nés entre1810 et 1817, dont on peut douter que l'intégralité soit arrivée enfant ou ""à la mamelle", ils représentent près de 40% de ces esclaves, avec une présence importante sur la côte Est, allant de Saint-Denis à Sainte-Rose. Ces esclaves victimes de la Traite illégale, montrent la persistance du choix des maîtres de privilégier la déportation de jeunes adultes, en majorité masculin. On peut relever la relative importance parmi ces esclaves victimes de la Traite illégale d'un groupe de jeunes Malais, dont une majorité de femmes, sur la commune de Saint-Denis
Cette persistance de la Traite devenue illégale sera longtemps tolérée à partir d'arguments sur la faible fécondité des femmes esclaves.

Le déni des pouvoirs politiques, économiques et religieux
Tout au long de l'histoire de Bourbon, les rapports entre maîtres et esclaves furent marqués très souvent par la dévalorisation de ces derniers, leurs identifications à du bétail et l'assimilation de leurs comportements à ces derniers. Cela apparaît dans le registre des relations familiales par la dénonciation très fréquente du libertinage des femmes et de l'absence de sens familial chez les hommes. Une des conséquences de cette approche est la mise en avant de l'idée que les esclaves ne peuvent avoir des relations familiales et que les femmes refusent d'enfanter.
"L'obstacle qui s'oppose ici aux mariages des esclaves …est tout entier dans la répugnance invincible que les noirs, et surtout les négresses, éprouvent pour tout ce qui contrarie la spontanéité de leurs caprices, et pour tout ce qui leur impose des devoirs ou des sacrifices."
Selon Barbaroux,
"Les mœurs des Noirs sont une […] cause très active de dépopulation.", il n'y a aucun inconvénient
"de briser les liens de famille qui, chez les esclaves, sont d'ailleurs à peine compris."
Selon Schoelcher, "l'enfant sorte de bétail doué de la parole, peut être détaché de la famille à un certain âge comme le poulain et le veau.".
Dans un mémoire de 1785, la pratique de l'avortement est avancée comme explication à une faible natalité :
"La principale cause est que la plupart des femmes détruisent leur fruit ne voulant pas mettre au monde des enfants aussi malheureux qu'elles." Aucune donnée ne confirme cette assertion, bien au contraire. La fréquence des décès des jeunes enfants, dès lors que les maîtres seront vraiment obligés de les signaler, indique une forte fécondité chez toutes les femmes, quelques soient leurs origines.
Les travaux de statisticiens comme P.P. Thomas ou Betting de Lancastel seront au service d'approches économiques.. C'est ainsi qu'au lendemain de l'interdiction de la Traite en 1817, l'argumentation de ceux réclamant la poursuite ou la reprise de la Traite vont s'appuyer sur des données volontairement erronées sur les naissances au sein du groupe des esclaves. Pour les années 1818 et 1819, Thomas donnera pour l'ensemble de l'île un nombre de 423 naissances. Une recherche effectuée sur deux tiers de la population esclave permet d'affirmer qu'en 1847 avaient survécu 778 esclaves créoles nés ces années-là. Survécu car la mortalité des esclaves, très importante tant chez les enfants que chez les adultes créoles, touchera sur les communes étudiées 30% des personnes nées durant ces deux années. Le chiffre des naissances peut être donc estimé à 1600 et les données de Thomas devraient dès lors être multipliées par 4.
Les chiffres de Betting de Lancastel pour les années 1823 à 1825 font état de 830 naissances sur l'île.
Pour la même période, l'étude des recensements en 1847 sur les deux tiers des propriétés nous indiquent que 1542 esclaves créoles nés durant ces trois années, sont encore vivants, ce qui correspond à peu près à une réalité de 3300 naissances pour ces années. La sous estimation du nombre des naissances est donc réelle puisqu'il convient de multiplier le nombre fourni par ce statisticien par 4 également.
Cette présentation biaisée du nombre des naissances correspond à deux motifs. Le premier tient à la mortalité infantile qui incitait les maîtres à retarder, puis "oublier" les déclarations de naissances. Cela est lié à la seconde raison, l'impôt par tête dû par les propriétaires d'esclaves.
Un autre statisticien, Moreau de Jonnès se basera lui aussi sur les chiffres fournis par l'administration coloniale pour tirer des conclusions sur la situation particulière de Bourbon au regard des autres colonies françaises. Relevant un fort déficit des naissances sur les décès dans les années 1832-1838 ainsi qu'un décalage entre la fécondité des femmes blanches et des femmes esclaves, à savoir 128 enfants pour 100 femmes chez les premières et seulement 88 enfants pour les secondes, il analyse les causes de cette faible natalité en présentant quatre causes. Les registres étant mieux tenus depuis 1830, la correction à apporter à ses données se situe à 1,5. Outre la différence numérique entre hommes et femmes esclaves, il relève :
"Les obstacles qui s'opposent partout au mariage des nègres, et qui empêchent les moeurs et les habitudes de famille de se former, se transmettre et se propager.
Un concubinage passager et stérile si grand qu'il n'y a nulle part de filles publiques, et si général, qu'il reproduit, sous l'empire des lois de l'Europe, la polygamie africaine.
Les avortements facilités par le climat, provoqués par des travaux pénibles, et multipliés bien plus encore par des pratiques coupables qui tiennent lieu de l'infanticide, et qui dispensent de l'exposition des enfants, crimes des sociétés civilisées entièrement inconnus aux esclaves des colonies."
Il convient de souligner que la fécondité des femmes Libres concernait également les affranchies d'avant 1848. L'étude démographique de ces personnes nées esclaves montre leur forte fécondité avant l'affranchissement. Si cela s'explique dans certains par des relations affectives avec le maître qui affranchit sa concubine et ses propres enfants - on peut estimer dans ce cas que les conditions de vie de ces derniers étaient moins dures que pour les autres esclaves - le nombre important de femmes anciennes esclaves qui vont-elles-mêmes affranchir leur parenté, enfants mais également ascendants et germains, démontre que l'importance de la famille concernait bien le monde esclave.
Un autre voyageur, Auguste Billiard, est systématiquement cité comme référence dans les travaux universitaires. Proche de la famille Desbassayns, ses analyses semblent être le reflet des approches des grands propriétaires-sucriers, en partie liés aux négociants de Nantes ou de Bordeaux. La question du lien entre Traite illégale et faible natalité est récurrente dans ses lettres. Il dénonce l'interdiction de la Traite, souhaitant qu'on favorise plutôt la "reproduction naturelle" en excluant de l'impôt sur les esclaves les jeunes enfants.
Il fournit, lui aussi, des estimations de la population, 60000 esclaves en 1820 tout en précisant que les recensements n'en comptabilisent que 51000 et les rôles de contributions aux alentours de 56000. Il soutient également que même avec un sex ratio équilibré, la population esclave ne pourra se développer. La seule solution efficace apparaît comme étant de ne plus pénaliser les propriétaires ayant recours à la traite. Après 1848, les pouvoirs locaux privilégieront encore la venue de "bras" extérieurs à l'île, par le recours à l'engagisme des Indiens et à la Traite et à l'esclavage déguisé de milliers d'Africains, Malgaches, Comoriens ou Polynésiens jusqu'à la fin du 19ème siècle.

La famille esclave, une réalité constante
La reconstitution des familles d'esclaves atteste de leur nombre important et de la fécondité des femmes esclaves. Quelle que soit l'époque durant la période de l'esclavage à Bourbon, qu'elles soient "légalisées" comme souvent durant la période de la Compagnie des Indes ou qu'elles soient "maron" comme durant la période allant de la Révolution à 1848, ces familles apparaissent comme une des formes de résistance utilisées par les esclaves pour retrouver leur humanité. Au lendemain de l'abolition de 1848, des milliers de familles issues de l'esclavage vont apparaître au grand jour. Les très nombreuses reconnaissances d'enfants de tout âge, nés avant 1848, confirment l'ancienneté et la constance de ces unions, parfois sur quatre générations. Ce sont elles qui constituent le socle de la société réunionnaise d'aujourd'hui.
On constate que parmi les milliers d'esclaves victimes de la Traite illégale après 1817, très nombreux sont ceux qui seront exclus de la parenté pour des raisons essentiellement démographiques, étant donné le déséquilibre du sex ratio.
On peut estimer, a minima, que 80% de la population servile en 1848 vivaient, ou avaient vécu, au sein d'une structure familiale sur l'île. De nombreuses "dynasties" d'esclaves, permettant de remonter au premier temps de la colonisation, soulignent l'ancienneté et la durabilité de ces familles. Selon les propriétés, parfois selon les espaces géographiques, on constate des variantes dans l'importance de ces familles mais globalement, elles sont la forme d'organisation privée choisie par la très grande majorité des esclaves. Ces familles esclaves apparaissent dans le marronage, dans les révoltes individuelles mais également dans les révoltes collectives comme celle de Saint-Leu en 1811. Elie, un des chefs de l'insurrection, était issu d'une fratrie de huit enfants dont quatre seront décapités en 1812. De Gilles, un autre responsable, on connait également les deux parents et la sœur, tous emprisonnés à Saint-Denis. La famille esclave n'était nullement un facteur de soumission à la loi du maître.
Les reconstitutions de familles esclaves indiquent également la présence ancienne de structures familiales chez les esclaves, une fécondité élevée ainsi qu'une mortalité infantile conséquente, de même que chez les Libres.
Les naissances étant le fruit d'unions d'esclaves de toutes origines, calculer un taux de natalité ou de mortalité n'a pas de sens. L'argument principal utilisé par les sources officielles, et souvent repris sans trop de vérifications des sources par certains historiens, pour nier l'importance de la famille esclave, ou pour la qualifier d'illusion, d'embryon, de "création" du maître ou du prêtre, se base sur les taux de croissance démographique, en particulier le taux de natalité et celui de fécondité. Outre le fait que les chiffres de la population esclave totale ou des femmes en âge de procréer ne sont pas connus ou sont manifestement faux pour calculer certains taux, leur utilisation, pour les calculs de croissance, ne sont pas pertinents. Quelles que soient les précautions prises, la plupart des analyses vont s'appuyer sur les données fournies par les propriétaires et les responsables coloniaux. Pour des raisons diverses, ces chiffres sont faux. Que ce soit la Traite illégale et ses estimations variables, y compris sur les dates, ou que ce soit les recensements et les déclarations de naissances ou de décès, la véracité des données ne peut qu'être systématiquement mise en cause vu les intérêts économiques liés aux déclarations du nombre d'esclaves. Dissimuler les entrées d'esclaves illégales pendant l'interdiction de la Traite, minorer les naissances pour des raisons d'impôts, déclarer l'ensemble des esclaves pour préparer l'abolition et l'indemnisation ou au contraire, négliger les déclarations de naissances en raison de la forte mortalité infantile, telles ont été les pratiques des uns et des autres. Tenir compte de tous ces "biais", rend illusoire des analyses de la population basées sur le concept de croissance naturelle. Car s'y ajoute la question essentielle de "l'artificialité" de cette société sur le plan démo
graphique. Si cela était possible, l'étude sur une zone relativement importante et sur l'équivalent de trois générations permettrait d'estimer le taux de croissance naturelle du groupe esclave. La qualité des sources manuscrites, recensements et état civil des esclaves, ne permet pas d'avoir une vue sérieuse de ce mouvement démographique.
Cette problématique de la famille esclave et de son rôle démographique ne se pose pas qu'à Bourbon. Dans les autres îles des Mascareignes mais également dans l'espace des Caraïbes ou en Amérique, on constatera, après les abolitions, le même phénomène de regroupement des familles disséminées par les maîtres sur diverses propriétés, la même recherche des membres de la famille, la même indication de l'ancestralité.
Sur l'île de France, selon V.Teelock :
"La vie communautaire existait déjà, dans des formes auxquelles on ne s'attendait pas […] dans leurs doléances, les esclaves parlaient de leurs "époux" ou "épouses" bien qu'ils n'étaient pas légalement mariés."
Aux Caraïbes, A. Gauthier souligne l'importance accordée par les esclaves à leurs familles :
"l'énergie à maintenir leurs liens malgré les séparations pendant l'esclavage puis à se retrouver après l'abolition."
Enfin, aux Etats-Unis, selon E. Génovese :
"les esclaves organisèrent remarquablement la vie de famille et, lorsque les conditions le permettaient, favorisèrent autant que possible la famille nucléaire."

La question de la viabilité de cette population
Pour les propriétaires et le pouvoir colonial, le souci du développement démographique interne de la population esclave n'apparaît que rarement et leurs conclusions insistent en général sur l'impossibilité de s'y limiter pour permettre l'accroissement des productions. En définitive, seule la Traite peut remplir cette fonction.
Cependant, l'équilibre du sex ratio et la pyramide des âges constatés en 1735 impliquent, en théorie, une viabilité de cette population grâce à ses capacités de reproduction interne. En 1848, cet équilibre concerne toujours les esclaves créoles : sur environ 42 000 esclaves créoles, on peut estimer à 13200 le nombre d'hommes adultes, à 12700 celui des femmes, à 8000 celui des garçons de moins de 15 ans et à 8100 celui des filles du même âge. Il apparaît que les nombreux décès de femmes en couche expliquent le léger déséquilibre du sex ratio chez les adultes alors qu'en général on observera une très légère majorité de filles parmi les jeunes. Si les naissances étaient nombreuses dès le début de l'esclavage, la forte mortalité infantile, qui s'étendra quasiment jusqu'à la fin de la première moitié du XXème siècle, ne pouvait permettre un accroissement de la population esclave aussi spectaculaire que celui entraîné par le recours à la Traite. Toutefois le fait que le groupe créole passe de 119 en 1704 à 1503 en 1735 puis à 8420 en 1767 et près de 42 000 en 1848 démontre une capacité de renouvellement des générations assez conséquente. Certes, le pourcentage d'esclaves créoles diminuera parfois par rapport à l'ensemble de la population servile mais cela ne démontre pas que ce groupe ne possède pas la capacité, ou qu'il refuse par une démarche de résistance, de se reproduire biologiquement et socialement. Son augmentation naturelle démontre donc une forte vivacité, certes en corrélation avec l'arrivée de nouveaux parents potentiels.
Toutefois les conditions de vie inhérentes à l'esclavage, malnutrition, grossesses non protégées, travaux très durs, santé non prise en compte, c'est-à-dire une utilisation des corps au maximum de leurs capacités et au minimum des dépenses pour la survie, faussent cette capacité à se maintenir démographiquement.
Cette croissance exponentielle, à laquelle ont contribué les esclaves victimes de la Traite, nous amène à poser la question de la viabilité démographique de la société des esclaves. Au moment où cette société avait suffisamment de ressources internes pour se maintenir et croître, si la Traite avait été abolie, éventuellement l'esclavage, le monde des esclaves aurait-il périclité comme semblaient le craindre certains propriétaires ?
Pour l'historien cependant, la question doit être étudiée. Dans les sociétés d'origines, les populations non soumises à l'esclavage ne disparaissaient pas. La fertilité des femmes permettait le renouvellement des générations. Il est certain qu'en n'étant plus astreint à l'esclavage, la mortalité des jeunes enfants auraient été à peu près similaire à celle des Libres et le renouvellement des générations indiscutable. Les choix économiques impliqués par la volonté de perpétuer le système d'exploitation coloniale se porteront donc sur l'amplification de la Traite dans la seconde moitié du 18 siècle puis par le recours à la Traite illégale, et après l'abolition, par l'arrivée massive de travailleurs engagés. Il convient d'approfondir les études sur le peuplement après 1848 afin de discerner ce qui relèvera dès lors d'un contrat et ce qui perpétuera une forme d'esclavagisme.

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